Octobre 2022 Par Julie LUONG Réflexions

Le Rapport des enfants et des jeunes concernés par la santé mentale en Belgique de l’UNICEF montre qu’un grand nombre d’enfants hospitalisés en pédopsychiatrie ont d’abord cherché de l’aide dans leur milieu de vie mais ne l’ont pas toujours trouvée. Dans un contexte post-covid où la santé mentale des jeunes est plus que jamais fragilisée, une sensibilisation des professionnels de la santé et de l’éducation à cette question semble indispensable. Écouter les enfants, entendre leur souffrance, les orienter : beaucoup reste à faire en matière de prévention.

portrait enfant de dix ans sous la lumière regarde

Dans des sociétés de la performance portées par un désir d’invulnérabilité, la santé mentale demeure un tabou majeur. Cela est d’autant plus vrai s’agissant des enfants, que l’on se plaît parfois à percevoir comme imperméables à la souffrance psychique. Pourtant, les chiffres sont sans appel : selon les dernières estimations de l’UNICEF, plus de 16,3 % des jeunes âgés de 10 à 19 ans en Belgique sont atteints d’un trouble mental diagnostiqué selon les termes de la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé. Une réalité mal connue, difficile, inconfortable qui amène certains d’entre eux à voir s’interrompre le cours normal de leur vie pour un séjour à l’hôpital, lorsque les envies suicidaires, les troubles du spectre autistique ou les angoisses deviennent envahissants. Nul besoin de préciser qu’il faut ajouter à ce pourcentage les enfants qui n’ont pas été diagnostiqués, sans même parler de l’augmentation inévitable des troubles de santé mentale dans un contexte post-covid qui a brutalement bouleversé le quotidien des plus jeunes, favoriser l’isolement et l’exposition à des informations anxiogènes. « 54,8 % des enfants diagnostiqués sont touchés par des troubles anxieux », précise Maud Dominicy, auteure de l’étude et Advocacy Manager à UNICEF Belgique. « Et on ne parle pas seulement des adolescents, il y a aussi des petits, ce n’est pas une question de ‘crise d’adolescence’. » Les facteurs de risque pour la santé mentale que sont la violence et la pauvreté ont eux aussi été favorisés par la pandémie et les confinements successifs. Les facteurs protecteurs que sont une famille élargie soutenante, l’école et les loisirs ont été quant à eux moins présents. Le sujet est donc brûlant et mérite toute l’attention de la société et des pouvoirs publics.

Formuler des recommandations

En Belgique, selon le Guide vers une nouvelle politique de santé mentale pour enfants et adolescents, élaboré dans le cadre de la réforme des soins en santé mentale, « chaque enfant ou adolescent a droit à des soins en santé mentale à la mesure de ses besoins en termes d’accessibilité, d’implication, d’approche positive, d’expertise, de qualité et de continuité. L’efficacité et l’impact sur l’enfant et l’adolescent sont toujours pris en considération lors du choix des soins, qui sont de préférence offerts dans le milieu de vie et d’apprentissage. » L’UNICEF a voulu savoir ce qu’il en était dans les faits, sur le terrain, grâce à un travail de plus de deux ans mené auprès de 150 enfants et adolescents entre 6 et 17 ans hospitalisés en unités pédopsychiatriques de jour ou résidentielles. Une démarche qui s’inscrit dans le projet « What Do You Think ? » (Qu’en penses-tu ?), coordonné par UNICEF Belgique depuis 1999. « À chaque fois, nous sommes allés vers des jeunes en situation de vulnérabilité afin de mener des projets participatifs pendant des périodes de deux à trois ans, précise Maud Dominicy. Des enfants porteurs d’un handicap, touchés par la pauvreté, hospitalisés, en IPPJ, migrants et réfugiés… Tous ceux qu’on entend peu dans les structures participatives et dans le débat public en général. » Les avis des enfants ont été recueillis dans le cadre de débats en groupe, organisés en collaboration avec le personnel soignant et selon différentes modalités ludiques ou créatives (atelier peinture, chanson…) : il a été demandé aux jeunes de dégager des priorités, ce qui a permis de faire émerger une vision collective qui frappe par son ambition, son sens pratique et sa justesse. « C’est très bien d’avoir un cadre légal qui vise à axer les pratiques autour des besoins de l’enfant dans son milieu de vie, mais notre souci était de voir ce qu’il en était dans la pratique tout en remettant les enfants au centre : en tant qu’adultes, nous avons des tas d’idées sur ce qu’il faudrait faire mais, avec ce projet, nous voulions donner la parole aux principaux intéressés. » Les paroles recueillies, fortes et touchantes, donnent vie à ce rapport. Ici, c’est un garçon de 10 ans qui décrit le service de santé mentale de ses rêves comme une tente accrochée dans un arbre ; là, une jeune fille de 16 ans qui dit avoir découvert à l’hôpital qu’elle pouvait se faire des amis malgré ses « petites folies »…  

Faire entendre sa voix

« Notre objectif est vraiment de pouvoir relayer leur parole au plus haut niveau, précise Maud Dominicy, auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, un organe qui surveille au niveau mondial la mise en œuvre de la Convention des droits de l’enfant, y compris en Belgique, et qui remet lui-même des recommandations à l’État belge. Un tel rapport a donc un impact direct au niveau des politiques en Belgique mais pas seulement sur les ministres en charge de la santé. On relaie à tous les niveaux, car la prévention a lieu dans la famille, les quartiers, les lieux de loisir et surtout à l’école, donc on s’adresse à tous les niveaux de pouvoir. » Le premier message de ces jeunes semble évident, mais mérite d’être rappelé : ils demandent à être considérés d’abord comme des enfants, avec les mêmes envies que n’importe quel enfant et pas comme des patients, qu’on ne leur colle pas des étiquettes, qu’on ne les réduise pas à une identité psychiatrique. Trois recommandations principales se dégagent ensuite de ce rapport. La première concerne la participation : les enfants et les jeunes font part de leur souhait d’être impliqués dans toutes les décisions qui les concernent dans la société. Ils souhaitent qu’on les prenne davantage en considération et que les adultes cessent de discuter exclusivement entre eux, en particulier en ce qui concerne leur santé mentale. Car comme le prouve ce rapport, ils ont une voix à faire entendre, une expertise collective à valoriser.  

Trouver une oreille attentive

Le deuxième grand volet de recommandations concerne la prévention. « Ils veulent beaucoup plus de services de proximité au niveau de l’aide et de la prévention, commente Maud Dominicy. Ils aimeraient connaître les lieux qui existent dans leur quartier où ils peuvent obtenir de l’aide de qualité, gratuite, car bien souvent, ils ne savent pas vers qui se tourner. » Les jeunes évoquent aussi largement le tabou lié à la santé mentale, leur sentiment de ne pas pouvoir vraiment exprimer un malaise. « Beaucoup pensent que s’ils avaient seulement pu déposer une parole, ils ne seraient pas aujourd’hui hospitalisés, poursuit Maud Dominicy. Beaucoup ont cherché de l’aide mais ne l’ont pas trouvée. D’autres n’ont pas été entendus par les premières lignes à qui ils se sont adressés, médecins généralistes, psychologues ou enseignants. Ceux-ci n’ont pas pu apporter de réponse ou leur ont simplement conseillé de ‘mordre sur leur chique’, ce qui est assez interpellant… » Des enfants évoquent aussi le besoin d’un soutien apporté à leur famille, qu’il soit social, émotionnel et économique. « Certains ont aussi pointé les questions de violence domestique et rappelé les politiques à leur devoir d’un cadre légal contre la violence domestique à l’égard des enfants, qui n’existe toujours pas en Belgique. » Tous estiment que la sensibilisation aux problèmes de santé mentale devrait avoir lieu à l’école. « Ils donnent l’exemple de la visite médicale où la santé mentale n’est jamais abordée. De même, aller aux PMS reste stigmatisant : ils suggèrent donc que tout le monde devrait peut-être y aller afin que chacun soit sur un pied d’égalité… » Si l’école peut générer des problèmes de santé mentale (rapports de pouvoir, harcèlement scolaire, pression à la réussite…), on sait qu’elle est surtout un lieu de résilience et un facteur de protection pour les enfants qui rencontrent des difficultés psychiques. C’est pourquoi elle apparaît dans ce rapport comme le lieu où les enfants en souffrance pourraient/devraient trouver de l’aide. « Tous disent que l’hôpital doit être le dernier recours et tous font le lien entre le fait de ne pas avoir été aidé dans leur famille, quartier, école et leur situation actuelle », insiste Maud Dominicy. Une aide de première ligne que la réforme des soins en santé mentale pour les enfants et adolescents serait censée garantir… « Imaginez des enfants de 6 ans qui doivent rester parfois plusieurs mois dans une structure institutionnelle, privés de communiquer, de leur routine, de leurs parents, etc. L’admission en psychiatrie est toujours un arrachement. » Qui pourrait être évité dans bien des cas.

Plus de jeu, moins de cloisons

Le troisième volet des recommandations concerne le souhait d’une prise en charge adaptée. Globalement, le rapport montre que les enfants sont déjà extrêmement reconnaissants de la prise en charge qu’ils reçoivent dans les services de pédopsychiatrie. « C’est un point très positif car je pense que si l’on avait fait enquête il y a 10 ou 15 ans, on n’aurait pas eu les mêmes résultats, estime Maud Dominicy. En 2008, nous avions interrogé une cinquantaine d’enfants hospitalisés et nous avions été choqués de la situation des droits de l’enfant dans ces structures, mais depuis, le cadre a évolué au niveau légal, une réforme a eu lieu, un travail de plaidoyer, et aujourd’hui on observe une grande reconnaissance de la part des enfants, même s’ils rapportent aussi quelques cas problématiques avec tel ou tel soignant. » 

Parmi les très jeunes patients, beaucoup pointent le fait qu’ils ne comprennent tout simplement pas les questions qu’on leur pose en thérapie, qu’ils sont mal à l’aise avec l’expression par la parole peu adaptée à leur âge ou à leur problématique. Ils suggèrent des thérapies plus multiples et pourquoi pas plus ludiques… « Ils adorent tous jouer et disent tous qu’ils sont sous pression, que le temps de jeu n’est pas suffisant, pointe Maud Dominicy. Par rapport aux crises que nous traversons, le jeu est d’ailleurs clairement un facteur de protection : dans les crises humanitaires, la première chose qu’on fait est de remettre les enfants en jeu et à l’école car ce sont les premiers facteurs de résilience en termes de santé mentale, même quand le traumatisme est très fort, par exemple en situation de guerre et/ou dans le cas de la perte d’un proche. » Tous disent par ailleurs adorer l’école à l’hôpital… mais aimeraient que l’école ressemble aussi à ça à l’extérieur ! Ils pointent aussi le peu de communication avec l’école d’origine qui favorise les situations de décrochage et complique le retour à la vie « normale ».  

Tous les propos recueillis convergent en somme dans le sens d’un décloisonnement : qu’on autorise plus de contacts avec l’extérieur, qu’on cesse de ranger les individus dans des cases, dans des rôles, de séparer l’esprit et le corps, l’élève de l’enfant… Dans le sens, tout simplement, d’une plus grande ouverture et d’une plus grande disponibilité. « Quand on voit qu’un enfant ne va pas bien, il faut pouvoir être là au moins dix minutes avec suffisamment d’empathie… N’oublions pas que beaucoup d’enfants sont directement concernés mais n’oublions pas non plus qu’un enfant sur 4 vit avec un parent qui a un trouble de santé mentale, ce qui peut avoir des répercussions sur sa santé mentale à lui, rappelle Maud Dominicy. Pour que les enfants aillent bien, il faut aussi que les adultes puissent être aidés. » Une prévention qui passe en premier lieu par l’écoute et l’attention à l’autre, qu’on soit professionnel de la santé, de l’éducation ou simple citoyen.

GSM, Wifi… un hôpital déconnecté ? 

Le téléphone portable est au cœur de nos vies et plus encore au cœur de celles des adolescents. Même si l’on peut déplorer l’addiction qu’il génère chez certains, il est aussi devenu un outil de socialisation incontournable, qui permet à la fois de communiquer avec ses amis, de savoir ce qui se passe dans le monde, d’accéder à de la musique, à des séries, à des vidéos, etc. Au sein des unités pédopsychiatriques, son utilisation est régulée, une privation souvent mal vécue par les jeunes. « Dans certains établissements, la durée d’utilisation du GSM augmente en fonction des progrès thérapeutiques du jeune. Ces restrictions leur font bien sentir la particularité de leur situation », explique le rapport UNICEF. « On ne peut joindre les autres qu’en soirée. Ce n’est pas pareil que la vie réelle », commente un jeune. Dans les groupes de discussions, « on doit parfois attendre longtemps pour répondre aux messages des autres. On doit alors expliquer comment ça se fait. C’est difficile. » 

Plusieurs ados reconnaissent aussi l’ambiguïté du lien avec le GSM. « Un GSM peut inciter des personnes mal intentionnées à vous appeler pour sortir d’ici, explique un garçon de 14 ans. Je ne pense pas qu’on doit autoriser si facilement le GSM dans la chambre. Seulement pour les personnes qui ont atteint une certaine étape. Pour que ça soit motivant. » Au-delà du GSM, c’est l’accès au Wifi (tablettes, PC…) qui est souhaité par de nombreux jeunes. Pour certains, un accès accru à la « connexion » faciliterait grandement leur coopération au travail thérapeutique. « Tout le monde serait plus coopératif si on avait cette motivation. Tout le monde serait plus heureux. Si nous n’avons aucune motivation, pourquoi devrions-nous coopérer ? »

Hôpital animaux admis ? 

Qu’il s’agisse du cheval, du dauphin, du chien, le lien avec l’animal est utilisé depuis longtemps comme support à la thérapie. Mais paradoxalement, les enfants hospitalisés doivent vivre l’épreuve d’être séparé de leur animal de compagnie. Dans ce rapport, beaucoup d’enfants évoquent le crève-cœur que cela représente car l’animal leur apporte au quotidien une douceur et un réconfort physique qui leur permettent de mieux affronter leurs angoisses. « Les animaux me calment quand c’est difficile pour moi, et les animaux se calment aussi quand je suis calme. Les animaux connaissent bien les sentiments. Je caresse les animaux et ils sont calmes », explique un jeune garçon. Nombre d’enfants réclament que les hôpitaux autorisent la présence de ces animaux avec qui ils ont développé un lien de confiance et d’affection privilégié. Ils imaginent aussi une sorte de droit de visite pour les animaux de compagnie. Tous disent qu’un animal dans le groupe de vie « rendrait tout le monde heureux ».

« Rapport des enfants et des jeunes concernés par la santé mentale en Belgique », Rapport « What Do You Think ? », UNICEF Belgique, 2022.  

Télécharger le rapport : https://www.unicef.be/fr/projet-what-do-you-think-sante-mentale