« L’œil de l’enfant retire de la contemplation du monde des émotions et des pressentiments qui feraient honte à bien des découvertes conquises de haute lutte par l’esprit de l’homme mûr. » (Hölderlin)
La prévention des grands ‘maux’ contemporains, tabac, alcool, drogues, excès alimentaires, s’efforce d’atteindre l’idéal de sécurité absolue pensé par une société obsédée par le risque zéro. Mais l’être humain ‘résiste’, et le culte de la prévention n’atteint pas ses objectifs et ne va pas non plus sans dysfonctionnements éthiques.
Le vendredi 23 septembre 2011, le sociologue Patrick Peretti-Watel , auteur récemment avec Jean-Paul Moatti du remarquable livre «Le principe de prévention, le culte de la santé et ses dérives» (1) était présent à Bruxelles pour échanger sur ces questions, à l’invitation du FARES, d’ Éducation Santé et de l’asbl Question Santé. Il les aborda le matin pendant un séminaire et l’après-midi au cours d’une conférence.
À la croisée de la promotion de la santé et de l’éducation permanente
Comment ‘réinventer’ la prévention, qui semble se trouver aujourd’hui dans une impasse biomédicale peu féconde, à la fois normative et sans véritable prise sur les principaux déterminants de la ‘bonne’ ou ‘mauvaise’ santé?
Le séminaire du matin apporta un début de réponse à cette question cruciale, en nourrissant les réflexions de la vingtaine de participants de l’éclairage apporté tant par la promotion de la santé que par l’éducation permanente.
Animée par Bernadette Taeymans (Question Santé), la matinée permit notamment la relation par Taous Hassaini , assistante sociale au CPAS de Morlanwelz, d’une expérience de remise dans le mouvement du marché de l’emploi de bénéficiaires d’un revenu d’insertion au départ d’animations… sur la santé. À première vue, rien de plus éloigné des préoccupations quotidiennes de personnes en situation précaire que cela. Et pourtant, grâce à un patient travail sur l’estime de soi nourri aux valeurs émancipatrices de l’éducation permanente, cela marche, jusqu’à l’obtention de résultats positifs en termes d’insertion et, fait plus remarquable encore, de pérennisation des emplois (re)trouvés.
Cette stratégie indirecte semble d’autant plus intéressante dans un climat de méfiance générale des populations et des travailleurs en particulier à l’égard des initiatives préventives des pouvoirs publics, soupçonnés d’être plus motivés par l’entretien des ‘outils de travail humains’ que par une protection désintéressée de la santé publique, comme le soulignait Patrick Peretti-Watel dans un de ses judicieux commentaires.
Cela dit, si tout le monde pouvait s’accorder sur la haute valeur à accorder à l’éducation permanente en santé, cela n’empêche nullement de rester lucide quant à ses limites, par exemple quant au petit nombre de bénéficiaires de ses interventions pour guider leurs choix de vie de façon éclairée, ou encore le risque de tomber d’un excès de manipulation à une ‘liberté de décider’ exagérée, qui peut s’avérer nocive elle aussi.
Pour une prévention plus éthique
Dans sa conférence de l’après-midi, donnée devant une bonne cinquantaine de personnes, le sociologue rappela la pertinence des méthodes d’observation pour la santé publique, ironisant sur le fait que l’option constructiviste de la recherche en sciences humaines est souvent perçue comme peu… constructive par les autorités politiques.
Son exposé porta essentiellement sur quelques idées fortes défendues dans son livre, pas nécessairement d’une originalité bouleversante, mais exposées de manière limpide, par exemple la confusion entre le bon et le beau, le malsain et le laid, ou encore la stigmatisation des conduites dénoncées comme dangereuses. Le tout illustré de nombreux visuels souvent spectaculaires, comme cette image d’un homme obèse étranglé par un chapelet de saucisses (‘Obesity is suicide’) pour mettre en garde le gros (à moins que ce soit grand!) public contre les risques associés au surpoids…
Il eut aussi cette jolie formule: ‘La prévention montre les gens du doigt plutôt que de leur tendre la main’. Propos sans doute un peu injuste, mais néanmoins toujours d’actualité de nos jours, les exemples foisonnent.
Il rappela aussi cette évidence que la prévention est souvent le cheval de Troie pour des valeurs conservatrices, notamment en termes d’éducation sexuelle, et que la prévention s’adresse le plus souvent à un personnage de fiction, l’ homo medicus , rationnel, calculateur, autonome, capable de se projeter dans l’avenir et préoccupé fortement par sa santé.
Le propos du conférencier n’était pas pour autant de prôner la liberté sans entrave et sans nuance et de rejeter toute forme de prévention. Ce serait tomber dans le piège dénoncé par un participant, qui rappelait que la valorisation de la liberté de choix et du droit au plaisir sont aussi une stratégie très ancienne, et d’une redoutable efficacité, de l’industrie du tabac, dont la capacité de manipulation perverse est sans égale.
Mais Patrick Peretti-Watel revendique que cette prévention moderne soit plus éthique, plus légitime, plus efficace, et moins médicale… Ce dont il aura convaincu aisément la plupart de ses auditeurs (2).
Pris par son sujet, le conférencier n’eut malheureusement pas le temps de s’attarder sur le domaine spécifique de la lutte antitabac, ce qui eût été bienvenu au FARES… Ce sera peut-être pour une prochaine fois!
Cette journée particulièrement stimulante se termina par le verre de l’amitié à l’occasion des 30 ans d’existence de Question Santé, à laquelle l’auteur de ces lignes rendit un hommage bien mérité! (3)
Christian De Bock
(1) Paru en novembre 2009 au Seuil dans la collection La République des Idées. En vente dans toutes les bonnes librairies!
(2) Nous espérons pouvoir vous proposer son texte dans un de nos prochains numéros.
(3) Voir dans ce même numéro le texte ‘Des questions sans réponse? Encore heureux!’