En 1977, le célèbre groupe pop allemand Kraftwerk affirmait dans son style électronique si particulier ‘Nous sommes les mannequins’ (sur l’album Trans Europ Express, comme tout cela est loin du TGV!). Aujourd’hui, l’Institut belge de la sécurité routière affirme le contraire, pour le bon motif, à propos des piétons et cyclistes.
Voici de larges extraits de l’intervention d’ Isabelle Durant , Vice-première Ministre et Ministre de la Mobilité et des Transports lors du lancement de la campagne ‘Nous ne sommes pas des mannequins’.
Chiffres encourageants mais efforts à poursuivre
La convivialité et l’animation que nous avons pu voir dans nos rues le 22 septembre dernier, lors de la journée européenne ‘En ville sans ma voiture’, montrent à quel point les citoyens sont enthousiastes à l’idée de pouvoir se réapproprier l’espace public.
Cet enthousiasme prouve que le Gouvernement se doit de faire des efforts dans le sens d’un usage convivial de la voie publique. Je suis intimement persuadée que les Belges sont prêts à évoluer, à se mobiliser contre l’insécurité routière et en faveur d’une plus grande qualité de vie.
La situation s’est déjà sensiblement améliorée. Grâce aux efforts du Gouvernement et des associations, les citoyens belges sont de plus en plus conscients du fait qu’ils partagent la voirie avec d’autres usagers et que cela implique un comportement adéquat. Ainsi, le nombre de tués et blessés graves parmi les piétons et les cyclistes est respectivement passé, au cours de ces 20 dernières années, de 2.913 à 763 (- 73,8%) et de 2.427 à 1.105 (- 54,5%) , soit des diminutions plus importantes que la moyenne pour l’ensemble des usagers (- 49,3 %). Ces chiffres traduisent les progrès considérables réalisés en matière de protection des usagers doux à plusieurs niveaux (infrastructure, législation, sensibilisation, véhicules…).
Néanmoins, il reste du pain sur la planche. Trop souvent encore, les piétons et les cyclistes doivent non seulement se contenter d’un espace extrêmement réduit par rapport au ‘territoire’ réservé aux automobilistes, mais, même confinés dans cet espace, ils ne sont pas nécessairement en sécurité. Or, pour pouvoir améliorer cette situation, il est impératif d’agir sur les trois facteurs qui ont un impact sur la sécurité des usagers doux: la place que les autres usagers (en l’occurrence, les automobilistes) leur laissent, l’existence d’une infrastructure appropriée et les véhicules (la partie avant des voitures moins dangereuse, par exemple).
En 2000, 3.642 piétons et 6.789 cyclistes ont été victimes d’un accident de la circulation, soit, au total, 10.431 usagers doux. Cela signifie donc que, chaque jour, 10 piétons et 19 cyclistes sont, en moyenne, victimes d’un accident. En raison de l’absence d’habitacle, les accidents impliquant des usagers doux sont, par ailleurs, généralement très graves. Ainsi, les piétons et les cyclistes représentent 15 % du nombre de victimes, mais pratiquement 19 % du nombre de décédés sur les routes (276 sur 1470), ce qui signifie, en d’autres termes, que près d’1 usager tué sur 5 est un usager doux !
D’une analyse plus pointue des accidents, il ressort que 3 piétons tués ou gravement blessés sur 4 le sont en agglomération, ainsi qu’1 cycliste tué ou gravement blessé sur 2. Encore plus préoccupant: près d’1 accident sur 3 impliquant des piétons se produit sur un passage (protégé ou non) et 4 cyclistes tués sur 10 le sont alors qu’ils circulent sur (ou débouchent d’) une piste cyclable. Pourtant, il s’agit précisément d’infrastructures censées les sécuriser!
Les usagers doux restent particulièrement vulnérables: ils ne possèdent pas de moyen de protection comme peut l’être une carrosserie; ils prennent moins de place qu’une voiture ou qu’un camion et on les voit donc moins bien; la vitesse des véhicules motorisés est bien souvent plus élevée que la leur et cette différence peut provoquer de graves accidents.
On a tendance à l’oublier, mais les limitations de vitesse ont donc également un impact direct sur la sécurité des usagers doux. Ainsi, le risque de décès d’un piéton heurté par un véhicule roulant à 30 km/h est de 5 %, mais il est de 45 % pour un véhicule qui circule à 50 km/h. A 80 km/h, ils n’ont quasi aucune chance de survie…
Les conséquences d’une collision à 50 km/h sont donc, en moyenne, 9 fois plus graves qu’à 30 km/h . Un chiffre qui prouve, s’il en est besoin, le bien-fondé de l’instauration de zones 30 aux abords des écoles et dans certains quartiers!
Objectif de la campagne
L’objectif premier de cette campagne est d’encourager les automobilistes à faire preuve d’empathie et de respect vis-à-vis des usagers doux. En effet, même si ces derniers ne se comportent pas toujours de manière exemplaire dans la circulation, il est clair qu’en cas d’accident, la disproportion des forces en présence tournera toujours à leur désavantage. Par conséquent, le sentiment accru de sécurité que procurent les voitures actuelles ne doit, en aucun cas, nous autoriser à mettre en péril la sécurité des usagers qui ne disposent pas d’un habitacle.
En tant que pouvoir public, il est de notre devoir de rappeler ces dangers. L’évolution technologique des véhicules nous oblige à attirer l’attention de l’automobiliste sur la présence d’autres usagers sur la voirie afin d’adapter les comportements et d’éviter les accidents.
Ce comportement respectueux peut se traduire de différentes manières: adapter sa vitesse, céder le passage aux piétons qui traversent, ne pas frôler un cycliste lors d’un dépassement… Parce que renverser un piéton, blesser un cycliste, c’est une expérience des plus traumatisantes, évidemment pour l’usager doux, mais aussi pour le conducteur de la voiture.
C’est pour cela aussi que notre travail de sensibilisation et d’adhésion de la population à cette cause doit se poursuivre. C’est précisément l’objet de cette campagne.
Du code de la route vers le code de la rue
La réglementation peut également contribuer au changement des mentalités. Dans le cadre des Etats Généraux de la Sécurité Routière (EGSR), il a été décidé de prendre diverses mesures visant à renforcer la protection des usagers plus vulnérables (pas uniquement les piétons et les cyclistes, mais également les cyclomotoristes, les motocyclistes, les personnes à mobilité réduite…), de responsabiliser davantage chaque usager à l’égard des autres et d’assurer un partage équilibré de l’usage de la voie publique par les différents usagers, principalement en agglomération.
En effet, force est de constater que tant le code de la route que le code du gestionnaire de voirie se concentrent principalement sur la circulation motorisée: règles visant la fluidité de la circulation, dispositions plaçant les usagers doux dans une position marginale, situations de conflit dans lesquelles interviennent des usagers doux, imprécisions sur la signification de certains éléments techniques routiers (comme la notion même de trottoir, par exemple). Le code de la rue a précisément pour objectif de rétablir un certain équilibre entre les différents usagers.
Une série de mesures basées sur la philosophie des réflexions menées dans le cadre du code de la rue ont, d’ores et déjà, été adoptées: interdiction pour les cyclomoteurs de classe B d’utiliser les pistes cyclables en agglomération (trop rapides, ils mettaient les piétons en danger), changement de législation lorsque les cyclistes quittent la piste cyclable (ce qui n’est plus considéré comme une manœuvre), possibilité pour les cyclistes d’emprunter les bandes de bus, interdiction de s’arrêter et de stationner à moins de 5 m du début et de la fin d’une piste cyclable (ceci, afin que le cycliste puisse mieux voir et être vu), port du casque pour tous les cyclomoteurs, obligation du système anti-angle mort sur tous les camions…
D’autres mesures entreront prochainement en vigueur: généralisation du sens unique limité (ce qui permet au cycliste de rouler dans les deux sens), allongement de la phase verte des signaux lumineux pour les piétons…
Un dernier texte, actuellement soumis pour avis aux Régions, doit ‘finaliser’ ce code de la rue. Ce texte instaure notamment la responsabilité de l’usager motorisé envers l’usager non motorisé, soit, en quelque sorte, de l’usager le plus fort vis-à-vis de l’usager le plus faible. Ce principe me paraît en effet fondamental.
La nouvelle catégorisation des infractions vise également à ce que les gens se rendent compte de la gravité de certains comportements. Le principe de cette nouvelle catégorisation est de donner un signal clair au citoyen. Nous avons délibérément choisi de placer les infractions à l’encontre des usagers faibles dans la catégorie d’infractions graves du premier degré, afin que les citoyens se rendent compte de l’importance, pour la protection de tous, mais aussi pour la qualité de vie, de prendre davantage en compte la place de chaque usager.
Après la campagne ‘piétons’ organisée en 2000, l’IBSR a réalisé une enquête dans laquelle il a notamment été question des comportements considérés comme irritants. On y apprend qu’1 conducteur sur 4 considère encore le stationnement sur le trottoir ou sur un passage pour piétons comme ‘peu grave’, voire ‘pas grave du tout’. De même, un peu moins d’1 conducteur sur 5 estime que se garer sur une piste cyclable est ‘peu grave’, voire ‘pas grave du tout’. Bref, certains conducteurs ne sont visiblement pas conscients des dangers qu’ils font courir aux autres…
‘Nous ne sommes pas des mannequins’
La nouvelle campagne est le fruit d’une collaboration entre l’IBSR et les trois Régions, ce qui permet une diffusion plus large du message.
Tant sur l’affiche que dans le spot TV, les personnages utilisés sont connus de tout le monde: il s’agit des mannequins utilisés lors des crash-tests. D’une part, leur morphologie donne l’impression d’avoir affaire à de véritables usagers, ce qui accroît la crédibilité du message, mais, d’autre part, cela reste des objets, ce qui permet de montrer la réalité des choses (en l’occurrence, l’accident dans le spot TV), sans être trop brutal ou choquant.
Le slogan exprime bien la philosophie qui est à la base de la campagne: les usagers doux ne sont pas de simples figurants dans la circulation, voire des mannequins que l’on peut renverser à sa guise. Il s’agit bel et bien d’usagers à part entière et, la plupart du temps, les accidents dans lesquels ils sont impliqués laissent des traces physiques et morales irréversibles, tant pour eux que pour le conducteur. Ce plus grand respect envers les usagers doux devrait, en théorie, être facilité par le fait que les automobilistes sont tous, à un moment donné ou un autre, des piétons, ne serait-ce que pour rejoindre leur voiture!
Le spot TV est bien plus qu’une simple retranscription télévisuelle de l’affiche. On peut tout d’abord voir des particules qui voltigent dans l’air, puis, petit à petit, on devine qu’il s’agit de morceaux d’une voiture (rétroviseur, phare, pare-chocs…) et de parties de mannequins utilisés lors de crash-tests. On aperçoit également un petit vélo parmi les débris. Ensuite, tout s’accélère: un ours en peluche se recompose et l’on assiste également à la reconstitution de la voiture et des mannequins. On comprend alors que l’on vient de voir, en marche arrière, le déroulement d’un crash-test et que les morceaux qui voltigeaient au début avaient été projetés dans l’espace à cause du choc entre la voiture et les mannequins.
Le fait de bercer, dans un premier temps, le téléspectateur dans une poétique visuelle avant de le confronter à la réalité, accentue sans nul doute l’impact du message.
A la fin du spot, la phrase suivante s’inscrit sur l’écran: ‘Chaque année, plus de 10.000 piétons et cyclistes sont blessés ou tués par des voitures sûres’, puis le slogan: ‘Les humains ne sont pas des mannequins’.
Le message est clair, mais énoncé de manière non moralisatrice: ne pas respecter les usagers doux, quels qu’ils soient, peut engendrer de graves conséquences, tant pour ceux-ci que pour le conducteur. En effet, si, dans le spot, l’utilisation du retour en arrière permet de terminer sur une note positive (les mannequins sont encore ‘en vie’), il en va tout autrement dans la réalité. Une fois que le pire est arrivé, il est trop tard.
Par ailleurs, d’énormes progrès ont été accomplis par l’industrie automobile dans le domaine de la sécurité, mais, sur la route, l’acteur principal restera toujours le conducteur. Le message s’apparente donc quelque peu à celui de la dernière campagne Bob : une voiture ‘ultra-sûre’ n’empêchera jamais un accident de se produire si le conducteur n’adopte pas le ‘bon’ comportement, à savoir, dans le cadre de cette campagne, une conduite empreinte de respect envers les autres usagers, plus particulièrement les piétons et les cyclistes.
Pas de sensibilisation sans répression
Comme c’est à présent devenu une tradition lors des grandes campagnes de l’IBSR, la sensibilisation sera couplée à un volet répressif afin que ces deux aspects se renforcent mutuellement. Cette fois-ci, l’IBSR a à nouveau pris contact avec les services de police, les Procureurs généraux et les Gouverneurs afin que ceux-ci prêtent une attention particulière au comportement des automobilistes vis-à-vis des usagers doux. Seule une synergie entre les différents acteurs permettra d’obtenir un changement de comportement.
Le fil rouge de cette campagne est incontestablement la notion de courtoisie vis-à-vis des usagers doux. En d’autres termes, participer au trafic exige, certes, que ceux-ci tiennent compte de leur vulnérabilité et respectent les règles du code de la route, mais, surtout, que les ‘plus forts’ ne négligent pas la présence des ‘plus faibles’. En effet, chaque utilisateur, quels que soient son âge, sa capacité physique et son moyen de locomotion, doit pouvoir circuler en sécurité.
Combinée à la sécurisation des infrastructures et à l’amélioration technique des véhicules, cette responsabilisation des usagers doit, à terme, non seulement permettre d’améliorer la sécurité des usagers doux, mais également la convivialité et la qualité de vie. Après tout, bien plus que des empêcheurs de tourner en rond, les piétons et les cyclistes sont, eux aussi, des usagers de la route à part entière!
Isabelle Durant , Ministre fédérale de la Mobilité et des Transports