Avril 2004 Par N. MARECHAL Initiatives

Avant tout, je tiens à remercier l’équipe du Professeur Danielle Piette pour le travail accompli depuis plusieurs années. Il suffit de citer le nombre d’étudiants (près de 15.000 en 2002 et près de 58.000 depuis 1986) qui ont répondu aux questionnaires pour imaginer l’ampleur du dépouillement et de l’analyse des résultats. Cette enquête est menée depuis 1986, tous les deux ans jusqu’en 1994, et tous les quatre ans depuis, avec un nombre de plus en plus important de jeunes.
Ce travail considérable signifie aussi que les statistiques qui s’en dégagent sont particulièrement fiables. J’ai pu, ainsi, en tirer de réelles conclusions qu’il me revient de traduire en décisions politiques en matière de prévention.

Des constats qui interpellent

D’une façon globale, si on note une diminution de certains comportements, comme le tabagisme, on peut aussi retenir que la consommation d’ecstasy, les pratiques alimentaires et la sédentarité sont de plus en plus problématiques. Je ne peux évidemment pas rester indifférente à certains indicateurs qui montrent que les jeunes mettent leur santé en danger. La première cause de mortalité reste, chez nous, les maladies cardiovasculaires générées, précisément, par certains de ces comportements.
Je rappellerai quelques chiffres:
– parmi les jeunes âgés de 13 et 15 ans: près d’un jeune sur dix mange des frites au moins une fois par jour, plus de cinq jeunes sur dix mangent des bonbons et consomment des limonades sucrées quotidiennement.
– parmi les jeunes âgés de 13, 15 et 17 ans: plus de six jeunes sur dix ne mangent pas de fruit chaque jour, un jeune sur dix n’en consomme pas chaque semaine, et près de 5 ne mangent jamais de fruits. Une fille sur quatre et un garçon sur cinq ne prennent jamais de petit-déjeuner. Un jeune sur cinq regarde la télévision ou des vidéos au moins quatre heures par jour, pendant les jours d’école. Près d’un jeune sur dix déclare passer plus de quatre heures par jour devant le petit écran. Trois jeunes sur dix ressentent un sentiment de fatigue matinale de manière très régulière.
De bonnes nuits de sommeil, un peu d’activité physique tous les jours, quatre repas équilibrés par jour (avec légumes et fruits) sont les messages véhiculés par la campagne des Motivés que j’ai mise sur pied en novembre de l’année dernière. Basée sur les «rythmes de vie», cette campagne s’adresse aux enfants de 8 à 10 ans. Le site (et ses liens vers des sites éducatifs spécifiques) et le dossier pédagogique, offrant des repères méthodologiques et un inventaire des ressources disponibles en Communauté française, devraient contribuer à la mise en place de projets dans les écoles.
Il ne s’agit pas de donner des listes de recommandations, c’est inefficace. Les jeunes doivent rester les acteurs principaux mais on se doit, par contre, de leur fournir des outils, des pistes pour les aider à préserver leur santé et à se construire. Cette «aide» doit se concevoir par le prisme du dialogue et de la participation: comprendre par la discussion pourquoi ils ont tel ou tel comportement et les associer aux actions.
Ainsi, les troubles cardiovasculaires sont responsables d’un décès sur trois, à l’âge adulte, mais il faut le rappeler: les bonnes et moins bonnes habitudes se prennent très tôt et s’inspirent souvent des comportements des proches, la famille et les pairs. Le tabagisme en est aussi un exemple (près de deux jeunes sur dix fument tous les jours). C’est dire toute la complexité à agir sur l’ensemble des facteurs de risque, sans parler des déterminants comme les situations socio-économiques, environnementales… On notera que la consommation de frites, de télévision… et leur incidence sur le poids, et donc sur la santé des jeunes, sont plus fréquentes chez les jeunes de l’enseignement professionnel.

Nous ne sommes pas tous égaux devant la santé

Ce sont les inégalités, repérées par cette étude, qui retiennent toute mon attention et que je tiens à combattre. Des disparités apparaissent très clairement entre filles et garçons et entre types d’enseignement, dès le début du secondaire. Il s’agit d’octroyer les mêmes «chances» à tous les enfants et tous les jeunes en accentuant, par exemple, la discrimination positive et, par ailleurs, en donnant accès, à tous, aux mêmes informations.
C’est l’objectif que je poursuis par le biais de mon projet d’animations relatives à la vie affective et sexuelle qui, à terme, je l’espère, pourront être inscrites dans le cursus scolaire. Si je préfère parler d’animations plutôt que d’éducation, c’est tout simplement parce qu’il n’y a pas de «diplôme» en relations amoureuses.
Des projets-pilotes seront lancés pour la rentrée scolaire prochaine, entre autres dans l’enseignement technique et professionnel, là où il apparaît que les jeunes sont:
– les plus nombreux à avoir eu des relations sexuelles avant 14 ans;
– les plus nombreux à avoir plusieurs partenaires;
– les moins nombreux à utiliser les préservatifs;
– les moins nombreux à avoir bénéficié d’une animation en vie affective et sexuelle.
J’ajouterai qu’une autre recherche de l’ULB PROMES démontre l’influence de la pornographie accessible par la télévision et surtout par internet, sur l’évolution de la perception des relations sexuelles.

Viser le bien

être

L’étude porte sur les jeunes de la 5e primaire à la 6e secondaire, plusieurs années durant lesquelles l’enfant et le jeune sont suivis par la médecine scolaire. Vous le savez, ce secteur vit un tournant capital en parallèle avec l’évolution de l’acception de la santé.
Dès 1946, l’Organisation mondiale de la santé proposait déjà une définition qui prenait en compte une notion plus large et bien plus complexe, la recherche du bien-être: la santé est un état complet de bien être physique , mental et social et pas seulement l’absence de maladies . Les questions posées aux jeunes dans l’enquête en tiennent compte (sentiment d’être satisfait, d’être heureux, d’avoir confiance en soi…). Le mal-être, une des caractéristiques de l’adolescence, est ainsi pointé par l’enquête: près d’un jeune sur cinq dit ne pas être heureux. En parallèle, on peut observer une banalisation de la consommation de cannabis (3% des jeunes sont des consommateurs journaliers) et d’XTC (1% en consomme régulièrement).
Jusqu’il y a peu, la médecine scolaire était cantonnée à une vision hygiéniste (visites médicales-bilans de santé). Les relations entre la santé et l’école, véritable milieu de vie des enfants et des jeunes étant très étroites, j’ai tenu à élargir les missions des services à une approche de la promotion de la santé (décret du 20 décembre 2001).
Les services de Promotion de la santé à l’école (PSE) planchent ainsi actuellement à la conception, l’élaboration et la mise en place d’un projet-santé au sein de chaque établissement, en véritable partenariat avec les différents acteurs dans et en dehors de l’école. Ces projets-santé seront centrés sur une problématique propre à une école, un quartier, une région (alimentation, assuétudes…) et ne pourront fonctionner sans la participation de tous, parents y compris. Imaginons un projet-santé basé sur une alimentation saine: comment l’appréhender, la construire avec les jeunes, si à l’intérieur de l’école sont favorisés les sodas et les snacks salés et sucrés et si à la maison, les charcuteries, les frites… font partie du quotidien et que les légumes et les fruits relèvent de l’exceptionnel!
J’ai pleine confiance en l’efficacité de ces «dispositifs actifs» de promotion de la santé: certaines écoles sont entrées dans cette approche depuis plusieurs années et ont un regard très positif sur les effets d’une telle démarche où l’on aide l’enfant et le jeune à se construire progressivement, en adulte responsable, capable de gérer collectivement et personnellement sa santé.
Ces projets-santé répondront aussi à un autre signal d’alarme donné par les jeunes qui déclarent apprécier de moins en moins l’école puisque, je le rappelle, on parle de santé mais aussi de bien-être. Il s’agira, dès lors, de concevoir des projets qui tiennent compte du bien-être des jeunes et des enseignants. Ceci dit, ce désamour pour l’école doit être interprété à sa juste valeur: peu de jeunes aiment l’école comme peu d’adultes aiment leur travail…
Le chapitre consacré à la santé des jeunes en décrochage scolaire est également révélateur: on ressent très clairement un grand manque de confiance en soi qui mène à une fragilité sociale où les comportements à risque trouvent un terreau idéal pour se développer.

La prévention

,

parent pauvre du système

Je tiens à conclure en précisant qu’une politique de prévention, qui porte ses fruits, ne peut se concevoir dans l’immédiateté, dans le court terme, sans prendre en compte une multitude d’éléments. Cette évidence est pourtant trop souvent un frein aux décisions politiques «courageuses». Alors que la prévention reste le principal facteur qui contribue aux gains de santé, lorsqu’on lui consacre 1 € en Communauté française, on en dépense plus de 1000 pour les soins de santé au fédéral. Cette disparité des moyens attribués à la prévention par rapport au curatif (12,5 millions € contre 15,5 milliards €) démontre l’intérêt de construire dans la cohérence une politique de santé et pas seulement de soins de santé afin de récolter, à terme, le bénéfice des actions de prévention sur la consommation des soins.
C’est pourquoi, je prône une augmentation significative des moyens en prévention afin d’une part, de renforcer les campagnes de lutte contre le sida, le tabagisme et les actions menées au sein des établissements scolaires par les services de promotion de la santé à l’école et d’autre part, de mener une véritable politique de discrimination positive de façon à réduire les inégalités sociales, trop souvent à l’origine d’une spirale infernale.
Nicole Maréchal , Ministre de la Santé
Nicole Maréchal revient largement sur ces questions dans l’entretien exclusif qu’elle nous a accordé, et que nous publierons le mois prochain.