Pour cette rentrée scolaire, ‘Se mettre à table’, un outil de concertation, est mis à la disposition des écoles qui souhaitent se lancer dans une réflexion collective et systémique pour améliorer l’alimentation à l’école. En effet après avoir enquêté sur la santé à l’école (1) et plus particulièrement la manière dont l’alimentation est abordée en classe et concrétisée dans les boîtes à tartines, les menus des cantines ou les distributeurs… une évidence s’imposait : il faut soutenir ceux qui, dans leur pratique quotidienne, se préoccupent d’assurer une meilleure alimentation pour tous à l’école, sans toujours y parvenir.
‘Se mettre à table’ propose donc de réunir différents acteurs scolaires autour d’une table pour mener une concertation collective. Partant des situations insatisfaisantes vécues dans l’école, l’outil présente une démarche découpée en huit étapes pour aboutir à la mise sur pied d’actions collectives, concertées et cohérentes en matière d’alimentation.
Un processus mis en abîme
Au regard des principes de la promotion de la santé, cet outil s’est construit autour de deux axes complémentaires : le premier concerne le nécessaire travail en intersectoriel incontournable quand on s’attaque aux déterminants de la santé et en particulier à l’alimentation. Le deuxième concerne la préoccupation pour la réduction des inégalités sociales de santé au travers de l’utilisation de l’outil et ses contenus: ce qui sur le plan scolaire peut se concrétiser par plus de travail collectif et de travail en équipe et plus d’exercice de la citoyenneté et de la capacité à être acteur de changement en faveur de la santé.
Cette déclaration de principes faite, la mise au travail a démarré pour Cordes par l’identification des différentes asbl intervenant dans cet esprit dans les écoles, que ce soit de manière directe ou non. Ainsi, une collaboration s’est tissée entre neuf associations (2) pendant presque 3 ans pour co-construire un outil transdisciplinaire, qui aborde le thème de l’alimentation à l’école dans toutes ses dimensions et se fonde sur la concertation pour décider collectivement de changements en la matière.
Cet exercice fut l’occasion de croiser les regards, mutualiser les expériences mais surtout, pour être cohérent avec ces principes de promotion de la santé, il se devait de les appliquer dans le processus de construction de l’outil aussi bien que dans les propositions de fonctionnement qu’il allait offrir.
Vers l’intersectorialité
En amont, lors de la création de l’outil, les partenariats se sont concrétisés entre asbl issues de secteurs différents: la promotion de la santé, l’éducation à l’environnement et au développement durable, l’écologie politique et la citoyenneté, l’action interculturelle, l’alimentation…
Chaque asbl ayant sa propre expérience de travail avec le milieu scolaire, nous avons pu ébaucher un état des lieux de la situation et mettre en avant les problèmes majeurs en matière d’alimentation à l’école: l’aspect financer souvent utilisé comme unique argument pour faire des choix (traiteur, produits mis en vente dans les distributeurs et les petits magasins etc.); la multiplicité de projets parfois sans lien les uns avec les autres et le peu de changements structurels; le manque de corrélation entre les injonctions apprises en classe (pyramide alimentaire par exemple) et la réalité des menus, des repas, des boîtes à tartines, des collations; un grand nombre de projets avortés faute de moyens et de soutien; le focus didactique sur l’équilibre alimentaire et non sur les autres dimensions de l’alimentation…
Ce croisement de regards a donné une vision systémique et complexe de ce qui constitue l’alimentation. En effet, manger et faire à manger n’est pas un acte neutre. Pour s’attaquer à cette problématique, il fallait ouvrir le champ de réflexion, ne pas réduire l’alimentation à l’un ou l’autre de ses aspects mais au contraire, exploiter le thème sous toutes ses coutures, faire émerger les enjeux, analyser les pratiques, qu’elles soient environnementales, économiques, sanitaires, éducatives, écologiques, culturelles dans leurs dimensions individuelles et collectives.
Au vu des différents constats et de l’analyse des situations insatisfaisantes, il est évident que les améliorations ne peuvent pas être réglées par des solutions clés sur porte mais doivent être accompagnées d’une manière originale, particulière pour chaque école. L’objectif s’est donc centré sur la construction d’un outil s’adressant aux adultes éducateurs qui puisse accompagner les désirs de mieux être et mieux faire en matière d’alimentation à l’école… sans pour autant trop diriger, ni fournir de solutions préfabriquées, tout en suscitant des prises de décision collective pour faire participer chacun des acteurs concernés. Fameux programme !
Vers le collectif
Si l’intersectorialité et la transdisciplinarité se retrouvent dans l’analyse complexe de la situation, elles se retrouvent aussi par la diversité des acteurs mis en présence autour de la table tant pour l’étape de construction de l’outil (les associations) que dans la démarche de concertation qu’il propose. Et là encore deuxième mise en abîme, l’outil devait répondre au deuxième principe: favoriser la participation et soutenir un processus de prise de décision collective pour faire de chacun, quel que soit son rôle en lien avec l’alimentation à l’école, un facteur de réduction des inégalités.
La construction de l’outil a constitué une application de ce principe: dans un premier temps, nous avons donné à chacun l’occasion d’expliquer les constats qu’il avait été amené à faire, les lacunes, les manques qu’il avait pu observer dans le milieu scolaire en matière d’alimentation.
Assurant la coordination, Cordes a déployé une énergie certaine pour valoriser l’apport de ses partenaires. Au cours des trois années de collaboration, l’asbl n’a pas sollicité tout le monde de manière identique et égale mais plutôt de manière complémentaire… Un défi de taille que de donner une place à chacun, en fonction de ses envies, de ses attentes et de ses compétences…
Un défi d’autant plus important à relever que c’est une valeur que nous voulions transmettre par et dans l’outil. L’intérêt de soutenir la parole de tous est fondamental. En effet, nous posons un regard qui nous est propre sur le monde. Permettre à chacun de s’exprimer, c’est permettre de construire ensemble une réalité commune, forte des points de vue qui s’enrichissent mutuellement. Cela mène à construire ensemble une vision du monde qui soit au plus près de la réalité: complexe et nuancée.
De même, en aval, au niveau de la démarche proposée dans l’outil ‘Se mettre à table’, on retrouve le même souci de donner aux personnes concernées l’occasion de prendre leur place autour de la table, d’assurer par des moyens simples que tous aient la possibilité de s’exprimer avec leurs visions de la réalité et leurs souhaits en rapport avec l’alimentation à l’école.
‘Se mettre à table’ en 8 étapes
1. Chacun prend place autour de la table, se présente et découvre les autres convives. Les membres du groupe partagent leurs préoccupations et les informations en lien avec la question de l’alimentation à l’école.
2. Le groupe identifie une situation insatisfaisante à travailler en priorité.
3. On cerne le problème, on creuse la situation, on tente d’en extraire les éléments clés, on élargit la problématique…
4. Le groupe définit ensemble la finalité, le changement visé, les intentions du projet.
5. Les participants imaginent, en sous-groupes, des activités et des actions possibles pour mettre en œuvre ces changements.
6. Le groupe examine, en regard de la finalité, la pertinence de chaque proposition.
7. Le groupe élabore un ‘menu’ en planifiant les actions dans le temps et communique ce programme à l’ensemble de l’école.
8. Le groupe se cherche des alliés, des forces vives pour mettre en œuvre le programme d’action… et se lance!
Pour chaque étape, l’outil propose un matériel et une procédure spécifique pour organiser les débats et faciliter la communication au sein du groupe engagé et vers la communauté éducative.
En invitant autour de la table les enseignants, les parents, la direction, le pouvoir organisateur, le cuisinier, les encadrantes, les PMS-PSE, le personnel éducatif, administratif, technique et des représentants des élèves et autres invités par le groupe qui se met à table, l’outil cherche à valoriser chacun dans son rôle à partir de la place qu’il occupe dans l’école et de son lien avec l’alimentation des élèves au sens large; il soutient et légitime l’expression de ceux qui généralement ne sont pas sollicités et leur donne une place importante dans le processus de décision collective. Dans ce sens, la démarche proposée dans l’outil participe à la réduction des inégalités car celles-ci se font ressentir déjà au niveau de la parole et de l’écoute.
En effet, les questions présentes à toutes les étapes du processus de concertation proposé par l’outil garantissent l’expression de points de vue différents, la prise en compte des nombreux aspects qui peuvent régir et influencer une situation.
Les questions adressées aux acteurs ont été pensées pour valoriser les participants: elles sont simples, accessibles et incitatives… Ce sont majoritairement des questions ouvertes pour démarrer les échanges et mieux connaître le rôle de chacun en lien avec l’alimentation et la situation que le groupe choisira de traiter en priorité pour arriver à une décision collective susceptible d’améliorer l’alimentation.
Dès le début, les différents acteurs présents autour de la table sont donc invités à s’exprimer… et cela jusqu’à la fin du processus de concertation proposé dans l’outil. Chaque étape, chaque moment est une invitation à échanger, à dire et à reformuler. Si cet outil s’adresse principalement aux adultes, c’est par l’intermédiaire des enseignants et des pistes pédagogiques proposées que les élèves sont impliqués dans le processus. De même les propositions d’activités simples visent à amplifier la dynamique et faire participer davantage l’ensemble de l’école. Ces différents éléments contribuent selon nous à réduire les inégalités (de parole, d’information et de participation) en matière de santé à l’école qui peuvent avoir des retombées sur l’agir en société et au quotidien.
Construire un outil qui se base sur un processus participatif, de prise de décision collective et qui se fonde sur une approche systémique de l’alimentation tout en expérimentant ces caractéristiques méthodologiques tout au long de sa construction, voilà un des défis de la promotion de la santé que nous avons relevé avec nos partenaires.
Reste à voir dans quelle mesure il sera expérimenté par les acteurs de l’école qui se mettront autour de la table pour améliorer l’alimentation des élèves. Et bien entendu, cela nécessite un ingrédient incontournable, le temps. Temps de se rencontrer, d’échanger, temps pour décortiquer, temps pour ‘com-prendre’ les insatisfactions et les désirs de mieux faire. Puis temps pour imaginer ce qui sera réalisable. Afin d’accompagner ces différents temps, ‘Se mettre à table’ propose une progression balisée en 8 étapes (voir encadré). Chacune à sa manière constitue un pas dans la prise de décision collective.
Si l’outil in fine valorise chacun dans son rôle, en amont, nous avons effectivement dû passer par là. Ce que l’outil promeut se devait d’être appliqué aussi lors de son élaboration… pour un minimum de cohérence et d’honnêteté.
Pour plus de renseignements sur les ateliers d’expérimentation que nous organisons en collaboration avec les CLPS : Coordination Éducation & Santé CORDES asbl , Avenue Maréchal Joffre 75 1190 Bruxelles. Tél.: 02 538 23 73. Courriel: cordes@cordes-asbl.be. Site: http://www.cordesasbl.be
(1) Lire à ce sujet ‘La santé à l’école au travers des pratiques éducatives’, V. Vandermeersch, Éducation Santé n°261, novembre 2010, http://www.educationsante.be/es/article.php?id=1311
(2) Le CBAI, Cordes, COREN , Cultures et Santé, le Début des Haricots, Empreintes, Good Planet, Rencontre des Continents, le Réseau Idée.