Juin 2023 Par Juliette VANDERVEKEN Initiatives

On ne présente plus PIPSa, le service de Pédagogie Interactive en Promotion de la Santé, son outilthèque pipsa.be et ses fameux ‘coup de cœur’ qu’on relaye au fil de nos numéros. Mais connaissez-vous the new PIPSa ?

En 2023, le projet se réinvente et prend un nouveau virage, pour coller toujours plus aux besoins des acteurs de terrain. En marge des journées La Santé en Jeu(x) qui se sont déroulées fin mars, Lucie Hubinon et Catherine Spièce nous dévoilent la nouvelle silhouette de PIPSa.

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Coup d’œil dans le rétroviseur

L’histoire de l’outilthèque PIPSa remonte au crépuscule du siècle dernier, nous raconte avec malice Catherine Spièce. C’est en effet en 1999, au moment où la Fédération Wallonie-Bruxelles a publié son décret relatif à la promotion de la santé et organise le paysage sur son territoire, que le service de promotion de la santé des Mutualités socialistes – désormais Solidaris – propose un programme autour des outils pédagogiques en promotion de la santé. L’idée est audacieuse et novatrice pour l’époque : un site internet qui recenserait le matériel pédagogique existant et donnerait un avis sur la qualité de chaque outil et son apport à la promotion de la santé. Une grille d’évaluation est alors élaborée avec le soutien de l’APES (devenu ESPRiST entre-temps), des cellules d’évaluateurs avec des experts du terrain sont mises sur pied. Le projet est lancé ! L’analyse des outils pédagogiques existants continue, et ce fut le cas sans discontinuer jusqu’à ce jour.

Au fil des ans, le projet se déploie et PIPSa ajoute à son offre l’accompagnement méthodologique pour créer des outils en promotion de la santé : formations, coaching individuel et en équipe, site www.creerunoutil.be. Accompagnée par la COCOF, l’équipe mène ensuite une enquête portant sur les besoins des acteurs bruxellois en matière d’outils. Elle interroge, au-delà des membres reconnus du secteur de la PS, d’autres associations issues de la médiation scolaire, des services d’alphabétisation, des maisons médicales, etc. Le besoin le plus fortement exprimé par tous : connaître des outils et des processus ludiques (comprenez « relatifs au jeu [1]»). PIPSa fait alors appel à l’asbl LUDO pour dispenser des formations destinées à enrichir la culture ludique des opérateurs afin que les jeux créés dans le cadre de la PS aient un potentiel ludique et de plaisir.  

Un autre constat paradoxal est tiré de cette enquête : d’après les acteurs eux-mêmes, le temps leur manque pour aller emprunter un support pédagogique, qui existe mais qui n’est pas toujours parfaitement adapté à leurs besoins ou leurs publics ; par contre, ils sont plus enclins à créer leurs propres supports pédagogiques. Concevoir un outil prend énormément de temps mais les acteurs estiment que le temps investi dans la création leur permet de s’approprier la matière et l’outil, et de se sentir plus légitimes auprès de leurs publics.

Face au double besoin exprimé par les opérateurs d’enrichir leur culture ludique d’une part, et de créer leurs propres outils d’autre part, PIPSa et LUDO s’associent pour créer le Ludovortex (voir encadré ci-dessous).

Aujourd’hui, à la faveur des agréments et nouveaux programmes en Wallonie et à Bruxelles, PIPSa propose de se donner pour ligne conductrice de favoriser et faciliter l’utilisation du ludique dans la pédagogie en promotion de la santé.

Le jeu, un outil puissant pour parler santé

« Le jeu n’est pas le contraire du sérieux, mais le contraire de la réalité »

Sigmund Freud

Comme l’explique Lucie Hubinon, «le jeu offre la possibilité de vivre des expériences qui sont semblables à celles de la vie réelle, mais en ayant le droit à l’erreur. C’est un lieu où on peut venir interroger et titiller nos représentations. ». Avant d’ajouter : « parler de santé touche à l’ordre de l’intime, voire du très intime avec les thématiques de l’EVRAS, des addictions, de nos comportements et nos habitudes de vie… Quand on est dans un jeu, dans une réalité ‘qui n’est pas le réel’, on peut venir tester, s’interroger et même se tromper».

De plus, le jeu a la capacité de favoriser la motivation et l’engagement, tant des enfants que des adultes, de manière individuelle et collective. Il a aussi la formidable possibilité de (re)créer du lien, d’inciter des démarches participatives… Le jeu est ainsi un outil précieux en promotion de la santé pour augmenter le pouvoir de dire et d’agir des personnes.

Pour autant qu’il utilise à bon escient les ressorts de la ludopédagogie…

Ludopédagogie, vous avez dit ?

Qu’entend-t-on par-là ? Comme l’explique Michel Van Langedonckt [2], la ludopédagogie combine à la fois la pédagogie du jeu, mais aussi la pédagogie des jeux. La pédagogie du jeu fait appel à l’attitude de l’animateur, qu’on appelle l’attitude ludique, et au fait d’appliquer des mécanismes ludiques (« la ludification ») aux apprentissages. Quant à la pédagogie des jeux, elle renvoie à la conception, à l’adaptation et à l’utilisation de jeux à des fins pédagogiques.

En faisant appel au concept de la ludopédagogie, PIPSa entend soutenir les acteurs de terrain sur ces différents axes

« Tous les jeux ne sont pas ludiques »

Cette affirmation va à l’encontre de la définition proposée dans les dictionnaires, mais comme nous l’expliquent Catherine Spièce et Lucie Hubinon : « notre postulat de départ est qu’on apprend mieux avec le plaisir. Certains jeux sont des ‘faux jeux’. C’est une stratégie qui utilise le jeu en pédagogie… mais qui n’a de jeu que le nom. Tandis qu’il existe des jeux, parfois très simples, à fort potentiel ludique. Nous souhaitons partir de ces jeux pour que les acteurs et animateurs puissent se les approprier et développer des contenus liés aux thématiques de santé ».

C’est donc lié au premier axe de la pédagogie des jeux : la création, l’adaptation et l’utilisation de jeux existants à des fins pédagogiques.

Une question d’attitude aussi

Le second axe quant à lui porte sur l’attitude et les mécanismes ludiques. « Même si on est convaincu de la puissance du jeu comme outil de prévention et de promotion de la santé, ça ne signifie pas qu’on soit à l’aise avec la posture ludique », renchérit Lucie Hubinon. Le développement de l’attitude ludique renvoie tant à l’animateur qu’à l’environnement qui soient suffisamment accueillant et bienveillant pour inviter le plaisir.

Le plaisir du jeu et dans le jeu

Le plaisir : voici justement un élément qui est revenu dans la bouche de tous les intervenants lors des deux matinées La Santé en Jeu(x). Olivier Grégoire (Ludeo) l’exprime ainsi : « Ce n’est pas parce qu’un outil a des cartes ou un dé que c’est un jeu. En tant que professionnels du jeu, l’idée est plutôt de ramener le tout à la notion de plaisir. S’il n’y a pas de plaisir, il n’y a pas de jeu. Notre outil, ce n’est pas le jeu, c’est le plaisir de jouer ! ».

Et d’ajouter ensuite « pour le dire de manière provocante : on peut détruire un groupe avec un jeu coopératif, tout comme on peut souder un groupe avec un jeu compétitif. La compétition peut être porteuse si elle est amenée dans un but de plaisir, de décalage, si elle est bien encadrée.»

Les recommandations d’experts du jeu

Quels sont les freins et les leviers pour augmenter le pouvoir de dire et d’agir des personnes par l’entremise du jeu ? Voici la question substantielle qui était posée aux intervenants de La Santé en Jeu(x). Voici un florilège de recommandations tirées de l’expérience de professionnels du jeu.

« Partir des questionnements et des envies du public », commence Mathieu Blairon, de l’AMO TTC Accueil. « Mon retour de la pratique, quand on veut construire un instrument de prévention par le jeu comme en EVRAS avec des adolescents, est avant tout de partir d’expériences positives et de leurs envies plutôt que de partir des peurs des animateurs ». D’ailleurs, c’est important « la manière d’entrer en jeu pour un animateur : ne pas adopter une posture d’expert mais se mettre à la hauteur des personnes avec lesquelles on travaille », renchérit Véronique Joris de l’asbl Le Grain.

« Avant de jouer pour apprendre, il faut réapprendre à jouer. »

Quentin Daspremont , Ludo-Social

Trouver l’équilibre entre l’objectif pédagogique et le plaisir est un frein important à lever, selon Thibaut Quintens (Seriously Fun et Acting Games). Ne pas rester braqué sur le message qu’on veut faire passer, mais se focaliser sur un seul objectif, un message simple… le reste suivra, et beaucoup plus de choses se diront et se vivront qu’anticipé au départ. « Au-delà même du plaisir, cherchez à maximiser l’expérience humaine, favorisez le relationnel et créez un souvenir ! », insiste enfin Quentin Daspremont (Ludo-Social).

PIPSa dans l’avenir

Forte de ces notions et de ces recommandations, PIPSa a désormais comme objectif, d’une part, de « faire sortir les jeux de l’enceinte de notre outilthèque », explique Catherine Spièce, et aller les présenter davantage auprès des intervenants de première ligne qui les utilisent ou pourraient les utiliser. « Ceci nous permettra aussi de proposer ce qui touche au développement de l’attitude ludique ».

D’autre part, un autre objectif est d’aller (re)créer du lien social et du collectif, de favoriser et promouvoir l’intersectorialité. Regrouper différents acteurs autour d’outils ou de thématiques particulières permettra de les rassembler, de favoriser les échanges et les pratiques. PIPSa souhaite davantage encore devenir un point de liaison entre les acteurs de première ligne, mais aussi un acteur de liaison entre le ludique, le pédagogique et la santé.

Ludovortex: Vingt mille jeux sous les mers

Créé par l’asbl LUDO, en partenariat avec PIPSa, le Ludovortex est un jeu de cartes « couteau suisse » destiné à concevoir, adapter, analyser, animer ou encore débriefer des jeux ! Il est composé de 8 catégories de cartes correspondant aux différents éléments constitutifs d’un jeu :

  • Matériel (« Ce avec quoi on joue »)
  • Animation (le processus de mise en jeu),
  • Déterminants (les notions incontournables),
  • Mécanismes (les actions qui se répètent en cours de jeu),
  • Compétences (les aptitudes sollicitées dans le jeu),
  • Structures relationnelles (« ce qui conditionne les interactions ») ,
  • Expérience (le vécu du joueur),
  • Débriefing (la mise en commun faisant suite au jeu).

Le Ludovortex facilite l’articulation des mécaniques ludiques et des compétences à mobiliser pour atteindre les objectifs de prévention et de promotion de la santé.

Pour le découvrir, le tester, apporter des suggestions pour le faire évoluer ou l’acquérir, rendez-vous sur : www.ludovortex.games.

Pour en savoir plus, rendez-vous sur https://www.pipsa.be

[1] Définition le Robert

[2] Michel Van Langedonckt,

« La ludopédagogie au cœur des apprentissages des secteurs éducatif, social et de la santé », revue Eduquer n°175, La Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente, janvier 2023