Janvier 2004 Par Maryse FLAMENT Réflexions

L’animation-santé est une méthode d’éducation pour la santé pédagogique, utilisée par notre association depuis plus de quinze ans (1) avec des groupes de personnes pour qui l’accès à la prévention et aux structures de soin est semé d’obstacles ou d’embûches (2) .
Ces obstacles peuvent être ceux de la langue, de l’analphabétisme, d’une scolarité faible ou inexistante, de conditions de vie précaires, d’une méconnaissance de notre système de soins de santé… et bien souvent plusieurs de ces facteurs à la fois. Pourtant, les personnes vivant dans des conditions difficiles, qu’elles aient ou non franchi les étapes d’un parcours migratoire, possèdent un savoir-faire qui s’est constitué au fil de ces épreuves et force même souvent l’admiration. Ce sont ces ressources que l’animateur-santé veut exploiter: dans l’animation-santé, chacun est appelé à s’exprimer dans le but de mieux comprendre ses besoins, mais aussi de prendre conscience de ses ressources et d’en faire profiter les autres, et enfin, de les amplifier avec l’aide de l’animateur.

Qu’est-ce qu’une animation-santé?

La méthode: interactive, souple… et rigoureuse

Il s’agit donc d’une technique de groupe ayant pour finalité l’augmentation du bien-être. Un groupe (composé d’une quinzaine de personnes) peut être rencontré une fois ou plusieurs fois – cette dernière situation est plus favorable à un travail en profondeur. Le travail d’animation se fait en partenariat étroit avec l’institution demandeuse: maison médicale, maison de quartier, etc. Ce sont ces institutions qui nous contactent lorsqu’elles pensent qu’une ou des animations-santé pourraient concourir à la poursuite de leurs objectifs.
Plusieurs phases
En dépit d’une grande variabilité explicable par la nécessité de s’adapter à chaque groupe particulier, différentes phases peuvent être répertoriées dans l’animation-santé. Ces différentes phases s’interpénètrent dans le temps. Citons: la création d’un climat de confiance, le recueil des besoins, le recueil des représentations, croyances, connaissances et autres ressources, et enfin la poursuite d’objectifs pédagogiques ou communautaires (par exemple, un projet de groupe).
Objectifs pédagogiques: cible mobile
Pour atteindre ses objectifs pédagogiques, l’animateur utilise des procédés et du matériel visuel à trois dimensions adaptés au public non «lecturisé».
Ces objectifs ne seront réellement clairs pour l’animateur que lors de la rencontre avec le groupe, et encore peuvent-ils évoluer au cours de cette rencontre, en fonction de la dynamique du groupe. Un exemple d’une telle évolution est donné dans l’encadré ci-contre. Cette démarche «en cascade» demande autant de rigueur que de souplesse. Changer d’objectif ne signifie pas perdre de vue tout objectif! S’il modifie les objectifs pour lesquels il s’était préparé, l’animateur doit évidemment se contenter des connaissances qu’il possède «au pied levé», et du matériel didactique qu’il avait initialement emporté.

A propos des objectifs pédagogiques: exemple du CO

Un animateur requis pour participer à un programme de prévention des intoxications par le CO, peut, après vingt minutes de discussion en groupe, décider que son objectif du jour se «limitera» à faire comprendre que la quantité de sang prise à chaque prélèvement sanguin est en fait très petite; en effet, il a décelé dans le groupe une forte réticence vis-à-vis de la prise de sang, et la croyance que celle-ci affaiblit et constitue un danger (NB: le prélèvement sanguin est à la base du diagnostic de l’intoxication).
Il passe une heure à écouter les réticences et les croyances, et à faire manipuler aux participants des petits tubes, des bouteilles et de l’eau pour qu’ils prennent conscience de l’importance relative du volume sanguin et du volume d’un prélèvement. Les «Oh, comme il y en a peu!», «C’est tout petit!» lui indiquent que les nouvelles connaissances acquises par le groupe pourraient éventuellement être un facteur de modification de leur attitude vis-à-vis de l’examen sanguin.
Il se peut que cet animateur, en sortant, rencontre l’un des responsables de l’institution qui lui dira: «Alors, vous avez bien passé en revue tous les appareils de chauffage, les raccordements, les chauffe-eau?» «J’ai seulement montré qu’il n’était pas dangereux de subir une prise de sang! », répond notre animateur.
Doit-il en être penaud… ou fier? A vous de juger!

Il arrive que le seul objectif pédagogique que se fixe l’animateur lors d’une séance soit la création du climat de confiance et l’expression de tous les participants; en effet, parmi les personnes en précarité, s’exprimer en groupe peut être devenu très difficile, et faire qu’elles y parviennent est le préalable indispensable à toute autre démarche de promotion de la santé.
L’animation-santé offre aux participants l’occasion d’expérimenter des relations positives avec autrui; cette expérience est potentiellement très bénéfique pour des personnes confrontées à des milieux de vie hostiles. Elle peut se répéter sans danger dans le groupe, jusqu’à ce que la personne se sente capable de risquer de telles expériences à l’extérieur du groupe.
Ni sauveur, ni prof.: accompagnateur
Lors de la poursuite des objectifs pédagogiques, l’animateur se positionne comme un catalyseur autant que comme un expert dispensateur de savoir. Ce positionnement doit permettre aux attentes de s’exprimer et se clarifier, aux questions de se formuler, et aux réponses de jaillir petit à petit du groupe lui-même et de s’ordonner progressivement, avec l’aide et l’accompagnement de l’animateur.

Les contenus: tout l’éventail des déterminants de santé

Ce qui émerge ainsi au cours de l’animation peut appartenir à différents domaines de la santé: connaissance du corps, connaissance des maladies, leur prévention, leur dépistage et leurs traitements, éducation des enfants, bien-être psychique et rapports avec les autres, bien-être au travail, influences de l’environnement, etc.
Selon le cas, un thème principal est ou non défini à l’avance. Dans le premier cas, comme on l’a vu plus haut, l’animateur essaie d’être au plus près des réels besoins des participants; lorsqu’aucun thème n’est défini, c’est de l’analyse des besoins avec le groupe qu’émergera le sujet de l’animation ou de la série d’animations. En essayant de définir ses besoins, il peut arriver que le groupe passe par la définition de situations à problèmes auxquelles il souhaite remédier.
Les réponses que les participants élaboreront ensemble ne seront sans doute pas toujours exactement celles que la science dispense dans les ouvrages ou les conférences académiques. Mais elles ont de fortes chances d’être adaptées aux besoins particuliers des participants et aux situations qu’ils vivent. Le savoir, savoir-être ou savoir-faire révélé, ordonné et produit par l’animation-santé n’est pas du prêt-à-porter… mais bien du « sur mesure »!

Les difficultés

Les difficultés le plus souvent rencontrées lors des séries d’animations sont posées par les groupes ouverts et mouvants. Il est difficile de conserver un groupe stable tout au long de l’année, et ceci peut entraver la poursuite d’objectifs à moyen terme. Nos animateurs essaient de s’adapter à cette réalité; selon les groupes et les institutions, on essaie de poser un cadre plus ou moins strict pour les animations (arriver à l’heure ou non, s’engager pour plusieurs séances ou non…). Cette difficulté se présente moins souvent dans les groupes en formation ou pré-formation professionnelle, plus stables.

Et l’évaluation?

La dynamique des animations est toujours riche et porteuse; beaucoup d’informations s’échangent, des prises de conscience se font, des confiances se reconstruisent. Au delà de cette évaluation subjective, l’animation-santé est un outil difficile à évaluer en terme de résultats: l’adaptation instantanée des objectifs pédagogiques aux besoins des participants, leur manque de connaissance de la langue parlée ou écrite, la mouvance des groupes, la difficulté d’un suivi à long terme rendent l’évaluation pédagogique et l’évaluation de résultat et d’impact particulièrement compliquées sur le plan méthodologique.
Ceci ne doit pas empêcher l’animateur de chercher à s’équiper d’outils rigoureux pour évaluer son action. A Cultures et Santé – Promosanté, nous avons choisi de procéder tout d’abord à une évaluation rigoureuse du processus: que se passe-t-il dans une animation-santé? Quels sont les problèmes rencontrés par les animateurs ou par le public? Quels sont les objectifs de cet outil, et permet-il de les atteindre? De quelles méthodes et techniques est-il constitué? Etc. Ces questions ont été explorées au cours d’une recherche-action d’une durée de trois ans, soutenue par le Ministère de l’Aide à la jeunesse et de la Santé de la Communauté française.

L’évaluation de processus en recherche-action

Cadre de référence: les objectifs des animateurs

Notre secteur d’animation-santé d’adultes s’est fixé une série d’objectifs:
– avec les institutions demandeuses: pour toute demande, un travail d’analyse et de négociation est mené avec les travailleurs et les responsables concernés;
– avec le public-cible: les objectifs se déploient selon cinq grandes orientations: l’instauration de la confiance, la prise de conscience individuelle ou collective des besoins et des problèmes, l’expression de ces besoins et problèmes, l’émergence de démarches actives individuelles et collectives (à l’intérieur ou à l’extérieur du groupe), et enfin l’assurance d’une continuité.
Notre but n’est pas de figer l’animation-santé, mais au contraire de comprendre cet outil dans ce qu’il a de vivant et d’étroitement dépendant du temps, des circonstances et des caractéristiques du public de participants. Pour ce faire, une grille d’observation a été construite en consensus par les animateurs du secteur

Une grille d’observation

Pour établir la grille, les animateurs se sont appuyés sur leurs propres expériences ainsi que sur les nombreux rapports d’animation engrangés par l’institution. Le savoir-faire des acteurs en promotion de la santé extérieurs à l’institution a aussi été exploité, par le biais des rapports d’évaluation de nos cycles de sensibilisation des relais à la pratique de l’animation-santé.
La grille comporte notamment une vingtaine de questions, qui explorent les principales méthodes et techniques utilisées en animation-santé ainsi qu’une série d’effets ou d’événements qui peuvent être observés pendant l’animation.
Après plusieurs phases de test de la grille, un total de 88 animations a été observé. Elles ont concerné 32 groupes. Ceux-ci peuvent se répartir grossièrement en deux catégories: ceux que nous appellerons «groupes d’accueil», par opposition à ceux qui relèvent d’un projet d’insertion socio-professionnelle (pré-formation ou formation). Les «groupes d’accueil» sont formés à l’initiative d’associations d’alphabétisation, de maisons de quartier, de partenariats de quartier, d’associations ouvertes aux personnes en séjour illégal, ou encore sont des groupes de parents d’élèves, ou de parents venant avec leur bébé dans une «maison ouverte» (3) .
Chaque groupe a participé à une animation minimum, jusqu’à une série de dix animations. Le nombre de participants par animation variait entre 7 et 13, avec une moyenne d’une dizaine de participants.

Les résultats

Nous avons regroupé les questions de la grille par grandes catégories, et pour chacune, nous synthétiserons les résultats de la recherche.
L’instauration d’un climat de confiance
Pour prendre la mesure de la confiance ambiante, les observateurs ont utilisé une série d’indices verbaux et non verbaux. Au-delà de l’écoute de l’animateur, les participant(e) témoignent qu’ils sont en confiance lorsqu’ils laissent s’exprimer leurs émotions par des sourires, des rires, des expressions de tristesse… S’ils étaient au départ tendus, repliés sur eux-mêmes, on peut les voir petit à petit s’ouvrir et se détendre. Il arrive que les femmes, se sentant à l’aise, ôtent leur foulard ou leurs chaussures…
La participation verbale est bien sûr un signe déterminant de la confiance: les participants osent poser des questions et donner leur avis, échangent des informations, racontent leurs expériences, et se permettent de dénoncer des faits qui leur posent problème ou d’énoncer des revendications.
Dans toutes les animations, plusieurs de ces indices ont été relevés. En moyenne, cinq de ces signes sont simultanément présents. Dans tous les cas, le climat de confiance s’installe dès la première animation. Des signes indirects de la confiance sont également observables.
Une éthique et des règles
Pour que la confiance persiste, il est impératif qu’une série de règles déontologiques et éthiques soient respectées par l’animateur et par les participants. Par exemple, ces derniers doivent avoir l’assurance que leurs propos ne seront pas divulgués hors du groupe, et que toutes leurs réactions seront accueillies dans le respect. Les observations montrent que l’animateur ressent la nécessité d’énoncer des règles de fonctionnement dans plus de la moitié des animations, souvent lors de la première animation d’une série. La règle la plus souvent énoncée est de s’écouter les uns les autres sans s’interrompre; ensuite vient la règle de confidentialité.
Les techniques de l’animateur-santé
Pour poursuivre ses objectifs, l’animateur-santé utilise différentes techniques. Elles sont reprises à la figure 1. Dans 84% des cas, l’animateur renvoie des questions au groupe , afin d’amener le groupe à utiliser ses propres ressources, dans une finalité de valorisation et d’autonomie. Cette technique laisse aussi le temps au groupe de mieux découvrir ses vrais besoins; parfois, derrière une simple demande d’information, il s’en cachent d’autres, qui touchent de plus près les préoccupations réelles des participants. L’autre technique la plus fréquente est la transmission d’informations au groupe (dans deux tiers des cas).
D’autres techniques viennent régulièrement compléter ces deux premières: l’expression libre (28%), le travail sur les représentations (24%), le recueil des besoins (20%), l’éducation par les pairs (18%), le travail sur les croyances (15%), et l’imagination libre ( ou « brainstorming », 14%). Nous en analysons plus spécifiquement trois ci-dessous.
Le recueil des besoins se fait le plus souvent par un tour de table, parfois par questions-réponses et par l’expression libre.
Les représentations que les personnes ont de tel mot ou concept sont explorées au moyen de questions-réponses, du brainstorming ou de l’expression libre.
Les croyances émises par les participants sont autant de fenêtres ouvertes sur leurs attitudes culturelles, familiales ou personnelles. Il est d’important de les interroger et de les écouter, notamment pour mesurer si elles font obstacle à un comportement de santé (voir l’encadré ci-dessous); dans ce cas, il faut pouvoir les travailler sans les attaquer de front. L’approche positive de la croyance est une alternative à la démonstration scientifique classique: l’animateur commence par chercher dans la croyance émise un élément, si petit soit-il, auquel il puisse adhérer; il peut alors se mettre en accord et non en opposition avec le participant, afin d’utiliser la croyance comme tremplin pour son message d’éducation pour la santé (voir un exemple dans l’encadré ci-dessous). Il peut aussi faire appel aux autres participants ou à une autre expertise, ou encore baser sa démonstration sur des analogies.

Un petit choix de croyances…

– On soigne une plaie avec des cendres de cigarette, et une brûlure avec des épluchures de pomme de terre (exemple d’approche positive: «Il est vrai que les épluchures de pommes de terre donneront une impression de fraîcheur à l’endroit de la brûlure; pour obtenir un véritable refroidissement, le plus radical est de mettre la partie brûlée sous le robinet d’eau froide pendant dix minutes»).
– Je ne veux pas faire de prise de sang: le médecin pourrait trouver des maladies pour lesquelles je ne pourrai rien faire, et je serai encore plus malade.
– On soigne l’anémie avec du vin rouge ou du concentré de tomates.
– Boire de l’eau tiède à jeun fait maigrir car cela dissout les graisses.
– Le lait est bon pour les personnes cardiaques.
– On soigne la toux en avalant de l’huile de palme dans laquelle on a mis une goutte de pétrole.
– La pilule fait fondre les spermatozoïdes.

Les jeux, le photolangage et le travail en sous-groupe sont des techniques plus rarement utilisées. Cette sélection de techniques par l’animateur est fortement influencées par les problèmes de compréhension de la langue, très fréquents parmi notre public-cible. Dans le cadre de cette étude, le travail manuel n’a été utilisé que lors d’une seule animation.
La pédagogie: participation, souplesse et… savoir-faire!
Dans presque toutes les animations, l’animateur se fixe un ou plusieurs (maximum trois) objectifs pédagogiques avant l’animation. Dans plus de la moitié des animations, un participant apporte une question, une histoire vécue ou une information générale qui suscitent de l’intérêt et influencent le déroulement de l’animation.
Des problèmes de compréhension sont observés dans les trois quarts des animations. Dans la plupart des cas, ils sont liés à un manque de maîtrise du français; moins souvent, ils sont de type cognitif. L’animateur doit adapter sa pédagogie et ses outils à cette réalité. Cette réalité explique aussi qu’une évaluation pédagogique par questionnaire est difficile à mettre sur pied avec ce public-cible; nous devons trouver des stratégies spécifiques pour évaluer les animations-santé.

Des exemples d’histoires vécues et racontées par les participants, qui influencent le déroulement et la dynamique de l’animation

Une mère raconte: «Les enfants m’avaient enfermée dans une pièce; j’ai cassé la porte car j’avais peur qu’ils aillent sur la terrasse»; l’histoire introduit un débat sur les accidents domestiques. Un homme explique: «L’un de mes amis s’est fait opérer, il croyait que tout était remboursé par la mutuelle; mais il n’a retouché que 60% d’une facture de 250.000 FB; cela l’a mis sur la paille». Cette histoire suscite des réactions très dynamiques dans le groupe, c’est l’occasion pour l’animateur de vérifier et ordonner les connaissances en matière de coût des soins de santé.

Valorisation et solidarité
Dans plus de la moitié des animations, l’animateur met en évidence des qualités de savoir-être et de savoir-faire des participants. Citons comme qualités relevées:
– le courage, l’honnêteté, le don de soi en situation précaire;
– les capacités de réflexion, d’observation, de perspicacité, de participation;
– des aptitudes (par exemple, un participant montre comment il faut porter de lourdes charges sans se faire mal au dos).
Ce comportement de valorisation est moins fréquent entre participants, mais s’observe tout de même dans 12% des animations. Les qualités relevées sont du même ordre.
Par contre, un soutien entre participants est observé dans 80% des animations. Il se répartit également entre trois formes d’aide: traduire, informer ou expliquer. En renvoyant les questions au groupe, l’animateur encourage ces comportements.
Impuissance et contraintes
Dans plus de la moitié des animations, les participants évoquent des contraintes qui empêchent les comportements de mieux-être, et ceci quel que soit le type de groupe. Il s’agit du manque d’argent, du manque de temps pour se soigner, mais aussi de l’insalubrité et l’étroitesse du logement, du manque de solutions de garde d’enfants, des difficultés pour se soigner quand on est en situation illégale.
Dans près de la moitié des animations, l’un ou l’autre participant exprime son impuissance face à des situations concrètes et personnelles difficiles. Ce sentiment est plus souvent enregistré dans les «groupes d’accueil» que dans les groupes en insertion socio-professionnelle ou en formation.
Ces deux dernières observations indiquent que les contraintes sont aussi pesantes dans les deux types de groupe, mais que les personnes en insertion socio-professionnelle ou en formation les vivent avec un moindre sentiment d’impuissance.
L’émergence de démarches individuelles ou collectives
Dans 13% des animations, des participants expriment spontanément des décisions de démarches actives pour leur santé: perdre du poids, entamer des démarches pour trouver un emploi ou un bénévolat, se rendre dans une institution de soins, écrire une lettre collective à une ambassade… Dans le cadre de cette recherche, il ne nous est pas possible d’évaluer le devenir à long terme de ces démarches.
Dans notre série d’observations, il est arrivé dans 4 des 32 groupes, que l’animateur résume pour le groupe une situation à problème sur laquelle tout le monde souhaitait agir. Parmi deux projets de groupe qui ont démarré, l’un a pu être mené à terme: des mères ont créé un groupe de parole où elles peuvent parler des problèmes d’éducation de leurs adolescents, tout en étant guidées par un spécialiste. Il s’agit là d’une démarche de pouvoir d’agir collective .
L’évocation de ressources extérieures au groupe
Dans les trois quarts des animations, l’animateur mentionne des ressources extérieures: le médecin généraliste, le médecin spécialiste, l’hôpital, les maisons médicales, le SAMU, l’ONE, Médecins sans frontières, les plannings familiaux, les services sociaux… Pour les problèmes psycho-affectifs, il renseigne sur les services habilités, mais insiste aussi sur l’importance du tissu social et notamment de la famille et des amis.

Conclusions

L’animation-santé est un outil de promotion de la santé particulièrement adapté aux personnes peu scolarisées, ne connaissant pas bien les langues nationales, ou vivant dans des conditions difficiles. L’évaluation de résultat pédagogique et d’impact de cet outil n’est pas aisée; en attendant de relever ce défi, nous pouvons néanmoins constater que notre recherche-action, bien qu’elle consiste en une évaluation de processus, nous donne certains renseignements sur l’impact:
– par rapport au premier objectif, instaurer un climat de confiance, nous avons relevé que dans toutes les animations, plusieurs signes verbaux et non verbaux témoignent de cette installation;
– pour les deux objectifs suivants, expression et prise de conscience de besoins, nous avons également noté une série de signes indirects observés plusieurs fois dans chaque animation: les participants posent des questions, donnent leur avis, échangent des informations, expriment des émotions, parlent de leurs expériences, évoquent des vécus personnels, osent dénoncer des faits ou être revendicatifs pour que les choses changent… ou encore expriment un sentiment d’impuissance lié à des problèmes bien précis;
– l’émergence de démarches individuelles ou collectives, quatrième objectif, a également été couvert: des participants évoquent des contraintes qui sont des freins à des comportements qu’ils veulent initier, ils témoignent d’initiatives personnelles, un projet de groupe a été initié;
– enfin, nous avons vu que l’évocation de ressources externes (mise en réseau, personnes-ressources, famille, informations…) est un moyen d’assurer la continuité qui répond à notre cinquième objectif.
Y a-t-il un modèle unique d’animation-santé? Nous observons en fait un continuum entre deux modèles extrêmes: à un bout, une action d’éducation pour la santé pédagogique «classique», et à l’autre bout (quand les conditions le permettent), une action de type communautaire débouchant sur un projet collectif. La limite entre éducation pédagogique et travail communautaire, quoique clairement définie (dans le premier cas, l’animateur détermine les objectifs pédagogiques; dans le second cas, son objectif est de faire émerger des objectifs communautaires), peut se révéler très fine: s’il en vient à accompagner un groupe dans l’exécution d’un projet commun, l’animateur bascule de l’un à l’autre de ces courants de la promotion de la santé.
Tout au long de ce continuum, l’animation-santé apparaît comme un processus très vivant, mouvant, mouvementé, et à tout le moins, participatif. Cet outil suscite la confiance et favorise la valorisation des personnes; il permet l’évocation des problèmes vécus et la prise de conscience des besoins; enfin, il induit l’échange d’informations et d’expériences et l’évocation de ressources extérieures nouvelles. Il réunit donc plusieurs conditions d’atteinte d’un mieux-être, même si la quantification de cet impact reste encore à faire.
Dr Marianne Flament , formatrice
Adresse de l’auteur:
Cultures et Santé – Promosanté ASBL, rue Gallait 60, 1030 Bruxelles
(1) Voir le «Guide de l’animation-santé» de Nicole Tinant, Cultures et Santé – EVO éd., Bruxelles, 1993; et « Information sexuelle; Le guide pratique de l’animation-santé » de Nicole Tinant et co-auteurs, même éd., 1995. Ces deux ouvrages sont disponibles à Cultures et Santé – Promosanté.
(2) Voir le «Guide de l’animation-santé» de Nicole Tinant, Cultures et Santé – EVO éd., Bruxelles, 1993; et « Information sexuelle; Le guide pratique de l’animation-santé » de Nicole Tinant et co-auteurs, même éd., 1995. Ces deux ouvrages sont disponibles à Cultures et Santé – Promosanté.
(3) Lieu d’accueil et de jeu pour les bébés et petits enfants accompagnés d’un ou plusieurs adultes
(4) En éducation pour la santé et dans divers projets de type communautaires, les techniques manuelles et créatives peuvent être utilisées comme «activités-prétextes» permettant de rassembler le groupe autour d’un intérêt commun.
(5) En référence à l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités telle que formalisée par l’équipe de Yann Le Bossé, Université Laval, Québec (voir Decoster B.,
‘Pouvoir d’agir et pratiques sociales: changer le monde au quotidien’ , Education Santé, n’°16 (avril 2002), pp.12-15.

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