Articles de la catégorie : Lu pour vous

Le zeste qui compte

Le 30 Déc 20

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Le service éducatif de la Médiathèque/PointCulture a sorti récemment une impressionnante publication autour de l’alimentation.

Cette brochure de 150 pages offre un large panorama de la façon dont différents moyens de communication traitent cette problématique. De l’enquête au documentaire sonore, des chants de travail au cinéma de fiction, des films documentaires et des chansons célèbres ( ‘Les sucettes’, ‘Banana Split’… ), accompagnés d’interviews de réalisateurs, d’analyses, de réflexions et de quelques fiches pratiques judicieusement choisies : tout y est ou presque.
Le tout pour déconstruire, réinvestir l’imaginaire de la nourriture et se réapproprier les représentations afin de retrouver le goût du choix et le plaisir du goût.

On trouvera souvent dans les médias présentés des approches très critiques du système agro-alimentaire. Il y aussi pas mal de petits bijoux. L’un n’empêche pas l’autre d’ailleurs, comme en témoigne par exemple le superbe film d’ Agnès Varda ‘Les glaneurs et la glaneuse’ (2002).

Quant aux amateurs de fiction, ils se régaleront à l’idée de revoir par exemple ‘La grande bouffe’ ( Marco Ferreri , 1973), ‘Le festin de Babette’ ( Gabriel Axel , 1987), ’Tampopo’ ( Juzo Itami , 1985), ’Ratatouille’ ( Brad Bird et Jan Pikava , 2007) ou encore l’exquise série britannique ‘Downton Abbey’ (2010-en cours) dans laquelle la nourriture joue un rôle essentiel.

L’ouvrage évoque aussi le grand chef parisien Alain Passard, magicien des légumes (DVD ‘Le solfège des légumes’ ). À son propos, nous ne résistons pas au plaisir de vous recommander aussi le reportage BD génial de Christophe Blain ( ‘Quai d’Orsay’ ), ‘En cuisine avec Alain Passard’ (Gallimard, 2011), qui dévoile la philosophie et le travail du cuisinier avec beaucoup d’humour.

La brochure est illustrée de photos d’ Uli Westphal, qui circulent dans le circuit de PointCulture jusqu’en juin 2014.

Cette publication est disponible en ligne : https://pointculture.be/service-educatif/publications. La version imprimée est diffusée dans les médiathèques/PointCulture.

Envie d’utiliser un documentaire dans une optique pédagogique ? Droit au but avec les cahiers de la collection

Repérages

Combinant discours et illustrations esthétiques et didactiques, le documentaire est efficace pour capter l’attention et séduit pour une utilisation en classe ou en groupe. Mais il contient souvent une masse importante et complexe d’informations qui peut constituer un frein à l’intégration dans un cours ou une animation.

Cette complexité constitue pourtant une richesse car elle offre plusieurs niveaux de discours, de perception et d’exploitation. Ainsi, les cahiers de la collection Repérages ont pour vocation d’aider les éducateurs (enseignants, animateurs, formateurs, etc.) à mieux comprendre et utiliser le documentaire. Ils constituent avant tout des portes d’entrée pour encourager la discussion autour d’une thématique. Ainsi, ils proposent :

– trois ou quatre documentaires sur la thématique (disponibles à PointCulture);
– des repères temporels pour accéder facilement aux extraits les plus intéressants;
– des recommandations d’extraits adaptés pour délivrer ou illustrer une information importante;
– des niveaux scolaires recommandés;
– des informations organisées pour comprendre la thématique du point de vue de l’éducation pour la santé/éducation à – la nature et à l’environnement;
– l’identification d’éléments d’éducation aux médias;
– des idées de prolongement et d’exploitations pédagogiques.

Les cahiers déjà parus traitent des sujets suivants :

– une alimentation saine, c’est possible ! Agir pour sa santé et de celle de la planète;
– la vache et l’industrie. Un animal, des animaux, la viande;
– le suicide : entre désir de vivre et envie d’en finir. Comprendre la souffrance;
– la peur du loup. Une immersion entre symbolique et inquiétude;
– l’accès à l’eau, une question de choix
– le plastique, ses additifs et la société. Quand 0+0+0 = quelque chose.

Les cahiers de la collection Repérages sont disponibles en ligne sur https://pointculture.be/service-educatif/publications/ mais aussi en appli pour tablettes, sur Itunes et Google Play.

Envie de suivre l’actualité des documentaires en lien avec l’éducation pour la santé ? PointCulture vous propose de surfer sur PointSanté (https://pointsante.wordpress.com), un blog proposant une série d’articles, de chroniques et une sélection de films retenus pour leurs qualités cinématographiques en lien avec une thématique ou un événement lié à la santé au sens large.

Des idées pour vous permettre de réussir une animation à l’aide de supports audiovisuels utiles ?
PointCulture, Service éducatif, place de l’Amitié 6 à 1160 Bruxelles, courriel : service.educatif@lamediatheque.be, 02/737 19 29.

25 façons de faire de l’éducation pour la santé

Le 30 Déc 20

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25 ou presque, avec le copieux contenu du numéro spécial de la revue Santé publique paru l’an dernier sous le titre général de ‘Éducation pour la santé : une place insuffisante dans la politique de santé ? Enjeux et pratiques d’une discipline à redécouvrir’. Je ne vous surprendrai pas en commençant par préciser que le point d’interrogation est malheureusement superflu. À lire les auteurs, la situation en France est même encore pire que chez nous, c’est vous dire…

Bien heureusement, cette livraison de la revue bimestrielle ne se contente pas de lamentations aussi vaines que lucides. Par la variété et la diversité des apports de ses contributeurs, elle administre la preuve que tout n’est pas si sombre dans une ‘discipline’ qui s’est fortement et heureusement professionnalisée depuis l’activisme des années 70, sans perdre pour autant son engagement militant pour plus de justice dans le champ socio-sanitaire.

Ce numéro de plus de 150 pages analyse les évolutions qu’a connues l’éducation pour la santé et objective la réalité et la diversité des pratiques actuelles dans le domaine.

Il est structuré en quatre parties.

La première est consacrée aux évolutions éthiques, historiques et politiques de l’éducation pour la santé en France.

La deuxième partie aborde les enjeux conceptuels et méthodologiques de l’éducation pour la santé, en particulier à l’aune du développement de la promotion de la santé, qui lui fait de l’ombre depuis plusieurs années, en triomphant… dans les discours.

Une troisième partie fournit des éclairages internationaux sur l’éducation pour la santé, issus du monde francophone, mais aussi de l’Amérique du Sud, dont l’apport a été majeur dans le domaine. Côté belge, c’est Martine Bantuelle (asbl Santé, Communauté, Participation et asbl Éduca-Santé) qui s’y colle, posant cette question existentielle pour beaucoup d’entre nous ‘La promotion de la santé restera-t-elle une utopie dans un système politique morcelé? Le cas de la Communauté française de Belgique’.

Dans la dernière et quatrième partie sont exposées des pratiques et des actions qui se distinguent par leur rigueur méthodologique, leur souci d’évaluation, leur volonté de réduction des inégalités sociales de santé et/ou leur inscription dans une perspective de promotion de la santé. Dédié à la mémoire du regretté Bernard Goudet, ce numéro de Santé publique est en vente au prix de 28 euros (frais d’envoi inclus) à la Société française de santé publique, 1 rue de la forêt, 54520 Laxou. Les articles peuvent aussi être achetés à l’unité (5 euros pièce). Courriel : pn@sfsp.info. Internet : https://www.sfsp.fr.

Santé en soi, une nouvelle collection ‘santé’ belge

Le 30 Déc 20

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Les éditions Mardaga lancent aujourd’hui une collection ‘pour poser les grandes questions qui traversent le domaine de la santé tant physique que mentale’. Un pari a priori audacieux dans un segment du marché de l’édition que l’on pourrait croire saturé.

Nous avons rencontré Karin Rondia , la responsable de ce nouveau projet éditorial.

Éducation Santé : Pourquoi les éditions Mardaga ont-elles fait appel à vous pour leur nouvelle collection santé ?

Karin Rondia : Mardaga a une tradition d’ouvrages réservés à des professionnels. Ils souhaitaient toucher un public plus large en faisant sortir leurs savoirs du carcan académique. Apparemment, ils appréciaient la ligne qui était la mienne à l’époque où je dirigeais ‘Équilibre’ (1), et souhaitaient la retrouver dans leurs publications.
En d’autres termes, avec les auteurs, nous voulons aider les lecteurs à comprendre une problématique, nous ne cherchons pas à seulement transmettre un savoir aride ou à leur ‘conseiller’ tel ou tel comportement à appliquer aveuglément. C’est sans doute aussi ce qui nous rapproche des valeurs défendues par votre revue !

Les trois premiers titres

La mort choisie, comprendre l’euthanasie et ses enjeux, par François Damas

En Belgique, l’euthanasie est dépénalisée depuis 2002. Elle est aujourd’hui considérée comme un acte de soins qui peut être pratiqué exclusivement par un médecin, à condition que le malade en fasse la demande expresse et répétée.
Ce livre constitue le témoignage nuancé d’un médecin en soins intensifs engagé dans la pratique de l’euthanasie. C’est à la fois un plaidoyer pour une meilleure compréhension de ce qu’est réellement cet acte ultime et une réflexion sur la fin de vie dans une société de plus en plus médicalisée. À côté de l’euthanasie, l’ouvrage aborde également les autres décisions médicales relatives à la vie finissante, telles que la sédation ou les soins palliatifs.

Vivre avec Alzheimer, comprendre la maladie au quotidien, par Valentine Charlot

«Si on me dit que je suis personnellement atteint ou qu’un de mes proches est atteint de la maladie d’Alzheimer, qu’est-ce que je souhaiterais qu’on m’explique ?»
Cet ouvrage concret et pratique s’adresse en premier lieu aux malades eux-mêmes et décrit leur quotidien, leur donnant des repères sur le mal dont ils sont atteints, sans généralisation ni angélisme ni dramatisation excessive.
L’auteure, psychologue, neuropsychologue et gérontologue, y explique les symptômes de la maladie à la lumière de ce que l’on sait du fonctionnement du cerveau. Le livre propose aussi des conseils pour accompagner les patients, sans les infantiliser, dans le respect de leurs particularités, en s’appuyant sur ce qu’ils sont capables de faire et en mobilisant leurs ressources pour continuer à communiquer.

Mon enfant est insupportable ! Comprendre les enfants difficiles, par Isabelle Roskam

Les comportements d’agressivité, de provocation et de désobéissance sont fréquents chez les petits. En tant que parent, comment faire face à ces situations ? L’enfant ‘difficile’ est-il foncièrement insupportable ? L’éducation doit-elle être mise en cause ? Quand faut-il consulter ?
L’auteure, psychologue clinicienne spécialiste de la petite enfance, apporte de nombreuses informations permettant de mieux comprendre ces enfants et situations difficiles. Elle fournit aussi des conseils pour les parents débordés tout en aidant les professionnels à remettre à sa ‘juste place’ le questionnement des parents.

Collection Santé en soi, Éditions Mardaga, 18 euros chaque titre.

E.S. : Quelle est plus précisément l’ambition de la collection, en quoi se distingue-t-elle de la ‘concurrence’, qui est vive dans le secteur ?

K.R. : Son objectif est de fournir un solide tour d’horizon d’un problème de santé, en faisant appel à des spécialistes capables de populariser leur savoir et leur expérience sans jargonner inutilement leur propos, mais aussi sans le simplifier à outrance.

E.S. : Le marché de ce genre d’ouvrages n’est-il pas déjà saturé ?

K.R. : C’est vrai que le rayon ‘santé’ est très bien fourni dans les librairies. Mais la plupart des titres destinés au grand public sont des livres de recettes au sens générique du terme, et aussi très souvent au sens propre d’ailleurs, avec les recettes de cuisine santé et les innombrables livres de régimes, aussi inefficaces pour leurs acheteurs que rentables pour leurs auteurs.
Je me suis rendu compte que le concept que nous souhaitions développer avec Mardaga pouvait se distinguer de l’offre dominante dans ce segment. Heureusement, il y a l’une ou l’autre exception, comme Odile Jacob par exemple, qui réussit à concilier rigueur et attractivité. C’est dans ce créneau-là que nous voulons nous inscrire.

E.S. : Comment s’est fait le choix des trois premiers titres ?

K.R. : Mes activités professionnelles passées m’ont mise en contact avec un grand nombre de spécialistes de la santé passionnés et passionnants. Ces nombreuses belles rencontres étaient évidemment idéales pour leur proposer d’écrire pour le grand public. En ayant travaillé avec eux auparavant, en assistant à leurs conférences, je crois pouvoir juger assez bien de leur capacité à toucher juste.

E.S. : Quel est votre rôle en tant que directrice de la collection ?

K.R. : Nous avons mis au point un canevas commun à tous les titres : des ouvrages d’environ 200 pages, une dizaine de chapitres, un résumé ‘en quelques lignes’ à la fin de chaque chapitre, des mots-clés pour mieux appréhender le sujet abordé et enfin des conseils de lecture pour aller plus loin. Autre caractéristique à laquelle je tiens beaucoup : les auteurs s’expriment à la première personne, ils partagent donc leur expérience personnelle et leurs propres convictions. Ils ne se retranchent pas derrière la pseudo-objectivité de l’expert.
Je suis aussi très heureuse du soin apporté par Mardaga à la maquette des livres et du travail épatant de Cécile Bertrand, qui réalise les dessins de couverture.

E.S. : Quel est le tirage des premiers titres de la collection ? Visez-vous seulement le marché domestique ou espérez-vous toucher d’autres marchés francophones ?

K.R. : Nous prenons le risque calculé d’un tirage de 3000 exemplaires, ce qui peut sembler beaucoup. Nous visons clairement à dépasser la seule Belgique, et les auteurs en ont tenu compte dans leurs manuscrits.
Pour la France, nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur Sodis, le diffuseur du groupe Gallimard. Une collaboration très précieuse, facilitée d’ailleurs par la personnalité de ceux qui ont accepté de préfacer nos premiers ouvrages : ZEP , le papa de ‘Titeuf’ pour ‘Mon enfant est insupportable !’ d’ Isabelle Roskam ; Martin Winckler pour ‘La mort choisie’ de François Damas. Difficile de trouver meilleurs parrains pour baptiser une collection !

E.S. : Les auteurs et les thèmes suivants sont-ils déjà connus ?

K.R. : Je peux vous annoncer un livre sur le dépistage des cancers, un autre sur les pratiques alternatives et le cancer, un essai critique sur le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (2) et un quatrième sur la fragilité du grand âge. Mais cela, c’est pour l’année prochaine !

(1) Voir notre article ‘Ne dites plus Équilibre, zeg nu Bodytalk’, Éducation Santé n° 281, septembre 2012. Avec une pointe d’ironie, Karin Rondia nous déclarait en interview ‘devoir beaucoup à Roularta’, car sans son licenciement, elle n’aurait sans doute pas tenté cette nouvelle aventure chez Mardaga…
(2) Plus connu sous le sigle sigle DSM, abréviation de l’anglais Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, il s’agit d’un ouvrage de référence publié par la Société américaine de psychiatrie qui classifie et catégorise des critères diagnostiques et des recherches statistiques de troubles mentaux spécifiques. Le DSM-V vient de sortir cette année sur fond de controverse, de nombreux spécialistes lui reprochant de ‘fabriquer’ massivement des maladies mentales pour plaire à l’industrie pharmaceutique.

Panorama social 2013

Le 30 Déc 20

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Le service social de la Mutualité chrétienne publie la huitième édition mise à jour de ce guide des législations sociales et dispositifs sociaux en vigueur aux niveaux fédéral, wallon et bruxellois. Une véritable mine d’informations.Avec cet ouvrage de référence, les auteurs entendent faire profiter les intervenants sociaux et le grand public de leur expérience en abordant toutes les dispositions sociales en vigueur dans notre pays concernant les personnes malades, handicapées, âgées et/ou à faibles revenus.

Où dois-je m’adresser pour obtenir des allocations aux personnes handicapées ? Suis-je dans les conditions pour bénéficier d’un remboursement préférentiel en soins de santé ? En tant que malade chronique, ai-je droit au tarif téléphonique social ? À quelles conditions puis-je bénéficier d’une intervention du «Fonds Chauffage» ? Autant de questions parmi beaucoup d’autres auxquelles le Panorama social 2013 apporte des réponses concrètes.

Pour s’y retrouver facilement, le lecteur a le choix entre une table des matières classique et un ‘plan croisé’ du livre qui permet de retrouver les infos classées par groupe cible (les personnes malades, les personnes handicapées, les personnes âgées et les personnes en difficultés financières). Tous les sujets sont dotés d’un symbole permettant d’identifier immédiatement les publics concernés. En outre, un index des mots-clés en fin d’ouvrage en rend aussi la consultation plus aisée.

Vous pouvez vous procurer le guide au prix promotionnel de 32€ (frais de port compris) si vous le commandez avant la fin de ce mois. Dès le 1er mai 2013, il sera vendu en librairie au prix de 52€. Une formule d’abonnement à 42 euros est également possible, qui vous permet de recevoir automatiquement l’édition annuelle mise à jour.

Pour obtenir le Panorama social 2013 , envoyez vos nom, prénom et adresse avant le 30/04/2013 au service social de la Mutualité chrétienne, chaussée de Haecht 579 BP 40, 1031 Bruxelles. Courriel : service.social@mc.be. Vous pouvez aussi le commander le via https://www.mc.be/la-mc/conseil-aide/service-social/panorama.jsp.

La Fondation Roi Baudouin soutient les initiatives locales contre les inégalités sociales

Le 30 Déc 20

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En Belgique, les inégalités sociales en matière de santé ne s’améliorent pas. Pire, elles augmentent, selon les conclusions de l’étude TAHIB (2010) (1). C’est pourquoi depuis de nombreuses années déjà, la Fondation Roi Baudouin œuvre pour placer les inégalités de santé en haut de l’agenda politique. Sur le terrain, cela se traduit principalement par des soutiens à des projets concrets. Suite au lancement de deux appels à projets locaux en 2010, l’un en région bruxelloise et l’autre en Wallonie, deux brochures ont été publiées au printemps 2012, afin de présenter ces projets de lutte contre les inégalités sociales de santé.

Les inégalités de santé chez les jeunes en région bruxelloise – Comment agir au niveau local ?

Le premier appel concernait des projets locaux menés à Bruxelles et s’adressant à des jeunes entre 15 et 25 ans, issus pour la plupart de quartiers défavorisés. En effet, d’après les dernières enquêtes de santé, 12,5% des jeunes Bruxellois ne s’estiment pas en bonne santé (pour 5,7% dans les grandes villes en Flandre et 11,7% en Wallonie). De plus, 17% des Bruxellois de 18 à 25 ans vivent avec un revenu d’aide sociale ou de remplacement. Les actions de proximité de ce type ont donc tout leur sens.

La brochure issue de cet appel à projets présente 8 initiatives.
– La première, menée par l’asbl Bravvo, concerne la prévention en matière de vie sexuelle et affective.
– «No stress», menée par l’association de quartier L’Abordage, vise à accroître le bien-être des jeunes de la cité d’Esseghem, à Jette, et à leur apprendre des habitudes de vie saine.
– En proposant un parcours de quatre mois combinant pratique régulière d’un sport et conseils en matière d’alimentation et santé, Buurtsport Brussel a motivé un groupe de femmes d’origine étrangère en faveur d’un style de vie plus équilibré.
– Exil – un centre de santé mentale spécialisé dans la réhabilitation des réfugiés ayant été victimes de tortures et/ou de violences dans leur pays d’origine – a apporté plus d’autonomie et de liens sociaux à des mineurs étrangers non accompagnés… via des ateliers de cuisine.
– «Des jeunes expliquent la santé à d’autres jeunes». 150 élèves de l’école secondaire KTA de Jette ont eu l’occasion de participer à une consultation médicale auprès d’étudiants en médecine/pharmacie de la VUB. Le but était de permettre aux jeunes de rencontrer d’autres jeunes susceptibles de répondre aux questions sur leur santé.
– L’asbl Mosaïc, une maison de quartier multidisciplinaire, propose une méthode pédagogique – le «drama» – qui explore le ludique et l’artistique, afin de découvrir les potentialités et capacités de chacun, en exprimant son propre vécu dans le jeu dramatique.
– Jeugd en Stad, installée à Molenbeek, suit depuis deux ans sept clubs de football de quartiers défavorisés à Bruxelles. Avec les jeunes et les bénévoles, quatre animateurs mettent en place des compétences sportives et socio-éducatives.
– Enfin, l’antenne nommée La Bougie, un espace communautaire de la cellule de prévention d’Anderlecht, propose des ateliers d’écriture, qui se sont développés en ateliers musicaux.

Inégalités de santé et initiatives locales – Bonnes pratiques en Wallonie autour du logement

Le second appel à projets, lancé en partenariat avec l’Observatoire wallon de la santé, concernait les initiatives visant à réduire les inégalités sociales de santé liées au logement en Wallonie. L’objectif: favoriser un habitat et des lieux de vie de qualité, en intervenant sur les facteurs de risque tels que l’excès d’humidité, la pollution, le stress, l’absence de réseau social, une mauvaise hygiène de vie, etc., ainsi que sur les facteurs protecteurs (activité physique, liens sociaux, estime de soi, par exemple). Au-delà du soutien financier, la Fondation a organisé un accompagnement individuel et des moments d’échange collectifs.

Ce sont ici neuf initiatives qui sont présentées.
– La première est menée par le CPAS de Waremme. Elle a pour objectif de tisser des liens entre locataires de logements sociaux, via un potager communautaire bio, des ateliers de cuisine, des stages d’été, etc.
– Quatre autres initiatives sont également basées sur l’expérience d’un potager communautaire comme source de cohésion sociale et d’amélioration du bien-être. Ainsi, le CPAS d’Orp-Jauche a choisi de favoriser l’intégration sociale des familles précarisées et isolées en lançant un projet centré sur une alimentation saine et l’aménagement d’un jardin communautaire. À Tellin, grâce à l’association D.E.F.I.T.S, un potager pour les personnes défavorisées a également été aménagé. À Chaudfontaine-Vaux, grâce à la Régie des quartiers, les habitants des maisons sociales peuvent désormais cultiver leurs légumes grâce à l’aménagement d’un potager communautaire. Enfin, suite à la demande de rénovation des balcons de l’immeuble «La Belle Maison», le service logement de la Commune de Marchin a vu une belle occasion d’améliorer le cadre de vie des personnes âgées (rénovation des balcons d’un immeuble social pour personnes âgées, les encourager à y aménager un petit potager et tisser ainsi des liens entre locataires).
– Le projet «Dis-moi où tu loges, je te dirai comment tu vas» vise à améliorer la santé globale et le confort de l’habitation de la population de Péruwelz, en organisant des moments de rencontre avec des experts de terrain.
– La Régie des quartiers de Verviers et le Service d’activités citoyennes d’Ensival ont dressé un état des lieux de la santé et du logement dans le quartier d’Ensival et mis sur pied des groupes de parole pour les habitants afin de leur permettre de s’impliquer dans leur santé et leur logement.
– Une expérience originale de formations autour de la thématique du logement a été lancée par l’asbl Habitat-Service, en partenariat avec plusieurs associations et services publics liégeois (tri des déchets, entretien du logement, économies d’énergie, droits et devoirs vis-à-vis du propriétaire…). Il s’agit de rassembler les compétences pour apprendre aux personnes en situation précaire à se créer un cadre de vie sécurisé et sain.
– Enfin, l’asbl Les Chanterelles (Seraing) a mis sur pied un logement accompagné «pas comme les autres» pour personnes handicapées.

Les deux brochures sont disponibles sur le site de la Fondation Roi Baudouin ( https://www.kbs-frb.be , onglet «Publications»). Une version imprimée peut aussi être commandée (gratuitement) sur le même site, par courriel à l’adresse publi@kbs-frb.be ou auprès du centre de contact au 070 233 728, fax 070 233 727.

À noter, ces deux brochures présentent également la Lentille ISS (2), un outil d’analyse centré sur l’équité, mis au point en collaboration avec une équipe scientifique de l’Université de Gand et l’asbl Sacopar, afin d’aider les responsables dans leurs démarches sur le terrain.

Cet outil s’adresse à tous les acteurs qui ont l’ambition d’améliorer la santé, le bien-être et la qualité de vie de la population au niveau local, qu’ils soient décideurs institutionnels, coordinateurs, acteurs professionnels ou bénévoles. La Lentille ISS permet de s’interroger sur la façon dont un projet tient compte de la diversité sociale de la population, sur les différents groupes qui composent la population concernée par un projet, la façon dont les stratégies et les activités en œuvre dans un projet contribuent à améliorer la situation de tous les groupes et enfin, sur la capacité du projet à réduire les écarts existants entre les groupes différents.

Perception des inégalités de santé par les responsables locaux : rapport de recherche

(d’après un communiqué de l’Observatoire wallon de la santé)

Dans le cadre du suivi de projets destinés à réduire les inégalités sociales de santé au niveau local et soutenus par la Fondation Roi Baudouin, l’Observatoire wallon de la santé et la Sonecom (3) ont réalisé une étude rendant compte, à partir d’interviews réalisées dans neuf communes, de la perception des inégalités de santé de différents responsables locaux. Ce document se penche notamment sur deux questions: les conditions de la participation citoyenne et les conditions d’une bonne articulation des logiques publiques et associatives.
Pour en consulter les résultats, rendez-vous sur le site de l’Observatoire wallon de la Santé: https://socialsante.wallonie.be/?q=news-brochure-ows-rapport-recherche

(1) Tackling Health Inequalities in Belgium. Étude menée par l’Institut scientifique de santé publique (ISP), le Centre d’études socioéconomiques de la santé (SESA) de l’Université catholique de Louvain (UCL) et le Steunpunt Demografie de la VUB pour le compte du Service public fédéral de Programmation politique scientifique.
(2) La Lentille ISS (en format PDF), son mode d’emploi, un glossaire, des ressources complémentaires et un espace pour des questions sont disponibles sur le site www.inegalitesdesante.be.
Voir aussi Éducation Santé n° 275, février 2012, Bantuelle M. et Lisoir H., «Un nouvel outil pour ne plus passer à côté des inégalités sociales de santé»
(3) Sonecom est un bureau d’études spécialisé dans les enquêtes et sondages dans le secteur social: logement, jeunesse, insertion socioprofessionnelle, formation, éducation… Internet: https://www.sonecom.be

25 techniques d’animation pour promouvoir la santé

Le 30 Déc 20

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Animez un jour une séance de groupe de promotion de la santé : vous comprendrez que l’exercice ne s’improvise pas et remercierez les auteurs de ce guide de vous livrer sur un plateau les clés d’une intervention réussie… Le titre n’est peut-être pas très sexy mais il est explicite. De fait, cet ouvrage est avant tout un guide pratique pour les intervenants en promotion de la santé, publié par la jeune maison d’édition Le Coudrier, dans sa collection Outils pour la santé publique. Son auteur principal, Alain Douiller, dirige actuellement le Comité d’éducation pour la santé du Vaucluse.

Ses six complices d’écriture sont également formateurs en éducation et promotion de la santé. «Pour concevoir cet ouvrage, expliquent-ils, nous avons dans un premier temps recensé toutes les techniques d’animation que nous avions expérimentées, comme animateurs ou participants. Puis nous avons sélectionné celles qui nous sont apparues les plus opérantes et les plus utiles: celles dont nous nous servons réellement et que nous nous sentons prêts à recommander.»

Point d’exhaustivité donc mais le label “testé et approuvé” pour les 25 techniques retenues (26 en réalité). Chacune fait l’objet d’une fiche détaillée, très concrète, reprenant toujours les mêmes items choisis pour leur intérêt pratique. Rassemblées au coeur du livre, ces pages offrent une vue synthétique, donc précieuse, des outils à disposition, de leur intérêt, de ce qu’on peut en attendre, du public concerné, des moyens et conditions nécessaires au bon déroulement de la séance, des précautions à prendre, etc. Les habitués des séances de promotion de la santé retrouveront certainement de vieilles connaissances, les redécouvriront parfois, tandis que les novices puiseront un tas d’idées pour concevoir leurs premières interventions. Fidèles à leur souci de faire court et d’être utiles aux intervenants, les auteurs livrent deux tableaux supplémentaires. L’un référencie les techniques en fonction des objectifs d’animation poursuivis. L’autre liste les objectifs accessibles à partir de chaque technique.

À lire absolument avant la page 63

Un tel effort de pédagogie est déjà louable en soi. Mais le principal atout du livre est ailleurs, dans ces paragraphes qui précèdent les fiches et invitent subtilement le lecteur à prendre de la hauteur. La première partie de l’ouvrage propose de (re)situer la démarche d’animation dans le contexte singulier de la promotion de la santé et de la charte d’Ottawa. Les auteurs traduisent ainsi leur intention de «poser les jalons de l’utilisation des techniques présentées» et d’ «apporter au lecteur novice ou extérieur au secteur [de la promotion de la santé, ndlr] les principaux éléments utiles à sa réflexion».

Les plus expérimentés apprécieront la piqûre de rappel. Avec tact, Alain Douiller et ses collaborateurs amènent à s’interroger sur le sens des interventions en promotion de la santé et les valeurs qui les sous-tendent. «On sent dans cet ouvrage et dans sa construction la volonté de suggérer sans imposer, en respectant l’autonomie des lecteurs dans leur démarche d’appropriation», commente Bertrand Garros, président de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) qui signe la préface. Et de souligner qu’il «illustre ainsi avec pertinence et finesse l’esprit même de la promotion de la santé.»

Les auteurs disent avec simplicité la force mais aussi les limites de ces interventions, la vigilance particulière qu’impose d’intervenir sur des sujets de santé, la nécessaire posture bienveillante et engageante de l’animateur. Ils rappellent ce que sont le principe de participation, la dynamique de groupe et tous les bénéfices qu’on peut en tirer en les maniant avec discernement.

«Les techniques d’animation de groupe, comme certains outils d’intervention, parce qu’ils favorisent la parole et l’expression, renforcent les risques de dévoilement, d’exposition de soi», expliquent-ils. «La puissance de ces techniques fait aussi leur danger. (…) L’animateur doit donc prendre en compte ces risques, être vigilant, respecter les silences et les refus de prise de parole.»

Plusieurs petits encadrés discrets récapitulent ici ou là les questions à se poser en amont d’une intervention ou la dizaine de recommandations des auteurs pour réussir des interventions. Concernant l’évaluation, elle est mentionnée dans les objectifs possibles pour quelques-unes des techniques présentées. Un court chapitre lui est par ailleurs dédié en fin d’ouvrage, dans la partie “Pour aller plus loin”, et donne des clés pour mesurer le niveau d’atteinte des objectifs ainsi que la satisfaction des participants. Pour qui ? «Pour soi-même d’abord : l’évaluation permet de progresser, de mesurer les points positifs qui renforcent la confiance, et aussi de cerner les axes d’amélioration et de vigilance», répondent Alain Douiller et ses collaborateurs.

25 techniques d’animation pour promouvoir la santé, Alain Douiller et coll., Éd. Le Coudrier, 2012. 191 pages.

Les 26 fiches par ordre d’apparition

Présentation croisée
Portrait chinois
CV imaginaire
Blason de présentation
Blason des idées
Écoutant, écouté
Brainstorming
Photolangage
Autour du mot
Mur écrit
Focus group
Ciné santé
Dadoo village
Doutes et certitudes
Jeu de la ligne
Pour/neutre/contre
Tour de table des idées
Jeu des enveloppes
Pyramide
Carte mentale
Petits papiers
Abaque de Régnier
Scénario catastrophe
Jeu de la tentation
Échelle du temps
Technique d’évaluation orale

La Charte d’Ottawa, référence ou archive pour la nouvelle génération ?

Le 30 Déc 20

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Si la Charte d’Ottawa est le produit d’une génération, quelle valeur a-t-elle, vingt-cinq ans après sa publication, pour la génération suivante ? Aux yeux des étudiants de santé publique ou communautaire, de promotion de la santé ou d’éducation pour la santé, ce document est-il plutôt un livre de chevet… ou un écrit à classer aux archives?

Pour évaluer la valeur qu’a la Charte pour les plus jeunes, qui sont aussi les prochains professionnels du domaine, la section des Amériques du Réseau francophone international pour la promotion de la santé (Réfips) a mené un sondage auprès de 151 étudiants d’universités de la francophonie. En répondant à un questionnaire en ligne, ces étudiants ont dévoilé l’utilité que pouvait avoir la Charte d’Ottawa pour leur future pratique en promotion de la santé. Bien que l’on ne puisse leur attribuer toute la rigueur d’une véritable recherche scientifique, les résultats de cette étude apportent quelques éclairages intéressants à ceux qui ont à cœur la diffusion de ce document de référence.

Outre la connaissance de la Charte d’Ottawa, le sondage avait pour but d’explorer les points de vue des répondants sur les aspects suivants: l’actualité des valeurs et principes énoncés, les conditions préalables à la santé et l’adéquation des stratégies proposées par la Charte aux enjeux actuels de santé. Il visait également à recueillir des suggestions pour l’amélioration de son contenu.

Une originalité de ce sondage qui a circulé à travers les sections régionales du Réfips du 1er avril au 1er décembre 2011 réside dans le fait qu’il a exploré les points de vue d’étudiants francophones du monde entier. Retenons cependant que la grande majorité des répondants (68%) est issue d’Afrique sub-saharienne tandis que les régions francophones d’Amérique (17%), d’Europe (9%) et d’Afrique du Nord (5%) se partagent le reste des réponses. Le Moyen-Orient et l’Océan Indien sont sous-représentés (1% chacun). Concernant le profil des répondants, il est également intéressant de noter que la plus grande partie d’entre eux (près de 70%) ont plus de 30 ans, et ce malgré que le sondage s’adressait prioritairement à des étudiants.

Une «référence» très peu connue

Le sondage s’est d’abord intéressé à la connaissance de la fameuse Charte d’Ottawa, ainsi qu’à celle de sa «petite soeur» de Bangkok. 60% des répondants des Amériques ont indiqué très bien ou assez bien connaître la première, ainsi que 77% des répondants européens. Fait étonnant : du côté africain, la majorité des répondants déclarent ne pas connaître la Charte d’Ottawa; 55% des répondants d’Afrique sub-saharienne indiquent ainsi ne pas connaître la Charte du tout, tandis que 19,5% d’entre eux déclarent la connaître un peu. En Afrique du Nord, ils sont 28% à ne pas la connaître du tout et 43% à la connaître un peu.

La Charte de Bangkok, diffusée en 2005 dans le cadre de la Sixième conférence internationale pour la promotion de la santé est réputée pour s’intéresser notamment aux effets de la mondialisation sur la santé, aux inégalités croissantes, à l’urbanisation rapide et à la dégradation de l’environnement. Le sondage a montré que ce deuxième document était plus obscur encore que le premier: alors qu’aucun des répondants d’Afrique du Nord ne déclare la connaître davantage qu’un peu, ils sont 90% en Afrique sub-saharienne, 84,5% en Europe et 68% en Amérique à indiquer qu’ils ne la connaissent pas du tout ou qu’ils la connaissent seulement un peu.

Une belle adhésion aux objectifs

Vu ces tristes résultats, il est intéressant de noter que les questions très explicites du sondage permettaient de solliciter l’avis des répondants même lorsque ceux-ci n’avaient pas une connaissance approfondie de la Charte d’Ottawa. Par exemple : «La Charte d’Ottawa propose d’agir en vue de la Santé pour tous en l’an 2000 et au-delà et définit la promotion de la santé comme un processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci. Cet objectif fondamental inspire-t-il votre vision de la pratique actuelle ?». À cette question portant sur les objectifs de la Charte et de la promotion de la santé, près de 7 répondants sur 10, toutes origines confondues, ont répondu positivement ( «énormément» pour 53,7% et «passablement» pour 15,2% d’entre eux).

Des valeurs actuelles et des défis pour demain

Les étudiants ont ensuite été interrogés sur l’actualité des valeurs et principes qui servent de piliers à la promotion de la santé : l’équité et la justice sociale, la démocratie et la participation sociale, les droits de l’homme, le respect de la diversité et de la dignité, le développement des habiletés et le renforcement des capacités, une définition holistique de la santé et la reconnaissance de l’influence des environnements sur celle-ci et enfin la collaboration intersectorielle.

Les trois quarts d’entre eux, dans de plus fortes proportions en Europe et en Amérique, indiquent qu’ils considèrent encore ces valeurs comme actuelles. Notons par ailleurs que, si on observe les résultats selon les âges des répondants, les plus de 30 ans répondent plus affirmativement à cette question que les moins de 30 ans qui semblent plus hésitants. Ceux qui ont répondu ne pas être d’accord ou plus ou moins d’accord avec ce point de vue semblent avoir saisi «valeurs actuelles» dans le sens de «valeurs appliquées» puisqu’ils avancent que bon nombre de ces valeurs ne sont pas respectées, en Afrique essentiellement.

Un répondant d’Afrique sub-saharienne décrit que «Dans la société actuelle, certaines valeurs ne sont plus d’actualité. C’est peut-être dû à la mondialisation, aux crises économiques qui sévissent dans plusieurs États. Il suffit de regarder en Afrique pour voir comment les droits de l’Homme sont bafoués, il n’y a pas de démocratie et par conséquent de paix. Il y a un problème crucial de logement, et ceci peut être visible dans certains pays développés. Les inégalités de santé continuent de s’agrandir et créent des fossés entre les pays, entre les individus au sein d’un même pays (…)».

Les répondants du sondage estiment en grande majorité, soit 9 sur 10, que les principes et valeurs de la Charte d’Ottawa resteront valables au cours des dix prochaines années. Pourquoi ? Parce qu’ils concourent à un monde meilleur, parce qu’ils sont à la base d’un développement des communautés et du développement durable, parce qu’ils englobent tous les aspects de la santé publique, parce qu’ils sont intemporels ou encore simplement «parce qu’on n’a pas atteint l’objectif en 2000 et les mêmes besoins sont là, avec les mêmes aspirations».

En fait, il semble que pour beaucoup, les principes et valeurs énoncés dans la Charte d’Ottawa soient vus comme «le minimum» non encore atteint et resteront d’actualité tant qu’ils ne seront pas enfin réalisés partout à travers le monde. Les 10% qui estiment que ces valeurs et principes ne seront plus valables dans les dix prochaines années le justifient par les changements sociaux, la diversité culturelle, l’évolution des valeurs ou encore les nouveaux problèmes de santé et nouveaux besoins des populations.

Ce qui manque…

S’ils avaient le pouvoir d’ajouter des principes et valeurs à la Charte, trois étudiants sur dix en profiteraient. Ils mentionneraient la stabilité politique et la sécurité, l’auto-détermination des pays africains, la liberté, le respect de la vie, la solidarité, le respect de l’environnement, une économie plus sociale, les échanges entre le Nord et le Sud ou encore… l’amour.

Certains nomment la préservation des coutumes et la flexibilité vis-à-vis des différentes cultures. D’autres citent des conditions liées à la qualité du système de santé : les infrastructures, la formation du personnel, un accès égalitaire aux soins. Évoquant des besoins concrets, un des répondants demande de développer l’information sur la santé et l’environnement et un autre suggère que soit créé un «bureau de contrôle» pour s’assurer de la mise en œuvre de tous ces principes. Finalement, un répondant européen propose de nuancer le principe de collaboration intersectorielle: «Dans de nombreuses actions de promotion de la santé ou d’éducation pour la santé, on prône la participation de tous, y compris de l’industrie. Or elle n’a pas sa place dans de tels projets. En effet, les conflits d’intérêt sont une situation réelle (…)».

À propos des sept conditions préalables

À la question portant sur la validité des conditions et ressources préalables à l’amélioration du niveau de santé – la paix, un abri, l’instruction, de la nourriture, un revenu, un écosystème stable et des ressources viables -, les répondants ont apporté le même genre de réponse qu’à propos des valeurs en principes : ces conditions sont toujours actuelles selon 77% d’entre eux, tandis que ceux qui ne les jugent pas actuelles, ou plus ou moins actuelles, expliquent surtout qu’elles ne sont pas respectées, voire irréalisables d’après eux. Certains pointent néanmoins des conditions manquantes telles que l’équité et la justice sociale, la démocratie, la bonne gouvernance, le respect des communautés, la volonté politique, la sécurité, l’accès à l’eau et l’accès aux soins.

Cinq stratégies… insuffisantes?

La Charte d’Ottawa propose cinq stratégies d’action : établir des politiques publiques saines, renforcer l’action communautaire, développer les aptitudes personnelles, créer des milieux favorables à la santé et réorienter les services de santé. Interrogés sur l’efficacité de ces stratégies pour faire face aux enjeux de santé, les répondants sont à nouveau sept sur dix à indiquer leur approbation.

Les 29% restants estiment quant à eux que ces stratégies sont insuffisantes. Ils s’expliquent en indiquant que de nouveaux défis impliquent de nouvelles stratégies et recommandent d’ajouter certaines stratégies telles que le contrôle citoyen des politiques publiques, une stratégie de pérennisation et d’appropriation par les communautés, la promotion du respect du genre et l’autonomisation des femmes, la création d’emplois, la lutte contre la pauvreté, le développement de la recherche, le renforcement de la solidarité, la lutte contre une économie mondialisée, l’amélioration de la formation aux soins et de la qualité des interventions, les partenariats internationaux. Un répondant du Nord partage que «la charte d’Ottawa ne peut être appliquée dans tous les pays. Il faudrait développer de nouvelles stratégies pour les pays du Sud (…), promouvoir une politique de discrimination positive à l’égard des opprimés, des gens de couleur, des minorités visibles et autres» . Certains soulèvent aussi le problème du financement de ces stratégies.

Suggestions

On remarque que la question de l’opérationnalisation des stratégies préoccupe les répondants qui proposent des solutions pour en améliorer la mise en œuvre – solutions dont certaines sont déjà partiellement appliquées : «une mise en compétition ou des émulations quant au niveau d’atteinte des objectifs», «une plus forte implication de l’Organisation mondiale de la santé pour la mise en œuvre des pratiques», «une nouvelle stratégie de financement des programmes de santé et d’autres secteurs», «des stratégies de suivi et d’évaluation par pays», «des démonstrations des effets de la promotion de la santé», «enlever la promotion de la santé du ministère de la santé et la placer au cœur de la santé publique pour être l’axe organisateur (…) de toutes les autres politiques».

25 ans d’histoire : les retombées de la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé dans divers pays francophones

Ce texte de Pascale Dupuis et Awa Seck est extrait d’une publication spéciale intitulée ’25 ans d’histoire: les retombées de la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé dans divers pays francophones’, dans laquelle le Réseau francophone international pour la promotion de la santé souligne le 25e anniversaire de ce texte fondateur. Ce recueil nous offre une réflexion d’ensemble à propos de l’évolution de l’influence de la Charte d’Ottawa sur la pratique de santé publique, de son adoption en 1986 à aujourd’hui. Quels sont les tenants et les aboutissants ? Quels sont les enjeux futurs ? Cette publication est destinée à toute personne intéressée par l’échange d’expertise professionnelle en promotion de la santé.

Sommaire

Éditorial, par Lisandra Lannes
La Charte d’Ottawa aux yeux de la nouvelle génération: référence ou archive?, par Pascale Dupuis et Awa Seck
L’adaptation et la pertinence de la Charte d’Ottawa aujourd’hui selon les étudiants du Québec, par Anne-Marie Turcotte-Tremblay, Marilyn Fortin et Valéry Ridde
La Charte d’Ottawa et le Liban: un appel à «prioriser» la santé, par Lara Abou Jaoudé
Le point de vue de cinq grands acteurs de la promotion de la santé du Nord au Sud de la Francophonie, par Lisandra Lannes
La Charte d’Ottawa: une charte pour les indignés?, par Michel O’Neill
Promotion de la santé en Belgique: un point de vue sur l’influence de la Charte d’Ottawa au niveau local, par Philippe Mouyart
La Charte d’Ottawa vue de Belgique: à la lumière d’une évaluation du dispositif de promotion de la santé, par Luc Berghmans
Penser et agir localement dans une perspective globale ou de la promotion de la santé et des chemins qui y mènent: l’exemple d’École 21, par Philippe Lorenzo
Projet en gestion du stress chez l’enfant: maillage santé et éducation, par Renée Guimond-Plourde
L’intégration de la santé dans toutes les politiques dans la gouvernance pour la santé: une pratique issue de l’axe des politiques publiques favorables de la Charte d’Ottawa, par Judith Lapierre, Assumpta Ndengeyingoma et Jacques Boucher
Conclusion, par Lisandra Lannes et Hachimi Sanni Yaya
Annexe – Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé
Il est possible de télécharger et de commander ce document d’une centaine de pages sur le site du Réfips: https://www.refips.org/publications.php

Un monde idéal

En conclusion de l’analyse de ce sondage, on relève une mauvaise connaissance de la Charte, d’où émergent des difficultés pour son essor. Néanmoins, même sans la connaître ou en la connaissant peu, la majorité des répondants semblent familiers et en accord avec son contenu, ses principes, les conditions identifiées comme préalables à la santé et les stratégies proposées. Pour la plus grande partie des étudiants qui ont pris le temps de nous éclairer sur leur vision de la promotion de la santé, la Charte d’Ottawa «décrit la promotion de la santé dans un monde idéal et non pas dans le monde dans lequel on vit» , comme l’ont analysé Desjardins (2008) et Perrault et Foster (2009). Ils révèlent qu’il reste beaucoup de travail préalable pour atteindre les seuils minimaux qui garantiront la santé pour tous, spécialement mais pas exclusivement dans les contextes africains.

Si la plupart des répondants partagent les valeurs et principes et adhèrent aux stratégies proposées par la Charte, tout en ayant un oeil critique sur leur applicabilité actuelle et en fournissant de nombreuses suggestions d’amélioration, c’est qu’il reste de beaux espoirs de survie à la promotion de la santé. Dans les lieux d’enseignement de la santé publique ou de la promotion de la santé, il faut maintenant investir dans la diffusion et la vulgarisation du document et surtout de son contenu, dans la promotion de son utilisation et dans son adaptation aux contextes, ainsi que dans la recherche nécessaire à son développement.

Références

Desjardins J.P, Une «relecture» de la Charte d’Ottawa , dans: Promotion & Education, 2008, 15 (8, supp. 1), pp 8-13.

Perreault K. & Forster M., La Charte d’Ottawa: sommes-nous encore loin de la réalité postulée? , dans: Reviews of Health Promotion and Education Online: https://rhpeo.net/reviews/2007/5/index.htm .

Seck, A. (2011). Parole à la relève: Des étudiants francophones parlent de l’utilité de la Charte d’Ottawa dans leur pratique future en promotion de la santé . Symposium du Réfips sur 25 années d’histoire: des retombées concrètes de la Charte d’Ottawa dans différents pays francophones, 4e colloque international des programmes locaux et régionaux de santé, Ottawa, 27 au 30 juin 2011.

Nous ne sommes pas coupables d’être malades !

Le 30 Déc 20

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Tel est le titre d’un ouvrage récemment paru, qui dénonce la dégradation de l’État social en France et pourrait d’ailleurs s’appliquer dans une certaine mesure à notre pays. Cet essai journalistique se lit comme une contre-attaque aux réformes libérales du système de santé adoptées en France ces dix dernières années. Co-écrit par deux (anciens) travailleurs de Sidaction, Alix Béranger qui en a été la directrice des programmes associatifs jusqu’en 2008 (elle est depuis 2010 secrétaire générale d’Europe Écologie) et David Belliard, qui en est l’actuel directeur général adjoint (également journaliste à Alternatives Économiques ), l’ouvrage constitue un long plaidoyer en faveur de l’État social et d’une approche globale de la santé. Plusieurs exemples tirés de l’actualité sanitaire (entre autres sida, réduction des risques, obésité) illustrent la transformation de la santé en marché, des prestataires de soins en vendeurs d’actes tarifés et de molécules brevetées et, finalement, des patients en consommateurs (ou l’inverse).
Les auteurs dénoncent le discours des pouvoirs publics sur la culpabilité des malades eu égard au « trou de la sécu », ainsi que ce qui apparaît comme des sanctions pour leur irresponsabilité, irresponsabilité bien paradoxale vu les profits faramineux – en partie financés par l’État – que génère l’industrie médicale. La marchandisation de la santé et les politiques gestionnaires sont ici en question.

Les réformes de santé, la fin de l’État social

En France, quatre réformes ont vu le jour ces dernières années afin de ‘moderniser’ le dispositif de santé publique. Réformes qui, pour les auteurs, sont au coeur d’un processus de démantèlement du système de santé et, plus largement, d’un régime de sécurité sociale égalitaire et solidaire. Ils cadrent ces évolutions dans le passage plus général d’un État social protecteur à un État libéral répressif véhiculant une morale de la responsabilité individuelle. Dans le champ de la santé, ce changement se marque concrètement par l’alourdissement de la charge financière pour les usagers, en diminuant le coût des remboursements des soins de santé par l’assurance-maladie tout en augmentant la contribution personnelle des patients.

L’introduction de la notion de rentabilité dans le champ de la santé induit un risque majeur, celui d’une médecine à deux vitesses, fracturée entre l’hôpital public (centré sur les pathologies lourdes et les populations non solvables) et les cliniques privées. Et les auteurs d’en appeler à ‘l’illusion américaine’ pour signifier que les réformes françaises sont dominées par un paradigme ultralibéral qui considère la santé comme un marché à ‘réguler’ par le Marché, assurances santé privées y compris.

Malades à surveiller, malades à punir

Les auteurs placent « l’idéologie de la culpabilité » et le culte de la responsabilité individuelle au centre de la destruction programmée de la solidarité nationale en vue de la privatisation du système de santé. Selon eux, les décideurs politiques, les agences publiques de santé et les industries entretiennent l’idée que nous pouvons modeler notre corps à notre guise et, bien entendu, en accord avec les modèles valorisés du ‘bonheur’ (corps fins et musclés, jeunes et sains). Sur cette base, on peut distinguer entre ‘bons malades’ (ceux dont la maladie n’est pas supposément liée à un comportement, comme la sclérose en plaque, la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, la leucémie) et ‘mauvais malades’, responsables de leurs prises de risques (par exemple, les fumeurs, les séropositifs, les obèses). Les premiers sont des ‘victimes du sort’ que la sécurité sociale peut légitimement prendre en charge, les seconds doivent être encadrés et réprimés afin de réserver aux premiers les dépenses de l’assurance-maladie.

Le bât blesse pour les auteurs dès lors que les pratiques des acteurs de santé, autres que les patients, ne sont jamais questionnées. Et de ‘balancer’: industries médicales, médecins, pharmaciens et pouvoirs publics sont devenus des vendeurs et intermédiaires sur un marché à haut rendement et en pleine expansion. Ils décrivent des laboratoires tout-puissants aux marges bénéficiaires gigantesques et aux politiques commerciales agressives; des médecins, anciennement indépendants libéraux et « bienfaiteurs dévoués », aujourd’hui « businessmen de la santé », prescripteurs et cibles privilégiées (ou alliés objectifs) des industries; enfin, des pharmaciens devenus de vulgaires tenanciers de points de vente en libre-service où abondent produits cosmétiques et gadgets de bien-être. Côté patient-consommateur, le régime de la performance, de la jeunesse, de la bonne santé et de l’excellence alimente une « médicalisation de notre vie ».

Les auteurs situent ce discours dans « la profonde mutation des représentations de la pauvreté et de l’exclusion qui s’est diffusée aux États – Unis à partir des années 1970 et en Europe dans les années 1990 – 2000 » et dans un contexte de précarisation de la population (montée du chômage, accroissement des CDD et de l’intérim, baisse du pouvoir d’achat, etc.). Si « les riches deviennent toujours plus riches , le capital appelant toujours plus de capital », la montée de l’insécurité sociale (référence à Robert Castel ) et la dislocation des liens de solidarité institutionnalisés par l’État providence (référence à Pierre Bourdieu ) sont les témoins de l’avènement d’un état libéral qui ne protège plus ses sujets des effets néfastes de l’économie sur la société mais qui jugule les désordres et les dangereux.
Dans les années 1970, la notion de risque exprimait l’inflation des risques dans notre société, mais elle s’est progressivement résumée à une interprétation libérale de l’individu seul gestionnaire des risques qu’il court dans sa vie. La prévention est pour les auteurs l’expression de cette approche dans le champ de la santé (1) en ce qu’elle définit des comportements à risque et définit une morale sanitaire (référence à la biopolitique de Michel Foucault ).

Les auteurs soulignent aussi « la connivence idéologique de la gauche avec l’approche sécuritaire portée par la droite » face à laquelle aucune force d’opposition consistante ne fait barrage ou ne propose une grille d’analyse alternative. Pour leur part, ils veulent rappeler avec force la nécessité d’une approche complexe de la santé qui prenne en compte l’ensemble des déterminants de santé (sociaux, environnementaux, culturels) et en particulier les inégalités sociales de santé. À ce titre, l’exposition professionnelle constitue encore et toujours un facteur de risque majeur tant au plan de la mortalité que de la morbidité: « plus les salariés sont précaires, peu diplômés, peu ou pas autonomes dans les tâches qu’ils effectuent, plus ils sont fragilisés et susceptibles de subir des pathologies liées à leur cadre de travail » nous rappellent-ils.

Ils se placent ainsi à contre-courant des analyses centrées uniquement sur lesdits comportements à risque et qui aboutissent à blâmer les victimes une fois que les campagnes de prévention sont jugées inefficientes pour faire baisser les données épidémiologiques voire éradiquer les maladies. Ceci occulte les limites de ces outils, d’autant plus manifestes lorsqu’ils émanent ‘d’en haut’ et véhiculent des normes morales en parfait décalage avec les réalités. Les auteurs prennent pour illustration significative les campagnes contre l’obésité menées par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES). Le message dominant pour combattre le surpoids est de manger 5 fruits et légumes par jour ; or non seulement ce message simple ne répond pas au caractère polyfactoriel de l’obésité, mais en outre il laisse de côté des stratégies complémentaires (taxer les produits très gras ou salés, diminuer le prix des fruits et légumes, interdire la publicité pour les aliments trop sucrés…). Celles-ci pourraient pourtant répondre enfin à deux problèmes cruciaux, liés aux modes de vie et aux disparités entre riches (plus souvent minces) et pauvres (plus souvent gros): l’augmentation du prix des produits maraîchers et la diminution parallèle du prix des graisses au cours des cinquante dernières années d’une part, et l’évolution des offres de l’industrie agroalimentaire (augmentation de la taille des portions ou du taux de lipides dans les plats préparés, stratégies publicitaires) d’autre part.

Irrationalité des politiques de rationalisation

Cette approche ‘rationnelle’ et ‘pragmatique’ présuppose un homo oeconomicus : des individus également dotés de capitaux et d’un agir basé sur le calcul coût/bénéfice. Elle encourage surtout une morale individuelle d’autogestion de sa santé et des réflexes d’hyperconsommation (de médicaments, de soins) pour fuir la maladie, devenue « un insupportable dysfonctionnement ». Elle s’inscrit, pour les auteurs, dans une mutation sociale qui a fait sortir la maladie du champ de la fatalité pour entrer dans le champ de la gestion des risques. Au final, cette politique aboutit à l’exclusion des pauvres du système de santé et à la criminalisation des malades, « coupables d’être malades ».

Cette ‘judiciarisation’ des rapports sociaux est illustrée par les ‘procès sida’, dans un contexte où la responsabilisation des séropositifs est déjà installée. Les auteurs rappellent la sentence, en 2004, du tribunal correctionnel de Strasbourg, condamnant un homme à 6 ans de prison pour avoir contaminé deux partenaires sexuelles alors qu’il se savait atteint du VIH. Cette affaire fortement médiatisée par Femmes Positives – une association de défense des femmes contaminées à leur insu dans le cadre de relations stables et en faveur de la pénalisation de la contamination volontaire – avait soulevé un débat sur la criminalisation du VIH, tendance mondialement perceptible.

Si cette stratégie ne constitue de toute évidence pas une politique de santé publique (notamment parce que la crainte de tomber sous le joug de la loi freine les recours au dépistage), la répression (et ses dérivés comme la révélation obligatoire du statut sérologique ou l’obtention du consentement éclairé du partenaire) participe de la stigmatisation. Un clivage entre séropositifs ‘victimes versus contaminateurs’ pourrait tout à fait être utilisé pour appliquer un traitement différencié des malades (à soigner/à enfermer). À plus grande échelle et à plus long terme, quelles seraient les limites de la logique pénale face à l’ensemble des problèmes de santé ?

L’exemple de la politique de réduction des risques (RDR) en matière de drogues est également éclairant de la fracture qui s’instaure entre les malades. La RDR est née dans les années 1990 pour faire face aux contaminations par le VIH lors d’échanges de seringues; à la répression coutumière des ‘toxicomanes’, des pratiques d’inclusion, répondant à un choix d’efficacité sanitaire vidé de visée moralisatrice, ont permis d’accompagner les usagers de drogues (information, échange de matériel, délivrance de produits de substitution, accompagnement psychosocial, espaces de consommation, contrôle rapide des produits).

Des premiers projets expérimentaux à la constitution d’organisations d’auto-support défendant une vision systémique de leur action (santé/social), les contradictions politiques entre lutte contre l’épidémie et lutte contre les stupéfiants ont été mises en veille jusqu’il y a peu: en 2006, à l’initiative d’un député de l’UMP, 78 parlementaires signent une lettre adressée au Premier Ministre remettant en cause la RDR au motif qu’elle met en oeuvre des « stratégies de banalisation des drogues et d’apprentissage à se droguer ‘ proprement’ » ( 2 ). Ils demandent alors la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’allocation des fonds drogues.

Pour les auteurs, de nombreux signaux de retour au répressif sont visibles, non seulement afin de flatter un électorat conservateur mais aussi de préserver les comptes de l’assurance maladie vis-à-vis de malades insolvables et coûteux: l’efficacité n’est plus sanitaire mais comptable.

En conclusion

Cet ouvrage grand public a le mérite de revenir sur un ensemble de faits relayés par la presse et de considérations issues de travaux sociologiques. Il rappelle un ensemble de principes dits de ‘gauche’, malheureusement sans aller au-delà des poncifs habituels de la social-démocratie. On peut donc regretter, en plus d’un manque de nouveauté dans l’argumentaire, que les auteurs ne poussent pas plus loin leur auscultation des attaques contre le système de santé en incluant la critique même de la logique de l’État social et des principes qui le sous-tendent. En effet, on sent poindre un angélisme passéiste et manichéen entre passé et présent, État social et État libéral. Autrement dit, l’État social n’a d’égalitaire que le fait qu’il compense – voire masque et ce faisant légitime – des inégalité structurelles entre riches et pauvres. La demande de justice sociale portée par les auteurs s’arrête ainsi à revendiquer la défense des acquis sociaux sans véritablement mettre en branle une critique (et une transformation) profondes des rapports sociaux.

Nous ne sommes pas coupables d’être malades !, Alix Béranger, David Belliard, Paris, Les petits matins, coll. Alternatives Économiques, 2010, 215 pages

Myriam Dieleman, Observatoire du sida et des sexualités

(1) Voir à ce sujet Patrick Peretti-Watel, Jean-Paul Moatti, Le principe de prévention, Paris, Seuil-La République des idées, 2009.
(2) Extrait de la lettre de Jean-Paul Garraud, Député de Gironde, au Premier Ministre: https://www.larevueparlementaire.fr/pages/PP/actudyn.htm?PRMC_NUM=81&PRMC;_CODEDANSTABLE=ACTU

Un numéro thématique de Santé publique

Le 30 Déc 20

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Appel à contributions

La revue Santé Publique consacrera son prochain numéro thématique à l’éducation pour la santé.
L’éducation pour la santé (EPS) a connu au cours des dernières décennies, en Europe et en Amérique du nord, une considérable évolution de ses objectifs et de ses méthodes. Les acteurs de l’EPS, autrefois des bénévoles engagés, sont aujourd’hui des professionnels de la santé publique, des sciences humaines, de la communication. Le champ traditionnel de l’EPS s’est aussi élargi à celui de la promotion de la santé, beaucoup plus global et appelant à une action sur tous les déterminants de la santé et non plus sur la seule modification des comportements individuels. Des méthodes d’évaluation ont été développées; elles ont permis de démontrer l’efficacité de ces nouvelles approches (1)(2).
Et pourtant dans plusieurs pays, en France notamment, l’EPS n’est pas reconnue comme un champ important des politiques publiques de santé. Le terme même d’«éducation pour la santé» est parfois considéré comme désuet et les institutions internationales elles-mêmes lui préfèrent d’autres formulations et concepts tels que : «Information – éducation – communication (IEC)», «Communication pour le changement de comportement (CCC)», «Marketing social», «Application des neurosciences aux changements de comportements de santé», etc. Les plans et les lois de santé publique des années 1990-2010 ne font qu’une place restreinte à l’EPS, quand elles ne l’ignorent pas totalement.
Les objectifs du dossier consacré par la revue Santé Publique à l’éducation pour la santé sont d’une part d’analyser cette évolution et d’autre part de mettre en évidence le décalage existant entre la valorisation de ces concepts présentés comme innovants et les pratiques actuelles en éducation pour la santé, ancrées dans la réalité des conditions de vie des populations, de leurs besoins, de leurs attentes et de leurs ressources.
Présentation du numéro

1e partie – L’évolution du champ de l’éducation pour la santé au cours des 10 dernières années, dans ses aspects historiques et législatifs.
2e partie – L’évolution conceptuelle et méthodologique de l’éducation pour la santé.
3e partie – Le paradoxe existant entre la professionnalisation des acteurs et l’amélioration de la qualité des interventions en éducation pour la santé, et la place réservée à ce champ dans les politiques de santé publique.
Appel à soumission d’articles

L’appel à contributions concerne la seconde partie du plan ci-dessus. Il s’agit de faire émerger des actions d’éducation pour la santé de terrain (quels que soient le thème, la population ou le milieu) qui se distinguent par leur rigueur méthodologique, leur souci d’évaluation, leur volonté de réduction des inégalités sociales de santé et leur inscription dans une perspective de promotion de la santé.
Au final, les articles publiés présenteront un volume d’environ 6 pages (15000 caractères, espaces compris), et tiendront compte par ailleurs des instructions aux auteurs de la revue Santé Publique : https://www.sfsp.fr/doc/Instructionsauxauteurs2010.pdf .
Une présélection sera effectuée sur la base d’une lettre d’intention d’une page à adresser au secrétariat de rédaction de la revue avant le 12 juillet 2012. Les auteurs seront informés de la décision du Comité de rédaction à la fin du mois d’août 2012.
Les articles proprement dits devront être livrés au plus tard le 31 octobre 2012. Les demandes éventuelles de modifications seront notifiées aux auteurs fin décembre 2012; en cas de demande de modifications, les auteurs auront un mois pour soumettre la version révisée de leur texte.
Le numéro paraîtra au printemps 2013.
Renseignements: Isabelle Genovèse, Secrétariat de rédaction, ig@sfsp.info
(1) Doumont D, Aujoulat I. L’efficacité de la promotion de la santé : une question de stratégies ? État de la question. UCL–RESO, Unité d’Éducation pour la Santé, École de santé Publique, Centre «Recherche en systèmes de santé», 2008, https://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/reso/documents/dossier52.pdf .
(2) Efficacité de la promotion de la santé. Actes du colloque organisé par l’Inpes avec la collaboration de l’UIPES. Promotion et éducation, Hors série, 1. 2004, https://www.iuhpe.org/upload/File/PE_Supp1_04.pdf .

Regards croisés sur le cannabis

Le 30 Déc 20

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Le cannabis se porte bien. Il fait régulièrement la une des journaux. Après plus de cinq décennies, il reste toujours la drogue illicite la plus prisée (qui ne se prise pas!) en Europe et dans certaines autres régions du monde.
Il demeure mystérieux sur de nombreux plans et objet de polémiques et de débats passionnés incessants. Un vrai pipole!
Si beaucoup de questions continuent de se poser à son sujet en dépit de l’accroissement des connaissances scientifiques, le devant de la scène est le plus souvent occupé par des querelles idéologiques se réclamant de données objectives dont la rigueur scientifique n’est pas toujours au rendez-vous. Elles opposent les courants qui tendent à exagérer les risques liés à l’usage du cannabis à ceux qui tendent à les banaliser.
Dans ce contexte, l’ouvrage conduit sous la direction des trois membres de la Cellule Drogues de l’Université de Liège, Seutin, Scuvée-Moreau et Quertemont , est d’importance. Un pur moment d’intelligence qui ramène la raison (et non l’oraison!) au milieu du village. Dans une démarche dépassionnée et une présentation objective des éléments abordés et qui font l’objet d’un consensus, l’ouvrage croise différents points de vue (épidémiologique, clinique, psychologique, somatique et juridique) qui dressent un état des lieux de ce sujet complexe. Cerise sur le gâteau, les propos tenus par les différents auteurs ne restent jamais à distance de la réalité.
Ainsi, des sujets qui sont l’objet de polémiques depuis nombre d’années tels que, par exemple, la tolérance et la «sensibilisation»(1) aux effets du cannabis, la dépendance physique et le sevrage, la question du risque d’escalade vers d’autres drogues (la «gateway theory» ou théorie de la porte d’entrée et la théorie du facteur commun), sont abordés avec la rigueur scientifique requise, accompagnés des interrogations qui subsistent tout en évitant la prise de position idéologique.
Citons pour exemple un passage sur le risque d’escalade. «Il faut toutefois noter que le choix de l’un ou l’autre de ces modèles explicatifs n’est pas innocent, puisqu’il entraîne des conséquences considérables pour l’adoption d’une politique sanitaire et criminelle sur les drogues, ce qui explique en grande partie la virulence de la controverse et la contamination idéologique du débat.
La théorie de la porte d’entrée surtout dans sa version biologique (et psychologique) a servi d’argument important pour soutenir la politique de prohibition du cannabis. En effet, si le cannabis constitue effectivement une porte d’entrée vers les drogues dures, la prohibition de son usage devrait réduire les risques de consommation de cocaïne et d’héroïne dans la population. Ce type de politique est celle qui est défendue aux États-Unis mais aussi dans un certain nombre de pays occidentaux avec plus ou moins de rigueur.
À l’opposé, la théorie de la porte d’entrée dans sa version «sociale» devrait au contraire plutôt encourager la décriminalisation de l’usage du cannabis dans le but de scinder les marchés du cannabis des fournisseurs d’héroïne ou de cocaïne. C’est cette stratégie qui a été résolument adoptée par les Pays-Bas, avec des résultats mitigés.
Enfin, si la relation entre l’usage de cannabis et celui des drogues dures est surtout expliquée par l’existence de facteurs étiologiques communs, alors la politique de prohibition du cannabis devrait être sans grand effet sur la consommation de drogues dures, sauf dans la mesure où elle se combine avec des mesures préventives destinées à combattre les facteurs généraux de prédisposition à la consommation de drogue. » pp.83-84
De même, et c’est un autre exemple, le chapitre consacré aux effets du cannabis sur la santé psychologique et, notamment le thème «cannabis et psychose» qui fait régulièrement la une des médias, reprend l’ensemble des questions posées avec toujours le même souci d’objectivité, de rigueur, de clarté et de reflet concret de la réalité.
Citons: «Au total, l’ensemble des données actuellement disponibles montre que l’utilisation de cannabis durant l’adolescence constitue un facteur de risque d’évolution psychotique et notamment de schizophrénie. Cependant, l’utilisation de cannabis ne constitue que l’un des très nombreux facteurs pathogéniques qui peuvent jouer un rôle dans l’apparition de la schizophrénie. Une vulnérabilité individuelle de la réponse au cannabis, notamment liée à des facteurs génétiques et neurodéveloppementaux pourrait jouer un rôle. » p.115
Les dix chapitres de l’ouvrage couvrent l’ensemble des aspects relatifs à la question du cannabis, y compris celui consacré à «l’autogouvernement de soi» co-titré «À propos de l’actualité de quelques bonnes raisons de consommer des psychotropes» qui resitue le phénomène dans l’évolution de notre société depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
C’est donc un ouvrage à recommander vivement à tous ceux qui se sentent concernés par la question du cannabis et qui souhaitent une approche raisonnée des questions qu’il suscite. Ils y trouveront des réponses (ou des éléments de réponse) nuancées prenant en compte toute la complexité du sujet et de ses énigmes.
Même si la lecture de l’ouvrage nécessite par moment une certaine familiarité avec le discours scientifique, il devrait intéresser au premier chef les consommateurs et leur entourage. Il sera aussi d’une grande aide aux professionnels de terrain, travailleurs sociaux, éducateurs, médecins et personnel psycho-médical, scientifiques, hommes de loi et bien sûr décideurs politiques dont la lecture de l’ouvrage devrait être un devoir citoyen.
Le même souhait devrait s’adresser aux médias et plus particulièrement au devoir de rigueur dans l’information diffusée, mais est-il encore permis de rêver?
Regards croisés sur le cannabis, sous la direction de Vincent Seutin, Jacqueline Scuvée-Moreau et Étienne Quertemont, Éditions Mardaga – Cellule Drogues de l’Université de Liège, 2010, 25 euros.
Philippe Bastin , Directeur honoraire d’Infor-Drogues
(1) Alors que la tolérance se caractérise par le fait que «la même dose de drogue provoque des effets de moins en moins intenses à mesure de sa consommation répétée» (p.69), la sensibilisation est le phénomène inverse, à savoir «une augmentation progressive des effets d’une même quantité de drogue à mesure de sa consommation répétée» (p.70).

Éloge de la marche

Le 30 Déc 20

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Longtemps considérée comme une pratique de manants, la marche a mis du temps à gagner ses lettres de noblesse. Des écrivains marcheurs, d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, y ont contribué : Pétrarque, Shitao, Rousseau, Thoreau, Walser… Jean-Louis Hue passe en revue leurs contributions à l’éloge de la bipédie dans «L’Apprentissage de la marche» (Grasset).
« Avant Pétrarque », explique Jean – Louis Hue , écrivain, directeur du Magazine Littéraire et marcheur, « la marche apparaît si prosaïque qu’il convient de la taire , ce que font les écrivains . Avec Pétarque et son récit « L’Ascension du Mont Ventoux », la marche fait son entrée en littérature . L’expédition est extravagante pour l’époque . Les hommes du Moyen Âge ne marchaient que par nécessité et s’aventuraient au – delà de leur paroisse et de leurs champs seulement pour des pèlerinages .» Pétrarque ne se livre pas encore à proprement parler à une célébration de l’activité la plus naturelle qui soit. L’auteur italien motive son ascension (ardue) par le désir puissant de contempler le paysage au sommet. Mais voilà qu’à destination, tout à son admiration, il ressent le besoin de sortir de son sac «Les Confessions» de Saint-Augustin. Et tombe sur ce passage à méditer : « Les hommes vont admirer les cimes des montagnes , les vastes flots des mers , les larges cours des fleuves , l’étendue des océans et le mouvement des astres et ils s’oublient eux – mêmes .» Dont acte. C’est en soi qu’il faut regarder. La leçon de marche se clôt sur une invitation à la vie spirituelle.

Chine et Japon

L’Orient est plus prompt à célébrer les vertus de la marche pour ce qu’elle permet : un mouvement salutaire et l’observation de la nature comme celle des hommes. Parmi ses chantres, Shitao , qui changeait son identité au rythme de ses foulées. Elles furent nombreuses. Il arpenta les provinces de l’Empire chinois pendant trente ans ! C’est ainsi qu’il se fit appeler «Racine Obtuse», «Rongé jusqu’aux os», «Vénérable Aveugle», «Moitié d’homme» et «Vague de Pierre» (Shitao), son nom d’écrivain.
Parmi les classiques de la littérature japonaise : Bashô . Ses journaux de voyage relèvent d’un genre impressionniste qui voit l’écrivain voyageur s’arrêter devant des paysages ou des scènes de la vie quotidienne et laisser venir le poème que cette vision suscite en lui. Quant aux caractéristiques des marcheurs chinois et japonais, Jean-Louis Hue en cite quelques-unes. Les premiers sont prompts à laisser des commentaires sur des stèles ou sur des plaques. Pour les seconds, la pratique de la marche est codifiée depuis des siècles. « Les Japonais se doivent de découvrir au moins dix paysages classiques à apprécier selon la saison ou l’heure », explique Jean-Louis Hue. « Des ouvrages existent , qu’il convient d’avoir lus avant d’entreprendre le voyage . Il est même des émotions à ressentir face à tel ou tel paysage . Pour l’anecdote , j’ai vu à Fontainebleau des Japonais qui commençaient à compter les pins comme il est d’usage de le faire avec des arbres de certains sites remarquables de leur pays !»
Voie royale

En France, la marche connaît un promoteur de marque en la personne de Louis XIV. Le Roi Soleil s’y adonne avec de prestigieux invités ou en comité réduit dans les Jardins de Versailles, aménagés par André Le Nôtre. Le parcours de huit kilomètres compte vingt-cinq stations offrant des panoramas qu’il convient d’admirer en présence de Sa Majesté. Dans la foulée, on doit à Jean – Baptiste de la Salle d’avoir défini les règles de la promenade. « Il la présente comme un exercice honnête », écrit Jean-Louis Hue. « Une pratique qui contribue à la santé du corps et qui rend l’esprit plus disposé aux exercices qui lui sont propres . Elle devient un divertissement de qualité quand on y joint des entretiens . La marche n’est plus une déchéance sociale . Ici , la marche participe d’un ballet ou les mouvements du corps sont des figures imposées . Il ne faut surtout pas tourner les épaules de côté ni pour les promeneurs avancer l’un devant l’autre . Le mieux est de progresser en rang . Il y a aussi une bonne manière de poser les pieds à terre .»
La marche entre dans les moeurs. Parmi ses partisans, on trouve Jean – Jacques Rousseau . Cet «ambulant maniaque», selon ses propres termes, affirme n’avoir jamais tant pensé, existé et vécu que lors de voyages faits seul et à pied. Le Siècle des Lumières est celui de la marche, parée de toutes les qualités : elle fortifie les jambes, soulage l’estomac, purge les reins et stimule le cerveau. D’ailleurs, on ne marche plus, on «tronchine» selon le nom d’un célèbre médecin de l’époque, le Dr Tronchin. La création des Grands Boulevards et de leurs trottoirs va de pair avec l’avènement du piéton. Ils constituent une ère de déambulation et d’observation de choix pour des écrivains comme Balzac ou Baudelaire. « C’est une révolution pour les marcheurs », souligne Jean-Louis Hue. « Avant , ils pataugeaient dans un véritable cloaque . Ils dérapaient sur du fumier épandu devant les portes pour atténuer le bruit des carrosses . Sans compter le risque de ramasser le contenu d’un pot – de – chambre sur la tête . Heureusement , les mentalités et les infrastructures évoluent .»
Montagne et camping

Pour les marcheurs, le XIXe siècle se distingue du précédent par la découverte de la marche en montagne et du camping. Rousseau déjà avait célébré la marche en altitude. « On se sent plus de facilité dans la respiration », écrivait-il, « mais aussi plus de légèreté dans l’esprit . Les plaisirs y sont moins ardents . Les passions plus modérées ». Mais il faut attendre le XIXe siècle pour qu’avec la marche en montagne s’inaugure un nouveau rapport au corps, à la fatigue, aux limites et aux dangers. Le Genevois Horace-Bénédict de Saussure, qui voue sa vie au Mont Blanc y est pour beaucoup. Les Anglais, touristes férus des Alpes, de retour dans leur pays, redécouvrent le Lake District, dans lequel ils voient… une copie des Alpes. Cette région de plus de 2000 kilomètres carré est source d’inspirations pour des écrivains, qu’on nommera «Lakistes». Parmi eux : William Wordworth , poète auteur d’un guide touristique qui, selon les connaisseurs, hisse la région à des hauteurs inégalées. William Wordworth aurait au moins fait 300 000 kilomètres de marche. Il ne s’en glorifie pas. Pour lui, la marche est un stimulant plus puissant que la drogue ou que l’alcool.
La région des lacs de la Nouvelle Angleterre, qui rappelle celle du Lake District, va elle aussi inspirer des écrivains. Le plus connu d’entre eux sera Henry David Thoreau . « À ses yeux », précise Jean-Louis Hue, « la marche ne relevait pas d’un exercice physique mais d’une culture , d’un art qui lui donnait le sentiment d’appartenir à un Ordre , celui des marcheurs errants . Il commençait toujours ses marches vers l’Ouest . Il voulait s’inscrire dans un mouvement progressant vers un monde neuf , à l’opposé de la Vieille Europe .»
C’est en l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson que l’on peut voir l’initiateur de la mode du camping. L’auteur de «L’Étrange cas du Docteur Jekyll et de M. Hyde» est aussi le narrateur de «Voyage avec un âne dans les Cévennes». Un sentier de Grande randonnée propose encore aujourd’hui de suivre l’itinéraire de ce « dormeur à la belle étoile soucieux de quitter le lit douillet de la civilisation , de sentir le granit terrestre et les silex épars et de se libérer des angoisses de la sédentarité grâce à la pensée flottante suscitée par la marche .»
Nietszche et les autres

Jean-Louis Hue convoque encore d’autres écrivains qui ont fait la découverte de la marche comme plaisir, solitude mobile ou liberté essentielle. Parmi eux : Nietszche , qui a écrit « Être cul de plomb , voilà par excellence le péché contre l’esprit ! Seules les pensées qu’on a en marchant valent quelque chose !»
Flaubert aussi, dont la conversion à la marche intervient en Bretagne. L’auteur de ‘Madame Bovary’, endeuillé, a envie de changements, notamment dans sa manière d’écrire. La métamorphose passera par le mouvement. On citera encore Robert Walser , écrivain suisse (« Tout semblait marcher avec moi , les prés , les champs , les forêts , les montagnes et finalement la route elle – même . Ne courons pas après la beauté . Qu’elle nous accompagne plutôt comme une mère qui marche à côté de ses enfants .»).
Quant à Jean-Louis Hue, il clôt son livre par un joyeux « J’ai enfin appris à marcher ». Le périple de deux cent cinquante pages l’aura mené dans les bibliothèques, mais aussi par monts et par vaux. Un apprentissage qui ne demande qu’à être partagé.
Véronique Janzyk

J’aime pas l’école

Le 30 Déc 20

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Les jeunes qui n’apprécient pas l’école diffèrent-ils des autres élèves en ce qui concerne leur vécu scolaire, leur santé, leurs comportements, leur bien-être, leurs plaintes ?
Dans son nouveau Cahier Santé , le Service d’Information Promotion Éducation Santé de l’École de santé publique de l’ULB (SIPES-ULB) revisite les données de l’enquête ‘Santé et bien-être’ des jeunes de la Fédération Wallonie-Bruxelles (il s’agit du versant belge francophone de l’étude internationale HBSC, pour Health Behaviour of School-aged Children patronnée par le Bureau européen de l’OMS).
Centré plus précisément sur ce que les jeunes pensent de l’école, ce document propose de nombreuses données issues de l’enquête (1), avec des clés de lecture permettant une mise en perspective des constats. De quoi alimenter la réflexion des professionnels de l’enseignement et de la santé, et des décideurs politiques, par rapport à leurs interventions auprès des jeunes.
Cette préoccupation vis-à-vis de l’environnement scolaire s’impose comme une évidence: l’école est un important déterminant du bien-être des élèves, mais aussi des enseignants et, indirectement, des parents. Des résultats récoltés au cours des enquêtes précédentes ont poussé l’équipe SIPES à investiguer davantage la façon dont l’école peut être vécue par les jeunes afin de dégager d’éventuelles caractéristiques des élèves satisfaits ou frustrés par ce milieu de vie.
Ce travail de recherche a été réalisé selon deux principes: partir de données existantes et s’appuyer sur une pluralité de données. Le premier de ces principes désigne le fait d’utiliser des données disponibles (issues de l’enquête HBSC bien entendu, mais aussi d’autres enquêtes), ce qui permet de bien valoriser les sources d’informations existantes. Quant à s’appuyer sur une diversité de données, cela permet de compléter les données de l’enquête par une revue de littérature qui offre l’éclairage de divers acteurs scolaires (élèves, profs, pédagogues, parents…).

L’École des animaux

Il était une fois des animaux qui s’avisèrent qu’il était temps de prendre les grands moyens pour résoudre les problèmes «d’un monde nouveau». Aussi décidèrent-ils de fonder une école. Ils adoptèrent un programme d’études comprenant quatre matières: la course, la grimpée, la nage et le vol. Pour faciliter l’administration d’un tel programme, tous les animaux devaient suivre tous les cours.
Le canard était très fort en natation, était même meilleur nageur que son professeur, mais ses notes étaient à peine passables en vol et franchement mauvaises en course. Puisqu’il était lent en course, on le fit rester après l’école et on le força même à abandonner la natation pour qu’il puisse s’exercer à courir. Cela dura si longtemps que ses pattes palmées finirent par s’user et qu’il devint tout juste moyen en natation. Mais dans cette école on acceptait la moyenne, alors personne ne s’en inquiéta sauf le canard.
Le lapin était le meilleur coureur de sa classe, mais il fit une dépression nerveuse causée par tout le travail de rattrapage qu’on lui faisait faire en natation.
L’écureuil excellait à grimper mais son inaptitude à voler le frustrait terriblement. Il faut dire que ses professeurs, au lieu de le faire voler du haut en bas des arbres, le faisait partir d’en bas. À force de s’étirer pour prendre son envol, il s’est blessé à l’aine et ses notes ont baissé sous la moyenne en grimpée et en course.
L’aigle était un enfant difficile qu’il a fallu discipliner sévèrement.
Au cours de grimpée, il était toujours le premier rendu au sommet des arbres, mais il s’obstinait à voler au lieu de grimper comme les autres.
À la fin de l’année scolaire, une anguille surdouée qui nageait exceptionnellement bien, qui pouvait aussi courir, grimper et voler un peu, obtint les meilleures notes et le prix d’excellence.
Les chiens de prairie faisaient l’école buissonnière et s’opposaient au prélèvement de la taxe scolaire parce que l’administration refusait d’ajouter un cours de creusage et enfouissement au programme. Ils mirent leurs petits en apprentissage chez un blaireau et plus tard se joignirent à la marmotte et aux belettes avec qui ils fondèrent leur propre école privée.
Cette fable a-t-elle une morale ?
George H. Reavis
Cette histoire a été rédigée à l’époque où Georges Reavis était Assistant Superintendent des Cincinnati Public Schools, dans les années 40. Cette fable est dans le domaine public.

Plus précisément, ‘J’aime pas l’école’, après avoir décrit le cadre de référence, propose six chapitres: la satisfaction à l’égard de l’école, la vie à l’école et le rapport à l’école, la violence scolaire, le bien-être et les plaintes subjectives, les comportements, et l’environnement psychosocial.
Si ce Cahier peut sembler donner une image médiocre de l’école belge francophone, il se garde néanmoins de sombrer dans la déprime, et souligne que ‘même si le système scolaire présente des déficits importants, plus de la moitié des jeunes du secondaire affirment aimer l’école. De plus, cette appréciation à l’égard de l’institution scolaire est restée relativement stable depuis 1994, et cette satisfaction se rencontre autant chez les jeunes de l’enseignement général que chez ceux de l’enseignement technique et professionnel’, contrairement à une idée reçue.
DECANT P., FAVRESSE D., DE SMET P., GODIN I., J’aime pas l’école ! Une relecture des données de l’enquête ‘Santé et bien-être des jeunes’ en Communauté française . Cahier Santé édité par le Service d’Information Promotion Éducation Santé (SIPES), ESP-ULB, Bruxelles, 2011.
Ce document de 76 pages peut être obtenu gratuitement à l’adresse suivante, dans la limite des stocks disponibles: SIPES-ULB, CP 596, route de Lennik 808, 1070 Bruxelles. Tél.: 02 555 40 81. Courriel: zelmaach@ulb.ac.be. Il peut aussi être téléchargé au format PDF à l’adresse https://www.ulb.ac.be/esp/sipes (onglet Publications).
(1) Y compris de la dernière en date (2010), avant la publication complète des résultats, annoncée pour l’an prochain.

Métamorphoses du gras

Le 30 Déc 20

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Les bourrelets n’ont pas toujours été jugés disgracieux ni dangereux. Le regard sur le gras s’est métamorphosé au fil du temps. Il est tributaire des valeurs véhiculées par la société. C’est un des principaux constats de l’histoire de l’obésité que retrace le philosophe Georges Vigarello dans «Les Métamorphoses du gras» (paru aux Éditions du Seuil).

Formes

L’histoire de l’obésité est indissociable de l’histoire du corps et du regard porté sur lui.
Les formes n’ont pas toujours été dépréciées. Au Moyen Âge, période de disettes, les formes plantureuses sont associées à la santé. « Dans un monde où on a faim », commente Georges Vigarello, « on peut comprendre qu’on apprécie l’abondance et les pays de Cocagne . C’est étonnant de voir comme les fabliaux regorgent de ripailles ! Goupil , dans le Roman de Renart se soigne en mangeant . C’est dire toute la valeur accordée à l’alimentation
Le privilège social se transpose en quelque sorte dans les fastes des chairs. Le gras est signe de richesse. Quelques mises en garde contre les excès s’élèvent quand même. Elles émanent des clercs de l’Église qui voient d’un mauvais œil le péché de gourmandise. Avec le développement des villes, ce genre de discours moralisateur va se répandre.
Un autre type de critique des excès émane des médecins. Mais c’est surtout sur les cas extrêmes que leur attention se focalise, sur les «praepinguis», ces hommes ou ces femmes que leur poids va jusqu’à empêcher de marcher, de monter à cheval ou de se chausser. Parmi les très gros célèbres du Moyen Âge: Berthe, la fille de Charlemagne, répudiée pour sa grosseur par, ironie du sort, Louis le Gros, à l’embonpoint légendaire!
Autre obèse célèbre, Guillaume le Conquérant, décédé en 1087. Il se colporte qu’il serait mort de graisses «qui auraient fondu à l’intérieur et l’auraient noyé». « La preuve que la grosseur n’est pas réellement stigmatisée et ne marque pas encore vraiment l’imaginaire », précise Georges Vigarello, « c’est que les gros n’apparaissent pas dans l’iconographie . Toutes les silhouettes se ressemblent dans les tableaux , dans les gravures . Les corps sont indifférenciés . Même le profil d’un personnage comme Guillaume le Conquérant ne se distingue pas des autres

Modernité

Avec la Renaissance, le regard sur le gros change. La modernité commence à viser la puissance d’action et l’efficacité. La grosseur est associée à la lenteur, à la mollesse, à l’inhabileté et à la fainéantise, pas moins!
Des illustrations? Vauban refuse d’octroyer des emplois aux gros, jugés moins efficaces que des personnes plus minces. Jean de La Fontaine livre un vibrant plaidoyer pour le contrôle alimentaire dans sa fable La Belette . À force de banqueter dans son grenier, la belette devenue rebondie est incapable d’emprunter le trou par par lequel elle est entrée.
La maigreur n’est pas mieux perçue à l’époque. Elle est associée à la mélancolie, maladie de la langueur. On retrouve donc, concernant l’obésité ou la maigreur, la même critique du manque de ressort et du déficit d’efficacité. La médecine de l’époque hésite entre plusieurs représentations de la graisse: double peau, huile infiltrée ou encore boules de graisses flottant dans le corps. « Les remèdes proposés contre le gras sont les corollaires de ces représentations », explique Georges Vigarello. « On va saigner ou purger . Il s’agira aussi d’assécher ( selon le terme en usage ), donc de boire le moins possible . Tout un imaginaire du sec se développe . On se méfie de ce qu’on appelle les animaux des brumes . Parmi eux le canard et certains poissons . Haro aussi sur les aliments bouillis et les agrumes .» Visages rougeauds et bedaines font leur apparition dans les œuvres d’art. Le vocabulaire n’est pas en reste. De nouveaux mots apparaissent pour témoigner d’un aiguisement du regard sur les corps: grasset, rondelet, ventru, ventripotent…
Des écrivains comme Madame de Sévigné, Saint-Simon ou la Princesse Palatine pourfendent les bourrelets. « Il est intéressant de lire les lettres de la Princesse Palatine . Elle s’y décrit comme grosse ou carrée .», raconte Georges Vigarello. « Avant elle , avant la fin du XVIIe siècle , l’auto description est rare dans la littérature . Parce qu’elle suppose une objectivation de soi , un jugement de surplomb que la culture doit favoriser

Lumières

La critique du gros s’intensifie avec le siècle des Lumières. L’obésité est associée à un manque de sensibilité, à un affadissement de la personnalité. Des pratiques inédites jusque-là s’inventent pour favoriser la tonicité comme la prise d’excitants ou le recours à des bains froids. Les médecins s’intéressent à l’évolution de la prise de poids. Leur attention se focalise sur les tissus et les nerfs. Ils s’intéressent aux causes susceptibles d’amollir les tissus et de provoquer leur relâchement. L’explication avancée: l’excès de graisses produirait une compression gênant les nerfs et provoquerait un engourdissement.
Les artistes aussi s’intéressent à l’obésité. Ils sont nombreux à peindre et dépeindre les stades menant à l’obésité. Alourdissements, empâtements, relâchement des chairs deviennent sources d’inspiration. « L’intérêt pour le chiffre doit être souligné », explique Georges Vigarello. « En 1725 , un certain Desbordes propose d’établir dans des lieux publics un instrument de son invention permettant de peser les personnes . Il s’agit d’un siège suspendu muni d’un fléau à la romaine . La réaction de la police est cinglante par crainte des assemblées désordonnées dues notamment à de possibles paris sur les résultats de la pesée ! Mesurer le tour de taille est une pratique qui se répand chez les médecins . Buffon , dans son Histoire naturelle , met en rapport la stature et le poids . Il exploite un rapport longtemps intuitif , à savoir qu’un même poids prend un sens différent selon que l’on est grand ou petit
Enfin, il ne faut pas oublier que le XVIIIe se clôt sur une révolution… chimique. On doit au chimiste Lavoisier d’avoir placé près de deux mille personnes dans une chambre close et d’avoir procédé à l’analyse de l’air pour constater l’absorption d’oxygène et le rejet de gaz carbonique. Conclusion: la respiration est une combustion et respirer consiste à entretenir la chaleur. Le corps se fait appareil énergétique. Les calories font leur apparition.

Du XIXe à aujourd’hui

Chiffrer, il en est encore question au XIXe siècle avec Auguste Quételet qui élabore une échelle des poids rapportés à la taille selon l’âge et le sexe. On peut désormais comparer son indice de masse corporelle à un indice «normal» (1). Les régimes se popularisent en même temps que la mode vestimentaire change et que les corps se découvrent. Les vêtements collent davantage aux corps. On passe de la mode des vêtements bouffants à une ligne plus fluide. Avec la naissance des loisirs, les corps commencent à s’exposer aux regards, notamment sur les plages. Balances et miroirs en pied connaissent un engouement simultané. « Contrôle de soi et affirmation de soi vont de pair », commente Georges Vigarello. « L’individu va de plus en plus s’identifier à son enveloppe corporelle . Les obèses qui échouent à maigrir s’auto déprécient . Un cercle vicieux s’enclenche . Le rôle de la société dans la genèse de l’obésité n’est heureusement pas oublié , de quoi ne pas quand même faire peser toute la pression sur les individus . On s’interroge sur le rôle de la nourriture industrielle , la déritualisation des repas , l’accroissement des portions . Le mal du gras est à la fois reconnu comme problème privé et public
Dans la conclusion de son histoire de l’obésité, Georges Vigarello livre entre autre deux réflexions fort intéressantes. La première: on constate un renversement complet du modèle bourgeois de la corpulence (celle des négociants, des notables…). Aujourd’hui, la prévalence de l’obésité est inversement proportionnelle au niveau de revenus. La précarité constitue un facteur de risque pour l’obésité. La seconde réflexion tient en ceci: au cours de l’histoire, le corps des femmes a été davantage contraint que celui des hommes, livré aux ceintures de contention, aux ligatures ou aux corsets. « Les femmes pouvaient déborder physiquement , mais des instruments étaient prévus pour les contenir d’une autre façon », explique Georges Vigarello. « Aujourd’hui , ces instruments sont rangés au placard , bien qu’on ait vu réapparaître des corsets dans les rayons des lingeries . Une autre forme de corset est en vogue . C’est celui qu’on se constitue soi même à force de musculation
Véronique Janzyk
Article publié initialement dans le numéro 50 de la revue Équilibre (novembre 2010) et reproduit avec son aimable autorisation
(1) L’indice de masse corporelle est toujours en usage aujourd’hui. Il se calcule en divisant le poids (en kilo) par la taille au carré (en mètre).

Eduquer à la sexualité, un métier qui s’apprend

Le 30 Déc 20

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Dans un contexte d’affrontement de valeurs, de représentations du sexe racoleuses et violentes, de marchandisation de la sexualité, l’éducation à la sexualité s’avère plus que jamais légitime et nécessaire. Il s’agit d’aider les jeunes à se mettre en mouvement autour de questions fondamentales : qui suis-je ? Qu’est-ce qu’aimer ? Qui est cet autre pour moi ? Quels sont ces désirs qui surgissent ? Comment les vivre ?
Aller à la rencontre des jeunes avec cet objectif n’est pas anodin. Les animateurs chargés de cette mission savent combien elle est délicate.
Pour tenir une juste place et être préparés aux difficultés de leur tâche, ils doivent pouvoir compter sur une formation adaptée. La Fédération laïque de centres de planning familial a élaboré une telle formation, fondée sur l’expérience et le questionnement des participants. Elle vient d’éditer une brochure de cent pages structurée en trois chapitres qui en décrivent la philosophie et les valeurs, les repères méthodologiques et les principaux thèmes. Ces derniers sont notamment les objectifs d’une animation, le cadre à négocier pour un bon déroulement, le démarrage, la place à réserver aux notions médico-scientifiques, l’animation d’un débat, les pièges, les obstacles et les limites rencontrés par l’animateur, et les ‘nouvelles problématiques’ (hier le sida, aujourd’hui les conflits culturels, l’Internet, la pornographie…), qui préoccupent beaucoup les animateurs.

Réfléchir au sens de l’EVAS (éducation à la vie sexuelle et affective)

Il s’agira d’aborder l’identité sexuée, le désir, le plaisir, les relations de genre, qui s’inscrivent dans un contexte social, culturel et temporel donné. «L’erreur fondamentale serait de penser [la sexualité] détachée de sa fonction symbolique, ou de la limiter à un acte et d’oublier que l’essentiel est dans une relation avec un autre» (Serge Lesourd).
La formation doit permettre aux animateurs de «se poser» afin de questionner leur pratique et de prendre conscience (ou se rappeler) que les thèmes qu’ils proposent dans les groupes sont des sujets universels et intimes, empreints de valeurs et de tabous.
Réfléchir au sens de l’EVAS vise à placer la prévention des comportements à risque dans toutes ses dimensions : sociale, culturelle et psychique.
(extrait, page 13)

Le document n’hésite pas à évoquer les situations délicates que les animateurs rencontreront tôt ou tard, ce qui permet de les dédramatiser, de mieux les gérer, sans pour autant offrir de recettes toutes faites qu’il leur suffira d’appliquer quand ils se sentiront en difficulté.Éduquer à la sexualité, un métier qui s’apprend, par Colette Bériot, Katinka in ‘t Zandt, Nathalie Paiva, avec la collaboration d’Alain Cherbonnier, FLCPF, 100 pages, 2011, 10 euros. Diffusion : CEDIF, tél. : 02 502 68 00, courriel cedif@planningfamilial.net.

Usage de drogues en Communauté française

Le 30 Déc 20

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L’asbl Eurotox, partenariat entre Infor-Drogues, Modus Vivendi et Prospective Jeunesse, nous propose une synthèse de son dernier Rapport sur l’usage des drogues en Communauté française (2009). En voici la partie concernant les tendances épidémiologiques marquantes.

L’indicateur de demandes de traitement

(1)
L’âge moyen des patients admis en 2007 est de 34 ans. Ils sont majoritairement de sexe masculin (80%) et d’origine belge (75%). Parmi les 25% de patients d’origine étrangère, 15% proviennent de pays hors Union européenne. Une proportion importante des demandeurs est peu scolarisée (65%) et à faibles (voire sans) revenus (16% sans revenus, 25% au chômage et 35% avec revenus de remplacement)(2) . Les patients vivent généralement seul (37%), en couple (23%), ou avec leur(s) parent(s) (17%). On notera également que 15% des patients ne possèdent pas de logement fixe.
Au niveau de la consommation, on observe que les produits les plus fréquemment à l’origine des demandes de traitements sont, par ordre d’importance, les opiacés (50%), l’alcool (20%), la cocaïne/crack (13%) et le cannabis (9%). Le mode de consommation le plus fréquemment rapporté est l’inhalation/fumette, suivi de l’absorption par voie orale. Environ 11% des demandeurs ont déclaré avoir eu récemment recours à des comportements d’injection. Enfin, l’âge moyen de la première consommation du produit à l’origine de la demande est de 21 ans.
On notera enfin que plus de la moitié des patients ayant introduit une demande de traitement en 2007 présentent des antécédents judiciaires.

Prix des drogues en rue

(3)
Les résultats de cette enquête nous montrent que le prix moyen du cannabis a fortement augmenté ces dernières années (en particulier en 2008), atteignant le record de 9 euros par gramme, probablement en raison de la récente diminution de l’offre. À l’inverse, on constate une diminution du prix moyen de l’héroïne (25 euros/gramme en 2008) et une stabilisation relativement généralisée du prix moyen des psycho-stimulants (cocaïne : 50 euros/gramme ; amphétamines : 9,5 euros/gramme ; ecstasy : 6 euros/gramme).
On constate également certaines différences régionales au niveau des prix pratiqués. Par exemple, certains produits sont plus chers en région liégeoise (héroïne, cocaïne et ecstasy) et d’autres moins chers en région bruxelloise (cannabis et cocaïne).
Ces fluctuations annuelles et régionales ont bien évidemment des conséquences directes sur la disponibilité des différents produits et donc sur les choix de consommation des usagers . Elles sont à mettre directement en relation avec la disponibilité (ou rareté) des produits, le degré de concurrence entre dealers (qui est proportionnel à leur nombre sur un territoire donné), mais aussi avec certaines caractéristiques du conditionnement (variation de l’écart entre le poids déclaré et le poids réel des «pacsons», degré de pureté du produit). Il est toutefois difficile à ce stade d’identifier systématiquement la (ou les) cause(s) exacte(s) des différences annuelles et régionales des prix observés à travers cette enquête.
De manière générale, on constate que le produit le plus consommé en 2007 après le tabac et l’alcool est le cannabis et ce, quel que soit le groupe spécifique envisagé. On constate également en milieu festif (4) que la majorité des indicateurs de consommation est en diminution progressive depuis 2004 (consommation d’au moins un produit hors tabac et alcool, consommation d’au moins un produit illégal, consommation d’au moins un produit illégal hors cannabis, consommation de stimulants). Le phénomène de polyconsommation semble également en diminution depuis 2005.

Dossier dopage

Cette année pour la deuxième fois (après l’alcool en 2005), un sujet particulier est développé dans le rapport. Cette fois, il s’agit du dopage. Ce dossier fait également l’objet d’un tiré-à-part téléchargeable via le site d’Eurotox ( https://www.eurotox.org ).
Quelle est la nature du geste dopant ? Ne le retrouve-t-on pas dans le geste banalisé d’une certaine médecine améliorative déjà présente dans le sport ? Ne le retrouve-t-on pas dans notre quotidien, toujours plus éprouvant, dans un monde si usant qu’on est bien obligé de s’aider à «tenir»? Existe-t-il des trajectoires de soins en assuétudes qui sont passées par le sport de haut niveau ? Y a-t-il lieu d’adapter l’offre de soins à ces trajectoires ? Les gouvernements, en recherche permanente de «héros positifs», n’ont-ils pas une part de responsabilité dans la quasi « obligation de résultat » qui baigne le sport de haut niveau, notamment aux Jeux Olympiques ?
Autant de questions qui sont abordées, avec bien d’autres, dans ce nouveau «focus» qui fut passionnant à élaborer, et dont la cinquantaine de pages est impossible à résumer ici. On verra notamment, que sous le vocable «prévention du dopage» se cache surtout une «lutte contre le dopage» menée, comme dans la «guerre à la drogue», avec des moyens souvent dérisoires et surtout peu adaptés aux intérêts financiers colossaux en jeu dans la sphère du sport professionnel. On s’interrogera dès lors sur la place actuelle ou future de réelles interventions de prévention, voire même de réduction des risques, dans les disciplines sportives. Avec des réponses parfois surprenantes.
Informations fournies par Eurotox
(1) Il s’agit d’un des 5 indicateurs épidémiologiques créés par l’Observatoire Européen des Drogues et Toxicomanies (OEDT), qui est constitué de 20 variables. Il permet d’offrir une estimation du nombre et du profil de personnes ayant fait une demande de traitement auprès d’un centre spécialisé en toxicomanies. En 2007, un total de 4435 demandes ont été enregistrées en Communauté française, dont 1185 premières demandes.
(2) Cette surreprésentation des demandeurs à faibles revenus et peu scolarisés est probablement due au fait que les personnes en situation d’abus ou de dépendance à une substance qui ont de meilleurs revenus ont sûrement davantage tendance à consulter et suivre un traitement dans un cabinet privé.
(3) En tant que Sous-point focal belge de l’OEDT, Eurotox réalise annuellement une enquête sur le prix des drogues en rue et ce, grâce à la centralisation de données fournies par différents partenaires de première ligne chargés d’interroger 10% des usagers rencontrés (travailleurs de rue, comptoirs d’échange de seringues, intervenants en milieu festif, etc.). En 2008, nous avons compilé des informations en provenance d’une centaine d’usagers.
(4) Attention, il s’agit de données rapportées par les personnes qui ont eu un contact direct avec l’une des associations de réduction des risques présente lors des événements couverts, et non pas de l’ensemble des personnes présentes dans le milieu festif.

‘Nos préférences sous influence’

Le 30 Déc 20

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Le fait de toucher un objet rend-il celui-ci plus désirable ? Un prénom peut-il influencer le choix d’un lieu de vie ou d’une profession ? Une personne est-elle dépréciée après avoir été aperçue aux côtés d’une personne obèse ? Sommes-nous plus susceptibles d’accepter de commettre un acte moralement discutable du fait d’avoir été exposé à des concepts religieux ? Pourquoi achetons-nous des produits que nous évaluons moins favorablement lors d’un test à l’aveugle ?
Ces questions, et bien d’autres encore, trouvent une réponse dans ce livre qui a pour objectif d’aider le lecteur à identifier et comprendre les mécanismes psychologiques influençant ses préférences et choix.
Les différents chapitres présentent un aperçu général des découvertes majeures en la matière. Plus de 300 articles scientifiques sont présentés et discutés, qui ont été sélectionnés par l’auteur pour leur pertinence théorique et pratique. Ils abordent un ensemble de thèmes généraux tels que le rôle des mécanismes conscients et inconscients dans la formation de nos préférences et la détermination de nos choix.
Toute personne intéressée par la promotion de la santé ne manquera pas de faire le lien entre les développements de l’ouvrage d’ Olivier Corneille et les pratiques en matière d’acquisition d’attitudes et de comportements ‘sains’ ou ‘malsains’…

Des études suggèrent que l’obésité galopante observée dans les pays industrialisés pourrait avoir pour origine la taille toujours grandissante des portions individuelles de nourriture. (…) En effet, les consommateurs ne se baseraient pas sur leur sentiment de faim (difficile à évaluer) pour déterminer la quantité de nourriture à ingérer. Ils se baseraient de manière heuristique sur la quantité de nourriture qui leur est fournie. (…)
Dans une expérience confinant à l’absurde Wansink a invité des participants à prendre part à une étude à l’heure du déjeuner. L’objet présumé de cette étude consistait à goûter une nouvelle recette de soupe à la tomate, servie dans un bol. Les participants avaient pour instruction de goûter cette soupe et d’en manger autant qu’ils le désiraient. Cependant, pour la moitié des participants, le bol était truqué par un dispositif qui le remplissait imperceptiblement au fur et à mesure que les participants le vidaient.
La consommation de soupe était supérieure de 73% dans cette condition par rapport à la condition contrôle (bol non truqué). Les participants ne semblaient pas être conscients de ce trucage, et ne pensaient pas avoir consommé davantage dans cette condition que dans l’autre.
Une heuristique de représentativité avait donc influencé, de manière drastique, et particulièrement insidieuse, leur comportement alimentaire.
(extrait, page 45)

Bien que basé sur une revue rigoureuse de la littérature scientifique sur le sujet, majoritairement anglo-saxonne, l’ouvrage est accessible, et fourmille d’exemples très concrets. Comme montré dans l’extrait, certains sont vraiment ‘tordus’, de quoi se poser des questions sur la santé mentale des expérimentateurs plutôt que sur le caractère influençable de leurs ‘cobayes’.
Intelligent et distrayant !
Olivier Corneille, Nos préférences sous influences – Déterminants psychologiques de nos préférences et choix, Mardaga, 2010, 224 pages, 25 euros.

Emploi et VIH

Le 30 Déc 20

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La nouvelle publication de l’Observatoire du sida et des sexualités porte sur le ‘maintien, le retour et la non-discrimination dans l’emploi des personnes vivant avec le VIH/sida en Belgique’. Elle fait suite à une journée d’étude en décembre 2009.
La première partie est consacrée à la présentation de projets de Sidaction (France) et de l’Aide suisse contre le sida.
La deuxième partie présente les dispositifs institutionnels belges : outils de lutte contre les discriminations, aides octroyées par l’AWIPH, aides dans le cadre de l’assurance maladie-invalidité…
La troisième partie aborde les expériences des personnes séropositives dans leur rapport à l’emploi, à la fois par des témoignages vécus et des constats de professionnels associatifs et médicaux.
La quatrième partie traite des politiques d’emploi à l’épreuve de la ‘diversité’ et de l’égalité des chances, que ce soit au niveau fédéral (Selor), au niveau régional (Wallonie et Bruxelles-Capitale) ou encore dans le secteur associatif.
Le document reprend aussi les échanges de la table ronde ayant clôturé la journée.
Les auteurs espèrent ainsi contribuer à alimenter la réflexion et aider celles et ceux qui désirent améliorer les situations sociale et professionnelle des personnes vivant avec le VIH en Belgique.
Emploi et VIH, Charlotte Pezeril (coordination), Observatoire du sida et des sexualités, 2010, 112 pages. Disponible (maximum 10 exemplaires) au 02 211 79 10, courriel : observatoire@fusl.ac.be. Également téléchargeable sur le site https://www.observatoire-sidasexualites.be (1,31 Mo).

Tous dopés? Quelle éthique de la médecine d’amélioration?

Le 30 Déc 20

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Quel plaisir que celui de redécouvrir les interventions des experts nationaux et internationaux conviés à stimuler notre réflexion éthique et philosophique concernant le dopage et la médecine d’amélioration! Apports nourrissants, idées novatrices et propos parfois très décapants avaient élevé la réflexion bien au-dessus de la bouillie consensuelle et répétitive que nous servent quotidiennement les médias et les autorités publiques. Ce complexe survitaminé d’amélioration réflective proposé par le Comité consultatif de bioéthique de Belgique à l’occasion de sa sixième conférence bisannuelle en avril 2007 a fait l’objet d’une publication voici quelques mois (1). Ouvrage passionnant sur un thème qui touche de très près chacune et chacun d’entre nous et dont le lecteur trouvera ici une mise en bouche aux vertus que nous espérons alléchante et prosélyte.

Technologies d’amélioration et éthique de l’authenticité

Carl Elliot , MD PhD, du Centre de bioéthique de l’Université du Minnesota, a ouvert la matinée par une brillante et captivante communication (2).
Remontant au 18e siècle, Elliott rappelle que l’éthique de l’authenticité, cette nécessité d’être à l’écoute de ses sentiments afin de savoir quelle est la bonne chose à faire, «est bien vite devenue un idéal moral en soi pour mener la vie vraie et entière d’un être humain accompli» (3). À travers différents phénomènes (le recours aux stéroïdes anabolisants des culturistes, à la fluoxétine (Prozac) ou à la paroxétine (Seroxat) traitant les troubles anxieux d’origine sociale, à la Rilatine consommée par les adultes, la transsexualité, l’amputation de membres sains, etc.), il montre que ces interventions et traitements modernes s’inscrivent dans cette recherche du moi réel, de l’acquisition de son identité véritable. «Sous Prozac, je suis enfin moi», «Sans mes deux jambes, je vis enfin dans mon vrai corps».
Traitant également de la chirurgie esthétique, la «psychiatrie au scalpel» (citant l’expression de E . Haiken , historienne), il rappelle que cette recherche de l’authenticité, du bien-être psychologique, était considérée comme relevant en partie du complexe d’infériorité ( A . Adler , 1930). «Complexe» devenu depuis «stigmate», entraînant le recours massif aux technologies médicales pour traiter les gens se sentant «stigmatisés» (les petits seins, la petite taille, la vieillesse, etc.).
Le besoin de s’accomplir transforme ainsi les techniques d’amélioration en traitements médicaux.
Mais, ce souci de l’identité est aussi «flexible». Ainsi, Stephen Hawking (célèbre scientifique souffrant d’une affection neurologique évolutive) qui utilise un synthétiseur vocal pour s’exprimer, refuse de changer d’appareil tant il s’est identifié à la voix artificielle et robotique de son synthétiseur. «J’aurais l’impression de devenir une autre personne» (4).
Enfin, Elliott souligne que le discours de l’identité produit des effets sur les maladies qu’il décrit. Une fois que des états psychologiques internes sont décrits (une part d’indétermination subsistant toujours d’un individu à l’autre), la maladie y associée se répand alors, parfois en un temps très court. Pour expliciter cela, l’orateur fait un détour passionnant par la philosophie en faisant référence à «la boîte à coléoptères» de Wittgenstein .
Mais, le marché n’est jamais loin et ces phénomènes sont aussi synonymes d’opérations juteuses (firmes pharmaceutiques, chirurgie esthétique, etc.) car ce souci de soi est exploité avec un art consommé par les stratèges du marketing et de la publicité. «Pour vendre le médicament, commencez par vendre la maladie» (5) déclare Elliott, et de rappeler le cas de l’amytriptiline, médicament traitant la dépression clinique considérée comme rarissime dans les années 1960. En promouvant le diagnostic de la dépression auprès des médecins généralistes, la redoutable stratégie de Merck placera l’amytriptiline au hit-parade des ventes de médicaments.

Légaliser les substances ergogéniques dans le sport? Une idée à creuser

Le propos d’Alex Mauron (6) va lui s’adresser au dopage mais en l’abordant de façon peu conventionnelle. Pour cela, une grande partie de son exposé sera d’abord consacrée à dresser le contexte, à circonscrire le sujet: sport, dopage, mais encore?
Un certain nombre de concepts et d’éléments sont passés en revue. Ainsi, la plupart des activités sportives renferment une dualité: le sport comme spectacle offrant des performances hors du commun d’un côté, et de l’autre, le sport en tant qu’épreuve vertueuse reflétant le mérite de l’athlète ou de l’équipe victorieuse tout en préservant le caractère imprévisible du résultat… Le «plaisir de l’attente et de l’anticipation» entretenant le suspense indispensable au spectacle et à un enjeu commercial considérable dans certains cas.
«Le sport doit être un spectacle vertueux» (7), et plus. Mauron fait référence à la fonction cathartique du sport qui pourrait bien, par sa mise en scène, représenter une théâtralisation de la justice, à la manière du théâtre antique. À cet égard, il cite Brohm (8), sociologue du sport, qui reprend la notion d’opium du peuple chère à Marx concernant la religion, en l’appliquant au sport: le sport en tant que théâtre de la justice offre une dimension de réparation, compensatoire, aux regards des injustices que vit le peuple au quotidien.
Mais les choses ne sont pas aussi simples et une dichotomie existe depuis la naissance du sport moderne. Pour ceux qui sont en haut de l’échelle sociale mais aussi les sponsors et les journalistes sportifs, le dopage est un problème à combattre. Pour les sportifs et la population, c’est plus que relatif.
Mauron situe l’origine de cette opposition de cultures dans le sport au 19e siècle, avec l’avènement de l’olympisme. Il nous rappelle que de Coubertin et son idéal olympique étaient imprégnés de moralisme et que le mouvement olympique sera «comme une réaction élitiste, moralisatrice et pédagogique contre la dégénérescence et l’immoralisme de la classe ouvrière» (9). Cet idéal rejoindra les idéologies dominantes de la fin du 19e siècle et d’une bonne partie du 20e: le culte de l’effort, l’élitisme et l’eugénisme. Les états totalitaires utiliseront d’ailleurs le sport moralisé, et les Jeux de Berlin en 1936 en seront une parfaite illustration.
La chute du mur ramènera l’olympisme à davantage de valeurs démocratiques et la lutte antidopage va occuper une place centrale dans le sport. La morale encore et toujours…
Mauron poursuit sur cette question de l’opprobre moral sévissant dans le sport en l’associant aux «croisades symboliques» et rappelle la croisade pour la tempérance et la lutte contre l’alcool aux États-Unis (début du 20e siècle) et les enjeux de statut et de pouvoir sous-jacents à l’œuvre au sein de la société américaine et dans d’autres par la suite (travaux de J . Gusfield , 1963), mais aussi les croisades contre les nouvelles drogues, la lutte antidrogue, etc.
En matière de sport, constate-t-il, «les organisations telles que le Comité international olympique, l’Agence mondiale antidopage, les laboratoires de contrôles antidopage, la presse sportive représentent à cet égard un vivier inépuisable d’entrepreneurs moraux qui ont un intérêt à la fois idéologique et économique à développer leur influence» (10). Comme pour les drogues, tous les coups sont permis.
L’auteur souligne pourtant la difficulté de tracer une frontière nette entre médecine curative (visant à restaurer des fonctions au niveau normal) et amélioratrice (visant à potentialiser les fonctions au-delà du niveau normal). Et de poser la question: «comment conceptualiser la «normalité» de l’athlète de haut niveau?» S’il est «naturellement» champion, il se situe au-dessus de la moyenne et, même entre sportifs de haut niveau, certains sont par nature plus doués et dotés que d’autres, donc les athlètes sont «dès le départ» inégaux entre eux. Par ailleurs, un certain nombre de méthodes d’amélioration s’inscrivent dès lors en toute logique dans leur entraînement, le tout étant de dégager le bon grain de l’ivraie.
Après avoir balisé le sujet à travers divers éléments (dont certains n’ont pas été rapportés ici), Mauron peut en venir à sa proposition (développée avec ses collègues B . Kayser et A . Miah ). Celle-ci va bien sûr à contre-courant de la lutte antidopage – légaliser certaines substances ergogéniques dans les sports – même s’il ne s’agit ni de libéralisation complète du dopage ni de déconstruction radicale du fondement éthique de la lutte antidopage.
Prenant l’exemple des toxicomanies, dont la politique du «tout répressif» montre son inefficacité et ses effets pervers (11), il prône une politique de réduction des risques, «attitude à la fois utilitariste et hippocratique», visant à légaliser les pratiques les moins dangereuses. L’objectif est de «ne garder de la lutte antidopage que les aspects justifiables en termes de responsabilité médicale et de ‘non-malfaisance’» (12), afin de ne pas traiter les interventions ergogéniques dans le sport autrement que celles qui ont cours dans toutes sortes d’activités humaines à l’heure actuelle.
Avec cette proposition, de beaux débats s’ouvrent qui devraient pour le moins concerner les acteurs de la santé.

Sport et éthique

Michel D’Hooghe , président de la Commission médicale de la FIFA (13), dresse un historique du dopage tant au niveau des méthodes (en remontant à l’Antiquité) que des faits et des enjeux financiers énormes (quatre milliards de dollars sont consacrés à la fabrication de l’EPO, utilisée à 80 % dans le monde sportif – la consommation annuelle totale de produits dopants étant estimée à huit milliards d’euros). D’emblée, l’auteur se déclare «un adversaire enragé de toute forme de dopage» et s’indigne autant de l’intérêt financier qui motive le dopage que de l’ambition humaine qui pousse à y recourir.
Par cette intervention, l’auteur nous livre un exposé très convenu de l’idéologie antidopage qui gouverne le mode de pensée des nouveaux entrepreneurs moraux et illustre à merveille les propos de Mauron (intervenant précédent). Son exposé se clôture par une profession de foi: «la joie, le service et le rêve contre la corruption et le dopage». Et bien voilà, nous avons la solution.

La pharmacie et ses usagers: perspectives éthiques

C’est une philosophe, Florence Caeymaex , chercheuse qualifiée du FNRS – Université de Liège, qui a clôturé cette matinée d’exposés.
Partant du constat, évident, que nous vivons dans une société vouée à la recherche de la performance et du bien-être, la philosophe pose la question: «comment permettre aux individus d’être performants ou de chercher leur bien-être, sans cependant mettre en danger leur santé? Comment donc réguler la société de la performance?» (14).
Toutefois, plutôt que d’y répondre, la philosophe propose de questionner le consensus implicite autour de la «société de la performance» et de s’interroger sur la nécessité de la réguler. Citant Kant , elle rappelle que l’homme au contraire de l’animal ne cesse de se transformer lui-même ainsi que ses conditions d’existence et ce, depuis l’âge des cavernes. Rien de bien neuf donc.
Ensuite, elle rappelle que la «course au bien-être» ne concerne qu’une partie de la population mondiale, privilégiée par rapport à l’état sanitaire du reste du monde et que même dans les sociétés riches, pour une bonne part de la population, la recherche du bien-être n’est en fait que celle d’aller moins mal face aux multiples pressions qui s’exercent sur elle.
Enfin, selon de nombreux analystes, l’innovation dans le champ thérapeutique est en crise. Peu de résultats réellement nouveaux sont engrangés et, malgré leur succès commercial, l’efficacité de certains produits d’amélioration est à interroger.
Après cette interrogation du consensus précité, Caeymaex développe l’idée selon laquelle la société de la performance est aussi une société de normes. Et, toutes les problématiques relatives à la santé publique impliquent dès lors la formulation de normes, celles-ci étant non seulement descriptives mais aussi prescriptives. Elles définissent un état objectif (la santé) mais aussi un idéal auquel correspondre (le bien-être). Et de citer Foucault (la société de normalisation et son système de contraintes) et Canguilhem . Le corps est donc, lui aussi, un vecteur de contrôle de la société sur l’individu via le recours aux normes.
Normes de santé se référant donc à l’état objectif du corps mais aussi à ce qui conditionne cet état dans la société moderne médicalisée, nos comportements et conduites. Enfin, la médecine évolue au gré des recherches et des découvertes, la norme de santé évolue, redéfinissant le normal et le pathologique, signe qu’il s’agit toujours d’une construction sociale et non d’une vérité objective.
Par ailleurs, la performance est peut-être une nouvelle norme venant s’ajouter à celle de santé: mais qu’est-ce que la performance? Et, s’il s’agit de définir le bon usage des produits d’amélioration, ne serions-nous pas face à un nouveau système de normalisation?
Se référant encore à Canguilhem, Caeymaex propose «une autre approche de la norme: la vie productrice de normes». C’est-à-dire envisager une éthique à vocation libératrice qui ne délimite pas le bon et le mauvais, le bon usage et le mauvais usage, etc., mais une éthique qui prenne en compte la subjectivité de chaque individu. En considérant que le pathologique n’est plus l’anormal mais la «création» d’un autre mode de vie et, dès lors, une épreuve existentielle que traverse le sujet et qui est à prendre en compte. Plutôt que de traiter le pathologique pour un retour à la normalité, il s’agirait de considérer les écarts «pathologiques» d’un individu comme des expériences singulières qui le concernent.
«Les médicaments de la performance ou du bien-être s’offrent à ceux qui les consomment comme une proposition d’expérimentation (…). (Les substances) ont tout à gagner d’une évaluation éthique des usages, qui prenne en compte, à côté du profil «objectif» de leur composition chimique et des effets qu’on leur prête, les modes et les normes d’existence subjective qu’elles rendent possible» (15). Un bon usage de la «pharmacie» moderne devrait s’apprécier en fonction de ce qu’il offre «comme possibilités nouvelles de vie et de santé mentale et physique, dans une existence singulière donnée» (16). C’est peut-être le chemin difficile et complexe à emprunter «pour nous constituer comme sujets d’une existence, plutôt que comme objets d’une normalisation» (17).
Seuls les exposés de la matinée ont été ici évoqués (18). Néanmoins, le Comité a fait cadeau en annexe de l’ouvrage d’une étude passionnante réalisée par Hans Vangrunderbeek et Jan Tolleneer auprès des étudiants en éducation physique et sciences de la motricité de l’Université de Gand (19).
L’étude a tenté de cerner les opinions et arguments avancés par les étudiants pour défendre leur point de vue en matière de dopage. Sur base de dossiers d’actualité constitués par les étudiants pendant huit années académiques successives, les points de vue et arguments ont été classés en trois catégories: la «tolérance zéro», la «tolérance» prônant une position nuancée fondée sur la définition de conditions régissant le recours au dopage et enfin la «neutralité» qui englobe ceux n’ayant pas développé de position personnelle. Les arguments avancés ont ensuite été classés en diverses catégories s’appuyant sur une question de départ: «qui/qu’est-ce qui est en cause lorsque l’on a recours au dopage?». Quatre catégories ont été définies; le moi, l’autre, le jeu et le spectacle. Même si la représentativité de cette étude est limitée, elle est non seulement riche de façon intrinsèque, mais aussi d’enseignements. Comme en témoignent des interviews en profondeur menées auprès d’étudiants par la suite, il ressort que «les médias, l’enseignement et le milieu familial sont les institutions socialisantes les plus importantes en ce qui concerne la réflexion sur le dopage» (20).

Pour conclure

Beaucoup de partisans de l’interdiction du dopage et adeptes de la tolérance zéro appuient à juste titre leurs arguments sur le fait que le sport est un jeu, reposant de façon «naturelle» sur le fair-play et sur des règles connues de tous (donc sans déloyauté telle le dopage, encore qu’il faudrait définir ce qu’est l’honnêteté dans le domaine du sport!).
Mais, ce temps-là n’est-il pas depuis longtemps révolu? «Si se doper n’est qu’un avatar de la «médecine de la performance» (médecine d’amélioration qui en tant que nouvelle médecine répond à une demande de transformation des seuils naturels, à côté de la médecine thérapeutique s’efforçant de rétablir l’homme sur le plan de sa santé), il vaudrait donc mieux envisager «une politique pragmatique de tolérance à l’égard de certaines formes d’amélioration des performances sous contrôle médical» (21) ce qui résoudrait, du moins en partie, l’hypocrisie et la contradiction structurelle d’un système où il est demandé au sportif de se surpasser, tout en lui interdisant les moyens de modifications physiologiques qui le facilitent. Michel Dupuis (22) rappelait que l’être humain est bien ce que Sophocle disait: le deinotaton, c’est-à-dire l’être le plus merveilleux et le plus effrayant à la fois. Demain déjà, indignations, effroi et passion nous sont promis avec le dopage génétique.
Bonne lecture!
Philippe Bastin , Infor-Drogues

Pour prolonger la réflexion

Le numéro 53 de ‘Prospective Jeunesse drogues santé prévention’ traite de ‘Sport et dépendances’, une « relation tantôt mortifère , tantôt vertueuse » comme le souligne Julien Nève dans son éditorial, « de quoi détourner le lecteur de la figure mythique de l’athlète , parangon de vertu , sans pour autant le dégoûter du sport consommé avec modération ». Une belle ligne de conduite, illustrée par d’excellents textes abordant des aspects aussi variés que le sport de haute compétition et la lutte antidopage, ou encore la dépendance à l’exercice physique.
En vente au prix de 7 euros chez Prospective Jeunesse, chaussée d’Ixelles 144, 1050 Bruxelles. Courriel: revue@prospective-jeunesse.be

(1) Stiennon Jeanine-Anne, Schotsmans Paul, Tous dopés ? Éthique de la médecine d’amélioration , Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique, Bernard Gilson Éditeur, décembre 2008.
(2) Elliott C., «Technologies d’amélioration et éthique de l’authenticité», in Stiennon J.-A., Schotmans P., Tous dopés ? Éthique de la médecine d’amélioration , Bernard Gilson Éditeur, 2008, p. 22.
(3) Elliott C. Ibid. p. 22.
(4) Id. p. 25.
(5) Id. p. 35.
(6) Mauron, A. Pr., Institut d’éthique biomédicale, Faculté de Médecine, Université de Genève.
(7) Id. p. 41.
(8) Brohm Jean-Marie, La tyrannie sportive : théorie critique d’un opium du peuple . Beauchêne, 2006.
(9) Id. p.43.
(10) Id. p. 47.
(11) En faisant référence aux croisades morales et à leurs sbires, les entrepreneurs moraux, l’auteur en rappelle les conséquences inévitables: criminalisation (création d’une nouvelle criminalité) et empiètement sur les libertés individuelles, dérives mafieuses, excès policiers, ingérences politiques d’un pays dans l’autre, etc. Les mesures liberticides pratiquées à l’encontre des sportifs («esclavagisme moderne») pour atteindre un sport «propre» rejoignant le vœu tout aussi irréaliste de nombreux politiques voulant croire en une société «clean» c’est-à-dire sans consommation de drogues illicites.
(12) Id. p. 56.
(13) Également, médecin et directeur du département Revalidation et médecine sportive, AZ Sint-Jan, Brugge.
(14) Id. p. 76
(15) Id. p. 90
(16) Id. p. 89
(17) Id. p. 90
(18) Le livre comprend également les rapports des ateliers, les conclusions et les réflexions finales, plaidoyer de Paul Schotsmans, Président du Comité.
(19) Vangrunderbeek H., Tolleneer J., Annexe, vers une plus grande tolérance pour le dopage dans le sport? in Tous Dopés? id. pp 153-176.
(20) Id. p. 175.
(21) Missa Jean-Noël, Id. p. 98.
(22) Dupuis M., Vice-président du Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique, in Tous Dopés? id. pp. 151-152.