Faut-il le rappeler? L’accès à la contraception est une question de santé publique. C’est aussi évidemment une question de démocratie et un chemin nécessaire vers l’égalité hommes-femmes. Pouvoir mener une vie sexuelle libre et responsable, pouvoir choisir d’avoir ou non un enfant. Il s’agit d’un droit gagné par les femmes il n’y a pas si longtemps.
Et même si on pourrait croire que tout est acquis en matière de contraception, c’est loin d’être le cas et les enjeux en la matière restent pleinement d’actualité. Non tout n’est pas gagné!
Trois facteurs apparaissent déterminants.
L’information : diffuser de manière large et au grand public une information simple et concrète sur la contraception: c’est l’objet des deux brochures que la Fédération laïque de centres de planning familial (FLCPF) vient de sortir (voir plus bas).
La sensibilisation : la contraception n’est pas uniquement une question de méthode, elle prend place au sein d’une (ou de) relation(s) sexuelle(s) et affective(s). Dès lors, pouvoir informer, sensibiliser et accompagner les questionnements de chacun et chacune, sur l’ensemble des aspects qui relèvent de la vie sexuelle et affective, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, paraît essentiel (question du respect, de l’identité sexuelle, du genre…).
Les centres de planning familial sont certes spécialistes de ces questions, mais il est indispensable d’élargir l’éducation à la vie affective et sexuelle (EVAS) à l’ensemble de la société, y compris au milieu scolaire, en collaboration avec les centres PMS et PSE. Il y a là des responsabilités politiques importantes: quelle place les pouvoirs publics sont-il prêts à donner à l’EVAS à l’école? Sur quel types d’acteurs veulent-ils s’appuyer? Comment reconnaître davantage l’expertise et les compétences spécifiques des centres de planning familial? Quel projet de société voulons-nous ou veulent-ils défendre?
D’autres acteurs incontournables sont, bien entendu, les médecins généralistes. Ce sont les plus grands prescripteurs de contraceptifs, et ils sont par ailleurs des relais potentiels importants en matière d’éducation à la vie sexuelle et affective.
L’accessibilité financière : on ne peut parler d’accès à la contraception sans parler du coût qu’elle représente pour ses utilisateurs. Dans une société où une frange grandissante de la population se paupérise d’année en année, il s’agit là d’un réel frein. La mesure ’Demotte’ qui permet une forte réduction sur le prix des pilules pour les jeunes de moins de 21 ans est intéressante et évidemment à soutenir. Mais dans la réalité c’est encore vraiment insuffisant.
Nous en appelons à ce que les responsables politiques se penchent rapidement sur la situation particulièrement difficile en la matière des plus démuni(e)s de notre société. Si la contraception contribue à l’égalité entre les hommes et les femmes, à l’inverse, la pauvreté qui met en difficulté l’accès financier à la contraception pénalise bien plus fortement les femmes.
Quelle information?
Rappelons d’emblée que la publicité sur la contraception n’est autorisée en Belgique que depuis une trentaine d’années. En 1973, l’affaire Peers (du nom du médecin emprisonné pour pratique de l’avortement) suscite l’émoi de l’opinion publique et provoque l’abrogation de la loi de 1923 interdisant la publicité sur la contraception.
Des années auparavant déjà, des militants – médecins, enseignants, travailleurs sociaux, juristes, d’autres encore – se sont réunis pour confronter leurs idées et agir en créant des centres de planning familial. Le but initial était d’informer les femmes et les couples sur les méthodes disponibles pour limiter et espacer les naissances. Les progrès scientifiques et techniques combinés à l’évolution des mœurs et à la libéralisation sexuelle ont influencé le développement des centres de planning familial qui sont devenus de réels espaces interdisciplinaires offrant écoute, information et accès réel à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse.
La contraception semble aujourd’hui être totalement entrée dans les mœurs et dans les habitudes des femmes et des couples. On peut penser également qu’à l’heure des médias omniprésents et du développement d’Internet, une information grand public traditionnelle n’est plus nécessaire. Le travail sur le terrain et les recommandations de différentes commissions d’experts nous prouvent le contraire.
Ainsi les professionnels des centres rencontrent encore fréquemment des personnes ignorantes du fonctionnement de leur corps et qui, même si elles ont connaissance de l’existence de moyens permettant d’éviter une grossesse non désirée, n’ont pas intégré leur accès et leur utilisation.
Le rapport d’un Groupe de travail interministériel « Contraception chez les jeunes » (1) en 2001 recommandait l’édition de brochures d’information sur la contraception et la fécondité. Il suggérait également une large diffusion de ces documents auprès des centres de planning familial, des pharmacies, des médecins généralistes, des médecins scolaires, des écoles et des organisations de jeunesse.
Tous les deux ans, le rapport de la Commission d’évaluation de la loi sur l’interruption de grossesse (2) insiste également sur une meilleure information continue du public quant aux moyens de contraception performants.
La FLCPF met à la disposition du public depuis plus de 20 ans un centre de documentation et d’information sur la vie affective et sexuelle: le CEDIF. Dans le cadre de sa mission d’éducation permanente, le CEDIF propose aux professionnels des outils pour leur travail de prévention, et aux citoyens une information pertinente et fiable.
Les deux publications présentées ici sont toutes deux destinées au grand public dans le but de permettre aux femmes et aux couples un choix informé et responsable.
Les méthodes contraceptives offre un aperçu des différentes méthodes disponibles et La pilule contraceptive répond aux questions le plus fréquemment posées sur cette méthode. Elles ont été réalisées avec le soutien du Ministère de la Santé de la Région wallonne et du Service Education permanente de la Communauté française et elles sont disponibles gratuitement au CEDIF (3).
Le soutien des pouvoirs publics à ce type de publications est essentiel au moment où ne sont plus disponibles dans ce domaine que des informations émanant de firmes pharmaceutiques!
Quelle accessibilité financière?
Depuis le 1er janvier 2003, l’application d’une convention INAMI a permis de rendre l’IVG et son accompagnement pratiquement gratuit pour les personnes bénéficiant d’une couverture sociale. Cela permet à une majorité de femmes de choisir à l’abri de toute contrainte financière.
Par contre, ces dernières années, l’accessibilité à la contraception, à l’exception de la mesure concernant les jeunes filles de moins de 21 ans, a peu progressé. Même si l’offre de méthodes contraceptives s’est élargie, paradoxalement, l’accessibilité financière, elle, s’est dégradée.
En effet, les contraceptifs les plus récents sont chers et ne sont pas remboursés. La contraception reste du domaine du médicament de confort alors que, pour une partie grandissante de la population, le prix est et restera un frein.
Fin de l’année dernière, les firmes pharmaceutiques, au mépris des impératifs de santé publique, avaient demandé unilatéralement la sortie du système de remboursement de la plupart des pilules contraceptives encore soumises à celui-ci. Sous la pression de l’opinion publique et de différents acteurs de terrain, elles ont finalement réintroduit une demande de remboursement.
Cette affaire démontre la fragilité du système qui devrait permettre à chacun d’avoir accès à des solutions contraceptives à un prix abordable.
Ayant pour seul objectif de maximiser leur profit, ces firmes font peu de cas des priorités des femmes pour lesquelles la contraception et la planification des naissances est un gage d’épanouissement, personnel, social, professionnel, sans parler des bénéfices en terme de santé, physique et mentale.
La FLCPF réaffirme son soutien à toutes décisions politiques qui viseraient à limiter l’ingérence de firmes privées dans ce qui doit rester un choix de société, et à toute initiative qui favorisera l’accès à des méthodes contraceptives financièrement acceptables.
Généralistes et contraception
Oui, la médecine générale est intéressée par ce qui peut soutenir son action quotidienne d’information des patients dans tous les domaines qui font la qualité de la vie, et donc en particulier, le domaine affectif, relationnel et sexuel. Tous nos contacts thérapeutiques sont irrémédiablement traversés par cette composante relationnelle, malheureusement encore trop peu reconnue et gérée avec compétence parce que trop peu enseignée. Ce qui se passe pour les médecins est d’ailleurs à l’image de ce qui se passe dans la société en général… J’en veux pour preuve la pauvreté de l’enseignement dans les écoles secondaires dans ce domaine, tant sur le plan médical, physique que sur le plan de l’éthique relationnelle… Phénomène déjà dénoncé il y a 20 ans ou plus!
Comme si aucun problème n’existait…ou lorsque le problème est reconnu, il n’est pas identifié comme un réel problème de société devant être géré collectivement.
La porte du cabinet de médecine générale est la première que l’on pousse, la plus accessible, la plus proche de chez soi. Le médecin généraliste est celui qu’on a connu au moment des premières otites, des premiers vaccins, des soucis d’adolescence. Ce rapport privilégié est un atout pour aborder avec l’adolescent les sujets sensibles que sont le rapport au corps, à la sexualité, le rapport à l’autre qui pourra devenir partenaire dans une relation sexuée et sexuelle.
Mais ce rapport privilégié peut aussi devenir un obstacle, suscitant la peur du jugement, la peur d’une éventuelle rupture de la confidentialité par rapport aux parents parce que le médecin généraliste est aussi le médecin de toute la famille.
Les jeunes choisissent de consulter en centre de planning familial, espérant y trouver une approche plus libre que celle pressentie chez le médecin de famille, une confidentialité absolue et parfois plus de compétences dans ce domaine particulier.
Ils n’ont pas tort. En effet, les généralistes en médecine de première ligne souffrent d’un manque récurrent de temps (les honoraires rétribuent singulièrement mal le temps consacré aux questions sensibles et délicates, à la prévention). De plus, leur formation universitaire et continuée s’est relativement peu penchée sur la question de l’éducation sexuelle et affective et sur les difficultés que rencontrent les jeunes à vivre la liberté que la contraception leur permet mais que les maladies sexuellement transmissibles leur confisquent. Cette éducation sexuelle qui devrait pouvoir interpeller les jeunes et leur permettre de vivre mieux leur sexualité, en restaurant les deux corollaires indissociables à la liberté: la responsabilité et la solidarité.
En tant que médecins de terrain, nous assistons, inquiets, aux conséquences parfois dramatiques de comportements qui font fi d’une de ces trois valeurs: ces conséquences sont, entre autres, les grossesses non désirées et les difficultés à les assumer, les MST avec leurs conséquences à long terme, parfois dramatiques.
Une violence latente, larvée ou exprimée s’installe dans les relations interpersonnelles, avec des conséquences personnelles et collectives. Violence qui nous interpelle aussi parce qu’elle émane parfois de la marchandisation de la liberté que les jeunes vivent: l’envahissement de leur environnement par la pornographie en est l’expression la plus spectaculaire.
En tant que médecins généralistes, nous sommes consultés par les jeunes filles et les femmes pour les contrôles gynécologiques, à l’occasion de prescriptions de contraceptifs ou à l’occasion de plaintes (problèmes infectieux par exemple).
Par contre, nous sommes très peu consultés, proportionnellement, par les jeunes hommes. Leurs préoccupations sont peu préventives, ils consultent quand un problème se pose: infections, troubles d’érection… La prévention, et même le curatif quand les symptômes ne sont pas visibles, sont difficiles à faire passer chez de nombreux hommes.
Une attention particulière devrait aussi être accordée aux jeunes hommes immigrés, confrontés à une société d’accueil qui vit la liberté sexuelle sans trop bien la gérer et parfois très éloignée de leurs repères culturels.
Quelle collaboration envisager entre la médecine générale et la FLCPF? Pourquoi s’adresser aux représentants syndicaux de la médecine générale? En tant que syndicat, nous avons inlassablement tenté de situer le rôle du généraliste au centre de l’organisation des soins de santé. Ce thème-ci n’y échappe pas. Il nous semble indispensable que la Fédération puisse jeter des ponts vers les centres universitaires de médecine générale (CUMG) et vers la société scientifique de médecine générale (SSMG) pour collaborer à l’élaboration de la formation des soignants dans ce domaine: comment expliquer pourquoi la prévention des maladies cardio-vasculaires a acquis ses lettres de noblesse en médecine générale et si peu la prévention des difficultés liées aux rencontres interpersonnelles, particulièrement à travers la sexualité?
Il nous semble intéressant de favoriser le rôle plus collectif de la Fédération: publications, supports éducatifs, supports informatifs… Par exemple, il serait intéressant de réaliser des brochures destinées spécifiquement aux garçons et aux hommes, sur les méthodes contraceptives, les MST, les problèmes d’impuissance… pour ne pas confiner l’information aux femmes.
Je ne peux qu’encourager la FLCPF à frapper inlassablement aux portes de nos représentants démocratiques pour qu’ils implantent d’urgence, en milieu scolaire, des cours d’éducation sexuelle et affective au travers des différentes disciplines enseignées. Sujet majeur dans le développement des jeunes, qui ne doit pas rester entre les seules mains des médecins et des psychologues.
Anne Gillet-Verhaegen , vice-présidente du Groupement Belge des Omnipraticiens (GBO)
FLCPF, rue de la Tulipe 34, 1050 Bruxelles. Tél.: 02 502 82 03. Fax: 02 502 68 00. Courriel: flcpf@planningfamilial.net. Internet: http://www.planningfamilial.net .
D’après un dossier de presse de la FLCPF
Ministère fédéral des Affaires sociales, de la Santé publique et de l’Environnement. Conférence interministérielle Santé publique – Groupe de travail interministériel « Contraception chez les jeunes ». Bruxelles, 11 décembre 2001, (16p.).
Commission nationale d’évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l’interruption de grossesse. Rapport à l’attention du Parlement 1 janvier 2002-31 décembre 2003. Bruxelles, août 2004, 64p.
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