Décembre 2013 Par Anne-Sophie PONCELET Initiatives

Au début du mois de juin, j’ai eu l’opportunité de participer aux 8es journées de la prévention organisées par l’Institut national français de prévention et d’éducation pour la santé (INPES). Trois jours à Paris, qui plus est à Saint-Germain-des-Prés, cela ne se refuse pas! Je n’étais pas la seule à le penser, puisque pas moins de 1200 personnes ont assisté aux 123 présentations, 7 sessions et 5 ateliers qui ont rythmé ces journées…

Cette année, la santé publique et l’économie de la prévention ont été largement abordées au cours de cet événement important pour les acteurs de la promotion de la santé. Ces notions prennent d’ailleurs une teinte particulière en ces temps de crise économique. Elles soulèvent également l’enjeu majeur de préserver le fondement éthique de toute action de prévention en respectant la singularité de l’individu.

Le copieux programme nous proposait le premier jour la prévention et promotion de la santé chez les jeunes, ensuite différentes thématiques (prévention de la consommation d’alcool pendant la grossesse, bienfaits de l’activité physique, actions favorisant le bien vieillir ou encore hôpitaux promoteurs de santé) et pour terminer en beauté un colloque scientifique international sur l’économie de la prévention.

Ouverture : penser complexe

Than Le Luong, directrice générale de l’INPES, a introduit l’événement en insistant sur le besoin d’inscrire la prévention dans une vision qui considère l’être humain dans toutes ses dimensions et laisse place à la complexité.
Construire des environnements et des politiques publiques favorables à la santé, améliorer l’offre de prévention là où vivent les gens, permettre aux personnes de faire leurs propres choix au quotidien pour leur santé et, enfin, réduire les inégalités sociales de santé, doivent être les lignes conductrices de nos actions. Pour ce faire, il nous faut innover et nous remobiliser en permanence, les journées de la prévention étant là pour nous y aider.

Marisol Touraine, Ministre française des Affaires sociales et de la Santé, a ensuite pris la parole pour évoquer la nécessité de faire une place plus grande à la prévention. Mais aussi celle de reconnaître les limites des campagnes d’information qui, si elles permettent d’éveiller les consciences, ne suffisent pas toujours à diminuer les comportements à risque. Il faut donc mettre en place de nouvelles stratégies qui soient adaptées aux publics et inscrites dans la durée pour que les messages soient intériorisés et modifier le cas échéant les comportements et habitudes néfastes à la santé. La Ministre a clôturé son discours en soulignant sa volonté de développer une approche économique de la prévention afin de lutter contre les inégalités sociales de santé et de renforcer le transfert des connaissances entre les acteurs de terrain et les décideurs pour que ces derniers puissent disposer de données les aidant à la prise de décisions.

C’est enfin Riel Miller, Chef de la Prospective à l’Unesco, qui acheva l’introduction en plénière. Selon lui, la santé implique une réflexion sur le futur. Il nous faut l’imaginer autrement et aller au-delà de nos pensées traditionnelles et parfois simplistes. Que ce soit la façon de voir le monde présent ou la façon de cadrer le futur, il est nécessaire de dépasser une vision déterministe en faisant preuve d’imagination, de créativité mais aussi d’anticipation. En effet, c’est en osant penser le futur que nous pouvons changer notre présent.

Prévention et promotion de la santé des jeunes

Adolescence : état des connaissances

Plusieurs sessions et ateliers étaient ensuite possibles. Parmi la variété des thèmes proposés (prévention des risques auditifs, climat scolaire, pratiques préventives en médecine générale, aide alimentaire, etc.), j’ai choisi celui-ci : «Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ?», dont l’intitulé m’a interpellée : doit-on sensibiliser les adolescents à la prévention ou doit-on, comme action de prévention, les sensibiliser ? Est-ce l’objectif visé ? Peut-on parler de stratégie ? Les réflexions sont ouvertes !

C’est Patrice Huerre, pédopsychiatre, qui a commencé la session avec un exposé riche de sens sur les comportements des jeunes.

Il a d’abord mis en garde quant aux représentations souvent erronées que l’on peut avoir à propos des jeunes. Pour 75% des adultes, les ados sont insouciants, ne se préoccupent pas de l’avenir et s’ennuient alors que 75% des ados se sentent responsables, se préoccupent de l’avenir et s’amusent. Un fameux écart !

Avoir des à priori négatifs envers les jeunes n’est pas nouveau alors que les jeunes d’aujourd’hui vont globalement mieux que ceux de la génération précédente. Par contre, l’écart qui se creuse entre ceux qui vont bien et ceux qui vont moins bien est plus récent.

Dans une époque où l’on cherche à tout prix des réponses mais où l’on évite pourtant souvent les questions, quels sont les constantes et changements chez les jeunes d’aujourd’hui ?

Parmi les constantes : le corps qui change, le besoin d’appartenance, les relations privilégiées avec les pairs, les attentes vis-à-vis des adultes, le besoin de transmission (s’inscrire dans une histoire, une filiation) et enfin, le besoin d’exploration (qui peut amener à des prises de risque).

Parmi les nouveautés : le nombre accru de sollicitations et ce dès le plus jeune âge. Cette hyperstimulation précoce tend à effacer la période de latence (de 6 à 11-12 ans), ce qui amène les enfants à se comporter très vite comme des pré-ados et à rechercher alors des stimulations ou pour certains, à se retirer socialement. Une autre grande nouveauté est l’arrivée du numérique dont l’usage modéré est un signe de bonne santé. À contrario, un usage faible ou excessif est un indicateur de moins bonne santé chez le jeune.

In fine, si les adolescents cherchent toujours les adultes pour avoir des repères et se construire, il est important de tenir compte des évolutions et de réhabiliter l’enfance en créant des espaces de jeux et de créativité. Pour imaginer l’avenir, il nous faut donc éviter de rejeter la nouveauté mais bien accueillir la surprise et penser comme des artistes plutôt que comme des prévisionnistes.

Yaëlle Amsellem-Mainguy, sociologue, chargée de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) a quant à elle dressé un portrait plus sociologique des 15-30 ans (1).

Les jeunes quittent aujourd’hui leurs parents plus tardivement (en moyenne à 23 ans) alors qu’ils ne peuvent pas souvent être tout de suite indépendants financièrement (ex. besoin des parents pour un crédit).

Ici encore est évoqué le hiatus qui existe entre les représentations qu’ont les adultes des jeunes et ce que les jeunes disent d’eux-mêmes. Ainsi, les amis, le travail et la famille sont les domaines prioritaires cités par les 18-29 ans, qui cherchent également en premier lieu à se réaliser et à s’épanouir alors que certains adultes pensent qu’ils sont d’abord attirés par les biens matériels.

Dernier constat évoqué, peu surprenant : les jeunes montrent un intérêt important pour Internet et les réseaux sociaux et lisent beaucoup plus que les adultes ne croient (voir l’énorme succès des mangas ces dernières années).

La session s’est ensuite orientée vers le marketing marchand avec Adrien Taquet, conseiller en communication, qui préconise de s’inspirer des techniques marchandes pour mieux faire coïncider l’offre et la demande en matière de prévention.

Selon lui, trois spécificités au secteur social sont à prendre en compte : celles liées à l’émetteur (utilisation de médias plus ciblés ainsi que des mass médias pour toucher un large public et jouer sur les politiques); celles liées aux objectifs poursuivis (information sur les risques et accompagnement des changements de comportement) et enfin, celles liées à la cible (les jeunes).

Il estime que l’intérêt d’emprunter aux techniques de la communication commerciale est double : d’abord ne pas laisser le terrain aux marques et ensuite utiliser l’expertise de ces marques pour s’adresser aux jeunes.

Il s’agit par là de s’adapter à la cible en adoptant ses codes et ses modes de consommation des médias pour être ainsi en phase avec sa réalité de vie et les moments où ont lieu les comportements à risque. Et l’intervenant de préciser que cela nécessite d’être en contact avec les acteurs de terrain.

Ouf, à ceux qui craignaient que la doctrine marchande ne remplace la connaissance et la compréhension du public in situ, les voilà rassurés (ou pas, l’intervenant ne cachant pas l’orientation commerciale de sa pratique professionnelle).

Faire passer le message : partage d’expériences

L’après-midi fut l’occasion de présenter cinq expériences innovantes de communication auprès de jeunes.

• ‘Alcool ? Connaissez vos limites’, une campagne allemande avec un plan de communication conséquent pour diminuer les excès d’alcool.
• Une série de mangas pour dénormaliser la consommation de tabac auprès des mineurs.
• Auvernight, un projet intégrant l’envoi de SMS de réduction de risques aux moments festifs avec tirage au sort des numéros mobiles inscrits, voyage à Miami à la clé.
• «Sexe et loi», une brochure en ligne d’information et de prévention sur la sexualité pour les ados et leurs parents.
• Le site http://www.onsexprime.fr avec une websérie «PuceauX !», créé par l’INPES pour encourager les jeunes à poser ouvertement leurs questions sur la sexualité.

Avec plus ou moins de moyens, tous ces projets ont en commun d’avoir développé une communication puissante, virale essentiellement. Pourtant, ce type d’approche de la prévention a aussi ses limites. Au-delà des moyens financiers considérables pour la mettre en œuvre, l’utilisation du web ne peut pas faire fi des relations interpersonnelles et doit donc être complémentaire aux actions de terrain.

Cela dit, la promotion de la santé étant indissociable de la participation des publics, l’utilisation des nouvelles technologies apparaît comme un levier intéressant et sans doute déjà inéluctable pour rencontrer les jeunes et cerner au mieux leurs besoins.

Résister à la tentation…

Rechercher des informations en prévention et promotion de la santé

Parmi la diversité des thématiques proposées le deuxième jour, un choix s’imposait. Bien que travaillant en santé dans une logique collective, j’ai pourtant choisi (de manière éclairée) de faire passer mon intérêt privé avant de me soucier de l’intérêt public, c’est-à-dire celui du lecteur d’Éducation Santé !

L’atelier «Rechercher des informations en promotion de la santé» m’a ainsi permis de me familiariser avec les bases de données spécialisées en prévention et promotion de la santé disponibles en ligne. Chaque participant disposait d’un ordinateur pour mettre en pratique les quelques balises données par les responsables de la documentation de l’INPES.

Sport et activité physique

Contrairement à ce qui avait été compris par la plupart des participants, l’atelier du jour ne durait que… la matinée. Malgré une envie irrésistible de prolonger ma sieste digestive dans les Jardins du Luxembourg, j’ai décidé d’aller voir ce qui se disait dans la session sur le sport et l’activité physique.

Les deux premières tables rondes étaient consacrées aux personnes en situation de handicap ainsi qu’aux personnes incarcérées, ce qui, sans contester leur intérêt évident, s’éloignait un peu trop de ma pratique professionnelle. La dernière table ronde, «Rôle, responsabilité, compétences des éducateurs/entraîneurs sportifs pour une pratique promotrice de santé» a permis de présenter trois expériences françaises. Mais rien de transcendant n’en est ressorti si ce n’est un rappel des bases de la promotion de la santé (développer les compétences psychosociales et la résistance face à la pression sociale, renforcer l’éducation à la santé et le recours aux pairs, etc.).

À l’issue de cette session, je l’avoue, cette pensée m’est revenue : j’aurais dû prolonger ma sieste dans les Jardins du Luxembourg…

L’économie de la prévention

Nous y voilà enfin au colloque scientifique international annoncé fièrement par la directrice de l’INPES lors de l’ouverture des journées.

Pour commencer, Théo Vos, chercheur à l’ Institute for Health Metrics and Evaluation (Université de Washington), présenta une recherche menée en Australie pour évaluer le rapport coût-efficacité de la prévention (Assessing Cost-Effectiveness Approach).

En effet, les dépenses de santé ne cessent d’y augmenter comme chez nous, une simulation estime même que le coût évalué en 2003 à 28 milliards pourrait croître jusqu’à 178 milliards en 2033. Les deux maladies pour lesquelles l’incidence est la plus élevée sont le diabète (celui lié à l’obésité étant le plus dispendieux) et les troubles neurologiques. Mais le scientifique rappelle que ces prévisions sont à prendre avec précaution et qu’elles doivent être vues davantage comme des occasions d’améliorer la trajectoire actuelle.

À partir de modèles théoriques et de méthodes standardisées dont les résultats sont mesurés en DALY (2), la recherche a évalué une série de mesures pour différentes problématiques de santé (alcool, inactivité physique, cholestérol, alimentation déséquilibrée, etc.), le tout grâce à un budget qui fait envie de 2,5 millions de dollars australiens, soit environ 1,7 million d’euros.

Les conclusions rapportent que les mesures les plus rentables et les plus efficaces en termes d’impact sur la santé sont, notamment, l’augmentation de la taxe sur les produits (alcool, tabac, nourriture malsaine) et la réglementation (ex. limitation du taux de sel dans les céréales et le beurre) mais aussi le traitement médicamenteux pour prévenir certaines maladies. Par contre, le rapport coût-efficacité des interventions ciblées sur les changements de comportement est faible et leur impact semble limité.

Une autre analyse, internationale cette fois, a ciblé le rapport coût-efficacité dans le domaine de l’obésité plus spécifiquement. Celle-ci a été rapportée par Michele Cecchini, travaillant pour l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Au total, huit interventions de trois types (éducation/promotion de la santé; réglementation/fiscalité; système de soins primaires) ont été évaluées. Il en ressort que la prévention est un moyen efficace et rentable pour améliorer la santé de la population, qu’elle peut faire baisser les dépenses de santé et améliorer les inégalités sociales de santé, mais pas à un degré élevé.

Ce sont les stratégies combinant les approches populationnelle et individuelle qui fournissent les meilleurs résultats.
Le projet européen Data Prev a ensuite été présenté par David McDaid, de la London School of Economics and Political Sciences . Cette revue de la littérature démontre l’impact de la prévention sur la santé mentale, à travers la synthèse d’une série de programmes de promotion de la santé mentale et de prévention des troubles mentaux (evidence-based).

La dernière intervention de la matinée, consacrée à la prévention du VIH en Afrique subsaharienne, a notamment pointé le fait que les coûts sociétaux occasionnés par le VIH y étaient sous-estimés. En outre, que ce soit dans les pays à faible ou à haut revenu, les actions telles que cibler les groupes à risque, promouvoir le préservatif, et faciliter l’accès au traitement sont à poursuivre.

N’ayant pas pu assister aux interventions de l’après-midi (non pas pour une sieste mais pour reprendre mon TGV), je m’en tiendrai à conclure par ce qui est ressorti principalement de cette dernière journée.

En dépit des spécificités propres au contexte (pays, région, projet), plusieurs points semblaient se dessiner à travers les différents exposés sur l’économie de la prévention.

Tout d’abord, l’impact positif de la taxation et de la réglementation sur les comportements de santé, mesures qui pour de nombreux acteurs du secteur de la promotion de la santé sont à manier avec précaution, car elles entravent la liberté individuelle et la capacité de choix de chacun.

Ensuite, la pertinence d’une approche multidisciplinaire et de la combinaison de différentes stratégies, ce qui, sur ce point, rejoint la logique de la Charte d’Ottawa. Dans la même lignée, la nécessité que tous les acteurs concernés s’engagent et s’impliquent pour potentialiser les effets des actions entreprises.

En définitive, la prévention est un enjeu majeur pour contribuer au bien-être et à la santé des individus, et devrait donc être considérée comme tel par les pouvoirs publics pour orienter les actions et décisions. Nous le savions déjà, mais il est toujours utile de le répéter !

Quant au concept très en vogue d’économie de la prévention, à travers tous ces chiffres qui attestent de son intéressant rapport coût-efficacité, il nous ramène finalement à l’adage déjà bien connu «mieux vaut prévenir que guérir»…

Pour le détail des interventions (lien vérifié le 4/11): http://journees-prevention.inpes.fr

(1) Anne Le Pennec y reviendra prochainement dans nos colonnes.
(2) Le DALY ou Disability-adjusted life year est un outil destiné à mesurer la santé et le handicap.