Août 2002 Par S. BOURGUIGNON Initiatives

Bénédicte Minguet est psychologue et coordinatrice ‘Humanisation des soins’ à la Clinique de l’Espérance à Montegnée. Auteur de la partie théorique du dossier pédagogique d’ ‘Ensemble, découvrons l’hôpital’ , elle nous parle de son cheval de bataille: créer des outils et former soignants, enseignants et parents à l’information des petits patients. Education Santé: Pourquoi avoir collaboré avec les Mutualités chrétiennes pour réaliser ce dossier pédagogique?
Bénédicte Minguet: Il y a trois ans, j’ai écrit un dossier pédagogique sur le sujet de l’enfant et l’hôpital à l’intention des enseignants. J’en avais parlé à Nicole Elias d’Infor Santé à Liège. Elle m’a proposé d’associer mon expertise du sujet avec l’expérience des Mutualités en matière de promotion de la santé, de campagnes scolaires. Ce partenariat a permis d’aboutir à un produit aussi fini.
E.S.: Dans le dossier, vous ciblez les enseignants avant les enfants. Pourquoi?
B.M.: Parce que dans une classe, ils sont vecteurs du message. L’objectif est de les accompagner dans le fait d’aborder la notion d’hôpital. Pour ce faire, il est important de leur donner une représentation adaptée de l’hôpital, d’une part en les interpellant sur leurs propres représentations et d’autre part, en insistant sur la dimension émotionnelle de celles-ci. En effet, l’hôpital réveille en nous des souvenirs souvent désagréables liés à la douleur, la séparation, la non reconnaissance de la souffrance…
Au moment où je créais ce dossier pédagogique, j’avais été dans les écoles et je me suis rendu compte que quand on aborde la notion d’hôpital avec les enfants, ils vous donnent dans l’instant des exemples impressionnants tels que: ‘ma mère y est allée, elle a eu fort mal!’ ou ‘moi, j’y suis déjà allé quand ma petite sœur est morte’…
Les enfants sont plus spontanés que les adultes, ils témoignent de souvenirs pénibles et il n’est pas facile de faire abstraction de ses propres souvenirs en les écoutant. On peut aisément comprendre la difficulté des instituteurs face à ces propos directement liés à la notion d’hospitalisation. Ils souhaitent en général pouvoir disposer de ressources pour aborder ce thème.
E.S.: Quel est le but de ce dossier, de cette campagne?
B.M.: En matière d’information à donner à l’enfant sur l’hôpital, chacun a un rôle à jouer. L’objectif est de distribuer ce rôle entre tous les intervenants autour de l’enfant dans une cohérence à propos du contenu. Quand un enfant est malade, chacun l’informe selon sa fonction, à sa manière: les parents, le médecin traitant, l’école et l’hôpital aussi.
Ces rôles sont complémentaires et se respectent. Si le médecin explique à l’enfant les gestes qu’il fait, ce sont quand même les parents qui vont expliquer l’enjeu de l’opération ou de la visite avec leurs propres mots. A mon sens, l’école est là pour expliquer ce qu’est un hôpital. Le but est de rassembler tout le monde autour de cette nécessité d’informer et d’accorder chacun sur le type d’information à donner en valorisant les compétences de chaque partenaire. Si un instituteur informe un enfant de ce qu’est l’hôpital (comment il fonctionne…), le parent va-t-il aussi avoir une approche ouverte et parler de l’hospitalisation à son enfant?
Nous avons eu beaucoup de parents qui n’osaient pas informer leur enfant par rapport à son éventuelle venue à l’hôpital tout simplement parce qu’ils sont démunis. Ils se disaient qu’il valait mieux qu’il ne le sache pas, afin qu’il ne se tracasse pas à l’avance. Mais au moment où l’enfant arrive, cela peut être un choc très important qui laisse des traces dans le souvenir de l’enfant et dans son comportement envers le milieu médical. A cela s’ajoute bien sûr une perte de confiance vis-à-vis du monde adulte qui l’entoure. Moins il a d’information, plus l’enfant imagine des choses effrayantes. Les 5-8 ans sortent à peine de cette dimension plus magique où ils peuvent donner un pouvoir aux choses et imaginer des choses qui ne sont pas réelles.
E.S.: Quelles étaient les expériences déjà menées à Montegnée?
B.M.: Nous sommes depuis quelques années en contact avec les hôpitaux pédiatriques de Montréal. Nous avons eu l’occasion d’étudier la manière dont ils informaient les enfants et nous avons rapporté des outils d’information adaptés à ce public: il y avait entre autres, les marionnettes chirurgicales, la poupée oncologique… Nous avons appliqué le concept de préparation des enfants à l’opération sur la base du jeu médical. Ce projet s’est étendu à la préparation des enfants aux soins douloureux mais aussi à l’explication de la maladie grave telle que le cancer et finalement à l’ensemble des pathologies rencontrées dans le département pédiatrique. Informer l’enfant, c’est aussi informer ses parents, ses frères et sœurs, et même dans certains cas, sa classe, faire en sorte que l’enfant soit considéré comme un sujet et non comme un objet, qu’il soit acteur de son hospitalisation.
Nous avons ensuite créé des formations à l’intention du personnel soignant sur l’utilisation du jeu comme outil d’information dans la pratique soignante. Grâce au jeu, l’enfant peut reproduire les gestes de l’infirmière et manipuler le matériel médical. Il acquiert un certain contrôle sur ce qu’il vit, il peut aussi expliquer à ses frères et sœurs ce dont il souffre. Bref, il parvient à communiquer autour de sa maladie, tant avec les soignants qu’avec sa famille.
E.S.: Comment est venue l’idée de vous adresser au monde scolaire?
B.M.: Quand l’enfant est prévenu de son hospitalisation, on peut l’y préparer mais il y a aussi tous ces enfants qu’on ne sait pas prévenir parce qu’ils viennent par le circuit des urgences. Nous avons eu envie de développer un programme avec les soignants des urgences pour faire découvrir l’hôpital aux enfants par le circuit qu’ils feraient si un jour ils y étaient amenés. C’est ainsi que l’idée de la prévention scolaire a été créée. On aurait pu faire cette prévention de manière tout à fait extérieure à l’hôpital, par exemple, en réalisant une vidéo mais je pense qu’il est bien plus intéressant que ce soient les soignants qui invitent les enfants à l’hôpital. De cette manière, on touche directement à ce qui va être essentiel quand l’enfant va venir, c’est-à-dire la relation in situ.
Il faut qu’il y ait un contact, un dialogue et que les enfants comprennent que les soignants sont là pour les aider. C’est important aussi que les soignants voient les enfants avant qu’ils soient soignés, qu’il y ait une occasion d’exprimer toute leur motivation en dehors des moments stressants. L’année dernière, une cinquantaine de classes à partir de la 2e maternelle jusqu’à la 6e primaire sont venues et ont fait tout un circuit à l’hôpital en passant par les urgences, la cuisine, la salle de jeu, la chambre d’hospitalisation, la radio, l’école à l’hôpital… L’enfant est amené à rencontrer tous les intervenants.
On demande aux classes d’amener deux poupées. La classe va aux urgences et les infirmières réalisent les soins sur les poupées. Les soins sont réels. Les enfants voient, par exemple, la pause d’un cathéter. Au-delà de l’aspect didactique, il y a toute cette approche à la souffrance et à la douleur. En montrant une aiguille qui rentre sous la peau, on recrée des conditions similaires à celles que l’enfant pourrait vivre. Et en les créant de manière non angoissante, on a accès à un discours, un dialogue émotionnel au sujet de la douleur et de la souffrance qui peut être tout à fait préventif et qui peut anticiper de manière positive le moment où l’enfant viendra se faire soigner. C’est important parce que je crois que des conditions comme ça, on n’en crée pas souvent.
E.S.: Comment ont réagi les enseignants qui accompagnaient les classes?
B.M.: Ils étaient autant intéressés que les élèves. Certains disaient: ‘je ne savais pas qu’à l’hôpital, il y avait des infirmières qui souriaient’ ou ‘je ne savais pas qu’il y avait une salle de jeu à l’hôpital’ ou encore ‘c’est la première fois que j’ai osé regarder la pose d’un cathéter’. Trouver une information assez simplifiée, accessible et compréhensible leur a plu. On s’est rendu compte qu’il y avait un réel intérêt, qu’eux-mêmes étaient mal informés à ce sujet.
E.S.: A long terme, ce ne seront plus les mêmes patients que ceux d’aujourd’hui…
B.M.: Tout à fait. Investissons dans cette sensibilisation-là et on aura des adultes qui pourront se positionner de manière beaucoup plus claire vis-à-vis du soignant pour ouvrir un dialogue et arriver à être au plus près des besoins. Actuellement, il y a un écart entre les soignants et les patients qu’il faut diminuer. Il n’y a pas assez d’écoute, de compréhension, d’information. Le langage n’est pas adapté. Si l’écart diminue, ça veut dire que le patient va aussi pouvoir remettre en questions les soins. Il faut avancer judicieusement. Révolutionner tout ça portera ses fruits à terme mais il faut que ce soit constructif. Nous devons sensibiliser les nouveaux patients mais sensibiliser aussi les soignants à être à l’écoute et à pouvoir répondre. Ils vont devoir tenir peut-être un discours différent de ce qu’ils disaient auparavant. On ne peut pas être extrêmement performant techniquement et puis ne jamais répondre aux interpellations des patients. Je crois qu’il faut mettre une priorité aussi grande à l’aspect relationnel qu’à l’aspect technique.
E.S.: On voit que des efforts sont faits dans les hôpitaux pour humaniser les soins, qu’il y ait plus de dialogue. Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous semble prioritaire, dans quel sens faut-il aller?
B.M.: C’est vrai qu’il y a un courant d’humanisation des soins mais qui n’est pas bien défini. Les nombreuses initiatives sont souvent des projets pilotes qui n’ont pas toujours la même cohérence parce qu’ils naissent d’un soignant, d’un médecin, d’une association de parents… Ils ont leur valeur en tant qu’initiatives de terrain parce qu’ils partent d’un problème identifié mais la manière d’y répondre n’est peut-être pas aussi cohérente que ce qu’il faudrait.
Est-ce que tous les acteurs de terrain se sont mis autour de la table pour améliorer en général l’accueil, la prise en charge de la personne à l’hôpital? Il faut que tout le monde soit d’accord, que l’administration mette les moyens, que les médecins soient d’accord, qu’ils revoient un peu leur manière d’envisager la médecine, qu’elle ne soit pas uniquement scientifiquement au point mais qu’elle soit humaine aussi. Il faut voir aussi les familles, l’entourage…
Il faut qu’il y ait une concertation et je ne sais pas s’il y a des structures qui permettent que cette concertation existe. Par ailleurs, il ne faut pas négliger le problème des normes d’encadrement, du nombre de soignants. Le premier combat à mener, c’est peut être pour avoir plus de soignants autour des patients. Humaniser les soins est une démarche de qualité qui vise à l’optimisation de la prise en charge sur un long terme. On ne peut plus se permettre d’additionner des petites initiatives même si ce sont elles qui donnent l’énergie. Il faut aussi qu’elles soient cohérentes, reconnues, intégrées. Cela demande des évaluations. D’un autre côté, pour qu’une sensibilisation fonctionne, il faut former le personnel soignant, avoir des actions à l’extérieur pour faire en sorte que les attentes du grand public et de l’hôpital se rencontrent. Tout ça est en train de se mettre en place, petit à petit.
Propos recueillis par Sylvie Bourguignon
Contact: Bénédicte Minguet, psychologue, coordinatrice Humanisation des soins, Clinique de l’Espérance, rue Saint-Nicolas, 447-449, 4420 Montegnée.