Octobre 2010 Par Christian DE BOCK Initiatives

L’an dernier, le Président Nicolas Sarkozy a chargé une Commission pour la prévention et la prise en charge de l’obésité de lui adresser un rapport et des propositions d’actions en la matière. Le résultat de ses (rapides) travaux est un document de 37 pages, qui présente un état des lieux de la situation en France, résume les connaissances actuelles sur le sujet, rappelle les efforts de mobilisation déjà entrepris (les deux PNNS, le programme Epode, les efforts de l’industrie), et souligne les résultats engrangés par cette mobilisation, ainsi que les faiblesses et insuffisances de cette ‘grande cause de santé publique’.
Ce rapport ne bouleversera probablement pas le futur de la prise en charge de ce qui est devenu pour certains scientifiques une véritable ‘maladie chronique’ là où d’autres voient un facteur de risque associé à certaines maladies chroniques. Il comprend néanmoins quelques informations intéressantes comme la mise en évidence d’une stabilisation de la prévalence de l’obésité chez les enfants (pour autant que les données disponibles puissent permettre de l’affirmer).
À retenir aussi, le fait que la France ne se situe pas trop mal dans le concert européen, l’importance du fait gastronomique (et donc de la grande richesse de la palette alimentaire française) et les rituels de convivialité hexagonaux autour de l’acte de se nourrir jouant là sans doute un rôle positif. Par contre, la grande sédentarité de la population constitue un handicap incontestable (sûrement transposable à notre pays !).
Parmi les points noirs, les auteurs du rapport relèvent une capacité de mobilisation inadaptée à l’importance de l’enjeu, en particulier du côté du secteur privé et des régions; une compréhension insuffisante des facteurs favorisant l’obésité et de grosses lacunes en épidémiologie; un dépistage parcellaire des personnes à risque; un ‘ostracisme insupportable à l’égard des personnes obèses’ (et l’insistance virulente sur ce point est assurément un des apports majeurs du travail de la commission); le manque d’attention portée à l’activité physique; le caractère culpabilisant et la mauvaise compréhension par le public des messages sanitaires ‘lardant’ les publicités; les insuffisances de l’évaluation.
Venons-en aux recommandations. Certaines ont fait l’objet d’un consensus au sein de la commission. En voici quelques-unes : développer des actions ciblées en direction des publics fragiles; développer la culture alimentaire des enfants; mettre en place les conditions d’un développement de l’activité physique; développer l’information sur les bonnes pratiques du ‘temps d’écran’ quotidien des enfants; proposer au niveau européen l’indication obligatoire du nombre de calories sur la face avant des emballages, et par portion; établir des recommandations de bonnes pratiques médicales pour la prise en charge; promouvoir l’allaitement maternel.
À noter aussi, la suggestion d’organiser une gouvernance nationale forte avec un pilotage interministériel dont le responsable viendra du secteur de la santé. Assurément une excellente idée !
Trois sujets n’ont pu faire l’objet d’un consensus : les mesures relatives à la publicité pour les produits alimentaires transformés dans les écrans destinés aux jeunes; l’instauration d’un dispositif d’orientation du consommateur de type ‘green keyhole’ suédois (nous publierons prochainement un article de David Leloup narrant les malheurs des ‘feux tricolores’ au niveau européen); la fin de l’exonération du paiement de la ‘taxe INPES’ en cas d’apposition du bandeau « manger bouger » (1).
Il n’est peut-être pas innocent que deux des trois sujets de discorde au sein de la commission soient directement liés aux intérêts de l’industrie agroalimentaire, qui est très puissante en France, et qui est d’ailleurs remerciée en fin de rapport pour sa ‘participation très active aux travaux de la commission’ à travers la responsable des relations institutionnelles de l’ANIA (Association nationale des industries alimentaires, l’équivalent de ‘notre’ FEVIA). Un ‘engagement’ qui n’aura donc pas été inutile…

Des recommandations plus musclées

Au moment où la commission démarrait ses travaux, 20 sociétés médicales d’experts et de spécialistes ont identifié 17 chantiers permettant de maintenir et amplifier la dynamique lancée par les deux PNNS et de mettre en place des mesures complémentaires qui n’ont pu voir le jour.
L’objectif est de réduire les écarts, la fracture nutritionnelle, qui se développent en France entre les groupes sociaux. Les populations défavorisées sur le plan économique sont particulièrement vulnérables sur le plan nutritionnel, associant risque élevé d’obésité et de carences. Pour agir contre ces inégalités sociales et atteindre l’ensemble des objectifs du PNNS, l’information et l’éducation sont certes nécessaires mais notoirement insuffisantes. Il faut également agir sur l’offre alimentaire (notamment en termes d’accessibilité et d’amélioration de la qualité nutritionnelle), ainsi que sur l’activité physique.
Voici ces chantiers jugés prioritaires.

Actions en milieu scolaire

Améliorer l’offre alimentaire , les actions pédagogiques, et le dépistage des problèmes
nutritionnels dans les établissements scolaires :
– inscrire des normes en termes de composition des repas servis en restauration scolaire dans un texte réglementaire ayant force d’obligation;
– rendre obligatoire l’installation de fontaines d’eau dans toutes les enceintes
scolaires;
– renforcer l’interdiction de mentionner des marques alimentaires à l’école sur les
menus, affiches, dépliants, matériel scolaire ou sportif et réserver réglementairement la possibilité de diffuser des outils pédagogiques sur la nutrition aux seuls bénéficiaires du logo PNNS;
– renforcer le dépistage et les actions de prévention par les services de médecine
scolaire : visite obligatoire de dépistage de l’obésité ou du risque d’obésité (au
moins à une occasion en maternelle, à l’école élémentaire, au collège et au lycée) et
renforcer l’articulation avec les réseaux de prise en charge de l’obésité (ou leurs
équivalents);
– introduire au minimum en CE2 et en 5e des cours sur les groupes
d’aliments et les repères de consommation du PNNS, des actions favorisant le
développement du goût et la pratique de la cuisine.
Augmenter l’activité physique à l’école et durant le temps périscolaire : augmenter le
temps d’activité physique effective, aménager les cours de récréation, les gymnases et
fournir les compétences d’encadrement pour favoriser le jeu et la pratique de l’activité
physique pendant et en dehors du temps scolaire.
Recueillir de façon systématique, anonymisée et standardisée dans les structures
scolaires, les données anthropométriques concernant l’ensemble des enfants (école,
collège, lycée). Ces données seront centralisées, chaque année, et traitées pour la
surveillance de l’évolution de la prévalence du surpoids et de l’obésité chez l’enfant par
l’Institut de veille sanitaire.

Actions en population générale

Renforcer les actions de communication de l’INPES (informations pratiques et appliquées
à la vie quotidienne des populations, notamment les plus défavorisées) par une
exonération du prix d’achat d’espace pour ses campagnes de promotion de la nutrition
sur les chaînes publiques de télévision et de radio, notamment lors des tranches horaires
visant les enfants.
Interdire par voie réglementaire la publicité télévisuelle destinée aux enfants pour tous les produits alimentaires (à l’exception des aliments dont la promotion est compatible
avec les objectifs du PNNS), aux horaires du matin avant l’école, ainsi que les mercredi,
samedi et dimanche matin.
Interdire par voie réglementaire dans les télé-achats ou autre système de promotion
grand public la vente de produits alimentaires de régime ou de compléments alimentaires
ou de vêtements spéciaux ou d’appareils de gymnastique passive
suggérant une efficacité
sur le contrôle du poids, et dont l’intérêt n’a pas été validé par un comité d’experts
nommé par les pouvoirs publics.
Créer , en s’inspirant de ce qui existe en Suède, un logo « la clé plaisir-nutrition PNNS» décliné du logo du PNNS (applicable sur les emballages ou dans des documents d’information sur les lieux de vente) destiné à informer rapidement et clairement les consommateurs, au moment de leur achat, sur les aliments dont le PNNS recommande une augmentation de consommation pour la population (attribution sur la base des profils nutritionnels, des repères de consommation et des objectifs nutritionnels du PNNS).
Promouvoir l’allaitement maternel et adapter la législation du congé maternité
en augmentant sa durée.
Rendre obligatoire l’installation des fontaines d’eau (réfrigérées ou non) dans tous les
lieux publics (écoles, collèges, lycées, universités, piscines et établissements sportifs,
administrations, ministères, mairies, préfectures, entreprises publiques et parapubliques),
les lieux de passages (gares SNCF, stations de métro, aéroport, etc.) et dans les
entreprises privées.
Promouvoir et favoriser l’accessibilité, pour toute la population, des pains utilisant une
farine plus riche en glucides complexes et fibres
, fabriqués avec une quantité de sel inférieure à 18 g par kg de farine, agir sur les prix, la disponibilité et l’accessibilité.

Actions vers le système de santé

Former les professionnels de santé, de l’éducation et du social :
– introduire de façon obligatoire dans les cursus de base des médecins, dentistes,
pharmaciens, infirmières et aides soignantes, une formation en nutrition intégrant
des notions sur les comportements alimentaires et les repères de consommation du
PNNS et des informations sur le dépistage, la prévention, et la prise en charge de
l’obésité et de la dénutrition;
– introduire de façon obligatoire dans les cursus des enseignants (en particulier pour
l’éducation physique et sportive et les sciences et vie de la terre), travailleurs
sociaux, conseillères en éducation familiale et sociale, des notions de base de
nutrition (les groupes d’aliments et les repères de consommation du PNNS).
Clarifier les compétences reconnues aux divers professionnels de santé en matière de
nutrition (favoriser la délégation de tâche entre professionnels, définir un statut de
médecin nutritionniste, harmoniser les formations au niveau européen).
Améliorer la prise en charge de l’obésité infantile et adulte par la mise en place de réseaux
régionaux de prise en charge de l’obésité et fondés sur les bonnes pratiques développées
avec la Haute Autorité de Santé.
Améliorer la prise en charge des problèmes nutritionnels à l’hôpital :
– de manière spécifique pour permettre une évaluation de l’état nutritionnel et une approche globale, médicale, diététique, psychologique et sociale;
– rendre obligatoire les comités de liaison alimentation nutrition (CLAN) dans les
hôpitaux et leur fournir les moyens d’agir;
– nommer un médecin référent nutrition dans chaque établissement hospitalier et
médico-social, en relation avec les unités de diététique.
Inscrire le PNNS comme plan prioritaire de santé publique et l’intégrer dans chacun des
projets régionaux de santé publique (dans le cadre de la mise en place des Agences régionales de santé) avec mise en place d’un mécanisme unique de coordination des actions ayant un impact direct sur la santé et soutenues par les directions/agences sectorielles régionales.

Actions vers les milieux défavorisés

Instaurer pour les personnes défavorisées sur le plan social et économique des coupons exclusifs de fruits et légumes frais (10 € par mois devant permettre un apport de l’ordre de 100 à 200 g de fruits et légumes frais par jour).
Soutenir les structures d’aide alimentaire pour l’approvisionnement en aliments dont la
consommation doit être accrue.

La suite des opérations

Le Président de la République n’a pas tardé à réagir au rapport de la commission, et a confié au Professeur Arnaud Basdevant , chef du service de Nutrition à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière la mission de piloter le Plan obésité, dont les contours sont précisés ainsi:
« Sur la base des propositions faites par la commission, je souhaite qu’un plan obésité, comprenant notamment les actions suivantes, soit mis en œuvre d’ici 2012 :
-animer et intensifier l’effort de recherche, créer une fondation de coopération scientifique associant l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé à des partenaires publics et privés;
-développer la prévention, faciliter l’application des recommandations existantes en améliorant l’alimentation scolaire, la restauration collective et la restauration solidaire et en développant l’activité physique pour la santé à l’école;
-renforcer les liens entre prévention et prise en charge, organiser d’ici 2012 le dépistage de l’obésité des enfants et une prise en charge de qualité sur tout le territoire, y compris l’outre-mer, en apportant une attention particulière aux populations fragiles.
L’État consacrera 140 millions d’euros sur trois ans à la mise en œuvre de ces mesures. Ces dépenses seront financées par redéploiement. »

Le Prof. Basdevant sera vice-président du comité de pilotage du PNNS, dont le plan obésité sera le volet ‘lutte contre l’obésité’. Il animera aussi les travaux de rédaction d’une charte conférant un caractère solennel aux engagements des acteurs de santé, ainsi que des acteurs institutionnels, des associations, des médias, des entreprises. Cette charte devra être signée avant le 30 juin 2011.

Reste à espérer que cette grande cause nationale ne fasse pas la part trop belle aux intérêts de l’industrie agroalimentaire et de l’industrie pharmaceutique, toutes les deux très préoccupées par la question de l’obésité, comme chacun sait…
Christian De Bock (1) La loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique prévoit que les messages publicitaires en faveur de boissons avec ajout de sucre, de sel ou d’édulcorant de synthèse et des produits alimentaires manufacturés contiennent une information à caractère sanitaire.
À défaut de l’apposition de ce message sanitaire, l’annonceur ou le promoteur doit s’acquitter d’une contribution financière reversée à l’Institut national pour la prévention et l’éducation pour la santé (INPES) pour lui permettre de conduire des actions d’éducation nutritionnelle.
Il était attendu que cette taxe rapporte à l’INPES de 1 à 3 millions d’euros par an, il n’en a rien été (elle rapporte à peine 100.000 euros par an), la plupart des annonceurs optant pour l’apposition du bandeau avec message sanitaire.