Introduction et méthodologie
L’ASBL Carolo Prévention Santé, le Centre de Dépistage des Cancers du CPAS de Charleroi, la Société Scientifique de Médecine Générale et la Fédération des Associations de médecins Généralistes de Charleroi (FAGC) ont mis en place un projet de ‘développement du dépistage des cancers féminins auprès des populations fragilisées de Charleroi’.
La focalisation sur le public fragilisé est inspirée de plusieurs études qui ont bien démontré qu’il existait une augmentation de l’incidence de certains cancers (comme celui du col de l’utérus) dans les populations fragilisées. Cela peut s’expliquer par la présence de facteurs de risque favorisant cette affection, par une réticence au dépistage et aussi par l’absence de dépistage adéquat.
Le but ultime de ce projet est d’augmenter la couverture des examens de dépistage des cancers du sein et du col de l’utérus. D’une part, le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme (1/3 des cancers); d’autre part, des études épidémiologiques ont montré qu’à Charleroi, il y avait une surmortalité par cancer du col de l’utérus.
Pour ce faire, le projet développe trois axes simultanés:
- la recherche des freins et leviers à un dépistage systématique dans les populations fragilisées;
- l’information/sensibilisation du public concerné et du public relais (assistantes sociales, infirmières à domicile, etc.);
- la sensibilisation des médecins généralistes au suivi des pratiques de dépistage.
Une des actions réalisée dans le cadre de ce projet est une enquête sur les habitudes de prescription, par les médecins généralistes, des examens de dépistage des cancers du sein et du col de l’utérus.
Les objectifs de cette enquête étaient:
- connaître les habitudes de prescription des frottis du col et de mammographies;
- découvrir les freins et leviers possibles à la réalisation de ces prescriptions;
- augmenter la sensibilisation des médecins généralistes aux dépistages des cancers du col et du sein.
Un groupe de travail composé de médecins généralistes, d’un gynécologue, d’une oncologue et d’une licenciée en éducation pour la santé s’est réuni pour mettre au point le questionnaire d’enquête sur base de celui produit précédemment par l’Ecole de santé publique de l’ULB et la Fédération des maisons médicales.
Ce questionnaire a été envoyé aux 434 médecins généralistes constituant la banque de données de la FAGC en mars 2002. Plus de deux cents questionnaires nous ont été retournés dûment complétés, ce qui donne un taux de réponse de 55%. Ce taux est jugé exceptionnel puisque le taux moyen de réponse à un mailing personnalisé sur fichier ciblé oscille entre 0,6 et 4,2%!
Les médecins généralistes qui ont répondu sont majoritairement de sexe masculin (75,3%). Cependant, en comparaison de la répartition par sexe du fichier FAGC, 66% des médecins généralistes femmes ont répondu à l’enquête contre 52% des médecins généralistes hommes.
Résultats
Pour ne pas alourdir la lecture des résultats, nous avons fusionné les réponses par sexe et par type de dépistage, sauf si cette distinction apporte des éléments de réflexion.
Attitude face au dépistage des cancers féminins
Les médecins généralistes femmes semblent avoir une attitude plus active en ce qui concerne le dépistage du cancer du col puisque 50% répondent proposer systématiquement le dépistage à leur clientèle pour seulement 20% des hommes. A charge de ces derniers, 65% déclarent demander ce dépistage régulièrement.
Pour ce qui est du dépistage du cancer du sein, 43% des généralistes le demandent systématiquement et 50% le demandent régulièrement.
Inscription des résultats dans le dossier
Plus de 87% des répondants inscrivent les résultats dans le dossier de leur patiente.
Utilisation d’un échéancier
60% des généralistes masculins n’utilisent pas d’échéancier pour 40% de leurs consœurs.
Procédure de rappel à l’échéanc e
En cas d’utilisation d’un échéancier, plus de 80% des répondants attendent la prochaine consultation. Cette procédure de rappel reste somme toute assez «passive».
Dépistage abordé quel que soit le motif de la consultation
25% des répondants abordent le sujet du dépistage du cancer du col utérin quel que soit le motif de la consultation de la patiente. Pour le dépistage du cancer du sein, la proportion monte: 63% des généralistes femmes et 39% des hommes abordent le sujet systématiquement.
De 30 à 40% des médecins généralistes n’abordent jamais le sujet s’il n’est pas le motif de la consultation.
Attitude préventive lors des visites à domicile
Cette attitude est moins active qu’au cabinet de consultation quel que soit le sexe du répondant et le type de dépistage. Les raisons évoquées sont l’absence de dossier lors des visites à domicile; le lieu inapproprié; le manque de temps et le contact différent à domicile par rapport au cabinet de consultation.
Demande d’examen de dépistage occasionnel
L’initiative vient du médecin lui-même dans plus de 65% des cas, puis de la patiente (plus de 25% des cas), le restant étant incité par les campagnes.
Les 5 raisons principales de ne pas prescrire les examens de dépistage systématiquement
Ce sont, par ordre décroissant de priorité:
- le suivi régulier des patientes par un gynécologue;
- le motif de la consultation ne permet pas d’aborder le problème;
- le manque de temps lors des consultations;
- la proposition systématique mal perçue par la patiente;
- les refus fréquents de la part des patientes.
Que pensent les médecins généralistes des recommandations européennes pour le dépistage des cancers du sein?
Pas de mammographie avant 50 ans
Plus de 60% des répondants considèrent que cette recommandation n’est pas tenable.
Les raisons invoquées sont les suivantes:
- plus de 40% des généralistes ne sont pas d’accord avec cette recommandation;
- plus de 25% des répondants jugent la pression de la demande des patientes trop importante;
- de 14 à 21% considèrent que cette recommandation n’est pas applicable dans leur pratique individuelle.
- de 6 à 10% prescrivent des mammographies avant 50 ans sinon ils pensent qu’un autre praticien le fera de toute façon.
Mammographie tous les deux ans pour le 50 – 69 ans
Plus de 70% des répondants jugent cette recommandation applicable en médecine générale.
Attitude face à un examen radiologique anormal
- plus de 45% de l’échantillon font confiance au radiologue;
- 20% demandent une deuxième lecture des clichés;
- 10% prennent contact avec le radiologue;
- 14% envoient leur patiente chez un gynécologue;
- 7% se fient à leur propre lecture des clichés;
- -3% montrent les clichés à un autre radiologue.
Enfin, les médecins généralistes attendent des radiologues un bilan sénologique complet (39 à 47% des cas); une double lecture des clichés (33%), un bilan radiologique (20 à 29%).
Que retenir de cette enquête ?
En résumé, outre une bonne participation des médecins généralistes de l’entité carolorégienne à l’enquête (55%), les généralistes femmes semblent plus concernées par le dépistage des cancers féminins (66% des femmes contre 52% des hommes). Le dépistage du cancer du sein est plus systématique que celui du col utérin.
L’attitude préventive des généralistes est moins active lors des visites à domicile qu’au cabinet de consultation. L’initiative du dépistage revient dans la majorité des cas aux médecins eux-mêmes, mais dans 25% des cas, la demande émane de la patiente. L’impact des campagnes est modeste.
La majorité des médecins généralistes considère que la recommandation européenne de ne pas prescrire de mammographie avant 50 ans n’est pas tenable dans la pratique de médecine générale.
Enfin, les généralistes attendent des radiologues un bilan sénologique complet.
En conclusion, ces résultats ont interpellé les médecins à l’origine de cette enquête et en réponse à celle-ci, des actions vont être menées dans le courant 2003:
- organisation d’une conférence sur la médecine préventive dans la pratique quotidienne des médecins généralistes;
- réalisation et diffusion d’outils de communication simples et attrayants (dépliant et affiche);
- et enfin l’envoi d’un rappel systématique, aux médecins généralistes, de l’intérêt de pratiquer un dépistage régulier.
Michèle Lejeune , coordinatrice de projets ASBL Carolo Prévention Santé, Dr Fabienne Bastin , oncologue, Centre de dépistage des cancers du CPAS de Charleroi, Dr Jean-Pierre Rochet , médecin généraliste, Président FAGCSi vous souhaitez obtenir le rapport complet de cette enquête vous pouvez le demander au 071-92 53 51 ou en écrivant àcarolo.preventionsante@pi.be.
Cet article est paru aussi sous une forme légèrement différente dans Le Stéthoscope de décembre 2002.