Il y a 30 ans, une première loi qui dépénalise partiellement l’avortement voit le jour en Belgique. Une avancée majeure pour les droits des femmes et pourtant, trois décennies plus tard, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) fait toujours face à de nombreux défis. Entre autres : l’intérêt en berne des étudiant.e.s en médecine pour cet acte médical.
À la demande de la Fédération Laïque des Centres de Planning Familial (FLCPF), la réalisatrice Coline Grando a tourné sa caméra vers dix médecins généralistes et gynécologues, afin de recueillir leur parole sur ce qui les motive, leur façon d’aborder l’IVG, leurs peurs… Le résultat : 27 minutes tout en douceur et en bienveillance, mais aussi chargées d’émotions et de convictions, à l’image de ces professionnel.le.s de santé engagé.e.s. Intimiste, le documentaire se centre sur les grandes questions qui animent la pratique de l’avortement au travers de plans face-caméra, imbriqués les uns dans les autres pour former un tout d’une grande force. La FLCPF entend utiliser cet outil pour sensibiliser le corps médical, à commencer par les étudiant.e.s en médecine, à cette thématique. L’asbl a organisé une projection du film suivie de discussions (virtuelles) avec certains intervenants ainsi que la réalisatrice. Education Santé l’a vu pour vous1!
L’avortement, hier et aujourd’hui
Les médecins et gynécologues ayant débuté leurs pratiques il y a plusieurs décennies se souviennent de Willy Peers, de la loi qui a dépénalisé partiellement l’avortement -certain.e.s ont commencé à travailler quand c’était encore interdit-, d’un avenir prometteur et de l’espoir d’en finir définitivement avec les horribles avortements clandestins dont ils ont parfois été les témoins. S’ils reconnaissent que ces avancées ont permis de libérer un peu la parole autour de l’IVG, ils en regrettent l’effet pervers : une diminution des centres de planning dans lesquels on réalise cet acte. “Puisque c’était autorisé, cela se ferait désormais partout ”, pensait-on. Ce ne fut pas le cas. Actuellement, nous connaissons une pénurie de médecins qui pratiquent l’avortement.
Willy Peers est un médecin belge, figure de lutte pour la légalisation de l’avortement en Belgique dès les années 50. Il pratiquera des IVG illégales à l’hôpital de Namur, ce qui lui vaudra un procès, connu encore aujourd’hui sous le nom de “L’affaire Peers”. S’ensuivra une énorme mobilisation ainsi que plusieurs manifestations pour la libération du Dr. Peers, qui seront considérées comme le déclencheur de la création d’un mouvement plus important en faveur de la dépénalisation de l’avortement.
Pour la FLCPF, « Il reste nécessaire de sensibiliser les médecins et les étudiant-e-s du secteur psycho-médico-social à cet acte de santé publique, ainsi que d’améliorer la prévention et l’information relatives à la contraception et à l’IVG. »
La bienveillance comme dénominateur commun
« Je pense que c’est la moins mauvaise solution. Mais la demande n’est jamais légère. », témoigne l’une des personnes interviewées dans le film. Le vécu des femmes derrière l’acte médical est au centre des préoccupations de ces médecins. Ils rappellent leur rôle de conseil (et la notion de consentement éclairé), de soutien, mais aussi l’importance d’être capable d’éviter le jugement. Une gynécologue témoigne : « La petite nana qui vient pour sa 3ème IVG, il faut être capable de l’accueillir sans la juger ou le lui faire sentir ». Un autre insiste :
« C’est un devoir pour moi de le faire. Je ne peux pas me dire que dans mon métier je ne ferai que des choses heureuses. Cela fait partie de notre devoir.»
Souvent l’accompagnement va de la puberté à la ménopause révolue, en passant par une grossesse, ou plusieurs, ou pas du tout, un avortement ou non. Le médecin suit sa patiente à travers toutes les étapes de sa vie de femme. Certains estimant d’ailleurs que leur présence lors d’une IVG est plus importante que lors d’un accouchement.
L’image de l’IVG
Un médecin nous apprend qu’aujourd’hui, pratiquer un avortement est parfois vu comme une punition par les étudiant.e.s en médecine. L’acte serait-il considéré comme moins noble qu’un accouchement ? Un intervenant raconte aussi que l’image globale des centres de planning familial et médicaux qui pratiquent l’IVG est souvent biaisée. « On a tendance à croire que l’avortement est dramatique alors qu’en réalité c’est un soulagement après la prise en charge !» Un acte important, qui met en évidence le poids de la présence de la soignante ou du soignant auprès de son ou sa patient.e. Pour être libre de faire ce qu’elles désirent de leur corps, les femmes ont besoin de leur assistance. Une intervenante mettra des mots sur cette idée : « En fait, on doit faire ce que les femmes voudraient pouvoir faire seules et qu’elles ne peuvent pas. Le faire pour elles. Ma collègue disait « Je suis les mains des femmes ».»
La réalisatrice Coline Grando nous avait déjà habitué à ses films engagés et épurés, tout en plans rapprochés, avec « La place de l’homme » et « Un truc de meuf », sortis en 2017. Pour « Les mains des femmes », si elle reste dans le plan fixe, face caméra, elle place cette fois ses intervenant.e.s dans des lieux publics. L’objectif étant de maintenir une parole fluide et conviviale, en sortant de la froideur des cabinets médicaux, mais aussi de casser le tabou lié au privé, de parler de l’avortement en public.
Si vous souhaitez organiser une projection du film “Les mains des femmes”, prenez contact avec Céline Tixier-Thomas, chargée de mission IVG & Contraception à la FLCPF via l’adresse : cthomas@planningfamilial.net
[1] Cet article présente donc des informations qui proviennent à la fois du film “Les mains des femmes” et des discussions des médecins, à la suite de la projection.