Mars 2001 Par Bernadette TAEYMANS Initiatives

Il y a 5 ans sortait le Rapport général sur la pauvreté . L’originalité essentielle de ce Rapport était qu’il avait été rédigé avec les premiers intéressés, les experts en vécu: les pauvres eux-mêmes. ATD Quart Monde voulait garder le cap et évaluer avec ces mêmes experts. Mais il s’agissait aussi d’aller plus loin, de poser des jalons pour l’avenir, bref d’avancer pour que cessent les inacceptables inégalités et leurs douloureuses conséquences en terme de santé. Pour y parvenir, il fallait donc croiser les intelligences et les savoirs pour innover dans une démarche de connaissance et d’action.C’était l’objectif d’une journée de dialogue, de réflexion, de rencontre et de décision que proposait ATD Quart Monde avec le soutien de l’Observatoire régional de la santé de Bruxelles le 21 octobre 2000.Quelques interventions en plénière ont été suivies par des ateliers dont les thèmes étaient :

  • la prévention, un luxe réservé aux riches?
  • rencontre ou confrontation entre familles pauvres et professionnels?
  • l’évaluation de la santé, un exercice réservé à quelques spécialistes?
  • des soins de qualité: est-ce possible? A quelles conditions? Quelles sont les attentes?

Voici quelques échos de ce qui s’est échangé lors de cette journée.

Douleur

Participer à cette journée organisée par ATD Quart Monde m’a permis d’appréhender les obstacles vécus au quotidien par les familles en situation de précarité. Même si mon expérience comme infirmière en maison médicale m’avait fait rencontrer cette réalité, les témoignages ont ravivé la conscience du fossé qui existe entre ce qu’elles vivent et les déclarations de notre société affirmant garantir à chacun la possibilité de vivre dignement et de bénéficier des soins de santé.
Si j’ai ressenti un malaise croissant au cours de cette journée, je me dis que pour moi, ce n’est qu’une journée douloureuse en passant. Mais pas pour toutes les familles précarisées qui ont eu l’énergie de témoigner, de partager ce qu’elles vivent, de dire leurs colères, leurs attentes. Pour elles, cela recommence le lendemain et mon malaise est peu de chose à côté de leur douleur. Pour elles, témoigner, revendiquer est vraisemblablement libérateur, mais elles ne le font pas non plus sans souffrance: je pense à cette maman qui se sentait mal, dont la douleur augmentait au fil de la journée, je pense aussi à cette jeune fille épuisée qui essayait de dormir. Merci à elles pour leurs témoignages et leur force!

Des témoignages et des constats

Le manque d’information

«A la mutuelle, la complémentaire, ça coûte cher. Et puis, la personne doit chercher l’information concernant les avantages. Quand on a droit à quelque chose, il faudrait qu’on soit informé, qu’on en bénéficie automatiquement. »

Les lourdeurs administratives

«Il faut faire la file au CPAS pour demander un réquisitoire même si finalement cela ne met que deux secondes pour l’avoir. Quand on va à une révision, on est pris comme des chiens. On doit arriver à 7 heures du matin, attendre dehors par tous les temps, pour être sûr de passer. Comme je dois mettre ma fille à l’école, j’arrive trop tard pour m’inscrire.»
«Et puis toutes les formalités administratives, ça coûte, faire des copies, téléphoner, on ne comprend pas ce qui est écrit… Il faudrait des endroits où on peut accéder gratuitement au téléphone, faire des copies avec l’aide d’une personne-ressource.»

La non-liberté de choix

«Au CPAS, tu peux pas choisir. Chaque CPAS a sa liste de médicaments qu’ils paient mais il n’y a pas beaucoup de médicaments sur la liste. Tu déménages, tu changes de CPAS , et tu ne trouves plus les médicaments que tu prenais, tu ne peux plus aller chez le même médecin parce qu’il n’est pas reconnu par l’autre CPAS. Ce n’est pas normal que cela change d’un CPAS à l’autre.»
«Il faut choisir entre manger et se soigner.»

Le manque de respect, de considération

«A l’hôpital, si tu viens avec un réquisitoire, il faut attendre. Je préfère payer de ma poche, je me fais mieux voir.»
«Dans les écoles aussi, les enfants doivent rentrer des papiers pour avoir droit au lait. Les enfants aussi sont regardés, étiquetés. Il y a toujours des difficultés, des remarques.»
«On ne me respecte pas, alors je m’en vais.»

L’insuffisance des nouvelles mesures pour élargir la couverture sociale

«Avant je n’avais pas de mutuelle, après j’ai eu une mutuelle. Mais les soins coûtent toujours très cher: il y a beaucoup de médicaments à payer de notre poche. Et le ticket modérateur, il faut quand même bien le payer ou bien il faut aller au CPAS demander un réquisitoire, c’est pareil qu’avant!»

Des propositions

De ces constats et témoignages, des objectifs prioritaires se sont dégagés, qui se résument en quatre axes essentiels :

  • assurer les préalables à la santé c’est-à-dire le logement, l’alimentation, l’éducation;
  • faciliter l’accès aux soins, non seulement l’accès financier mais également culturel;
  • définir de nouveaux indicateurs de santé qui permettent d’évaluer ce que vivent les personnes concernées. Quelques propositions ont été faites: indicateur de qualité de logement, indicateur de considération (pas d’attitudes discriminatoires), indicateur de choix (possibilité de choix du prestataire, du médicament,…), indicateur du poids des démarches administratives et autres (temps d’attente, simplicité des procédures,…);
  • enfin, donner la priorité à des mesures universelles, les mesures spécifiques (telles que le réquisitoire) étant stigmatisantes, maintenant les gens dans une citoyenneté de seconde zone.

Des méthodes à privilégier

Le chemin pour atteindre ces objectifs, et donc pour améliorer la santé, nécessite une démarche active:

  • par des efforts concertés des différents acteurs avec une attention aux plus défavorisés;
  • par la formation des différents acteurs (aussi bien les bénéficiaires que les prestataires proches des personnes) et l’évaluation des objectifs et des mesures prises par tous les acteurs et pas seulement les professionnels;
  • par le contenu et la cohérence des interventions: importance des réseaux de soignants, cohérence des politiques de CPAS;
  • par la proximité: grâce aux réseaux locaux, développer des actions et une évaluation avec l’ensemble des acteurs (prestataires et bénéficiaires);
  • par la médiation c’est-à-dire le droit à des recours indépendants quand on a un problème, qu’il y ait des relais.

ATD Quart Monde Wallonie – Bruxelles ASBL, Av. V. Jacobs 12 – 1040 BRUXELLES.