Novembre 2002 Par B. SANDRIN - BERTHON Alain DECCACHE Réflexions

En tant que processus visant à augmenter le pouvoir des personnes et des populations à agir sur les déterminants de leur santé, la promotion de la santé s’appuie d’abord sur la communication interpersonnelle et sociale.

Dans ce cadre, la communication occupe plusieurs niveaux: politique (information sur les processus d’élaboration des politiques de santé), technique (communication des données issues de l’observation épidémiologique et information sur les risques), citoyenne (information sur les droits et devoirs en matière de santé), économique (définition des enjeux du système de solidarité et de protection sociale), individuel (relations soignant-soigné), éducatif (éducation pour la santé, éducation du patient).

Places de la communication éducative…

Au cours des cinquante dernières années, en Belgique comme dans tous les pays riches, la technologie médicale a accompli des progrès considérables dans le domaine des diagnostics et des traitements. Toutefois, l’amélioration de la santé de la population passe nécessairement par une amélioration, au plan individuel et collectif, de la communication entre les responsables politiques et institutionnels, les professionnels et les usagers du système de santé.

…dans le domaine de la prévention des risques et du maintien de la santé

Il s’agit d’améliorer l’information des personnes, leur « culture sanitaire », afin de promouvoir un plus grand intérêt pour les questions relatives à la prévention et des comportements plus favorables à la santé. En Belgique comme en France, le niveau de dépistage volontaire de certaines maladies (cancers du sein, du col de l’utérus, de la prostate) reste faible, comparativement à celui observé dans les pays d’Europe du Nord. Il en va de même pour certains taux de vaccination. La protection de l’environnement, au plan individuel et collectif, est balbutiante: la prévention des maladies liées à sa dégradation (asthme, maladies respiratoires chroniques…) est peu prise en compte. L’information du public sur l’évolution de la pollution atmosphérique se limite à des recommandations inefficaces, alarmantes même lorsqu’elles invitent à s’enfermer chez soi… L’information sur les abus de substances toxiques est également tronquée, témoignant des conflits d’intérêts entre la santé et l’économie: si la lutte contre le tabagisme, actif ou passif, est indiscutablement justifiée, et si l’on fait grand cas des drogues illicites, la prévention des consommations excessives d’alcool et de médicaments est beaucoup moins développée. La communauté scientifique reconnaît pourtant leur influence au moins aussi néfaste sur la santé publique.

…et dans le domaine des soins

Mieux communiquer pour mieux diagnostiquer :

des soins de qualité supposent un diagnostic de qualité (rapide, correct, discriminant et efficient) qui lui-même repose sur une bonne communication entre le médecin et le patient puis sur un examen clinique. Les examens complémentaires (radiologiques, biologiques…), comme leur nom l’indique, n’interviennent que dans un second temps pour affiner, confirmer ou infirmer l’impression clinique. Ils ne sont pas toujours nécessaires. Pourtant, dans les dernières décennies, ils ont bénéficié de tels progrès technologiques et sont devenus si performants (et si coûteux !), qu’ils exercent une certaine fascination parmi les professionnels et les patients, reléguant au second plan la dimension humaine du diagnostic. Les médecins ont peu à peu sous-estimé l’importance de l’anamnèse et de l’examen clinique, ils n’ont pas amélioré leurs compétences de communication (1). Quant aux patients, ils apprennent rarement à préparer une consultation, à noter les événements ou les informations qui pourraient être utiles au diagnostic.

Mieux communiquer pour mieux traiter :

depuis cinquante ans, le nombre et la durée d’évolution des maladies chroniques et invalidantes augmente: ce phénomène est lié à l’allongement de l’espérance de vie et à la réduction des maladies infectieuses mortelles. Selon l’Organisation mondiale de la santé, dans les pays industrialisés, 80% des maladies traitées en médecine générale sont chroniques: diabète, maladies coronariennes, respiratoires, insuffisance veineuse…(2) Elles ne se guérissent pas mais se soignent durant toute la vie, ce qui suppose une participation active des patients. Entre les traitements de fond et d’autres pour les périodes de crise ou d’aggravation, les protocoles sont souvent complexes et les patients doivent les gérer au long cours, librement mais de manière responsable et éclairée. La question de l’observance de tels traitements est loin d’être résolue: en trente ans, plus de 4000 publications scientifiques ont démontré l’étendue du phénomène (en moyenne 50% des prescriptions ne sont pas respectées) et ses conséquences en termes d’inefficacité des soins (résultats attendus non atteints, morbidité augmentée, apparition de phénomènes de résistance aux traitements…) (3). De multiples travaux prouvent que le problème et sa solution se trouvent dans la qualité de la relation soignant-soigné, la communication interpersonnelle et l’éducation dite thérapeutique du patient. Pourtant, en médecine, seuls les actes techniques sont valorisés, au détriment des actes dits intellectuels, tels l’information et l’éducation. Plusieurs pays européens (les Pays-Bas depuis longtemps, la France depuis peu, et à titre expérimental) ont modifié leurs systèmes de remboursement des soins afin d’y intégrer l’aspect éducatif.

Communication soignants/patients: crise de confiance?

Droits des patients et craintes des professionnels :

le droit à la santé est pluriel: droit d’accès aux soins, droit à une couverture sociale, libre choix du médecin par le patient mais aussi droit du patient à l’information sur sa santé, au respect de son intimité et de la confidentialité, au consentement éclairé… Depuis quelques années, ces droits ont tendance à s’élargir: droit à des soins de qualité, respect de l’autonomie du patient (accès au dossier médical, protection des données informatisées…) et même droit à l’éducation pour la santé.

Toutefois, il existe manifestement une difficulté à assurer la publicité et l’exercice de ces droits. Depuis 1994, l’Union européenne et l’Organisation mondiale de la santé établissent des recommandations visant à garantir leur application dans l’ensemble des pays européens. Cette démarche avait initialement pour but d’aider les anciens «Pays de l’Est» à intégrer la démocratie dans tous les secteurs de la vie sociale mais elle a mis en évidence que plusieurs Etats de l’Union européenne ne respectaient pas davantage les droits des citoyens dans le domaine de la santé (4).

En Belgique, plusieurs ministres de la santé ont tenté de concrétiser et de faire appliquer les droits des patients avec, il faut le reconnaître, peu de succès. Les propositions de lois n’ont pas abouti. L’application du principe de consentement éclairé se réduit fréquemment à la signature par le patient d’une décharge de responsabilité de l’institution de soins. De même, la reconnaissance des erreurs médicales et des infections contractées à l’hôpital reste rare, l’information étant rarement donnée spontanément à la victime. En France, une loi relative aux droits des malades et la qualité du système de santé vient d’être adoptée.

Santé et responsabilité :

la profession médicale présente une particularité qui peut expliquer certains abus que l’on observe encore: c’est la responsabilité légale du praticien à l’égard du patient qui se confie à lui. Par exemple, ceci explique sans doute l’interdiction faite au patient de quitter l’hôpital sans y avoir été autorisé par son médecin! Toutefois dans certains Etats, ce principe est aujourd’hui remis en question par l’exigence faite au patient d’adopter un comportement responsable vis-à-vis de sa santé et de celle des autres, les soins pouvant lui être refusés s’il ne respecte pas « sa » part du contrat médical. Ces dispositions soulèvent une contradiction: comment le professionnel, mandaté par la société, peut-il se déclarer responsable d’une personne et lui réclamer en même temps qu’elle assume ses responsabilités? Par ailleurs, le patient ne peut exercer cette responsabilité que s’il dispose d’une réelle liberté de choix et de l’information nécessaire. La communication est à nouveau au cœur de la question.

Communication et santé publique: la fin des illusions

L’accessibilité de l’information :

l’accès généralisé aux mass médias laisse penser que toute la population est informée. Paradoxalement, il n’en est rien. Il ne suffit pas de mettre l’information à la disposition de tous pour que chacun y accède. D’une part il existe des barrières liées aux différences de langage, de représentations, de références culturelles. D’autre part, le pouvoir de choisir permet aux personnes intéressées d’obtenir ce qu’elles souhaitent et aux autres d’éviter l’information. Même si l’on s’adresse, via la télévision par exemple, aux groupes sociaux que l’on estime les plus vulnérables, les évaluations d’écoute, de compréhension ou de mémorisation de certains messages de santé révèlent que le public touché n’est pas toujours le public visé.

La question est donc: comment améliorer la diffusion des savoirs utiles à la population en s’assurant que l’on n’exclut pas d’office certains publics ? Le risque de creuser davantage le fossé des inégalités sociales subsiste plus que jamais. Le danger d’une éducation pour la santé normative, véhiculant les valeurs de quelques groupes sociaux a déjà été mis en avant (5). Pour que chaque catégorie de la population puisse s’approprier les savoirs qui lui sont utiles, il est nécessaire de replacer ceux-ci dans des cadres culturels différents et de réfléchir à leur applicabilité dans chaque contexte de vie.

Le contrôle de l’information :

un autre défi est posé par l’élargissement des sources d’information sur la santé. Le problème de la qualité de l’information que pose l’internet de nos jours n’est pas nouveau. Avant la « toile », il y avait déjà les livres, les périodiques, la communication interpersonnelle, sans parler des contradictions entre les conseils délivrés par différents professionnels de santé. Ces derniers insistent aujourd’hui sur la nécessité de contrôler l’information: assurer la circulation de savoirs scientifiquement validés tout en gardant la main haute sur les sources de la connaissance.

Pourtant, assurer la cohérence des informations diffusées semble aussi irréaliste qu’inacceptable éthiquement. Peut-on raisonnablement concevoir, en matière d’information scientifique, une neutralité de l’émetteur et une vérité universelle? Dans le domaine de la santé, l’éducation doit plutôt entraîner la population à exercer son esprit critique, comme tentent déjà de le faire certaines associations dans le domaine de la consommation. Il s’agit d’offrir aux citoyens des méthodes et des outils qui leur permettront d’opérer des choix libres et éclairés, avec l’aide des professionnels: aucun fonctionnement technocratique ou oligarchique ne peut remplacer cet objectif.

La convergence d’intérêts :

dans le champ de la santé cohabitent trois groupes d’acteurs: les professionnels, les pouvoirs publics et la population. Jusqu’ici les deux premiers se partageaient la parole et le pouvoir sur la politique de santé, se présentant à tour de rôle comme les défenseurs du troisième. Chaque groupe a des intérêts communs et divergents avec les deux autres. Pourtant les conflits d’intérêts sont rarement reconnus.

Très près de nous, en Suisse, l’étude Domenighetti (6) a mis en évidence de manière indubitable les conflits d’intérêt en constatant que l’offre et les pratiques de chirurgie étaient plus souvent proposées et réalisées chez les patients de certaines catégories sociales que d’autres (figure 1). Les justifications sanitaires ou médicales n’ont pas permis d’expliquer la différence du nombre d’actes chirurgicaux. Pourquoi une telle information n’a-t-elle pas mieux circulé au niveau du public ? Quel rôle les institutions d’information de masse, les médias, jouent-elles dans de telles situations ? Qu’en est-il dans les autres pays européens ? En France la publication d’un classement de qualité et de fiabilité des hôpitaux et de leurs services a provoqué un scandale, non sur l’existence d’institutions de santé et de soins apparemment dangereuses, mais sur la divulgation de telles informations. En Communauté française Wallonie-Bruxelles, depuis 3 ou 4 ans, de graves questions de santé publique, et des scandales, apparaissent puis disparaissent sans que de comptes clairs soient rendus aux citoyens. Il y a, dans le champ de la santé, une curieuse absence de contre-pouvoir.

La promotion de la santé: une piste qui reste à explorer

Prévention, diagnostic et traitement des maladies ou des facteurs de risques: les sujets évoqués jusqu’à présent se réfèrent implicitement à une approche de la santé par défaut. La médecine, qu’elle soit préventive ou curative, s’attache à éviter ou à résoudre des problèmes plutôt qu’à cultiver la santé ou le bien-être. Pourtant, depuis 1946, l’Organisation mondiale de la santé affirme que la santé n’est pas seulement l’absence de maladie ou de handicap. Communiquer sur la santé ne devrait donc pas se limiter à des échanges sur les maladies et les risques.

En ce sens la promotion de la santé, telle que définie en 1986 dans la « Charte d’Ottawa », constitue un cadre de référence toujours intéressant (7). Elle permet notamment l’émergence du principe de subsidiarité et de responsabilité (accountability): l’obligation morale et sociale pour les professionnels et les politiques de rendre compte des moyens utilisés pour maintenir ou améliorer la santé de la population, des effets produits et des résultats obtenus. Elle insiste sur la participation des citoyens aux décisions relatives à leur santé individuelle et collective. Elle met l’accent sur la lutte contre les inégalités sociales de santé et d’accès à l’information. Cette approche de la santé publique offre ainsi des éléments de réponse aux principaux problèmes évoqués ci-dessus. Et pourtant, en près de vingt ans, on peut s’interroger sur les réelles avancées opérées en la matière.
Les problèmes que la communication pose dans le champ de la santé ne sont finalement pas différents de ceux qu’elle soulève dans les autres domaines de la vie sociale. Les sujets sont spécifiques, mais les questions de fond sont transversales, le défi est le même: notre société est-elle capable de permettre à chaque citoyen d’accéder à l’information et à l’éducation dans le domaine politique, environnemental, social et sanitaire ? Cette question peut sembler paradoxale au moment où les sources d’information sont décuplées mais gare à l’illusion de « l’accès pour tous ». Pour bien des personnes, les modes de communication utilisés dans le domaine de la santé ne garantissent pas l’accès à l’information et deviennent au contraire un facteur supplémentaire d’exclusion sociale.

Alain Deccache et Brigitte Sandrin-Berthon , Unité d’Education pour la santé UCL-RESO, Ecole de Santé publique, UCL

Cet article est une adaptation de l’article paru dans la revue Louvain (n°123, novembre 2001), avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

(1) Cassel EJ, Coulehan JL, Putman SM, Procéder à l’anamnèse: l’art et la manière. Patient Care, septembre 1990.
(2) D’Ivernois JF, Education thérapeutique du patient et maladies chroniques, Ive Congrès de pneumologie de langue française, Nice 26-29 janvier 2000.
(3) Haynes RB, Taylor DW, Sackett DL, Compliance in Health Care, John Hopkins University Press, Baltimore, 1981.
(4) Leenen et al., The Rights of Patients in Europe, Deventer, Kluwer Law and Taxation Publishers, 1993.
(5) Illich i., Nemesis médicale: l’expropriation de la santé, Seuil, Coll. Points, Paris, 1975.
(6) Domenighetti G., Marché sanitaire: pour une stratégie informative du consommateur, in Bastien R et al., Promouvoir la santé, Coll. Partage, RéFIPS,113-146.
(7) Ottawa Charter for Health Promotion, First international Cnference of Health Promotion, Health Promotion, 1, 4, nov. 1986, 405-464