Décembre 2012 Par Anne LE PENNEC Réflexions

Manque de stratégie globale, contours flous, financements mal tracés, évaluation insuffisante… Difficile de fermer les yeux sur les nombreuses lacunes de la France en matière de prévention, pointées par plusieurs rapports récents qui préconisent de revisiter de fond en comble la politique nationale. Les idées pour accorder à la prévention la place qu’elle mérite ne manquent pas. À quand leur traduction en actes ? Ce n’est pas la première fois que la prévention sanitaire préoccupe le Conseil économique, social et environnemental (CESE), troisième assemblée constitutionnelle française représentant la société civile. C’était déjà le cas en 2003, à l’aube de l’adoption de la loi de santé publique. Le rapport du Conseil pointait à l’époque la nécessité “de développer une approche coordonnée et globale de la prévention, un véritable continuum s’appuyant sur la participation des acteurs sanitaires, éducatifs et sociaux, et sur la nécessaire prise de conscience par chacun de l’importance de son capital santé, mais aussi de celui d’autrui.”

Des moyens humains et financiers limités ainsi que l’absence de réelle continuité dans les politiques engagées figuraient parmi les freins à la mise en oeuvre d’une véritable politique de prévention. Le CESE (à l’époque CES car pas encore pourvu de sa composante environnementale) appelait alors de ses voeux une meilleure coordination des secteurs sanitaire et social, l’inclusion accrue de la prévention dans les soins, un renforcement de l’évaluation des actions ou encore la mise en place de consultations de prévention.

Manque d’efficience

Près de dix ans plus tard, le CESE qui publie un nouvel avis sur les enjeux de la prévention en matière de santé a presque l’air de radoter: “La prévention en matière de santé est l’un des défis majeurs d’une politique sanitaire encore trop centrée sur le curatif. (…) La santé appelle une politique de prévention efficace. À cette fin, une nouvelle culture de la prévention, ambitieuse et largement partagée, doit voir le jour. [La] pluralité d’acteurs, aux compétences parfois mal définies, débouche sur une absence de continuum stratégique en prévention pour une partie de la population. Toutes les politiques publiques doivent intégrer un volet santé et prévention”.

Aurait-on fait du surplace ? Pas tout à fait heureusement. La création des agences régionales de santé en 2009, par exemple, a permis de concentrer à l’échelle du territoire l’action préventive consignée dans un schéma régional de prévention. Ce dernier fait office de feuille de route pour l’ensemble des acteurs.

Reste que la prévention française peine toujours à troquer son strapontin pour une vraie place assise et pérenne dans le système de santé dont elle est pourtant, aux dires du CESE, un élément clé. Alors que se murmure l’arrivée prochaine, imminente peut-être, d’une nouvelle loi de santé publique, l’heure est donc à la réaffirmation des objectifs et des pistes à suivre pour les atteindre (ou à défaut, les poursuivre, ce qui ne serait déjà pas si mal). Avec en ligne de mire la recherche d’un meilleur rendement, d’une performance optimisée, bref de plus d’efficience des actions de prévention.

Capharnaüm budgétaire

Il faut dire que la définition même de la prévention est sujette à interprétations diverses et nourrit certaines imprécisions quant à ses contours, les acteurs impliqués, ses financements, etc. Le CESE a choisi de considérer la prévention qui “associe une implication personnelle, une vigilance des professionnels de santé et une responsabilité collective”. À quelles fins ?

Les défis sanitaires que la prévention est censée contribuer à relever se nomment maladies chroniques, addictions, surconsommation de médicaments, composés toxiques. Or, selon l’analyse du CESE, on en sait encore trop peu sur chacune de ces cibles. L’épidémiologie et les autres activités de recherche en prévention, trop peu développées et aux résultats dispersés, nous feraient cruellement défaut pour décider des combats à mener. Perfectible aussi l’évaluation des actions de prévention mise en place par les pouvoirs publics.

Quant aux financements, la Cour des comptes fait aveu d’ignorance en ce qui concerne leur montant : «Aucun acteur ne dispose d’une vision globale des moyens consacrés à la prévention», soulignent les Sages. «Selon le périmètre donné à celle-ci, le montant des dépenses qui lui sont consacrées varie entre moins d’un milliard d’euros et plus de dix.» Crédits de l’État, des collectivités, des communes et de l’assurance maladie, pâtissent qui d’une répartition approximative, qui d’une comptabilité au titre d’autres dépenses de santé… «La traçabilité des financements consacrés à la prévention s’avère complexe», résume pour sa part timidement le CESE.

Plaidoyer pour la méthode globale

Inutile d’espérer moins de complexité du côté des acteurs. Le système français associe des instances dédiées à la prévention sanitaire, au premier rang desquelles l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) et ses déclinaisons régionales (Ireps), et celles pour qui la prévention est une mission parmi d’autres (Direction générale de la santé, agences régionales de santé, établissements sanitaires et médico-sociaux, etc.). Qui plus est, ces dernières relèvent de structures diverses et, au sein même de l’État, de plusieurs ministères.

La coordination des uns avec les autres est non seulement difficile mais également préjudiciable pour les pathologies qui comportent ‘un haut degré de latence’ comme celles liées au travail ou les maladies chroniques. Et le CESE de prendre l’obésité pour exemple: “La prévention nutritionnelle commence très tôt, dès le suivi de la grossesse et au cours de la petite enfance. L’éducation à la nutrition se poursuit tout au long de la vie de l’individu. L’école, l’entreprise, les médias doivent relayer des messages de prévention. Il faut également prendre en compte les facteurs environnementaux. Priorité nationale, l’obésité comporte des spécificités territoriales et appelle donc la mise en place de stratégies globales adaptées.”

Adhérez !

Si les lacunes de la prévention sanitaire française tenaient uniquement à des questions d’organisation et de fonctionnement des instances, quelques législations bien senties doublées d’un peu de courage politique suffiraient à les combler. Hélas, il faut bien composer aussi avec l’individu, même si celui-ci résiste, s’oppose, n’adhère pas ou mésagit !

L’efficacité d’une politique de prévention se mesure aussi à l’aune de l’évolution des comportements individuels. Dans le cadre du dépistage organisé par exemple, comme celui des cancers du sein en France, la décision de participer ou pas au programme procède d’un choix individuel. Comment influencer ce choix en particulier et les comportements de santé en général dans le respect de l’autonomie des citoyens ? Certainement pas en jouant les cartes de la responsabilisation et de la culpabilisation de la personne, toutes deux dépassées, estime le CESE. “Une stratégie de prévention nouvelle pourra induire, chez elle, un désir et une volonté de mieux faire pour préserver son potentiel santé.”

Finies les campagnes anti-tabac stigmatisant les fumeurs et les affiches qui mettent en scène une mère dépassée secouant son bébé ? L’avenir est aux stratégies de prévention inspirées par les théories de la motivation et qui sauront “prendre en compte les aspirations, les réticences ou les refus de la population”.

Ajoutez à cela la double ambition d’ «initier et diffuser une culture collective de la prévention» et «d’accompagner son appropriation par chacun» et vous aurez la promesse d’un avenir radieux pour la prévention française.
Utopie ? Peut-être. Mais cette inscription noir sur blanc dans un rapport officiel pourrait contribuer à inciter les institutions françaises à emboîter le pas aux acteurs de la prévention déjà engagés dans la voie d’une prévention plus séduisante que directive.

Références

Les enjeux de la prévention en matière de santé, avis du Conseil économique, social et environnemental adopté le 14 février 2012 – http://www.lecese.fr/travaux-publies/les-enjeux-de-la-prevention-en-matiere-de-sante

La prévention sanitaire, rapport de la Cour des comptes présenté le 13 octobre 2011 – http://www.assemblee-nationale.fr/13/budget/mecss/Communication_CDC_prevention_sanitaire.pdf

Travelling avant sur le suicide

Face à la question du suicide, le constat d’une politique sanitaire encore trop centrée sur le curatif, tiré des récents travaux du Conseil économique, social et environnemental sur la prévention sanitaire française (voir article principal), est particulièrement alarmant. Aussi le CESE vient-il de décider de se pencher sur les pratiques préventives du suicide. “Leur prise en compte déterminée nécessite l’élaboration de préconisations opérationnelles rapidement. On ne peut se satisfaire des taux actuels de mortalité et de morbidité liés au suicide” , peut-on lire dans sa note d’intention.

Qualifié pour la première fois de ‘grave problème de santé publique’ en 1993 dans le précédent rapport du CESE qui lui était consacré, le suicide apparaît comme la principale cause de décès par traumatisme dans la communauté européenne. En France, 11000 décès annuels lui sont imputables. En passant au crible les pratiques préventives expérimentées depuis vingt ans dans le pays puis en proposant “de nouvelles orientations et mobilisations fortes en faveur d’une prévention active (…) en tenant compte des pratiques étrangères, notamment anglo-saxonnes pionnières dans ce domaine” , le CESE espère ajouter sa pierre à l’élaboration d’une politique de prévention cohérente.

Référence – http://www.lecese.fr/sites/default/files/saisines/pdf/NS121710Suicide.pdf

L’acculturation en marche

«Une nouvelle culture de la prévention, ambitieuse et largement partagée, doit voir le jour», assène le Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui plaide notamment pour développer un véritable «parcours de prévention citoyen» à toutes les étapes de la vie (grossesse, petite enfance, scolarité, vie professionnelle, départ à la retraite). En instituant des rendez-vous médicaux programmés qui inclueraient un volet prévention systématique? Cela suppose de confier aux médecins un rôle clé et central dans le dispositif de prévention. Pourquoi pas.

La collectivité ainsi que la famille seraient pour leur part invitées à assumer ce qui relève de leur responsabilité, la première dans les activités économiques, au niveau de l’habitat et du cadre de vie et en rendant accessible une alimentation saine; la seconde en transmettant conseils et bonnes pratiques.

Des efforts devraient également être faits afin d’améliorer la sensibilisation de tous à la prévention, qu’il s’agisse des enfants à l’école, des professionnels aux confins du médical et du social au travers de leur formation initiale ou de l’entreprise pour ce qui est des risques professionnels. Autrement dit, ce que préconise le CESE sans la nommer n’est rien d’autre qu’une intervention de promotion de la santé dans les règles de l’art, c’est-à-dire incluant l’élaboration d’une politique publique saine, la création de milieux favorables, le renforcement de l’action communautaire, l’acquisition d’aptitudes individuelles et la réorientation des services de santé.
Beau programme, non ?