Qui réalise l’évaluation ? L’évaluation étant un jugement sur valeur d’un objet, il paraît souvent opportun de rajouter que l’on ne saurait être juge et partie. Ainsi, l’évaluation serait idéalement conduite par un observateur externe, position garante de neutralité et d’objectivité. Nous avons, en d’autres lieux, développé les limites de notions de neutralité et d’objectivité en matière d’évaluation (1). Dans ce domaine, le point de vue externe est fréquemment survalorisé.
L’évaluation externe est une possibilité de l’évaluation. Cependant dans le secteur de la promotion de la santé, très peu financé, porté par une grande diversité d’acteurs, dont de nombreux acteurs associatifs, c’est l’évaluation interne qui a connu le plus de développement au cours des trente dernières années. Cette variété est souvent identifiée à de l’autoévaluation. Pour certains, reprenant l’argument juge et partie, parler d’autoévaluation est une manière de tracer une frontière nette entre savoir scientifique, «la vraie évaluation», et savoir pratique, «l’évaluation de convenance».
Cela est bien commode, mais assez faux ! Peut-on imaginer qu’un acteur soit à ce point isolé qu’il puisse pratiquer une autoévaluation totalement autonome ? L’évaluation interne, comme tout acte d’évaluation, s’inscrit dans un contexte social, politique et pratique. Si les acteurs préfèrent tout naturellement les évaluations dont les résultats ont une utilité directe pour orienter et améliorer leurs pratiques, ils ne sont pas imperméables aux priorités des politiques du moment ou aux conditions exigées pour les financements. Et encore, ils sont soucieux de rigueur même si parfois ils manquent d’outils techniques. Et surtout, ils maîtrisent les aspects «micro» de leur projet qu’un regard externe aurait du mal à anticiper.
En effet, chaque acteur développe une connaissance fine de son projet. Une connaissance presque intime fondée sur l’expérience et l’observation. Cette connaissance est fréquemment tout en nuance et en exception, l’écheveau du projet est serré et les motifs complexes. Les réticences fréquentes à utiliser des outils ou des démarches d’évaluation standardisées ne sont pas les manifestations d’un manque de recul par rapport à la réalité de la part des professionnels, mais leur prise en compte d’une réalité qui s’accommode assez mal de subdivisions jugées triviales.
Dès les années 80, la Communauté française de Belgique a investi dans le soutien méthodologique aux démarches d’évaluation. C’est dans ce contexte que l’APES, service aux éducateurs, puis service communautaire de promotion de la santé, a développé diverses formes d’appui et d’accompagnement à l’évaluation interne. « Il s’agit d’accompagner le demandeur dans la définition et la mise en place d’un protocole d’évaluation réaliste de son projet en lui proposant une démarche rigoureuse et explicite de distanciation par la production de nouvelles informations ( nouveaux faits et nouvelles structurations ) dans le but d’améliorer la qualité du projet mené ou à mener ». (définition de l’équipe APES, 1997)
Pour les accompagnateurs, les enjeux d’une telle démarche sont nombreux. Le rôle de l’accompagnateur est tout d’abord de favoriser un décodage du projet et d’éclaircir les attentes par rapport à l’évaluation. Il participe avec les porteurs de projets à l’analyse du contexte et des enjeux de l’évaluation projetée, puis il aide à en définir les priorités et les finalités.
Cette étape passée, l’accompagnateur propose des appuis plus techniques lors du processus de construction de l’évaluation. Il peut reformuler, réorganiser les questions évaluatives, les objets, les critères et indicateurs, proposer des exemples d’outils de collecte et d’analyse des informations, aider à en construire de nouveaux, aider à synthétiser les informations disponibles dans un rapport. Il peut attirer l’attention et anticiper sur certaines difficultés techniques.
Le plus important et le plus difficile demeure de ne pas se substituer aux acteurs. Ces derniers sont aux commandes de l’évaluation, et il ne faut que la compétence de l’accompagnateur, ou sa position, l’autorise à parler à la place des acteurs. Les suggestions, les questions, les avis ne doivent pas être des impositions pour les acteurs. Sans cette précaution, l’autoévaluation dépossède les acteurs de terrain de leur expertise. Elle tendrait même à devenir stéréotypée, l’évaluateur laissé seul reproduisant ses propres schémas, utilisant ses propres conceptions.
Nous présentons ci-après les témoignages de deux associations qui ont placé l’évaluation au centre de leurs préoccupations et qui petit à petit, ont acquis une autonomie dans le traitement des questions d’évaluation. Ces articles explorent comment les acteurs s’emparent de l’évaluation et construisent, à partir de leur expérience, une formalisation de leur cadre de référence en évaluation au service de la qualité de leurs actions. Les modalités d’accompagnement sont différentes dans l’un et l’autre cas, s’adaptant à l’histoire et à la composition de l’une et l’autre équipe, aux mandats et missions qui sont les leurs, et aux compétences spécifiques de leurs membres, et enfin aux contraintes institutionnelles du moment.
Terminons en remerciant les équipes des « Pissenlits » et de « Cultures et santé » et à travers elles tous les autres acteurs qui au fil des ans ont noué un partenariat méthodologique avec l’APES. Les expériences d’accompagnement sont le plus souvent riches de convivialité, d’occasions de nourrir nos propres réflexions et pratiques en évaluation et enfin, de partage d’un projet commun de promotion de la santé pour les populations de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Gaëtan Absil , Marie-Christine Miermans , Chantal Vandoorne , SCPS APES-ULg(1) Absil G, Vandoorne C, Coupienne V, Leva C, Anceaux P, Bastin P, et al. L’évaluation des projets de prévention des assuétudes. L’Observatoire. 2006;51-52: 139-45. http://hdl.handle.net/2268/5284