[Communiqué de presse, 15/12/2020]
Tout le monde n’est malheureusement pas en bonne santé et certains ont davantage besoin d’avoir recours aux soins de santé que d’autres. Dans notre système belge, basé sur la solidarité, on tente de réduire autant que possible ces inégalités. Mais si l’on considère les personnes qui ont les mêmes besoins de soins de santé, peut-on dire qu’elles y ont toutes accès avec la même facilité ? En d’autres termes, l’accès à nos soins de santé est-il équitable ? Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a examiné cette question en faisant appel à une méthode novatrice.
Il en ressort que, pour les ménages en situation de précarité financière, l’accès aux soins n’est pas équitable, en particulier l’accès aux spécialistes et aux dentistes, et ce au point que certains d’entre eux reportent ces soins ou n’y ont pas du tout recours. La principale raison est l’importance du montant que le patient doit payer de sa poche, ou doit payer d’avance. Pour 4 % des ménages, les dépenses de soins représentent même plus de 40 % des dépenses totales. Des mesures de protection existent, telles que les interventions majorées (BIM). Elles permettent effectivement d’atténuer ces injustices, mais il serait encore possible d’améliorer la protection en matière de tickets modérateurs ou de suppléments, dont les montants vont croissant.
Il est bien connu que les populations les plus vulnérables présentent en moyenne davantage de problèmes de santé, et ont donc des besoins plus importants en matière de soins. Le système belge d’assurance maladie obligatoire est basé sur la solidarité et vise à atténuer autant que possible les inégalités en matière de santé. C’est ainsi que les citoyens en bonne santé contribuent aux soins des personnes en moins bonne santé. Mais une autre question est de savoir si l’accès à notre système est équitable. En d’autres termes, nos soins de santé sont-ils accessibles de manière égale pour les personnes qui présentent les mêmes besoins de soins ? Ou bien le statut socio-économique entraîne-t-il des différences à cet égard ? Et si oui, ces différences ont-elles évolué au fil des ans ?
Pour répondre à cette question, le KCE a fait appel à une méthode qui permet de tenir compte des besoins de soins dans l’évaluation du recours aux soins. Cette méthode, et les résultats qui en découlent, constituent la principale différence avec les précédentes recherches sur l’équité dans les soins en Belgique. Les données utilisées datent d’avant la crise du COVID.
Les problèmes financiers vont de pair avec le manque d’équité
La prise en compte des différences en termes de besoins de soins a permis aux chercheurs du KCE de constater que les personnes en situation de précarité financière (p. ex. les personnes au chômage, isolées ou à risque de pauvreté) ont moins de chances de consulter un spécialiste et qu’elles ont également nettement moins recours aux soins dentaires que la moyenne (tandis que les catégories qui ont les revenus les plus élevés y ont davantage recours que la moyenne). Les catégories financièrement vulnérables font même moins souvent appel au médecin généraliste (sauf les bénéficiaires de l’intervention majorée – BIM). En revanche, ces personnes se rendent davantage aux urgences, où il ne faut pas payer immédiatement. En ce qui concerne la fréquentation de l’hôpital (ou de l’hôpital de jour) et la consommation de médicaments, les chiffres sont conformes aux besoins et la situation semble donc assez équitable.
De plus en plus de personnes reportent des soins
Un indicateur direct d’accès équitable aux soins est la proportion de personnes qui reportent ou n’ont pas recours à certains soins pour des raisons financières. Cette proportion a fortement augmenté ces dernières années : pour les soins médicaux (surtout spécialisés), elle est passée de 0,5 % de la population adulte en 2008 à 2,3 % en 2016. Pour les soins dentaires, elle est passée de 1,6 % (2008) à 3,7 % (2016). Cette situation est plus grave chez nous que dans nos pays voisins. Il est à noter que les ménages qui ont des revenus plus élevés doivent parfois aussi reporter des soins dentaires.
Une grande majorité des personnes qui reportent des soins ne disposent pas de réserves leur permettant de faire face à des dépenses imprévues ; or ce sont précisément ces personnes qui ont des besoins de soins élevés. Elles doivent parfois faire un choix entre besoins de base (nourriture, logement, hygiène, services d’utilité publique) et soins de santé. En 2016, 36 à 54 % de ces personnes ne pouvaient pas se permettre un repas chaud tous les deux jours. Près de la moitié bénéficient d’un revenu d’intégration ou d’une allocation d’invalidité.
Le patient belge paie beaucoup de sa poche
Une des principales raisons pour lesquelles les gens reportent les soins ou y renoncent est qu’ils doivent en payer une partie eux-mêmes (tickets modérateurs et suppléments), et/ou qu’ils doivent d’abord avancer l’argent, puis attendre le remboursement. Pour les ménages dont les ressources financières sont limitées, ces contributions personnelles peuvent constituer une charge financière conséquente. En Belgique, elles représentent environ 19 % des dépenses totales de soins de santé, un chiffre qui place la Belgique bien au-dessus de ses pays voisins.
Les chercheurs du KCE ont également constaté qu’en 2018, environ 4 % des ménages ont dû faire face à des contributions personnelles dites « catastrophiques ». On entend par-là des dépenses en soins qui représentent plus de 40 % des dépenses totales du ménage (après déduction des dépenses pour les besoins de base). Les ménages à faibles revenus sont davantage susceptibles de devoir faire face à ce type de dépenses catastrophiques ; la plupart du temps, elles concernent des médicaments, des soins ambulatoires et des services paramédicaux.
Étendre et automatiser les mesures de protection liées au ticket modérateur
Les personnes qui reportent des soins pour des raisons financières sont souvent déjà couvertes par une ou plusieurs mesures de protection, telles que l’intervention majorée, le maximum à facturer ou le statut de personne atteinte d’une affection chronique. Il apparaît toutefois que ces mesures ne garantissent pas suffisamment l’accessibilité financière des soins.
Les personnes qui bénéficient d’une intervention majorée paient des tickets modérateurs moins élevés et le médecin généraliste est tenu de leur appliquer le régime du tiers payant, c’est-à-dire que le médecin est rémunéré directement par l’assurance maladie, et que le patient ne paye que le ticket modérateur (plutôt que de devoir avancer la totalité des honoraires). Le KCE a constaté que cela permet d’améliorer l’accès aux soins de médecine générale pour ces personnes. Toutefois, ce régime de tiers payant obligatoire ne s’applique pas chez le spécialiste ou chez le dentiste. Étendre cet arrangement à ces professionnels serait donc une bonne chose.
Autre constat préoccupant : une part importante des personnes vivant dans la pauvreté ne bénéficient pas de cette intervention majorée. Ce droit devrait donc, dans la mesure du possible, être accordé automatiquement.
Le maximum à facturer est une autre mesure de protection des ménages financièrement vulnérables contre les tickets modérateurs élevés : si ces frais (mais pas les suppléments) dépassent un certain plafond annuel, l’assurance maladie rembourse intégralement les tickets modérateurs supplémentaires. Le KCE préconise de prévoir un plafond supplémentaire, plus bas, pour les catégories de revenus les plus faibles.
Mieux protéger aussi contre les suppléments, de plus en plus nombreux
L’augmentation au fil du temps des dépenses imputées au patient est essentiellement causée par l’augmentation des suppléments ; les tickets modérateurs n’y interviennent que dans une mesure limitée. Or les mesures de protection actuelles (citées ci-dessus) visent principalement à limiter les tickets modérateurs et offrent peu de protection contre les suppléments. Ce déséquilibre devrait être résolu.
Une approche plus large est nécessaire, ainsi qu’un test d’impact sur la pauvreté
Améliorer l’équité dans l’accès aux soins de santé n’est pas seulement une question de politique de soins de santé. D’autres facteurs sont également déterminants, comme le niveau de revenus et la sécurité d’emploi, ou les conditions de vie et de travail. C’est donc une approche intersectorielle plus large qui doit être mise en place, où les politiques sociales, d’emploi, d’éducation, de logement et de lutte contre la pauvreté se renforcent mutuellement. Un « test d’impact sur la pauvreté » pour évaluer l’impact des nouvelles propositions politiques pourrait être une aide précieuse pour aider les décideurs à prendre des décisions en connaissance de cause.
Retrouvez le rapport complet du KCE ici