Avril 2021 Par Anissa D'ORTENZIO Femmes Prévoyantes Socialistes Réflexions

Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès des femmes en Belgique, devant le cancer du sein. Pourtant, l’imaginaire collectif continue de considérer que la santé du cœur concerne davantage les hommes. Pour comprendre pourquoi ces maladies progressent chez les femmes alors qu’elles reculent chez les hommes, il faut pointer des inégalités de sexe [1] et de genre [2] aux lourdes conséquences sur la santé des femmes. Suivez-nous dans le parcours de soins (des facteurs de risques jusqu’au traitement) d’une femme victime d’un AVC ou d’un infarctus du myocarde, deux exemples parlants pour illustrer ce constat interpellant.

femmesmaladiescardiovasculaires

La prévention : les facteurs de risques

Dès le début, de nombreux stéréotypes de genre entourent les facteurs de risques des maladies cardiovasculaires. Ne considère-t-on pas souvent que ce sont les hommes les principaux consommateurs de tabac et d’alcool, et les femmes qui font plus souvent attention à leur ligne ? Contrairement aux idées reçues, les femmes sont de plus en plus concernées par les facteurs de risques tels que le tabagisme, la consommation d’alcool, le manque d’activité physique, le surpoids, l’obésité et le stress. Les femmes sont aussi plus susceptibles d’être plus vite ou plus gravement impactées par ces facteurs de risques que les hommes car, au niveau anatomique, leur cœur est en moyenne plus petit que celui d’un homme.

En matière de tabac, les hommes ne sont désormais que légèrement plus nombreux que les femmes à fumer (23% contre 21)[3]. Plusieurs enquêtes en France démontrent que les femmes commencent à fumer plus jeunes que les hommes, qu’elles le font plus régulièrement et qu’elles ont plus de difficultés à se sevrer car, pour 60% d’entre elles, la cigarette constitue un « anti-stress » et pour 19%, un « anti-prise de poids »[4].

De manière générale, les femmes consomment de l’alcool plus régulièrement et en plus grandes quantités qu’auparavant mais surtout elles y réagissent plus vite et plus intensément que les hommes, en raison d’un poids moyen moins élevé, mais aussi d’un foie et d’un cœur généralement plus petits.

52% des femmes européennes ne pratiquent pas d’activité physique, contre 40% des hommes [5]. Cela peut s’expliquer par la dévalorisation du sport féminin et par le manque de temps libre, car ces dernières consacrent près de 6 heures par semaine de moins que les hommes aux loisirs. Pourtant, les hommes sont davantage touchés par le surpoids (56,4% contre 47,8% de femmes) et l’obésité (18,8% contre 16,8% de femmes) de manière générale [6]. Il est intéressant de souligner que le poids des femmes fluctue davantage au cours de leur vie, au rythme de périodes de stress hormonal (grossesse, ménopause, etc.).

Les femmes ont en moyenne plus de problèmes d’anxiété, de stress ou de dépression qui peuvent s’expliquer par une charge mentale plus importante au quotidien, un stress professionnel parfois exacerbé par du harcèlement sexuel, ou des conditions de vie précaires (revenus plus faibles, temps partiels prépondérants, métiers « féminisés » dévalorisés, plus souvent à la tête de familles monoparentales, etc.). Ces différentes formes de stress génèrent un risque accru de maladies cardiovasculaires chez les femmes car ils provoquent en moyenne des effets plus importants sur leur système nerveux autonome.

D’autres facteurs transversaux peuvent jouer un rôle, tels que l’origine ethnique et l’âge. Or, les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes mais en moins bonne santé. Ainsi, elles passent désormais 1/3 de leur vie en étant ménopausées, ce qui allonge leur période de vulnérabilité [7] aux maladies cardiovasculaires via une hypertension artérielle et un taux de cholestérol fréquemment plus élevés après 60 ans. La ménopause, comme d’autres étapes de la vie des femmes, est souvent accompagnée d’un traitement hormonal ou d’une contraception hormonale qui favorise des effets négatifs tels que la coagulation du sang et la formation de caillots. La combinaison avec le tabac peut multiplier par 30 le risque d’infarctus [8].

Par conséquent, développer une politique de prévention efficace en prenant le sexe et le genre en considération est très important. Cela constitue un enjeu majeur de santé publique car la plupart (80%) des maladies cardiovasculaires sont causées par des facteurs de risques liés à l’hygiène de vie, sur lesquels il est donc possible d’agir de manière très concrète au quotidien.

L’apparition de la maladie : des symptômes peu (re)connus

Le sexe et le genre influencent le diagnostic d’un infarctus du myocarde ou d’un AVC. Les symptômes de ces deux maladies, bien identifiés du grand public, sont des signaux d’alerte spécifiques chez les hommes mais près d’une femme sur deux ne s’y reconnait pas. Les femmes sont davantage touchées par des maladies dites microvasculaires (à l’opposé des grandes artères coronaires chez les hommes), ce qui provoque des symptômes « atypiques » [9] chez ces dernières. De manière générale, les symptômes chez les femmes sont plus difficilement identifiables, et surtout, mal connus. Prenons le cas d’un infarctus du myocarde : une oppression thoracique, une grande fatigue persistante, des difficultés à respirer, des troubles digestifs, etc. Ajoutons à cela l’idée reçue selon laquelle les femmes sont moins concernées que les hommes par ces pathologies, et cela amène à de lourdes conséquences au niveau de la prise en charge des femmes malades. Tout d’abord, le manque de réaction de l’entourage : il faut en moyenne une heure de plus pour que l’entourage appelle un numéro d’urgence et ce sont rarement les partenaires masculins qui appellent en cas d’accident cardiaque [10]. Cela renvoie à la question du soin aux personnes (« care ») qui reste majoritairement pris en charge par les femmes. Or, les femmes elles-mêmes ont plus de difficultés à réaliser qu’elles sont victimes d’un infarctus du myocarde ou d’un AVC. Dans ce contexte, en cas de malaise elles sont 27% moins susceptibles que les hommes de bénéficier d’un massage cardiaque, alors qu’il est indispensable à la réanimation du cœur [11]. Cela s’explique par la méconnaissance des symptômes mais aussi par la réticence des personnes à toucher la poitrine d’une femme même si elle se trouve en danger. La poitrine féminine n’est d’ailleurs pas prise en compte dans les cours de réanimation cardio-respiratoire puisque les mannequins utilisés sont exclusivement des torses masculins. 

La norme médicale se pense à partir des hommes et cela a des impacts dramatiques sur la santé des femmes.

Une prise en charge à deux vitesses

En réalité, les maladies cardiovasculaires ne concernent pas majoritairement les hommes : elles sont simplement davantage diagnostiquées chez eux ! Ainsi, les femmes malades entament le processus de prise en charge médicale avec deux heures de retard sur les hommes : le temps que l’entourage appelle les urgences. Une fois arrivées à l’hôpital, les femmes doivent en moyenne attendre une heure de plus que leurs homologues masculins avant d’être prises en charge par un·e cardiologue [12]. Le temps d’attente explique un nombre de décès plus important au sein de la gent féminine : entre l’admission aux urgences et la sortie de l’hôpital, le taux de survie atteint seulement 37% contre 55% chez les hommes [13]. 

Le sous-diagnostic chez les femmes s’explique aussi par la méconnaissance de ces symptômes « atypiques » par les professionnel·le·s de la santé : seuls 51.3% des étudiant·e·s en médecine sont conscient·e·s que les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes dans le monde [14].  

Toutefois, les patientes ayant des symptômes « typiques » (c’est-à-dire similaires à ceux des hommes) ne sont pas mieux loties : elles ont trois fois plus de chances que les médecins expliquent leur état par des causes émotionnelles plutôt que par des causes biologiques du type trouble cardiaque [15]. Dans le cas d’une suspicion d’un AVC mineur, les femmes ont 10% de chances de plus de recevoir un tout autre diagnostic : une migraine par exemple [16]. De manière générale, les symptômes présentés par une femme ont plus de risques d’être identifiés comme relevant d’une forme de stress, de dépression ou de fatigue plutôt qu’une maladie cardiovasculaire. Ainsi, les femmes se voient prescrire des anxiolytiques plutôt qu’un rendez-vous chez un·e cardiologue. Le genre d’une personne influence donc le diagnostic posé par un·e professionnel·le de la santé ! 

La prise en charge et la prescription de certains examens sont également inadaptées : une femme aura 40% de chances en moins qu’un homme de se faire prescrire un examen des artères coronaires [17]. De plus, certains examens prescrits, comme l’angiographie, un examen radiologique réalisé au moyen d’un colorant, est inefficace pour le diagnostic de maladies microvasculaires dont les femmes sont davantage victimes. Certains résultats doivent d’ailleurs être interprétés différemment selon le sexe du patient, ce qui n’est pas toujours le cas. 

Les traitements

Une fois la maladie détectée vient l’étape du traitement. Or, trois inégalités de traitement ressortent :

  • les femmes subissent moins fréquemment des interventions dites « invasives » (pacemakers, chirurgie, cathéters, etc.) ;
  • certains traitements sont trop faiblement dosés car on a sous-estimé leur maladie ;
  • et les trois types de médicaments les plus couramment indiqués (dans certains cas de crises cardiaques) sont moins fréquemment prescrits aux femmes. Pourtant, les recommandations européennes ne font aucune différence en fonction du sexe pour la prise en charge médicamenteuse en la matière.

Le rétablissement

Globalement, les femmes ont, en moyenne, plus de difficultés à se remettre d’une maladie cardiovasculaire, quelle qu’en soit la forme. Cela peut s’expliquer par le fait qu’elles reprennent plus rapidement les activités ménagères ainsi que leurs responsabilités familiales. Mais un autre élément qui rentre en ligne de compte est le suivi éventuel d’un programme de réadaptation cardiaque prometteur. Cependant, ce programme est peu connu et le nombre de places y est limité. Seule une femme victime d’infarctus sur cinq y a recours, contre un homme sur trois [18], car ce programme est davantage prescrit aux hommes. De plus, les femmes y ont plus difficilement accès car elles disposent moins souvent d’un véhicule que les hommes et se déplacent donc en transports en commun. Ces dernières ont également tendance à retourner le plus rapidement possible à leur domicile pour prendre soin de leur famille, un rôle qui, encore aujourd’hui, leur incombe principalement.

Conclusion

Les maladies cardiovasculaires sont donc moins bien traitées chez les femmes que chez les hommes, et ce tout au long du parcours de soin. Les femmes ne seraient d’ailleurs que 26% à avoir déjà échangé à ce sujet avec un·e professionnel·le de santé [19]. Une prévention efficace passe donc avant tout par une information et une sensibilisation (campagnes, formation continue, etc.) tant du grand public que des professionnel·le·s du secteur psycho-médico-social. En identifiant mieux les facteurs de risques, les obstacles à la prise en charge féminine, et surtout les leviers à mettre en place pour les limiter, chacun·e aura les clés pour prendre sa santé en main et se prémunir au mieux des maladies cardiovasculaires.

En tant que mouvement féministe, nous ne pouvons que saluer et soutenir la recommandation de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui insiste sur l’importance de la prise en compte des dimensions de sexe et de genre dans tous les domaines de la santé et à toutes les étapes de soins, y compris via les essais cliniques et la généralisation de mannequins féminins pour l’apprentissage des massages cardiaques. Il s’agit là d’un passage absolument nécessaire pour atteindre une société réellement égalitaire.

Tous les éléments mentionnés dans cet article sont approfondis dans l’étude suivante :COLARD Fanny, « Femmes et maladies cardio-vasculaires. Quand une approche non genrée de la santé fait des ravages », Etude FPS, 2019

Webinaire « La santé du cœur, tous égaux ? », organisé par les Femmes Prévoyantes Socialistes, septembre 2020

[1] Lorsque nous évoquons des éléments biologiques liés au sexe d’une personne, le terme « femme » recouvre ici l’ensemble des personnes ayant des caractéristiques physiques féminines pouvant avoir une influence sur les maladies cardiovasculaires.

[2] Lorsque nous évoquons la notion de genre et particulièrement certains stéréotypes pouvant avoir une influence sur la façon dont les maladies cardiovasculaires sont prises en charge, les termes « femmes » ou « hommes » désignent l’ensemble des personnes s’identifiant à ce genre, tant par leur ressenti que par leur expression de genre.

[3] FONDATION CONTRE LE CANCERet GFK BELGIQUE, Enquête tabac 2018, p. 6

[4] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, Cœur, artères et femmes… op. cit., p. 5

[5] COMMISSION EUROPÉENNE, Special Eurobarometer 472. Sport and physical activity. Summary, mars 2018

[6] BELGA, «Un Belge sur deux est trop gros», RTBF Info, 05 février 2019.

[7] La grossesse est également une étape physiologique typiquement féminine qui demande une prise en charge adaptée du diabète de grossesse, d’une potentielle pré-éclampsie, des facteurs de risques d’une grossesse après 35 ans, etc.

[8] Alexandra BRESSON, « Les maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité chez les femmes », Santé Magazine, 29 décembre 2016

[9] On qualifie ces symptômes « d’atypiques » car la norme en médecine et dans la recherche est le corps masculin.

[10] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, Cœur, artères et femmes… op. cit., p. 14.

[11] Emmanuelle JUNG, « Les femmes reçoivent moins de massages cardiaques que les hommes à cause de… leur poitrine », MediSite, 06 juin 2019

[12] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, Cœur, artères et femmes… op. cit., p. 13.

[13] Ibid.

[14] Sylvie LOGEAN, « Les stéréotypes liés aux hommes et aux femmes s’immiscent jusque chez le médecin», Le Temps, 30 janvier 2018

[15] Muriel SALLE et Catherine VIDAL, « Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? Penser la santé au prisme du sexe et du genre », Paris, 2017, p. 38.

[16] RTBF TENDANCE AVEC AFP, « Les femmes sont moins diagnostiquées pour un AVC mineur que les hommes », RTBF Info, 15 juillet 2019

[17] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, « Cœur, artères et femmes… », op. cit., p. 12

[18] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, « Cœur & Femmes », op. cit., p. 9

[19] Ibid.