Novembre 2010 Par Christian DE BOCK Initiatives

«Spectateur est un mot obscène. Le spectateur est moins qu’un homme. Il faut l’humaniser et lui rendre sa capacité d’agir pleinement. Il doit être sujet, acteur, à égalité avec les autres qui deviennent à leur tour spectateurs…
[…] La poétique de l’opprimé est d’abord celle d’une libération : le spectateur ne délègue aucun pouvoir pour qu’on agisse ou pense à sa place. Il se libère, agit et pense pour lui-même. Le théâtre est action.»

Augusto Boal , Théâtre de l’opprimé, La Découverte, Paris, 1996, p. 47-48 Voici un an paraissait l’ouvrage de Bernard Goudet ‘Développer des pratiques communautaires en santé et développement local’, un condensé remarquable de ses expériences et de ses recherches en la matière.
Éducation Santé se devait de porter la publication de cette ‘somme’ à la connaissance de ses lecteurs, ce qui fut fait.
La sortie d’un ouvrage de référence en langue française n’est pas si fréquente, et votre revue estima que c’était un peu ‘court’ de se limiter à une brève recension. D’où l’idée d’inviter Bernard Goudet à présenter ses réflexions dans notre Communauté française. Idée immédiatement acceptée avec enthousiasme par Chantal Vandoorne et Gaëtan Absil , les collègues de l’APES-ULg, pour qui le sociologue bordelais est une ‘légende vivante’ (rien que ça !).
Le résultat fut un double programme, composé d’une conférence à Bruxelles le 30 septembre, suivie d’une journée de séminaire à Liège le 1er octobre.
Le moins qu’on puisse dire est que cette initiative rencontra une belle adhésion, puisque tant à Bruxelles qu’à Liège, nous avons dû refuser du monde : plus de 100 personnes pour la conférence (la capacité de la salle était de maximum 70), plus de 30 personnes pour le séminaire (le nombre idéal étant de 20 participants).
Nous nous excusons de la frustration suscitée chez certains par ce (trop) grand succès, tout en nous réjouissant du pouvoir de mobilisation d’un auteur à la démarche fondamentalement progressiste. Le nombreux public issu du secteur des maisons médicales se trouvait ici assurément plus en pays de connaissance que dans les colloques sponsorisés de la médecine dominante…

Donner du temps au temps

Dans sa brève introduction, Alda Greoli , Secrétaire nationale des Mutualités chrétiennes, rappela qu’il n’y a pas de hasard, qu’il est logique qu’un ‘enfant de l’éducation populaire’ (comprendre ‘éducation permanente’ chez nous) tel que Bernard Goudet ait consacré une bonne partie de sa carrière à donner la parole à ceux qui ne l’ont pas et à forger avec eux les outils de leur émancipation. Une philosophie de la réflexion et de l’action qui ne devait pas manquer de sonner juste aux oreilles d’une audience très majoritairement féminine.
Le conférencier exposa ensuite de façon très didactique le sujet du jour, avec un utile rappel conceptuel, une typologie empirique des situations appelant des pratiques communautaires, et une analyse de 12 actions, en France et en Belgique, caractérisées par la présence de dimensions fondamentales de l’action communautaire (atteinte d’un certain degré d’empowerment des acteurs, orientation ascendante de la démarche…). Occasion de régler avec humour un compte avec ses ‘collègues’ spécialistes de santé publique à l’Université, dont il déplora une certaine forme de condescendance à l’égard des ‘bénéficiaires’ des programmes. Il n’hésita pas à comparer la promotion de la santé non pas à du poil à gratter, mais carrément à une ‘verrue’ en plein milieu du ‘beau visage’ de la santé publique. C’était sans doute un rien injuste, mais à coup sûr une façon percutante de rappeler que la prise en compte des facteurs sociaux fait parfois un peu désordre dans les belles constructions épidémiologiques.
Sans nous donner de trucs et astuces, il pointa aussi quelques éléments participant au succès d’une démarche communautaire, comme la prise de conscience par les professionnels du caractère discontinu du temps nécessaire à concrétiser ensemble une action aux effets durables.
Bernard Goudet avait été très discret sur la question de l’évaluation tout au long de son exposé, et un participant s’en inquiéta à juste titre au moment des questions-réponses. Cela tombait bien, le conférencier rassura tout le monde en précisant que le séminaire du lendemain porterait précisément sur ce sujet !

Participer en ayant voix au chapitre

Il n’aurait pas été cohérent de parler de participation au nom d’acteurs engagés dans des processus de développement communautaire sans leur permettre de s’exprimer. Le séminaire permit à une trentaine de personnes d’être confrontées à 5 initiatives ‘communautaires’ à des degrés divers, avec pour chacune une attention toute particulière au lien entre les actions développées et leur évaluation. Occasion aussi pour l’APES de rappeler sa conception très démocratique de l’évaluation, à la fois participative et négociée.
Vérane Vanexem mit ainsi en évidence le processus permanent d’amélioration de la qualité de l’évaluation dans le travail de proximité de l’asbl Les Pissenlits , active dans le quartier Cureghem (Anderlecht) ; Stéphanie Bednarek décrivit les avancées du projet Ensemble Travaillons Autour de la Petite Enfance, qui vise à la stimulation psychomotrice de jeunes enfants présentant des retards de développement sans cause organique apparente ; Geneviève Everarts nous replongea dans un autre quartier populaire de Bruxelles, les Marolles ; Michel Demarteau n’éluda pas les difficultés pour une institution provinciale de construire un projet d’évaluation participative à la mesure d’enjeux territoriaux importants et impliquant un engagement autre que formel des élus locaux dans la démarche ; enfin, deux membres de l’APES, Cetty Saglimbene et Geoffroy Melen présentèrent la construction d’un outil d’autoévaluation en promotion de la santé à l’école avec les acteurs de la PSE.
Le tout fut commenté avec modestie et pertinence par Bernard Goudet, qui rappela bon nombre d’évidences (pas si évidentes que cela, d’ailleurs, le non-dit, l’implicite faisant souvent des dégâts) tirées à la fois de ses analyses et de sa riche expérience personnelle.
Nous aurons très certainement l’occasion de revenir sur ces questions dans un prochain numéro.
En attendant, nous ne saurions trop vous recommander la lecture du livre de Bernard Goudet. Et si vous souhaitez une première approche on ne peut plus pertinente du concept, lisez aussi le texte remarquable ‘Pratiques communautaires à Bruxelles’, qu’ Alain Cherbonnier vient de publier dans Bruxelles Santé (n° 59, juillet-août-septembre 2010).
Christian De Bock