Septembre 2010 Par Gaëtan ABSIL Initiatives

Appel à contributions

Depuis la Charte de Bangkok, la «santé spirituelle» a été introduite dans la définition de la santé de l’OMS. Cependant, cette même charte ne développe nullement les différentes dimensions que recouvrirait la «santé spirituelle».
L’introduction de la santé spirituelle répond à une demande de pays non-occidentaux et nous rappelle que la définition de la «santé» engage des représentations culturelles de l’homme qui ne sont pas universelles (voir par exemple Descola, 2005 ou Viesner, 2006 ). A titre d’exemple, Françoise Héritier décrit (en 1977) l’identité des êtres humains d’après les Samos (Burkina Faso): «Tout être humain est ainsi fait de la conjonction d’un corps, de sang, de l’ombre portée, de chaleur et de sueur, du souffle, de la vie, de la pensée, du double et enfin du destin individuel (Héritier, p. 52). D’autres conceptions de la santé et de la prévention existent dans le monde qui prennent en considération une «dimension spirituelle» de l’individu et sont officiellement reconnues. C’est le cas de la médecine des védas (l’ayurveda – Inde) où la vie est conçue comme l’union du corps, des sens, de l’esprit et de l’âme (Ministry of Health and Family Welfare, Inde, 2010). Cela étant posé, le concept de «santé spirituelle» semble étranger à notre modalité de penser ou semble remettre sur le tapis une discussion séculaire à propos des relations entre le corps et l’esprit.
«La santé spirituelle» ne semble plus uniquement une question exotique ou de sciences humaines. Une recherche sur Medline permet de dénombrer 5584 publications à propos de la santé spirituelle dans le champ de la médecine. La «santé spirituelle» serait un nouvel objet scientifique (King et al., 2009), une nouvelle dimension à prendre en compte dans les interventions, en particulier en matière d’évaluation du bien-être (e.g. Cheungsatiansup, 2003 ou le dossier paru dans la revue Santé conjuguée , 2007). L’index du Guide santé de la Colombie britannique à l’usage des familles (Canada) inclut une entrée ‘spiritualité’. Les auteurs situent la spiritualité au sein du chapitre consacré aux «troubles mentaux et équilibre de la relation corps-esprit» et lui accordent une connotation religieuse. Face à la question de l’esprit, la revue Philosophie magazine proposait récemment un dialogue entre le neurobiologiste Pierre Changeux et le philosophe Jean-Michel Salanskis . Le premier défend la position que la vie psychique s’explique entièrement par la biologie, le second par le sens donné à nos expériences (juillet-août 2009). Cet article paraît en même temps que celui de Dortier dans la revue Sciences humaines intitulé «L’éternel retour de l’âme» (juillet 2009).
A côté de la littérature scientifique et de vulgarisation, des colloques sont organisés par l’International Medical Spirits Association, avec le soutien de l’Union Spirite Belge, ayant pour thème l’« interconnexion médecine et spiritualité » (25 et 26 octobre 2008 Liège).

Une possible polémique pour la promotion de la santé ?

Ainsi, la «santé spirituelle» connaît-elle une véritable actualité, et les acteurs qui s’y intéressent développent des appareils conceptuels pour la définir, et peut-être l’instrumentaliser.
Les acteurs de la promotion de la santé doivent-ils rester en marge de ces débats? Ou est-il plus prudent de s’y intéresser? Faut-il laisser le monde médical définir la spiritualité en lien avec une efficacité thérapeutique? Le concept de santé spirituelle est-il de nature à menacer le libre arbitre ou à favoriser son enrichissement?
Plusieurs définitions de la spiritualité coexistent: religieuse, phénoménologique (conscience de son rapport au monde – les plus philosophes pardonneront ce raccourci), psychologique, biologique… King et al. proposent une définition de la spiritualité en quatre composants qui ne sont pas nécessairement religieux: la croyance, la pratique, la conscience et l’expérience.
La question de la santé spirituelle est de nature polémique, par exemple la question des dérives sectaires ou les tensions entre approches scientifiques et un thème perçu comme exclusivement religieux. Conscient de ces tensions, le séminaire s’inscrit dans une perspective scientifique: il s’agit de décortiquer ce concept, en vue d’en proposer l’anatomie au secteur de la promotion de la santé. Nous n’avons pas l’ambition de proposer un jugement définitif sur la «santé spirituelle», mais plutôt de proposer des points de vue variés et scientifiques qui permettront aux personnes intéressées de se forger leur propre opinion à ce propos. Comme le remarque Danielle Piette , l’introduction de ce concept offre l’opportunité d’une réflexion sur les valeurs qui guident nos actions et nos politiques.
S’interroger sur la manière dont pourrait être interprété le concept de «santé spirituelle», revient à s’interroger sur les catégories que nous utilisons pour classer le monde, pour définir «l’homme» et sur les enjeux de la construction de ces catégories par les acteurs sociaux, et donc aussi sur les valeurs qui sous-tendent nos actions.
Voici déjà quelques questions de nature à nourrir un débat:
-comment définir la «santé spirituelle»? Quels sont les enjeux cachés parmi les définitions?
-dans quel contexte telle définition prend-t-elle corps avec le plus d’acuité (santé mentale, accompagnement en fin de vie…)?
-quelle peut être la place du concept de «santé spirituelle» dans une société multiculturelle?
-comment interpréter l’émergence de ce concept depuis les dernières années (colloques, congrès…)? Quels liens entre spiritualité, sens de la vie, projet de vie, estime de soi…?
-faut-il intégrer la dimension spirituelle dans les actions de promotion de la santé? Et si oui, comment et à quelles conditions?
-l’extension de la définition à la santé spirituelle signifie-t-elle l’ouverture de champs de la promotion de la santé à d’autres professionnels ou spécialistes, comme par exemple les philosophes?
-comment une réflexion sur le concept de «santé spirituelle» peut-elle actualiser notre réflexion sur les autres dimensions de santé: santé sociale, santé mentale…?

Concrètement

Pour envisager cette question, l’APES-ULg met en place un séminaire dont l’objectif est d’ouvrir le débat autour de la définition et des enjeux du concept de «santé spirituelle». Ce séminaire s’attellera à des questions théoriques, formulées dans les diverses disciplines (anthropologie, psychologie, médecine, philosophie, théologie… ), et pratiques vécues sur le terrain par les acteurs de la promotion de la santé, psychologues, conseillers spirituels travaillant dans les hôpitaux…

Le séminaire se tiendra à l’Université de Liège le 18 novembre. Le nombre de participants est limité à une quinzaine de personnes afin de permettre le débat.
Les personnes intéressées par une contribution à ce séminaire peuvent se manifester auprès de l’APES-ULg avant le 21 septembre (stes.apes@ulg.ac.be) en précisant santé spirituelle dans l’objet du mail). Les communications retenues ainsi que les débats feront l’objet d’un large traitement dans la revue Education Santé.
Gaëtan Absil , APES-ULg

Bibliographie indicative

King M. et al., Conceptualising spirituality for medical research and health service provision in BMC Health Service Research , 2009, n°, 9, p. 116sq.
Daaleman T. et al., The spirituality Index of Well-Being: a new instrument for health-related quality-of-life research in Annals of Family Medicine , vol. 2 , n°5, 2004, p. 499sq.
Chuengsatiansup K., Spirituality and health: an initial proposal to incorporate spiritual in health impact assesment in Environnement Impact Assessment Review , 23 (2003), p. 3-15.
Guide-santé. Un référentiel pour la santé de toute la famille, Ministry of Health Service, Healthwise, 1989, p. 394.
Descola Ph., Par delà nature et culture , Bibliothèque des sciences humaines, NRF, Gallimard, 2005
Viesner F., La médecine des aborigènes d’Australie . Soins des corps et rétablissement des âmes , Indigène éditions, Barcelone, 2006.
Artaud A., L’ombilic des limbes in Œuvre, Gallimard, Paris, 2004, p. 107 (première édition nrf, Paris, 1925).
http://indianmedicine.nic.in/ayurveda.asp (consulté le 26 mai 2010).
Piette D., Symphonie inachevée in Education Santé , n°208, janvier 2006.
Spiritualité et santé. Dieu et Hippocrate sont dans un bâteau… in Santé Conjuguée , janvier 2007, n° 39.
En a-t-on fini avec l’esprit? in Philosophie magazine , juillet-août, n° 31, 2009, p. 54sq.
Dortier J.-F., L’éternel retour de l’âme in Sciences humaines , juillet 2009 , n ° 206 , p . 18sq .