Le Centre d’éducation du patient a organisé, le 21 octobre dernier, une conférence dont le thème était «Y a-t-il une place pour l’éducation du patient dans les hôpitaux?». Une question qui ne devrait pourtant plus se poser tant l’éducation du patient a démontré son efficacité dans le bon suivi et le bien-être des malades. Le problème est que si elle est organisée et structurée au sein de l’hôpital, elle coûte en temps et en personnel, donc demande des moyens financiers. Aussi dépend-elle non seulement des bonnes volontés des soignants et de la direction des hôpitaux, mais aussi des politiques.
L’éducation du patient regroupe différentes réalités, comme l’éducation à la santé des personnes saines en vue de la prévention, l’éducation à la maladie des personnes malades ou encore l’éducation de ces dernières à leurs traitements.
Cette information peut être dispensée par un médecin externe, généraliste ou spécialiste dans son cabinet, par un médecin hospitalier ou une infirmière, voire par des associations de patients. Nous nous limiterons à la problématique des soignants hospitaliers et à leur situation particulière. Même si la question reste posée pour les généralistes, par exemple, dont le temps de consultation est compté et qui ne sont peut-être pas rétribués comme il le faudrait lorsqu’ils apprennent à un malade à comprendre sa maladie et à la canaliser en dehors des périodes de crise, comme dans le cas de l’asthme.
Poupée russe
« L’éducation du patient pourrait être ‘ personnifiée’ par une poupée russe qui renferme les différents groupes de patients . La plus grande représente l’éducation à la santé du patient . C’est le cas de la femme enceinte par exemple , dans sa relation avec un professionnel de soins . Elle n’est pas malade , jusqu’à preuve du contraire , mais son état nécessite une information pour conserver une bonne santé . Pour le gynécologue , elle n’en est pas moins une patiente dont certains aspects de la vie peuvent nécessiter une adaptation , avec une explication sur cette adaptation », explique Jean-Luc Collignon , directeur du Centre d’Education du patient. Il inclut également dans cette catégorie les patients atteints d’une maladie chronique mineure (eczéma, allergies, hypertension légère) correctement contrôlée et ne nécessitant pas de traitement. « A l’intérieur de cette poupée , on trouve celle qui regroupe les patients atteints d’une maladie chronique qui nécessitent des soins réguliers et répétitifs : c’est l’éducation du patient à sa maladie qui recouvre à la fois la gestion du traitement , l’aspect curatif et la prévention de complications ainsi que la vie avec la maladie ou le handicap . Dans ce dernier cas , le soignant s’intéresse à la façon dont le patient accepte son état et gère ses problèmes au quotidien , incluant les traitements , la prévention des complications et des rechutes , l’impact de la maladie sur la vie personnelle , familiale , professionnelle , sociale , etc . Pour terminer , la plus petite poupée est celle de l’éducation thérapeutique pure du patient , c’est – à – dire celle qui vise à aider le patient à prendre en charge son traitement . Prenons le cas ici de l’asthmatique à qui on apprendra à adapter les doses de médicaments , manipuler l’inhalateur , comprendre le peak – flow , etc . ou le diabétique à qui l’on apprend à contrôler son taux de glucose et à s’injecter son insuline . Autrement dit , les malades chroniques sont formés à l’autogestion , à l’adaptation du traitement aux crises ou aux périodes de latence , pour leur permettre de faire face au suivi quotidien .»
Le but de cette éducation du patient est d’aider le patient, mais aussi son entourage à gérer le traitement et prévenir les complications, tout en maintenant, voire en améliorant, sa qualité de vie. Un complément bien nécessaire aux effets des autres interventions, qu’elles soient d’ordre pharmacologique, de kinésithérapie, diététique ou autres.
Une information sur mesure
« La démarche éducative doit être structurée , adaptée au patient et au contexte dans lequel il évolue , ce qui demande une évaluation de la part du soignant . Elle doit aussi être intégrée aux soins , avec une information et une sensibilisation sur la maladie , ses complications , ses risques , si nécessaire un apprentissage ( comme , dans le cas du diabète , celui de l’injection ), un accompagnement psychologique et enfin un soutien social qui devrait , idéalement , se poursuivre après l’hospitalisation », poursuit Jean-Luc Collignon.
Les soignants doivent aussi toujours garder à l’esprit que même lorsqu’ils font de l’éducation du patient, la relation qu’ils entretiennent avec lui est déséquilibrée. D’une part, le patient reste le malade dans un état d’anxiété, de faiblesse; d’autre part, il y a le soignant, représentant du savoir, donc du pouvoir. Cette relation sera par ailleurs influencée par la représentation que le patient a de sa maladie et des médecins… Malgré cela, il doit participer activement à cette démarche. Aussi faut-il dépasser ce cadre relationnel qui peut constituer un frein, et transformer la relation radicalement, pour que l’éducation du patient passe par le dialogue et la construction d’un projet commun, qu’elle devienne « une démarche basée sur l’écoute , la négociation avec le patient , le transfert de compétences et le partage des responsabilités .»
Mais pour être bien suivie, l’éducation du patient doit avoir un sens pour celui-ci: « Elle n’est possible que s’il y trouve , au présent , un intérêt , une satisfaction , voire du plaisir , s’il peut l’intégrer à ses projets de vie , à son avenir , s’il peut la situer par rapport à son passé , son histoire personnelle et familiale et par rapport à sa culture .» Il n’est pas aisé de conseiller à un gros fumeur d’arrêter de fumer pour éviter le cancer ou toute autre maladie pulmonaire; ou de demander à un cadre habitué des restaurants avec les clients d’adopter une alimentation plus saine… En cas de rejet de la part du patient, le soignant ne doit pas hésiter à se remettre en question. « Si nous prenons l’habitude de questionner le patient sur les informations qu’il reçoit , de réfléchir , de dialoguer , d’argumenter , de rechercher avec lui les autres solutions , il saura aussi mettre en œuvre ces compétences vis – à – vis de nous et de notre modèle éducatif …», conclut Jean-Luc Collignon.
Des blocages institutionnels et financiers
L’hôpital, à côté des médecins généralistes et spécialistes extra-hospitaliers ou des associations de patients, peut jouer un rôle dans l’éducation du patient, notamment lorsqu’ils sont hospitalisés.
Ce moment «idéal» où il peut mesurer les conséquences de comportements inadéquats par rapport à sa maladie le rend peut-être plus réceptif à des messages pratiques de prévention et de bonne gestion de sa maladie. Malheureusement, l’hôpital souhaitant mettre en pratique cette éducation rencontre différents freins dont le moindre n’est pas celui du manque de financement de ses programmes d’éducation du patient, et a fortiori celui d’équipes, généralement d’infirmières, spécialement formées.
Car éducation du patient est synonyme de temps: du temps passé à expliquer au patient, un temps qui a un coût que peu veulent assumer. Selon l’interprétation de chaque niveau de pouvoir, il est possible de se renvoyer sans fin la responsabilité de financer ce «service» pourtant bien utile et efficace. Hôpitaux? Cela relève du fédéral! L’éducation du patient est une mission des médecins généralistes dans le suivi des malades: allez voir à la Région wallonne! L’éducation du patient fait partie de la promotion à la santé? C’est de la compétence de la Communauté française… Les hôpitaux qui ne débloquent pas d’initiative des fonds pour l’éducation du patient n’ont eu, jusqu’à présent, que peu de soutien des pouvoirs publics…
D’autres freins se dressent également, plus liés au fonctionnement. « A l’hôpital , les différents métiers sont encore trop cloisonnés . Il y a trop peu de lieux pour travailler ensemble , trop peu de projets réalisés en interdisciplinarité . Du fait même des différences de statut entre les acteurs de soins impliqués , les uns indépendants et les autres salariés , les logiques de travail sont très différentes ce qui constitue un obstacle important au travail interdisciplinaire . Un autre problème rencontré relève du facteur humain : il est difficile de dégager un coordinateur de projet et une équipe pour le seconder . Certains hôpitaux ont ‘ nommé’ une personne de référence chargée de développer l’éducation du patient . Ils ont tiré profit pour cela de la loi sur les hôpitaux qui permet de confier plusieurs missions aux infirmières chefs de service , comme la gestion d’unités de soins , d’unités médico – techniques , mais aussi de l’art infirmier qui inclut l’éducation du patient . Enfin , on s’en doute , il y a des contraintes d’ordre financier : l’éducation n’est une priorité ni pour le législateur , ni pour les hôpitaux . Les projets qui émanent de personnes individuelles ou de groupes au sein de l’hôpital ont un financement ‘ de bric et de broc’ . Il est donc difficile de mettre en place dans ces conditions des structures dédiées à l’éducation du patient . Alors certains hôpitaux misent sur le sponsoring …», poursuit Francine Duchateau , de l’Intercommunale hospitalière Famenne Ardenne Condroz. Il s’agit d’offrir par exemple aux patients des brochures publiées par l’industrie.
Bon pour l’hôpital!
Alors, les hôpitaux auraient-ils raison de se désengager de cette coûteuse mission pour la laisser à d’autres? Ne pourraient-ils pas y trouver avantage?
C’est ce que croit Benoît Hallet , directeur des Cliniques universitaires de Mont-Godinne: « Un hôpital peut se différencier tant en termes de qualité que de rentabilité par une politique d’éducation du patient », estime-il. En bon gestionnaire, il en a évalué le coût et le bénéfice tant pour le patient que pour l’institution de soins ou pour la santé publique. « Pour les patients , les études sont claires : grâce à l’éducation du patient , on constate une meilleure prise en charge , une plus grande autonomie , par exemple dans la prise des traitements dans le cas notamment du diabète , un exemple type en termes d’éducation du patient .
On constate également une meilleure acceptation de la maladie , une diminution de l’anxiété et aussi une diminution des inégalités face à la maladie . Bref , les choses sont entendues : l’efficacité de l’éducation du patient est claire !», soutient-il.
« Sur le plan socio – économique , le nombre d’hospitalisations est réduit . Par exemple , dans le cas des diabétiques , lorsqu’ils sont bien éduqués à leur maladie , ils ne vont pas attendre pour traiter des débuts d’escarres , par exemple , et ne seront pas hospitalisés . La durée de séjour est également diminuée car on constate chez ces patients une meilleure observance des traitements . Tout ceci a un effet positif sur les taux de morbidité et de mortalité ».
Pour l’hôpital, il a constaté que l’éducation du patient s’accompagne d’une diminution des complications post-opératoires ou post-hospitalisation, de la durée de la convalescence qui, améliorée, induit un absentéisme moindre, donc des coûts indirects plus bas. Cela devrait parler à l’Etat qui peut également s’y retrouver puisque le nombre de ré-hospitalisations est réduit, ainsi que la prise d’antidouleurs, notamment.
Pour obtenir une efficacité optimale, l’éducation du patient doit être dispensée par du personnel qualifié. Et qui dit personnel qualifié dit formation spécifique qui a un coût, de même que le fait de permettre à ce personnel formé de passer du temps avec les patients pour les éduquer. « Les modalités actuelles de financement ne favorisent pas le développement de l’éducation du patient : financement à l’acte , quota minimum de journées et sous – financement systématique du secteur ne permettent pas de voir à long terme . Pour y remédier , il faudrait des financements forfaitaires par patient , des incitants financiers à la diminution de la durée de séjour en hôpital , des incitants à la prise en charge multidisciplinaire ( à travers des conventions Inami et qui peuvent induire des débats entre intervenants pour trouver des stratégies d’efficacité ), des incitants à la mise en place de filières de soins notamment en impliquant les médecins généralistes ou les soins à domicile , et enfin des incitants à la mise en place de réseaux intra – et extra – hospitaliers .»
Il préconise donc de désigner un responsable spécialisé en éducation du patient entouré d’un comité de pilotage, ou de coordination, multidisciplinaire.
Benoît Hallet a évalué le coût d’une pareille structure: 0,05 équivalent temps plein (ETP) par tranche de 20 lits justifiés dans les hôpitaux aigus et par 20 lits spécialisés agréés. Donc 1 ETP pour 400 lits justifiés. « On parvient à un budget d’environ 7 millions d’euros , soit 0 . 03 % des dépenses totales fédérales de santé …» Le tout soumis à un contrôle budgétaire strict.
Mais ces chiffres s’inscrivent néanmoins dans le cadre d’un budget toujours plus critiqué et plus étriqué qui permet peu de marge de manœuvre pour l’engagement de personnel soignant supplémentaire.
Une notion qui fait son chemin
Depuis 20 ans, l’Education du patient (EDP) fait son chemin partout ailleurs en Europe, mais à des rythmes différents. « C’est aux Pays – Bas qu’elle a été le plus développée , avec des critères de qualité importants . Elle est organisée autour de 5 axes : un axe légal comme la loi sur les droits des patients ; un financement important des projets pilote et de la recherche , avec la création de postes de coordinateurs d’EDP dans chaque hôpital et l’engagement d’infirmières spécialisées ; l’introduction de l’EDP dans les critères de qualité des hôpitaux ( en médecine et pour les professions paramédicales ); le développement rapide de programmes de formation des professionnels de soins et enfin , une place importante accordée aux associations de patients », explique Joëlle Berrewaerts , de l’Ecole de santé publique de l’UCL.
On trouve une autre logique en Suisse, où l’initiative est venue des institutions privées, poussées par les associations de patients. Le financement et le remboursement par des compagnies d’assurance de santé a alors suivi, donnant l’impulsion.
En France, des initiatives intéressantes sont menées dans un cadre plus global. Il faut bien avouer qu’en plus d’une reconnaissance de l’EDP par les instances officielles de la santé, on assiste à un début de reconnaissance financière, donc une multiplication des projets expérimentaux.
Joëlle Berrewaerts a épinglé deux projets: le premier concerne huit «pôles de prévention et d’EDP» en Picardie, l’autre la création du «pôle Santé du Douaisis».
Le premier projet relie 8 pôles à Amiens, Laon, Abbeville, Creil, Beauvais, Soisson, St-Quentin et Compiègne, tous créés entre 1998 et 2002. Ils sont financés par l’Agence régionale d’hospitalisation (ARH) et sont centrés chacun autour d’un «hôpital pivot», avec une coordination centrale. « Leur objectif est de renforcer les liens ville – hôpital et le travail de prévention en milieu ambulatoire . Le médecin généraliste y est le pilier de la prise en charge : c’est lui qui réfère ses patients à l’un des pôles et ils lui seront renvoyés ensuite .
Les patients trouvent une équipe pluridisciplinaire de 3 à 9 personnes : médecins , infirmiers , diététiciens , psychologues , podologues , secrétaires , assistantes sociales , chapeautés par un coordinateur responsable du pôle , généralement tous à temps partiel . Ils vont mener des activités de prévention et d’éducation des patients atteints de maladies chroniques – essentiellement , dans ce cadre , les maladies cardiovasculaires . Ils vont aussi coordonner et participer aux actions locales développées dans les champs de la prévention et organiser des actions de formation de soignants aux pratiques d’EDP .»
Ces activités pour les patients passent par un contrat d’éducation thérapeutique qui encourage le patient à assister à des séances d’éducation individuelles ou collectives, suivre une consultation de synthèse et une autre de suivi éducatif. Chaque équipe communique avec les généralistes et les autres professionnels de la santé impliqués, fait participer les patients à la conception et l’évaluation des séances éducatives, fait la promotion de la santé vers le grand public et le personnel de santé, organise des formations à l’éducation du patient… Tous ces pôles se soumettent régulièrement à une évaluation de leur activité.
Par ailleurs, les 8 pôles du réseau restent en contact entre eux par l’échange d’expérience, la diffusion d’informations ou l’organisation de formation continue.
« Ce type de structures a des avantages : il offre aux soignants un service , une aide à l’accompagnement , établit le lien entre ville et hôpital , peut se concentrer uniquement sur la prévention et l’EDP sans se focaliser sur les aspects liés aux soins et permet une prise en charge de plus longue durée que celle proposée lors d’un séjour à l’hôpital . Mais il présente aussi des inconvénients : les pôles se situent dans l’hôpital sans vraiment en faire partie et ne bénéficient pas toujours d’une véritable reconnaissance de l’institution . Certains pôles éprouvent aussi des difficultés à travailler avec certains médecins de ville parce qu’ils manquent encore de crédibilité et de légitimité .»
L’initiative du Douaisis fonctionne un peu comme ce projet, mais se focalise sur les maladies chroniques (diabète, asthme, obésité, hypertension) et les soins palliatifs à domicile. Il est par ailleurs né d’une initiative de professionnels de terrain en partenariat avec les associations de patients. « Ce pôle a créé un Dossier Patient Partagé facilitant les échanges entre soignants . Il octroie des aides financières pour les consommables en soins palliatifs et pour une aide à domicile , propose un site internet avec des référentiels de soins et offre aux soignants la possibilité d’être rémunérés pour des actes d’éducation du patient .»
Ces initiatives ont le mérite d’éviter certains écueils, mais ne doivent leur survie qu’à une reconnaissance politique. Chez nous, point encore d’initiative de cette ampleur. Mais peut-être la Belgique, par son fonctionnement particulier, n’est-elle pas prête, voire pas intéressée par une éducation du patient à l’hôpital?
Carine Maillard
Centre d’éducation du patient asbl (aide méthodologique, production d’outils d’information, évaluation, documentation, formation), rue Fond de la Biche 4, 5530 Godinne. Tél.: 082 61 46 11. Fax: 082 61 46 25. Courriel: cep_godinne@skynet.be.