Janvier 2014 Par Anne LE PENNEC Initiatives

À la lecture du dossier spécial que la revue Agora (1) consacre aux résultats du tout nouveau Baromètre santé jeune de l’Inpes, on se réjouit de la bonne santé globale des jeunes Français métropolitains et des atouts solides dont ils disposent pour la préserver. On passe aussi en revue leurs fragilités et les inégalités sociales auxquelles la génération des 15-30 ans paie un lourd tribu.

Premier constat : les jeunes Français métropolitains affichent un bon état de santé global. Certes, ils fument, boivent de l’alcool, dorment trop peu, sautent le petit-déjeuner ou fréquentent les fast-food, mais au terme du dernier check-up, le bilan est rassurant. Les 15-30 ans auraient même quelques longueurs d’avance sur leur aînés en ce qui concerne certains comportements favorables à la santé.

Cela ne veut pas dire que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes et pour tout un chacun. Impossible de mettre tous les jeunes dans le même sac. Bien sûr, les situations individuelles sont hétérogènes, d’autant que la tranche d’âge considérée englobe des années singulières : l’adolescence, les débuts de la vie amoureuse, l’entrée dans la vie active, l’acquisition de son propre logement, l’autonomie financière… Des disparités s’expriment également en fonction de l’âge, du sexe, des conditions de vie, de la situation sociale ou géographique, et ce quelle que soit la thématique – alimentation, tabac, alcool, sommeil, usage d’internet pour la santé, contraception, etc.

Autant de nuances qui floutent le tableau et dessinent un panorama plus contrasté qu’il n’y paraît. La revue Agora aborde la santé des 15-30 ans sous l’angle des inégalités sociales. Elle leur consacre un dossier en six chapitres bâtis à partir des données issues du Baromètre santé jeunes 2010 de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Alcool, tabac, usages d’internet pour la santé, pratiques contraceptives, comportements alimentaires et conduites alimentaires perturbées : «Les jeunes qui subissent une situation sociale défavorable présentent globalement des indicateurs nettement plus dégradés que les autres», soulignent François Beck et Jean-Baptiste Richard de l’Inpes, qui signent l’introduction. Et de préciser : «Cette question est d’autant plus préoccupante dans le contexte actuel où la jeunesse se trouve exposée à des difficultés d’emploi et de logement.»

Jeune parmi les jeunes et parmi leurs aînés

Explorer les comportements de santé d’une population en s’appuyant sur ses déclarations est la méthode adoptée par l’Inpes pour tous ses baromètres santé. Celui consacré aux jeunes ne fait pas exception et exploite les réponses apportées par les jeunes eux-mêmes.

L’enquête, téléphonique, a été menée entre octobre 2009 et juillet 2010 auprès d’un échantillon représentatif global de quelque 27.653 personnes âgées de 15 à 85 ans. Parmi elles, 6.000 avaient moins de 30 ans. Telle est la plus-value de l’approche de l’Inpes : puiser les données sur la santé des jeunes au sein d’un recueil plus vaste, ce qui permet d’établir des comparaisons avec les autres âges de la vie. L’objectif est clair : comprendre en quoi le fait d’être jeune change le rapport à la santé et le regard porté sur celle-ci. L’exercice consiste donc à quantifier les pratiques des jeunes puis à distinguer celles qui reflètent des situations problématiques et celles qui relèvent naturellement de l’âge des possibles.

En matière d’usage d’internet pour la santé par exemple : quel est le profil des jeunes qui recherchent des informations santé sur internet ? Quelles thématiques les intéressent ? Quel impact a cette activité sur leurs comportements de santé ?

D’après le Baromètre, qui met dans le même sac les sites web, les blogs et les réseaux sociaux, 93% des 15-30 ans sont des internautes. Pour autant, plus de la moitié (52%) des 15-30 ans n’ont pas eu recours à Internet pour des questions de santé dans les 12 derniers mois. Parce qu’ils se sentent suffisamment informés autrement, ont préféré consulter un médecin ou se méfient des infos sur le net. Ou bien parce qu’ils n’y ont pas pensé (48%) ou que le sujet ne les intéresse pas (40%).

Du reste, la proportion d’ ‘internautes santé’ augmente avec l’âge: 39% des 15-19 ans, 50% des 20-25 ans et 55% des plus de 26 ans utilisent la toile pour rechercher des informations sur la santé. Au-delà de 30 ans, les chiffres diminuent progressivement. Dans cette catégorie d’internautes, les jeunes femmes sont plus nombreuses tandis que les employés et les ouvriers sont sous-représentés, chez les jeunes comme dans la population générale: une situation à l’image de l’attention portée aux questions de santé en général. Un état de détresse psychologique, une grossesse ou le fait d’être parent figurent également parmi les facteurs associés. Les maladies en général et la grippe en particulier arrivent en tête du classement des thèmes d’intérêt les plus cités (45% des sondés), suivis par la santé de la mère et de l’enfant (21%) et les comportements de santé (19%), les jeunes se distinguant des générations précédentes par un intérêt marqué pour ces deux dernières thématiques.

Une opportunité pour les acteurs du champ de la promotion de la santé et de la santé publique, estiment les auteurs (2). Conséquences de ces recherches santé en ligne : 15% des jeunes déclarent un changement d’attitude vis-à-vis de leur santé et 11,5% un impact sur la fréquence de leurs consultations chez le médecin, dans un sens ou dans l’autre: certains consultent plus souvent (4,9%), d’autres moins souvent (6,6%).

Enfin, l’information trouvée sur internet est jugée crédible par quatre internautes qui y ont recours sur cinq, quel que soit l’âge ou le sexe. «Ceux qui ont le moins confiance dans les informations trouvées sont aussi moins nombreux à déclarer modifier leur façon de s’occuper de leur santé à la suite de leurs recherches», soulignent logiquement les auteurs.

Les jeunes connaissent bien les repères du PNNS

Les comportements alimentaires des jeunes font eux aussi l’objet d’une analyse détaillée au prisme de ce qui fait la spécificité des jeunes par rapport à leurs aînés et avec la volonté de mettre en lumière les inégalités sociales. Cette fois-ci, l’échantillon de référence est celui du Baromètre santé nutrition 2008 qui démarre à 12 ans. L’enquête explore non seulement les consommations des diverses catégories de produits alimentaires mais aussi pour la première fois depuis que ce recueil a été mis en place, les connaissances nutritionnelles des jeunes, la distribution journalière de leurs repas et les lieux où ils les prennent.

Premier enseignement : les jeunes, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, connaissent mieux les repères du Plan national nutrition santé (PNNS) que leurs aînés. Pour autant, la consommation de fruits et légumes, déjà faible dans la population générale, l’est encore plus chez les jeunes. «Ce paradoxe traduit notamment la difficulté à passer de l’information et de la connaissance au changement effectif de comportement (…). La réflexion sur l’environnement quotidien des jeunes apparaît ainsi cruciale», en déduisent Hélène Escalon et François Beck, co-auteurs de l’article. Toutes choses égales par ailleurs, les enfants d’ouvriers, d’employés, de chômeurs et les jeunes vivant dans des foyers à faible revenu sont ceux qui mangent le moins de fruits et légumes et de poisson. Cette catégorie est également celle qui consomme le plus de boissons sucrées, surtout entre 19 et 25 ans.

Les auteurs s’attardent par ailleurs sur le rôle du genre et les variations de comportements liées à l’âge. On apprend ainsi par exemple que les jeunes sont plus nombreux à sauter des repas avec l’avancée en âge, principalement le petit-déjeuner. Entre 16 et 25 ans, 15% font l’impasse sur lui, contre 9% entre 12 et 15 ans. Des proportions stables quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle et au-dessus de celle établie pour les plus de 30 ans (4%).

Les jeunes filles ont par ailleurs une alimentation plus favorable à leur santé que celle des garçons et connaissent mieux qu’eux les repères nutritionnels (exception faite des féculents). En matière de comportement alimentaire en général, il apparaît que les différences de genre sont moins marquées chez les jeunes que chez leurs aînés. «La pression sociale à l’égard de la minceur, plus forte sur les femmes que sur les hommes, s’accroît probablement avec l’âge bien qu’elle soit déjà présente chez les adolescentes», avancent les auteurs en guise d’explication. «Les normes corporelles pèsent néanmoins aussi sur les garçons mais en ne mobilisant pas les mêmes registres, notamment celui de la culpabilité, très féminin. L’image d’Épinal ‘homme/énergie/sport’ perdure et pèse de façon différente sur les jeunes garçons

Où l’on reparle de l’idéal du corps mince

Le Baromètre santé jeunes 2010 s’intéresse par ailleurs aux conduites alimentaires perturbées. Ces données auraient pu faire l’objet d’un chapitre dans l’article sur les jeunes et l’alimentation; elles ont été traitées à part avec un objectif spécifique, à visée de prévention, que les auteurs expriment ainsi : «quantifier des troubles précliniques, en tant que signes annonciateurs de pathologies alimentaires avérées ou encore d’une détresse psychologique, voire d’une conduite suicidaire».

De fait, ils précisent qu’il ne s’agit pas seulement de repérer les troubles du comportement alimentaire qui font référence à un rapport à la nourriture devenu pathologique mais d’une palette de situations «allant de la préoccupation injustifiée à l’égard de son propre poids jusqu’à des affections psychiatriques majeures identifiées à l’aide de critères diagnostics précis». Leurs prévalences pourraient être élevées, notent-ils, mais les données manquent pour le vérifier et mesurer l’évolution de ces conduites.

D’où l’intérêt à l’occasion du Baromètre d’interroger les jeunes sur les épisodes de frénésie alimentaire, le fait de se faire vomir volontairement, manger en cachette ou redouter de commencer à manger par crainte de ne pas pouvoir s’arrêter. Quatre personnes sur cinq disent ne jamais avoir rencontré pareilles situations. C’était déjà le cas en 2005 lors du précédent Baromètre . Ceci étant, c’est entre 15 et 19 ans que ces conduites sont les plus fréquentes, notamment le fait de manger en cachette. Remarque des auteurs : «On peut d’ailleurs s’interroger sur le sens que revêt un tel comportement à un âge où la plupart des jeunes n’ont souvent pas la maîtrise de ce qui est dans leur assiette.» Il est en effet plus facile de manger à sa faim, ni plus ni moins, quand on décide soi-même des quantités et du contenu de son repas.

Les conduites alimentaires perturbées sont plus fréquentes chez les femmes avec un écart maximum entre les sexes à l’adolescence. La distinction est particulièrement marquée s’agissant de la peur de commencer à manger par crainte de perdre le contrôle (14,8% des femmes vs 6,5% des hommes).

«Cet indicateur montre combien la nourriture est une préoccupation importante chez les jeunes filles», soulignent les auteurs. Or la littérature rapporte qu’un décalage entre la réalité et les attentes concernant le poids, synonyme d’insatisfaction vis-à-vis de sa propre image, est susceptible d’entraîner une détresse psychologique. Qu’en est-il chez les jeunes Français ? Le Baromètre 2010 ne met pas en évidence de lien entre la corpulence déclarée et des pratiques alimentaires perturbées. Il indique en revanche que les jeunes en surpoids ou obèses sont ceux qui évoquent le plus la peur de manger trop.

Dans une moindre mesure, les facteurs sociaux se révèlent également importants dans la survenue des quatre conduites alimentaires étudiées. Les jeunes issus des milieux défavorisés déclarent ainsi plus souvent que les autres manger beaucoup sans parvenir à se contrôler, redouter de le faire ou manger en cachette. À l’inverse, se faire vomir est plus fréquent chez les enfants de cadres.

Somme toute, les auteurs voient dans le fait de redouter de manger un indicateur assez général permettant de repérer la pression sociale et psychologique qui s’exerce sur le contrôle de la nourriture et touche davantage les adolescentes, de condition modeste, urbaines et qui sont déjà en surpoids. Et insistent sur la nécessité d’encourager les actions éducatives visant à ‘désidéaliser’ la minceur.

Références

La santé des 15-30 ans / Une lecture du Baromètre santé, Agora débats/jeunesse n°63, Injep, 2013. Disponible par article via http://www.cairn.info.
Baromètre santé jeunes, Inpes, 2010.

(1) Agora débats/jeunesse, revue paraissant trois fois par an, éditée par par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep). Internet: http://www.injep.fr.
(2) François Beck (Inpes), Viêt Nguyen-Thanh (Inpes), Jean-Baptiste Richard (Inpes) et Emilie Renahy (Centre for Research on Inner City Health/Keenan Research Centre, Toronto, Canada)