En octobre 2016, Cultures&Santé publiait un guide d’animation sur la littératie en santé. Depuis, l’association organise régulièrement des ateliers d’échanges et de réflexion sur ce sujet. Un moyen pour les professionnels-relais de s’approprier plus facilement le guide, mais aussi ce concept qui peut sembler nébuleux au premier abord.
« La littéra… quoi ? »« Il n’y a pas une faute dans ce mot ?», voilà une question qu’il n’est pas rare d’entendre lorsque nous distribuons le guide d’animation à nos relais. Si certains professionnels ne connaissent pas l’expression ‘littératie en santé’, ils se rendent rapidement compte qu’elle recouvre une réalité familière.
D’autres ont déjà entendu ce mot et souhaitent en savoir plus, c’est ce qui les pousse notamment à s’inscrire à nos ateliers :« J’ai eu l’occasion d’entendre parler de la littératie en santé dans ma formation d’assistante sociale. L’approche était très théorique, on n’a pas reçu d’outils concrets pour savoir comment faire dans la pratique. C’est ce que j’espère trouver dans cet atelier ».
Nous commençons l’atelier en demandant aux participants s’ils ont déjà rencontré des difficultés pour trouver et comprendre une information qui serait favorable à leur santé. La réponse affirmative est unanime et les exemples donnés sont nombreux et variés: des difficultés pour comprendre le système de sécurité sociale belge quand on vient de France, pour se dépatouiller entre les informations contradictoires que l’on reçoit de la part de professionnels de santé, pour déchiffrer les remboursements auxquels on a droit, pour comprendre les infos par téléphone quand le français n’est pas notre langue maternelle, pour faire face à la brutalité des informations transmises, pour trouver une information fiable sur le net…
La littératie en santé est définie comme la capacité d’accéder, de comprendre, d’évaluer et d’appliquer l’information de manière à promouvoir, à maintenir et à améliorer sa santé et celle de son entourage, dans divers milieux, au cours de la vie. Par ‘capacité’, nous entendons, par exemple, lire, écrire et calculer, mais aussi communiquer, résoudre des problèmes, évaluer les renseignements trouvés, appliquer une information en fonction de sa réalité quotidienne…Les exemples cités par les participants de l’atelier illustrent bien cette multitude de capacités dont il est question. Lorsque nous les décortiquons, ces exemples révèlent que ces capacités personnelles s’inscrivent en réalité dans des contextes marqués par la profusion d’informations disponibles sur la santé et leurs éventuelles contradictions par la complexité même des systèmes sociaux et de santé, par les possibilités parfois limitées de choix…
Voyons voir ce qui se passe dans la suite de l’atelier. Ce petit exercice qui consiste à mettre ses difficultés personnelles sur la table permet de se rendre compte que la littératie en santé concerne tout le monde. Toutefois, nous ne sommes pas égaux face au développement et à l’exercice de ces capacités. Les personnes peu scolarisées, en situation de précarité, âgées ou immigrées sont davantage concernées par ces difficultés. Cette distribution inégale de la littératie en santé fournit une part de l’explication des écarts de santé qui existent entre les groupes sociaux. En effet, des chercheurs observent, par exemple, parmi ces populations, une moins grande participation aux activités de prévention telles que les dépistages, un nombre accru d’hospitalisations, une moindre confiance dans leurs choix…
Les discussions qui se poursuivent avec les participants s’orientent vers les enjeux d’équité et de justice sociale que soulève la littératie en santé. À ce stade de l’atelier, nous convenons qu’elle est un levier possible pour promouvoir et améliorer la santé de toutes et tous et ainsi atténuer l’influence des inégalités sociales de santé.
Un regard ‘promotion de la santé’Lorsque Cultures&Santé s’est intéressée au concept de littératie en santé, elle l’a fait en l’analysant à travers ses lunettes ‘promotion de la santé’. Celles-ci ont permis de formuler des pistes d’action qui s’inscrivent réellement dans une perspective de promotion de la santé et de souligner certains éléments-clés propres au concept qui font sens dans notre champ d’action.
Premièrement, la promotion de la santé repose sur une vision multifactorielle de la santé qui prend en compte tous les facteurs sociaux, économiques et environnementaux qui influencent la santé. La santé ne se joue pas uniquement dans le secteur des soins. Suivant cette approche, nous considérons que la littératie en santé concerne toute information ayant un impact sur la santé ou le bien-être. C’est-à-dire aussi bien les informations portant sur les soins de santé que celles portant sur les facteurs de risque ou sur les liens entre la santé et les déterminants sociaux (le logement, l’école, les droits…).
En élargissant ainsi le type d’information visé par la littératie en santé, nous sortons de la sphère purement médicale et nous élargissons le spectre d’acteurs pouvant agir en sa faveur (acteurs du logement, associations de patients, médias, maisons communautaires, universités, enseignants, élus, mutuelles…). La littératie en santé n’est pas réservée aux seuls professionnels des soins de santé.
Guide d’animation ‘La littératie en santé, d’un concept à la pratique
Quelques repères
- Littéra… quoi ?
- Notre approche
- L’influence du niveau de littératie en santé d’une personne sur son état de santé
- Les facteurs qui influencent le niveau de littératie en santé d’une personne
- Un levier pour plus d’équité en santé
- Quelques chiffres
- Agir à plusieurs niveaux
Pistes d’animation
- Préalables
- 11 pistes d’animation pour construire des ateliers sur la littératie en santé
- La santé c’est aussi
- L’information pour la santé, c’est quoi ?
- Ils l’ont dit
- Trouver et comprendre des informations : leviers et freins
- Les sources de l’information pour la santé
- Un bon support d’information pour la santé, c’est quoi ?
- Les messages santé véhiculés dans la presse
- Les informations pour la santé sur la toile en débat
- Mettre en application une information pour la santé
- Communiquer avec un professionnel médical
- Créer ou adapter un support d’information pour la santé
- L’évaluation
- Boîte à outils
- Bibliographie
Deuxièmement, notre attention s’est portée sur ‘l’application de l’information’, la quatrième dimension de la littératie en santé telle qu’elle a été définie plus haut. Celle-ci rappelle que l’information, si elle est accessible et compréhensible, n’est pas pour autant facile à mettre en œuvre et que cela dépendra fortement de l’histoire et des conditions de vie de la personne.
En termes de pistes d’action, cela passe par la création d’environnements plus favorables à l’exercice des capacités individuelles et par un accompagnement des personnes dans l’application des informations diffusées en prenant en compte leur situation, leur parcours de vie mais aussi leur choix personnel.Cette attention portée sur le contexte de vie des personnes permet de contrer le risque – parfois présent dans certaines conceptions de la littératie en santé – de se centrer exclusivement sur les comportements individuels, que ce soit ceux des personnes à appréhender l’information de manière attendue ou ceux des professionnels à bien communiquer.
Troisièmement, en tant qu’acteurs de promotion de la santé, nous travaillons souvent avec des groupes d’adultes. Il nous est donc apparu nécessaire d’imaginer une approche collective de la littératie en santé.Travailler la littératie en santé avec un groupe, c’est aller au-delà de la seule transmission d’informations ‘santé’. C’est renforcer les capacités des personnes à se saisir de ces informations et à porter une réflexion sur celles-ci en les reliant au contexte dans lequel nous vivons. Cela passe notamment par des projets collectifs spécifiques (par exemple l’adaptation par un groupe de citoyennes d’une brochure d’information en langage clair sur base de leurs préoccupations).
Travailler la littératie en santé avec un groupe c’est aussi réfléchir ensemble aux conditions et aux environnements qui facilitent l’application d’une information et pourquoi pas, à les modifier (par exemple en participant à la réflexion d’un hôpital qui souhaite devenir ‘prolittératie’ ou en sensibilisant les commerces d’un quartier au diabète de type 2, pour qu’ils adaptent leur offre). Nous rejoignons ici le courant de ‘l’alphabétisation-conscientisation’ issu principalement des travaux de Paulo Freire qui vise la libération de la personne et son épanouissement en s’appuyant sur ses ressources propres et en s’engageant dans la transformation de la réalité matérielle et sociale environnante.
Fidèle aux démarches de promotion de la santé, cette approche de la littératie en santé vise, dès lors, le renforcement du pouvoir d’agir des personnes sur leur santé, autrement dit l’empowerment et poursuit comme objectif un changement social.
De l’utilité de parler de la littératie en santé…La littératie en santé fait l’objet d’un intérêt croissant. C’est pourtant un concept qui peut faire peur à certains : « On en entend beaucoup parler mais parfois on a l’impression que c’est un langage d’initié et que ça ne s’adresse pas à nous ». On peut donc pertinemment s’interroger sur l’utilité d’y faire référence.
Néanmoins, c’est aussi un concept intriguant qui pousse certains professionnels-relais à s’inscrire à nos ateliers ou à commander le guide. Nous observons également que ces personnes trouvent des éléments de réponse dans ce concept, leur permettant d’interroger leurs pratiques et de les faire évoluer.… aux dangers de sa récupération. Actuellement, des voix s’élèvent pour mettre en garde contre les dérives et les dangers de l’utilisation à tout va de ce concept. La littératie en santé bénéficie d’une forte visibilité, d’un effet de mode pourrions-nous dire. Cela pousse de plus en plus d’acteurs (élus, professionnels de santé, chercheurs ou acteurs de l’industrie pharmaceutique) à s’y référer mais parfois dans une acception très (voire trop) étroite.
Selon cette acception, elle vise uniquement le renforcement des capacités individuelles en vue d’adopter mécaniquement les comportements de santé attendus, c’est-à-dire sans prendre en compte l’environnement qui sous-tend ces capacités. Cette vision étroite est dangereuse à plusieurs égards. D’abord, parce qu’en centrant les efforts et les actions uniquement sur les individus, elle déresponsabilise l’action publique et désinvestit les changements structurels qui sont, il est vrai, plus difficiles à mettre en œuvre. Ensuite, parce que l’amélioration du niveau de littératie en santé des personnes vise, pour ces acteurs, une plus grande compliance à un traitement et correspond à une vision médicale de gestion de la maladie et des risques. Cette approche de la littératie en santé et donc de la santé ‘médicale’ se fait beaucoup entendre et gagne en visibilité, ce qui a pour effet d’occulter d’autres approches plus complexes.
En conclusion, la littératie en santé n’a pas fini de faire parler d’elle et est plus que jamais sous le feu des projecteurs. Bien entendu cette visibilité ne doit pas se faire au détriment de celle d’autres actions complémentaires et plus structurelles. Pour Cultures&Santé, elle est un levier de promotion de la santé parmi d’autres et permet justement, à travers la porte d’entrée « information », d’agir avec les personnes sur une multitude de déterminants de santé.
Sur la littératie en santé dans Éducation Santé
Gérer sa santé: rêve ou réalité?, C. De Bock, n° 325, septembre 2016, https://educationsante.be/article/gerer-sa-sante-reve-ou-realite/Bilan des connaissances des Belges en matière de santé, H. Avalosse, n° 315, octobre 2015, https://educationsante.be/article/bilan-des-connaissances-des-belges-en-matiere-de-sante/La littératie en santé, P. Dupuis, n° 309, mars 2015, https://educationsante.be/article/la-litteratie-en-sante-comprendre-lincomprehension/Un regard d’intervenants sur les indicateurs de performance en promotion de la santé, Centres locaux de promotion de la santé, n° 307, janvier 2015, https://educationsante.be/article/un-regard-dintervenants-sur-les-indicateurs-de-performance-en-promotion-de-la-sante/
Nous profitons donc de ces dernières lignes et de l’intérêt qui aura amené le lecteur à parcourir cet article pour énoncer quelques exemples de pistes d’actions en matière de littératie en santé : rendre les institutions ‘prolittératie’, former les professionnels à la communication claire, développer des supports d’information simples et visuels, lutter contre la pollution informationnelle qui occulte l’information de qualité, investir dans les formations d’alphabétisation et de français… Mais aussi, continuer à investir dans l’amélioration des conditions dans lesquelles les personnes naissent, vivent, travaillent, vieillissent…
Comment se procurer le guide ‘La littératie en santé: d’un concept à la pratique’?En le téléchargeant sur le site internet de Cultures&Santé: www.cultures-sante.be.
En le commandant gratuitement en version papier auprès du centre de documentation: 02 558 88 11 ou par courriel à cdoc@cultures-sante.be.En participant à des ateliers d’échanges sur ce thème, organisés tout au long de l’année à Bruxelles et en Wallonie.
Voir http://cultures-sante.be/accompagnement/agenda-de-l-asbl.html
Par professionnels-relais nous entendons les travailleurs ou les bénévoles intervenant directement auprès de groupes d’adultes dans les secteurs de l’insertion socioprofessionnelle, de l’éducation permanente, de l’alphabétisation, de l’aide sociale et des soins de santé, notamment, et à qui nous venons en soutien à travers nos activités.
Nous remercions Chantal Vandoorne (APES ULg) pour sa relecture avisée de cet article et le partage de ses réflexions qui l’ont alimenté.
Il existe de nombreuses définitions de ce concept. Celle que nous proposons est largement inspirée de la définition du Groupe canadien d’experts sur la littératie en santé: Rootman I. & Gordon-Elbihbety D., Vision d’une culture de la santé au Canada: Rapport du Groupe d’experts sur la littératie en matière de santé, Ottawa, Association canadienne de santé publique, 2008, p.13.
Nous avons choisi d’utiliser le terme ‘capacité’ car c’est celui utilisé dans la plupart des définitions de la littératie en santé. Toutefois, le terme de ‘compétence’ pourrait être mieux approprié car il désigne l’action de mobiliser des savoirs, d’exercer des opérations en lien avec un contexte particulier.
Selon les émetteurs d’une information-santé, les objectifs poursuivis (informer, vendre, conseiller) ne sont pas les mêmes et peuvent même s’opposer. Citons par exemple les arguments santé qui sont utilisés dans les publicités pour faire vendre certains produits.
C’est dans les catégories de populations les plus défavorisées socio-économiquement que l’on rencontre les niveaux de littératie en santé les plus faibles (Van Den Broucke S. & Renwart A., La littératie en santé en Belgique: un médiateur des inégalités sociales et des comportements de santé, Louvain-la-Neuve, UCL, 2014, p.5). L’enquête européenne (2012) a montré que la littératie en santé suit un gradient social concernant l’éducation: elle augmente avec le niveau d’éducation (Kickbush I., Jürgen M. & alii, Health literacy. The solid facts, Copenhagen, OMS, 2013, p.7.).
Kickbush I., Jürgen M. & alii, Health literacy. The solid facts, Copenhagen, WHO, 2013, p.7.
Jusqu’à présent, dans la littérature, la littératie en santé est souvent abordée sous le prisme de la relation interindividuelle.
Un environnement prolittératie est un environnement favorable à la littératie en santé qui soutient le développement et la mise en application des capacités de littératie en santé. Le terme a été trouvé dans: Lemieux V., Pour qu’on se comprenne. Guide de littératie en santé, Montréal, Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, 2014, p.7.
Pédagogue brésilien, Paulo Freire est surtout connu pour ses efforts d’alphabétisation visant les personnes adultes de milieux pauvres, une alphabétisation militante, conçue comme un moyen de lutter contre l’oppression. Plus d’information sur l’alphabétisation-conscientisation dans le Focus Santé ‘Alphabétisation et santé’, Cultures&Santé, 2012.
Par compliance, nous entendons le fait de suivre scrupuleusement le traitement ou des recommandations médicales.