Li Cramignon : son nom fait référence à un chant populaire traditionnel qui, à l’image d’une farandole, entraîne dans la danse tous les citoyens et citoyennes, s’étire et tisse un lien entre toutes et tous. Education Santé a rencontré Martine Motte dit Falisse, pour le volet « Promotion de la santé » de cette association du secteur, discrète mais forte d’une expérience longue et au plus proche des publics dits fragilisés.
L’association
Nichée au cœur du pays de Herve, Li Cramignon déploie ses activités depuis trois décennies. Elle se constitue à l’origine comme groupe d’animation, d’éducation permanente, de réflexion et d’information autour de thèmes qui animent ses membres tels que l’environnement, l’économie sociale, la justice Nord-Sud, la santé globale…
Engagée dans ces thématiques et résolument implantée dans sa région, l’association met en place rapidement un second pôle d’activité : un groupement d’achats en circuit-court, devenu l’épicerie et point de collecte Nos Racines, à Herve. L’alimentation, point de convergence de nombreuses thématiques, permet une approche transversale. « Mais il manquait encore une branche pour toucher un public autre que les militants de l’association, de personnes qui ne pousseraient pas la porte des activités de débats et de réflexions« , nous raconte Martine M., animatrice et formatrice. C’est ainsi qu’est né, il y a une petite douzaine d’années, le projet de promotion de la santé par l’alimentation, troisième pôle d’activité de Li Cramignon.
Ajoutons enfin que l’association fait partie d’un réseau associatif plus large, qui la chapeaute : le réseau De Bouche à Oreille. « On peut se le représenter comme des poupées russes, qui donnent la main à d’autres poupées russes. » Le tout donne l’impression, pour un œil extérieur, d’un joyeux groupement aux multiples ramifications, déployé dans son fief d’origine… et cohérent avec sa mission de « veilleurs sociétaux [1]».
L’objectif général de Li Cramignon en promotion de la santé est de promouvoir la santé globale de publics fragilisés en prenant comme angle d’approche l’alimentation.
« Nous guidons et encourageons nos publics à développer une alimentation équilibrée et durable en leur facilitant l’accès à l’information, en apportant et en échangeant des connaissances, en réveillant, en soutenant, en ancrant des comportements et pratiques alimentaires favorables à la santé. Nous impliquons et responsabilisons le public bénéficiaire, en partenariat avec les relais et les réseaux locaux, tout en apportant une attention particulière au bien-être du public et à l’accessibilité culturelle.»
La Charte d’Ottawa comme point d’ancrage
Via l’alimentation, c’est dans une démarche de promotion de la santé que s’inscrivent les activités proposées. Pour appuyer son propos, Martine M. relit cette charte fondatrice et met l’emphase sur chaque notion importante : la santé globale, la capacitation des individus, la santé comme ressource, etc. « Loin de nous l’idée de dire « vous devez manger 5 fruits et légumes par jour » ou encore « les fast-foods, c’est mauvais pour la santé ». Notre approche se veut collective et participative. Nous travaillons avec des groupes, sur un temps long. Et enfin, une de nos missions est aussi de créer des dynamiques locales (c’est dans l’ADN de l’association). »
Les partenariats « sur mesure »
Pour rencontrer son public (« les publics dits fragilisés »), l’association passe par l’intermédiaire de partenaires qui les sollicitent. La plupart sont des CPAS, mais on retrouve également des plans de cohésion sociale, des régies de quartier, des groupes de loisir, des groupes d’alphabétisation, des groupes de personnes porteuses de handicaps légers. Ensemble, ils s’accordent sur le cycle qui sera proposé et la durée de celui-ci (entre 6 mois et… pas de limite. Certains partenariats remontent à plus de 10 ans !), avec, dans l’idéal, un minimum de 3 rencontres. Le maximum des rencontres, il n’y en a pas en soi… mais la disponibilité des animatrices de Li Cramignon est calibrée entre les différents groupes à accompagner, le fonctionnement mis en place par chaque partenaire, le temps de travail de chacune, etc. « Les personnes qu’on rencontre lors des animations seraient partantes pour se voir tous les jours, dit en riant Martine M. On jongle avec les contraintes pour accompagner au mieux. » Un cycle et un programme pensés sur mesure donc.
Accompagnements et animations
Dans leurs bagages, les animatrices ont plus d’une trentaine d’animations à décliner à l’envi, suivant la demande du partenaire ou du groupe des participants. Une thématique en appelant une autre, et ainsi de suite. C’est pour le moment le volet qui a été le plus développé par le projet de Promotion de la santé.
Depuis quelques années toutefois, au-delà des animations proprement dites, l’accompagnement de projets collectifs se développe de plus en plus, le nouvel agrément en cours d’approbation [2] en fera d’ailleurs un de ses deux axes prioritaires. Il s’agit par exemple d’accompagner la création d’un potager collectif dans un CPAS (projet pilote) : participer à la mise en route, favoriser le réseautage, les parties-prenantes, donner des formations pratiques suivant les besoins du groupe et du projet, etc.
Rencontre conviviale autour d’un petit déjeuner
Quand on l’interroge sur le « comment » et sa façon de développer un atelier collectif et participatif, Martine M. nous explique que bien souvent, la rencontre démarre autour d’un petit déjeuner (végétarien, par principe et par souci budgétaire, et présenté sur des sets de table regroupant chacune des familles d’aliments). Ce moment de convivialité permet de créer de la cohésion dans le groupe. « Je propose souvent à chacun de faire appel à un souvenir d’enfance lié au petit déjeuner. Chacun ramène alors quelque chose de constructif, et c’est de là que va partir l’animation. Souvent reviennent le porridge, l’odeur du pain grillé ou celle du café… ». Progressivement émergent toute une série de questions. Quelques éléments théoriques sont dispensés en fonction des besoins ou demandes (« pour répondre à des questions sur l’importance du petit déjeuner ou la glycémie, par exemple »), mais une attention est portée à ce que ce soient les membres du groupe qui apportent des propositions, des alternatives et des idées. Les animatrices adoptent donc une posture de facilitatrices « pour faire circuler les échanges dans le groupe, rebondir sur les vécus, les expériences et les savoirs de chaque participant ». Plusieurs aspects sont toutefois préconisés : le « faire soi-même » tant que possible, les aliments les moins transformés, le local et de saison.
Précarité, isolement et défiance
Avant de la quitter, nous avons demandé à Martine M. si les personnes fragilisées qu’elle rencontrait hier font face aux mêmes difficultés qu’aujourd’hui. Quels sont les constats qu’elle pose ? « Très certainement, une précarité qui augmente ! » s’exclame-t-elle en premier lieu.
« Je rencontre désormais dans les groupes que j’accompagne des personnes qui, même si elles ont travaillé toute leur vie et ont une maison, émargent au CPAS car elles ne peuvent joindre les deux bouts (notamment des femmes seules). Ce n’était pas le cas quand j’ai commencé il y a 11 ans. Avec l’inflation, ce seront de plus en plus des personnes concernées. » Le coût de l’alimentation est ainsi devenu un thème incontournable lors des animations. Des réactions de colère ou de désabusement aussi, plus fréquentes. « « Mais pourquoi autorise-t-on toute cette alimentation qui fait du mal à la santé ? » quand on parle des céréales ultra-transformées, ou « on nous prend pour des c*** » ». Elle poursuit enfin en évoquant l’isolement social et la fragilité psychologique des personnes, des femmes surtout : « des participants qui ont les larmes aux yeux… ou d’autres auxquels je demande leurs attentes et qui me répondent : « juste voir des gens », ça revient très souvent ».
Aussi, via le prisme de l’assiette, avec détermination, engagée au plus près des gens et dans une démarche émancipatrice, Li Cramignon poursuit-elle sa chanson, en tentant d’emmener dans la danse toutes celles et ceux qui seraient laissés de côté.
Li Cramignon, ASBL De Bouche à Oreille : 087 44 65 05 – info@dbao.be – www.dbao.be/li-cramignon
[1] https://www.dbao.be/missions/
[2] A ce jour (novembre 2022), les opérateurs en promotion de la santé en Wallonie qui souhaitent introduire une demande de subvention auprès l’AViQ doivent au préalable recevoir un agrément. Les premières demandes d’agrément sont en cours.