Le Collectif Prévenir 59 réunit Epicéa (Service du Département du Nord), le Comité Départemental des maladies respiratoires et des associations actives dans le domaine de la prévention des assuétudes au tabac et à l’alcool. Le Collectif a récemment choisi de se pencher sur la question vaste des médias comme freins ou leviers des consommations à risque.
Vaste, puisqu’elle couvre l’impact des émissions et des publicités sur les représentations, les attitudes et les comportements; la couverture variable accordée par les médias à des sujets comme l’alcool ou le cannabis; l’efficacité des campagnes de prévention…
Prenons une des premières questions abordées lors du colloque, soit la responsabilité des médias dans l’obésité croissante des enfants. Du côté des médias et des annonceurs, on se retranche rapidement derrière l’exemple de la Suède guère épargnée par l’obésité et où, pourtant, la publicité vers les enfants est interdite.
Thiphaine de Raguenel , Directrice d’études pour le Pôle Jeunesse du Groupe Lagardère Active (soit les chaînes Gulli, Canal J, Tiji et Filles TV) en profite pour avancer quelques arguments à la décharge de son employeur: annonceurs et programmateurs travaillent de manière indépendante, et, de plus, un comité d’éthique a été mis sur pied – il est dirigé (et cautionné) par le psychologue Marcel Rufo .
« Il ne faut pas incriminer les émissions pour enfants », plaide-t-elle. « Elles ne représentent tout de même que 20 % du temps passé par les enfants devant la télé .»
Quant à la question de la place occupée par les messages pour des aliments gras et sucrés, elle est éludée, dans le discours de Thiphaine de Raguenel, par une autre question, celle du caractère anxiogène, voire anorexigène des messages de promotion de l’équilibre alimentaire qui feraient oublier que manger est un plaisir…
Des documents pour alimenter le débat
Pour alimenter la réflexion, les organisateurs du colloque ont compilé une trentaine d’articles en un riche portefeuille de lecture. Les articles se structurent autour des questions suivantes:
-les enfants acteurs de l’économie marchande, et cibles du marketing. Les enfants sont présents à l’écran ou audibles dans une annonce sur cinq. Seule la Suède a fait un élément clé de sa réglementation publicitaire en interdisant cette présence enfantine;
-la compréhension par les enfants des intentions commerciales des publicités. Les études les plus récentes enregistreraient en moyenne de meilleurs scores d’attribution d’intention persuasive que les plus anciennes. Un enfant sur dix à l’âge de douze ans «croirait» cependant dans le message véhiculé par la publicité;
-la normalisation de la consommation de produits engendrée par la publicité et le recul de ces comportements produit par une régulation ou une interdiction de la publicité concernant ces produits. Ainsi, un travail anglais a-t-il montré qu’une diminution de 1% du volume des annonces publicitaires est susceptible d’entraîner une diminution de la consommation de 0,1%. D’autres données font valoir qu’une interdiction totale de la publicité aboutirait aux mêmes effets que le doublement du prix des boissons alcooliques, à savoir une réduction de 24 % de la consommation moyenne des jeunes et de 42 % du binge drinking ;
-les médias comme acteurs de la définition sociale des drogues. Les médias mettent en avant des usages, des groupes d’utilisateurs, des interprétations des comportements à risque. Ils peuvent aussi promouvoir des ressources pour aider les consommateurs à risque. Les médias peuvent participer à la banalisation de l’utilisation de substances licites ou illicites, mais aussi traiter de certains produits (drogues) sur le ton de la panique morale, les faire apparaître sous le jour de phénomènes culturels ou encore se centrer sur une approche «réduction de risques»;
-la peur peut-elle constituer un levier dans la prévention, la réduction voire l’arrêt de comportements à risque? Des modèles théoriques portant sur le mode d’action présumé de la peur dans la communication sociale sont présentés.
Les articles sont accompagnés d’une sélection d’outils de prévention belges et français. Ces outils sont des dépliants, des dossiers, des guides, des expositions, des vidéos.
Infos et dossier disponibles gratuitement au (0033) 3 20 63 48 41
Le point de vue est tout autre du côté de Jean-Philippe Desbordes , journaliste et auteur du livre «Mon enfant n’est pas un cœur de cible» (paru chez Actes Sud) : « Bien sûr que les régies publicitaires conditionnent les grilles des programmes ! Des dessins animés vont se faire les chantres de certains comportements et de certaines valeurs .»
Et de rappeler que l’agro-alimentaire représente 470.000 emplois en France. « Dans ce contexte », lance-t-il, « un consensus s’est établi pour ne pas rentrer dans le lard de l’agro – alimentaire !» L’homme fut blessé de voir diffusé à une heure très tardive, en crypté, et à une seule reprise, son documentaire sur l’impact des dessins animés et de la publicité. On y voit des enfants, à la rencontre desquels il a pris la peine d’aller, pour le moins chamboulés (énervés, stressés, insécurisés) par certaines émissions, et ne faisant pas clairement la distinction entre pubs et programmes télé. Jean-Philippe Desbordes a crié à la censure à sa manière, en prenant la plume pour rédiger son coup de gueule sous forme de livre.
Du côté du Groupe Contact (radios privées), on tient à relativiser le rôle des médias en ce qui concerne l’incitation à consommer certains produits, et pas des plus licites. « On n’a jamais donné un cours en radio sur la manière de rouler un joint », assène Eric Carpeus .
Pour la Responsable de la communication au Conseil général du Nord, Evelyne Duhaut , la question n’en reste pas moins posée. Selon elle, des médias banalisent l’usage du cannabis quand ils donnent la parole à telle vedette de tennis prompte à dédramatiser (pour ne pas dire vanter) l’usage du shit. « Même si », ajoute-t-elle, « il convient de raison garder , puisqu’on évalue à 3 % l’impact des médias sur les changements de comportements contre 30 % d’impact estimé pour les actions au sein de la population .»
Un point de vue qui confond somme toute l’aval (les changements de comportements) et l’amont (l’influence des médias sur les comportements). La confusion justement structurait l’intervention du Dr Frédéric Kochman , pédopsychiatre. Il la pointe et la dénonce dans ces publicités pour des produits gras ou sucrés qui se voient flanqués (sous-titrés) de messages de promotion de la santé.
Cette bonne idée du PNNS (voir à ce sujet Education Santé n° 233) n’en serait pas une dans la mesure où les spots publicitaires doublés d’un message santé recrutent simultanément deux parties du cerveau. D’une part, le système limbique, siège des émotions, celui que viennent titiller des messages qui incitent à la consommation, à la pulsion d’achat. D’autre part, le cortex frontal, haut lieu de notre esprit critique. « Les deux endroits ne peuvent être allumés en même temps », commente le spécialiste. « On est dans une posture intenable , confinant à la schizophrénie !»
Véronique Janzyk