Le sujet a fait débat en France ces derniers mois, et vous l’avez peut-être remarqué depuis le 1er mars sur les chaînes de TV françaises: certaines pubs TV pour des aliments portent un bandeau d’avertissement qui défile dans le bas de l’écran, délivrant (en petit) des messages sanitaires:
«Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour»
«Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière»
«Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé»
«Pour votre santé, évitez de grignoter entre les repas».
Depuis le 28 février 2007, un décret d’application et un arrêté de la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 imposent – en France – aux annonceurs de certains produits alimentaires d’introduire des messages sanitaires dans leurs publicités et imprimés. Sont concernés par cette mesure les boissons pour lesquelles il y a ajout de sucre, de sel ou d’édulcorants et les aliments manufacturés.
Chaque annonce publicitaire doit comporter alternativement les 4 messages et ce pour chaque type de support (TV, radio, affichage, presse, cinéma, Internet, brochures…). Il n’y a pas de lien entre le type de produit promu et les messages.
Les annonceurs qui ne souhaitent pas apposer ces messages doivent verser une taxe de 1,5% du coût de la publicité à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. L’INPES consacrera le produit de cette taxe à des actions d’éducation nutritionnelle. A noter qu’avant l’intervention des lobbies, le projet initial soumis aux parlementaires prévoyait une redevance de 5%.
Pas mal, mais…
Il faut avouer que les autorités françaises n’ont pas fait dans la dentelle. Des hommes et des femmes politiques ont pu décider cette mesure de santé publique, s’attaquant, et c’est inédit, aux boissons sucrées, et ce malgré les protestations, les manipulations voire les pressions des lobbies des entreprises ‘transnationales’ de l’agro-alimentaire.
Ne soyons toutefois pas dupes: certaines firmes ont déjà choisi de payer la petite redevance de 1,5%, qu’elles jugent à n’en pas douter très raisonnable!
D’autres ont misé sur la diffusion des bandeaux, se présentant même par là comme partenaires bienfaiteurs de l’éducation à la santé. Ces bandeaux doivent donc leur paraître bien inoffensifs (1).
Réfléchissons: le financement de la prévention sera dorénavant pour partie lié à la masse de publicité(2). Plus il y aura de pub pour la junk food, plus il y aura de moyens pour l’éducation nutritionnelle. De quoi faire taire aussi ceux qui trouvent à redire à l’augmentation incessante du temps consacré à la pub par heure de TV (3). Si cette publicité permet de dégager davantage de moyens financiers pour nos chaînes publiques et pour l’éducation à la santé, qui osera encore s’y opposer?
Davantage de moyens? N’exagérons pas. Cela ne fera jamais qu’1,5% de promotion de la santé parmi la masse de messages qui vous incitent à longueur de journées – vous et vos enfants- à acheter des produits alimentaires qui ne sont pas toujours ‘les bons choix’.
Car là est la question: que peut un malheureux message de prévention noyé dans 100 publicités? Quel est l’impact d’un avertissement ‘fumer tue’ sur un paquet de tabac, malgré sa présence qu’on ne peut ne pas voir? Que peut un avertissement à peine visible qui défile au bas d’un écran publicitaire? Qui le remarquera encore dans un mois?
Et chez nous?
Nous ne savons pas si les dispositions françaises inspireront nos propres autorités politiques. Pour sûr, les lobbies de l’agro-alimentaire implantés sur le sol belge ont sans doute déjà préparé leur riposte. Ce petit monde des entreprises transnationales est une vraie pieuvre. Les bureaux de lobbying fourmillent dans les rues du quartier européen de Bruxelles. Vous imaginez ce que peut être la force de persuasion d’un grand groupe alimentaire par rapport à une petite asbl de promotion de la santé…
Un petit logo bien belge a pourtant vu le jour il y a déjà une éternité. Non, les plus jeunes ne le croiront pas: il fut une époque où il n’y avait pas de pub à la télé! Puis, en mars 1981, le gouvernement Martens IV se dit favorable à l’introduction de la publicité à la radio et à la TV. Ensuite, les choses s’emballent. Le 8 juillet 1983, un décret de la Communauté française octroie la publicité non commerciale à la RTBF. Le 17 juillet 1987, le décret sur l’audiovisuel lui octroie le parrainage, et, suprême honneur, le 10 septembre 1989, la RTBF accède à la publicité commerciale (4).
Un logo apparut alors sur les pubs TV faisant la promotion des confiseries. Oui, bon, d’accord, on introduisait la pub à la TV, mais ces publicités seraient morales et rappelleraient aux enfants qu’il faut se brosser les dents.
Voilà 20 ans que vous voyez ce logo. Ou plutôt que vous ne le voyez pas. Cherchez-le la prochaine fois que vous croiserez un spot pour un bon caramel de nos grands-pères, un chocolat qui sent bon la savane africaine ou un biscuit qui vous donne les pouvoirs surnaturels d’Harry Potter ou même du Prince charmant.
Peut-être le verrez-vous, ce logo. Mais je doute que vous sauterez hors de votre fauteuil pour courir à la salle de bain vous brosser les dents. Si vous sautez hors de votre fauteuil, ce sera plutôt pour vous ruer sur l’armoire de la cuisine pour voir s’il reste encore une tablette de chocolat, ou si les gosses ont déjà tout mangé!
Curieux aussi que ce logo ne concerne que les friandises: certaines boissons, dont les sodas, sont autrement dangereuses que les biscuits fourrés, que ce soit pour l’émail dentaire ou pour les kilos en trop. Et curieusement ces produits ont échappé jusqu’ici à toute forme de régulation.
Non, la promotion de la santé ne se fait pas qu’à coup de logos.
Non, la promotion de la santé ne se fait pas qu’à coup d’affiches.
Non, la promotion de la santé ne se fait pas non plus en se basant seulement sur l’éducation.
La promotion de la santé, elle se vit au quotidien. C’est une façon de vivre, c’est l’offre alimentaire à portée de main, c’est votre cadre de vie et votre environnement quotidien, c’est l’influence de votre entourage, parents, enseignants qui font… ou défont votre santé.
Si la promotion de la santé se veut d’utilité publique, elle devra toujours montrer sa totale indépendance face aux intérêts privés, les firmes n’agissant en fin de compte que pour le bien-être… de leur actionnariat.
Nous comptons sur les femmes et hommes politiques de ce pays pour préserver cette indépendance qui doit caractériser la promotion de la santé, et lui donner les moyens d’agir en toute autonomie.
Michel Devriese , Fondation pour la santé dentaire
http://www.sourirepourtous.be
info@sourirepourtous.be
Mesure légale ou autorégulation?
Le logo ‘brosse à dents stylisée’ a aujourd’hui une base différente en Communauté française et flamande.
En Communauté flamande, l’Art. 13 du Code de la publicité et du sponsoring à la radio et à la télévision du 20 septembre 1995 dit ceci: «§ 1er . Les publicités en faveur de friandises à base de sucre doivent reproduire une brosse à dents stylisée pendant toute la durée de la séquence publicitaire , dont les dimensions sont égales à un dixième de la hauteur de l’image reproduite comme figuré ci – dessous ».
Depuis que les écrans sont passés du format 4/3 au format 16/9, le dixième de la hauteur ne représente plus une grande surface sur l’image… Si vous traquez ce logo, vous le verrez d’ailleurs dans des tailles bien variables.
En Communauté française, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) a remis un avis sur le règlement / code d’éthique de la publicité audiovisuelle à destination des enfants.
Dans un courrier du 3 avril 2006, la Ministre de l’Audiovisuel demandait au CSA de rendre un avis sur la possibilité de transposer en règlement le code d’éthique de la publicité audiovisuelle à destination des enfants adopté par le Collège de la publicité du Conseil supérieur le 10 juillet 2002, et de procéder par la même occasion aux éventuelles actualisations nécessaires.
Dans l’avis n° 01/2007, on peut lire: « L’éditeur accompagne toute communication publicitaire pour des confiseries d’un avertissement visible indiquant l’incidence de ce type de produit sur la santé . Cet avertissement pourra prendre la forme d’une brosse à dent stylisée ».
Que ce soit en Communauté flamande ou française, ce qui frappe c’est que les textes ne visent que les confiseries, et ni les sodas ni les autres aliments constitutifs de la junk food.
(1) Une firme a déjà eu l’idée géniale de récupérer le message sanitaire des 5 fruits et légumes pour promouvoir sa petite bouteille de «concentré vital».
(2) Cela nous fait penser au dispositif des espaces gratuits en radio-TV en Communauté française: plus il y a de pub pour des médicaments en vente libre et des boissons alcoolisées, plus il y a d’espaces gratuits pour des campagnes de promotion de la santé. Voir mon article ‘Ne dites pas à ma mère que j’ai commis une campagne TV de promotion de la santé. Elle me croit acteur de santé publique!’ dans le numéro 224.
(3) Les feuilletons sont maintenant systématiquement coupés par des publicités. C’est récent. La directive européenne «Télévisions sans frontière» votée en décembre dernier augmente à 12 minutes le volume maximum de pub par heure, contre 9 minutes auparavant.
(4) L’aide directe à la presse en Communauté française (1973-2005), Michel Gassée, Courrier hebdomadaire du CRISP n° 1873 –2005/8.