Juillet 2019 Par Julie LUONG Réflexions

Notre ADN ne détermine que pour une part notre état de santé. Les récentes recherches en épigénétique montrent que notre mode de vie – et en particulier notre manière de gérer notre stress et nos émotions – est en réalité plus déterminant que notre hérédité. Nathalie Zammatteo, biologiste et thérapeute namuroise, nous explique pourquoi.

L’ADN : une molécule hypersensible

Docteur en biologie, Nathalie Zammatteo a longtemps travaillé comme chercheuse à l’université, prenant part à des travaux portant notamment sur la génétique et le cancer du sein. Au fil du temps, elle acquiert la conviction que les facteurs environnementaux ne sont pas suffisamment pris en considération. Souffrant elle-même de maux de tête de plus en plus envahissants, elle découvre la Cohérence Somato Psychique®, une approche thérapeutique qui vise la libération des inhibitions inscrites dans l’organisme, qui empêcheraient le processus naturel d’auto-guérison. Elle se forme alors comme thérapeute.

Auteure de L’impact des émotions sur l’ADN (éditions Quintessence), elle vulgarise le passionnant concept d’épigénétique, qui préside aujourd’hui à de nombreuses recherches scientifiques.

Pouvez-vous rappeler ce qu’est l’épigénétique ?

L’épigénétique signifie “au-dessus de la génétique” ou “en surface de la génétique” : il s’agit de mécanismes qui ne changent absolument pas l’ADN, le code génétique, mais le fonctionnement des gènes. J’aime l’expliquer en prenant l’exemple du livre de recettes. Si on prend un livre de recettes et qu’on l’ouvre à la page du soufflé au fromage, on peut lire et réaliser la recette. C’est pareil pour l’ADN : si on peut accéder au code, on peut le traduire en protéines. C’est cela l’expression des gènes. Ce sont ces protéines qui font qu’on est vivant. Mais si la page du livre de recettes est collée, on ne peut pas lire la recette. C’est le cas pour l’ADN : si certaines portions de l’ADN sont inaccessibles, on ne peut pas accéder à la séquence du gène et donc on ne peut pas produire ce qui lui correspond. On peut aussi illustrer ce fonctionnement à travers l’exemple des vrais jumeaux : ils sont génétiquement identiques mais s’ils vivent à un endroit différent et qu’on regarde à 20 ans l’expression de leurs gènes – l’épigénome –, on se rend compte que c’est comme s’ils n’avaient, de ce point de vue, aucun lien de parenté… alors que leur séquence d’ADN est identique depuis la naissance.

Il y a eu la grande époque du tout génétique mais aujourd’hui, cette intrication du génétique et de l’environnement est considérée comme une donnée scientifique essentielle. À quand remonte ce concept d’épigénétique ?

La recherche en épigénétique a commencé à la fin des années 1990. En 2002, on est parvenu à séquencer tout le génome humain. On pensait alors qu’on allait pouvoir tout résoudre et que la thérapie génique permettrait tout simplement de remplacer les gènes défectueux. Parallèlement, les recherches en épigénétique devenaient plus importantes et on s’est rendu compte que la séquence d’ADN n’était pas tout, puisque le gène est incapable de se réguler seul : son fonctionnement dépend de notre environnement interne, mais surtout externe. On a découvert que notre mode de vie – alimentation, exercice physique, régulation du stress, qualité des relations – avait un impact sur le fonctionnement de nos gènes et que ça influençait beaucoup plus notre santé que notre hérédité.

Dans quels types de pathologies l’épigénétique est-elle déterminante ?

On l’étudie principalement dans trois domaines : le cancer, les maladies métaboliques et le comportemental, notamment la régulation du stress. Il y a quelques années, au Télévie, les chercheurs ont dit qu’en effet ils s’étaient trompés, qu’ils avaient cru que le cancer était une maladie génétique mais qu’il s’agit en fait d’une maladie épigénétique. Certains cancers présentent bien sûr des mutations dans les gènes, mais cela ne représente qu’une toute petite proportion des cancers. Le reste, c’est un problème de dérégulation dans l’expression des gènes. Dans un cancer, des gènes s’expriment dans les cellules de la tumeur et promeuvent le développement de cette tumeur, tandis que d’autres gènes “oncoprotecteurs” cessent de s’exprimer dans les cellules cancéreuses. Il y a donc véritablement un changement dans l’expression des gènes.

Qu’en est-il du lien avec la régulation du stress ?

Le stress modifie fondamentalement l’expression des gènes. Les émotions ont un rôle dans toutes les maladies, et en particulier dans les douleurs. J’ai découvert qu’il existait toute une littérature scientifique sur ces cicatrices émotionnelles, qui viennent s’inscrire au coeur des cellules au point de se transmettre d’une génération à l’autre. Si, à la suite d’un traumatisme, l’expression des gènes est modifiée et qu’on est devenu beaucoup plus fragile face à ce stress, avec une tendance dépressive, les thérapies vont permettre de restaurer l’expression des gènes comme avant le traumatisme. Car ce sont aussi des mécanismes réversibles. On peut effacer ces traces.

Faut-il nécessairement passer par une thérapie pour corriger l’expression des gènes ?

Si on est bien en accord avec soi-même, si on est heureux dans ce qu’on fait, si on a un bon réseau affectif et social, c’est possible de faire sans. Disons que tout dépend aussi de la période à laquelle a eu lieu le traumatisme. Les 1000 premiers jours de la vie – vie foetale, naissance, premières années de la vie – sont une période de grande fragilité : il y a plus de chances qu’il faille passer par une thérapie, surtout si on a vécu des choses graves comme des abus.

Aujourd’hui, au quotidien, il existe différentes techniques qui nous permettent de réguler le stress, comme la pleine conscience, le yoga… Ces techniques diminuent l’inflammation généralisée dans le corps qu’entraîne le stress chronique. Ces outils pratiques permettent donc de faire de la prévention. Certains aliments nous protègent aussi, de même que l’activité physique. Nous pouvons produire dans notre corps des facteurs de santé.

Il faut aussi se sentir soutenu et sécurisé. Une étude américaine sur le bonheur initiée dans les années 30 aux États-Unis et toujours en cours actuellement montre que les gens heureux sont ceux qui ont des relations de qualité. Et ce sont sont aussi celles qui ont le meilleur état de santé à 80 ans.

Certains toxiques environnementaux ont également un impact sur nos gènes.

Oui, c’est le cas des particules fines, des pesticides, des métaux lourds, etc. Si on veut faire de la prévention des maladies, il faut tenir compte du volet émotionnel, mais aussi de ces facteurs de l’environnement. À Mexico, une ville très polluée, une étude a montré que les chiens exposés aux polluants développent l’équivalent de la maladie d’Azheimer, dont on pense qu’elle serait en partie liée à l’exposition à des métaux lourds. Mais à exposition égale, on sait que cela va davantage se corriger si on est dans un environnement sécurisant. L’impact de la bienveillance et du maternage en début de vie sont à mon sens plus importants que celui des toxiques.

La qualité des relations ne semble malheureusement pas dépendre de la seule volonté individuelle. Le monde du travail présente aujourd’hui des modes d’organisation qui ne favorisent pas la bonne santé de l’ADN… De même pour les problèmes d’isolement et de précarité.

C’est vrai. Mais c’est aussi une question de choix. Le stress, c’est utile à notre survie. Le problème, c’est l’absence de moments de pause. Parfois quelques minutes par jour suffisent. La cohérence cardiaque par exemple est un outil formidable, qui consiste à respirer pendant cinq minutes, avec le même temps sur l’inspire que sur l’expire: cela permet de réguler les principales hormones de notre corps qui nous permettent à la fois d’agir et de récupérer. Si on a ces moments de pause, le stress ne s’installe pas durablement. Si on a des activités où l’on a du plaisir, c’est pareil : on stimule le circuit de la récompense. Ce n’est pas une question de temps, ça ne nécessite pas d’investir une heure par jour. Le message, c’est que c’est accessible à tous et que nous sommes tous acteurs de notre santé. Alors oui, nous sommes dans une société où tout est axé sur les performances, mais cela signifie qu’il faut d’autant plus prendre soin de soi pour pouvoir être bien dans sa relation avec les autres. Il ne s’agit pas d’aller faire une retraite dans une grotte… c’est un outil du quotidien.

La réversibilité des effets du stress sur l’expression des gènes peut-elle advenir rapidement ?

Les études montrent qu’après huit semaines – le temps du programme de réduction du stress par la pleine conscience –, on observe déjà des effets sur la plasticité du cerveau. Des paramètres sont mesurables sur la prise de sang. Avant et après ces huit semaines, il y a des différences sur les facteurs de l’inflammation, etc.

Cela signifie-t-il que l’apprentissage de la pleine conscience devrait faire partie des politiques publiques de prévention et promotion de la santé ?

Tout à fait. Aux États-Unis, la méditation est déjà considérée comme un moyen de prévention des maladies cardiovasculaires, avec des résultats tout à fait intéressants !

L’impact des émotions sur l’ADN par Nathalie Zammatteo.

Chaque cellule du corps porte en son noyau le même ADN qui a toute l’information nécessaire pour reconstituer l’ensemble du corps. Ainsi, même si chaque cellule n’exprime qu’une partie de cette information, celle-ci est contenue dans la moindre de ses extrémités. L’ADN est contrôlé par des signaux provenant de l’extérieur de la cellule, dans son environnement. Plusieurs millions d’interrupteurs se trouvant sur l’ADN permettent aux gènes d’être lus ou de rester silencieux. La science qui étudie ces interrupteurs et l’interaction entre l’ADN et l’environnement s’appelle l’épigénétique. Les découvertes récentes nous enseignent que tout ce qui fait partie de notre environnement, y compris les émotions, influencent l’ouverture ou la fermeture de ces millions d’interrupteurs sur l’ADN, agissant ainsi sur notre santé. Au travers de l’histoire de vraies jumelles, vous découvrirez que les émotions peuvent laisser des traces sur l’ADN et que ces traces sont transmissibles à la descendance. Alors que l’information portée par les gènes est stable, les étiquettes épigénétiques ont une stabilité relative car elles sont effaçables. Il y a donc une réversibilité potentielle permettant un retour en santé. La vocation principale de ce livre est de proposer une observation des conditionnements émotionnels sous un nouvel angle, celui de l’épigénétique, afin d’offrir la possibilité à chacun de trouver un nouvel équilibre. Disponible aux éditions Quintessence.