Les changements climatiques sont à l’œuvre et notre trajectoire suit pour l’instant celles des scénarios élevés d’émissions de gaz à effet de serre. Des politiques d’atténuation ambitieuses sont nécessaires pour éviter le pire. Ces politiques doivent d’une part tenir compte des inégalités sociales dans leur élaboration, et d’autre part être pensées sous l’angle des potentiels avantages qu’elles offrent en matière de santé publique… car ces derniers sont nombreux.
Des risques émergents pour la santé
Les changements climatiques sont en cours. Et les scénarios élevés de réchauffement deviennent les plus probables tant le monde tarde à réagir. Or, une planète plus chaude de 4 à 5°C, l’espèce humaine ne l’a jamais connue. Même avec les efforts d’atténuation les plus ambitieux, nos sociétés vont devoir s’adapter aux conséquences des changements climatiques. Le secteur de la santé est particulièrement concerné.
Les impacts sanitaires de ces changements sont déjà perceptibles. Les vagues de chaleur et les évènements extrêmes augmentent en fréquence et en intensité. Plus imperceptibles en revanche sont les effets véhiculés par les écosystèmes et les systèmes humains. Or, la dégradation de la qualité de l’air, l’augmentation des pollens allergisants, la nouvelle distribution des maladies à vecteur et l’augmentation d’autres maladies infectieuses sont des risques à prendre très au sérieux. Il en va de même pour les effets du dérèglement climatique sur la santé mentale, les conditions de vie et les systèmes de santé qui sont potentiellement ravageurs.
Par ailleurs, ces risques se répartissent inéquitablement au sein de la population, l’âge, l’état de santé et les conditions de vie étant les principaux déterminants de la vulnérabilité. Les changements climatiques agissent en réalité comme un facteur aggravant les inégalités sociales de santé.
Les politiques climatiques
Pour limiter l’ampleur des changements climatiques, il faudra réduire fortement et durablement les émissions de gaz à effet de serre (GES), ce qui, avec l’adaptation, est susceptible de limiter les risques liés à ces changements1 . Selon le GIEC, les émissions annuelles mondiales doivent être divisées par deux d’ici 2030 et atteindre zéro net d’ici 2050 pour limiter le réchauffement à 1,5°C, tout en reconnaissant qu’aucun niveau de réchauffement global n’est considéré comme sûr2 .
En Belgique, les émissions de GES proviennent dans l’ordre essentiellement de l’industrie (production et consommation d’énergie, processus industriels), du transport, du chauffage (résidentiel et tertiaire) et de l’agriculture. Dès lors, pour limiter le réchauffement planétaire, il convient de diminuer drastiquement les émissions de ces différents secteurs. Une transformation est nécessaire dans la façon dont nous effectuons nos activités telles que générer de l’énergie, voyager, développer nos collectivités, manger et produire nos aliments.
Dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l’Accord de Paris a été conclu en 2015. La Belgique est signataire de cet accord. L’objectif central de celui-ci est de limiter l’augmentation de la température mondiale à un niveau nettement inférieur à 2°C, et de viser une augmentation maximale de 1,5°C par rapport au niveau préindustriel3 .
Concrètement, la Belgique dispose d’un objectif de réduction contraignante des émissions de 35% en 2030 par rapport à 2005 pour les secteurs non couverts par le système communautaire d’échange de quotas d’émissions. Si les émissions ont diminué au cours des dernières années, il semble que cet objectif sera difficilement atteint alors même que les 27 pays de l’Union européenne ont décidé en décembre 2020 d’atteindre une baisse nette de leurs émissions d' »au moins 55 % » d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990, contre – 40 % précédemment, afin d’atteindre en 2050 la neutralité carbone.
Pour ce faire, les stratégies des entités fédérées misent fortement sur les sources d’énergie renouvelable pour la production d’électricité, sur l’amélioration de l’efficacité énergétique dans les secteurs industriels et sur la transition vers une économie circulaire. Dans le secteur des transports, chacune des stratégies régionales souligne l’importance du transfert modal pour limiter la part de la voiture individuelle en faveur de modes de transport alternatifs tels que le transport actif (marche et vélo), les véhicules électriques légers et les modes de transport partagés (transports en commun et véhicules partagés). Dans le secteur des bâtiments, les différentes stratégies misent sur l’amélioration de l’efficacité énergétique du parc immobilier au moyen de normes ambitieuses pour les nouvelles constructions et de l’amélioration accélérée et significative de la performance énergétique du parc immobilier existant. Tendre en 2050 vers un parc de bâtiments tertiaires neutre en énergie pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire, le refroidissement et l’éclairage est également poursuivi4 .
Des co-bénéfices pour la santé
Non seulement la réduction des émissions atténuerait les impacts directs et indirects des changements climatiques sur la santé sur le long terme, mais ces mesures d’atténuation auraient également des impacts positifs beaucoup plus immédiats sur la santé. C’est ce que l’on appelle les co-bénéfices pour la santé de la lutte contre les changements climatiques.
Ainsi, la réduction des émissions produites par la combustion des énergies fossiles pour la production d’électricité, la production industrielle, les transports et le chauffage des bâtiments diminuera la pollution de l’air en microparticules et en oxydes d’azote et par conséquent le poids des maladies respiratoires et cardiovasculaires5 . Les mesures prises pour favoriser les déplacements actifs et les transports en commun participent également à réduire le risque de maladies liées à l’inactivité physique et l’obésité. La sécurité routière pourrait également se retrouver renforcée et les méfaits de la pollution liée au bruit seraient réduits6 .
Les régimes alimentaires actuels contribuent à la fois aux maladies non transmissibles, aux émissions de gaz à effet de serre, à la perte de biodiversité et aux changements dans l’utilisation de l’eau et des terres. Promouvoir une alimentation moins polluante revient à promouvoir un régime alimentaire plus sain qui fait la part belle aux produits alimentaires d’origine végétale7 . La baisse de la consommation de viande, et spécifiquement de la viande de ruminants, diminuerait également les émissions de méthane. Ce dernier est un puissant gaz à effet de serre et il est également responsable de la formation d’ozone troposphérique. Des réductions du méthane pourraient donc à la fois réduire la morbidité et la mortalité de la population liées à la pollution de l’air et celles liées au forçage climatique8 .
Les mesures d’adaptation engendrent également des co-bénéfices pour la santé. Une politique d’aménagement du territoire basée sur le verdissement des villes en vue d’améliorer la qualité de l’air et de diminuer la vulnérabilité à la chaleur favorisera aussi l’activité physique, un mode de vie plus sain et le bien-être physique et mental des habitants9 . En revanche, la climatisation comme mesure d’adaptation est quant à elle une arme à double tranchant: d’une part, l’utilisation de la climatisation réduit la mortalité liée à la canicule par rapport à l’absence totale de la climatisation; et d’autre part, elle est préjudiciable à la santé, car elle contribue aux changements climatiques, elle aggrave la pollution de l’air en augmentant considérablement la demande en électricité les jours chauds et elle renforce l’effet d’îlot de chaleur urbain10 . Cette mesure d’adaptation devrait donc plutôt être utilisée là où elle est indispensable et laisser le plus possible la place à la climatisation naturelle et à une isolation performante des bâtiments. Les rénovations énergétiques diminuent l’exposition à la chaleur, au froid, aux moisissures et à l’humidité extrêmes et améliorent la qualité de l’air intérieur grâce à une meilleure ventilation. Ces mesures améliorent la santé générale, la santé respiratoire et la santé mentale11 .
Bon nombre des mesures d’atténuation et d’adaptation en réponse aux changements climatiques sont donc des mesures « sans regret », qui réduisent directement le poids des maladies non transmissibles. Ces stratégies permettront également de réduire les pressions pesant sur les budgets de santé nationaux, offrant potentiellement d’importantes économies en termes de coûts, et permettant d’investir en faveur de systèmes de santé plus solides et plus résistants12 .
Si l’on tient compte de la valeur économique des co-bénéfices pour la santé humaine et de la création d’opportunités industrielles à faible émission de carbone, le retour sur investissement de ces mesures pourrait être positif en termes économiques. Ces avantages économiques seront probablement maximisés et les coûts minimisés si des mesures politiques fortes sont prises le plus rapidement possible pour accélérer la transition à faible émission de carbone13 .
Le risque de renforcer les inégalités sociales
Ces mesures doivent être promues, mais elles devront être bien pensées afin d’éviter de creuser les inégalités sociales. Les effets régressifs de l’imposition d’une taxe carbone sont à ce titre emblématiques. Pour leur part, les améliorations écoénergétiques peuvent hausser la valeur des biens immobiliers, entraîner des déplacements de populations et de plus grandes disparités socioéconomiques.
De même les coûts initiaux de rénovations des logements ne doivent pas être un obstacle pour les faibles revenus. Les opérations de rénovations urbaines peuvent également entraîner des coûts de logement plus élevés. Toutes ces répercussions négatives peuvent être atténuées grâce à une conception efficace des politiques et à la redistribution des revenus14 . La lutte contre les changements climatiques et la transition écologique sont bels et bien des enjeux de santé publique et de solidarité.
La convergence du développement durable et de la promotion de la santé
Tout ceci illustre donc bien à quel point la convergence des objectifs du développement durable avec ceux de santé publique est forte. L’approche et les stratégies du développement durable sont d’ailleurs conceptuellement très proches de la promotion de la santé comme l’a formalisé la déclaration de Shanghai15. Celle-ci est la porte d’entrée toute désignée pour intégrer pleinement les enjeux climatiques. La multiplicité et la variété des impacts dus aux changements climatiques sur les déterminants non médicaux de la santé, par ailleurs largement marqués par des inégalités sociales, rendent plus pertinente que jamais l’adoption d’une approche de promotion de la santé pour prévenir ce risque émergent pour la santé.
Le Thermomètre Solidaris de 2019 met en évidence une réelle attente de la part des Belges francophones pour recevoir plus d’informations sur les conséquences sanitaires des changements climatiques. En effet, si un répondant sur deux déclare se sentir bien informé quant aux impacts des changements climatiques sur sa santé, 73 % d’entre eux souhaitent davantage être informés sur ces questions16 . Plus que de la simple information, il conviendrait d’augmenter les capacités des personnes, et plus particulièrement des personnes plus vulnérables (comme les personnes âgées, en mauvais état de santé ou défavorisées sur le plan socio-économique) à affronter ce risque. Les actions d’éducation à la santé et de préparation du public doivent tenir compte des différences d’exposition, de sensibilité et de capacité d’adaptation des différents groupes17 .
Il convient donc d’agir à la fois sur les « environnements de santé » et les caractéristiques individuelles en renforçant la capacité d’agir. Il existe une réelle opportunité pour que les mesures de lutte contre le réchauffement global, qu’elles soient à portée collective ou individuelle, permettent d’agir conjointement sur l’environnement et les déterminants de la santé, et donc de viser aussi l’équité en santé. Ainsi, par le biais des changements des habitudes et des comportements (en matière de mobilité, d’alimentation…), de l’amélioration des compétences personnelles et sociales, de l’action sur les milieux de vie (hébergement, travail…), et plus largement sur l’organisation de la société, il est possible de promouvoir conjointement la santé et l’environnement.
La santé et l’équité doivent être au cœur de l’indispensable lutte contre les changements climatiques. Les professionnels de la santé, et de la promotion de la santé en particulier, peuvent contribuer à ce que les changements climatiques ne soient pas la plus grande menace sanitaire du 21ème siècle, et que la lutte contre le réchauffement global soit pour sa part, la plus grande opportunité de santé publique.
[1]GIEC (2014a). Changements climatiques 2014: Rapport de synthèse. Contribution des Groupes de travail I, II et III au cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Genève, Suisse, GIEC, 161 p.
[2]WATTS N. et al. (2019). “The 2019 report of The Lancet Countdown on health and climate change: ensuring that the health of a child born today is not defined by a changing climate”. The Lancet, 394 (10211): 1836-1878.
[3]https://climat.be/doc/national-lt-strategy-fr.pdf
[4]https://climat.be/doc/national-lt-strategy-fr.pdf
[5]WATTS N. et al. (2015). “Health and climate change: policy responses to protect public health”. The Lancet, 386 (10006): 1861 : 1914
[6] Association canadienne des médecins pour l’environnement (2019). Boîte à outils sur les changements climatiques à l’intention des professionnels de la santé: Module 6 -Contre les changements climatiques dans les établissements de soins de santé, Toronto, 41 p.
[7]WATTS N. et al. (2019)., op. cit.
[8]IPCC (2014). Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Part A: Global and Sectoral Aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge and New York, Cambridge University Press, 1132 p.
[9] WATTS N. et al. (2015), op. cit.
[10] WATTS N. et al. (2019), op. cit.
[11] Association canadienne des médecins pour l’environnement, op. cit.
[12] WATTS N. et al. (2019), op. cit.
[13] Ibid.
[14] Association canadienne des médecins pour l’environnement, op. cit.
[15] OMS (2016). Déclaration de Shanghai sur la promotion de la santé dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030, Neuvième conférence mondiale sur la promotion de santé, Shanghai, 2p.
[16] INSTITUT SOLIDARIS (2020). Thermomètre – Comment percevons-nous l’impact du réchauffement climatique et des pollutions environnementales sur notre santé ? Bruxelles, Solidaris, 130 p.
[17] PAAVOLA J. (2017). “Health impacts of climate change and health and social inequalities in the UK”. Environmental Health, 16 (113): 61-68