Mortel paradoxe: alors que les prostituées sont à la fois les principales victimes et propagatrices du sida, peu de programmes s’adressent directement à elles. À Madagascar, des travailleuses du sexe se sont associées pour informer leurs compagnes d’infortune.
Dans le quartier populaire de Tanambao, au cœur de Tamatave, sur la côte est de Madagascar, il fait déjà noir. Dix travailleuses du sexe s’apprêtent à sortir. Mais ce soir, elles ne rejoindront pas leur coin habituel. Comme tous les jeudis, elles se préparent à aller visiter leurs collègues sur leurs lieux de travail. Vêtues de tee-shirts noirs, coiffées du képi sombre orné du logo du Programme national de lutte contre le sida, elles sont équipées de paquets de fimailo (condom), de prospectus et elles ont de quoi noter l’identité de leurs collègues. Réparties en cinq groupes, elles vont accoster celles qui sont déjà postées dans l’attente des clients. Aussitôt, la discussion s’engage.
Les prostituées, qui représentent 11,4 % des Malgaches infectés sont, selon l’Institut national de la statistique, le premier groupe propagateur du sida dans l’île. Une statistique d’autant plus alarmante que, pauvreté aidant, le ‘plus vieux métier du monde’ gagne du terrain dans la Grande Ile. A Tamatave, le nombre de prostituées a doublé en cinq ans. La ville en compte actuellement plus de 10 000 pour une population d’environ 200 000 âmes!
Parmi elles, un nombre croissant de jeunes. Dans le quartier de Bazarikely, ‘ plus de 50 % des prostituées sont des mineures de moins de 17 ans ‘, confie Germaine Razafindravao , présidente de l’association des prostituées (Fivemito).
Bien que les risques de propagation soient considérables, peu d’acteurs de la lutte anti-sida s’intéressent au sort des belles de nuit. La liste des associations agréées par le Comité national de lutte contre le sida (CNLS) en recense 839 mais seulement 65 d’entre elles oeuvrent en faveur des prostituées pour l’ensemble du pays. ‘ Aucun opérateur ne fait du travailleur du sexe une cible privilégiée et stratégique dans ses actions de lutte contre le sida ‘, regrette Willy Rapanoelina , responsable du Programme national.
‘Nous sommes les mieux placées’
Charité bien ordonnée commence par soi-même: les prostituées se sont donc attaquées elles-mêmes au problème. ‘ C’est à nous de mener le combat ‘, lance la présidente de Fivemito, qui regroupe quelque 200 femmes: ‘ Nous sommes dans le métier donc les mieux placées . Nous connaissons leurs préoccupations , leurs risques , les affinités …’ dit-elle en parlant de ses compagnes tombées dans la prostitution. L’objectif de l’association est bien sûr de protéger les filles des rues mais aussi de revaloriser leur propre image et de créer une solidarité entre elles. L’association s’est fixé comme devise: amitié, santé et épanouissement. Des valeurs étrangères à la plupart des prostituées comme le confesse l’une d’entre elles: ‘ Je n’ai jamais connu que haine , hostilité , jalousie entre nous ‘.
Les animatrices de Fivemito se mobilisent de jour comme de nuit selon un planning préétabli. Des visites en groupe ou à domicile ont lieu pendant la journée tandis que dans la soirée les sensibilisations se font dans les boîtes de nuit ou les maisons de passe. Chaque visiteuse ramène ainsi au dispensaire au moins une cinquantaine de filles par mois. Au moins 2000 préservatifs sont distribués à chaque sortie par les animatrices qui touchent chacune une modique ‘motivation’ d’environ deux euros par soirée. ‘ C’est une approche très efficace , estime le Docteur Léonardine de l’hôpital principal de Tamatave, dans la mesure où moi – même médecin , je n’arrive pas facilement à faire parler ces femmes .’ Mais entre les filles, le courant passe. Catherine , une jeune prostituée, agressive et fermée, vient d’adhérer à l’association. A présent, elle vient contrôler régulièrement son état de santé auprès du dispensaire. ‘ Ma vie ne regarde que moi , dit-elle, je n’en parle à personne mais nos amies de Fivemito ont réussi à me convaincre .’
Sortir les filles de la prostitution
En étroite collaboration avec des responsables administratifs de quartier, ces brigades anti-sida abordent tous les sujets: l’hygiène, les maladies sexuellement transmissibles, le dépistage, etc. Pour faire passer les messages, les membres de Fivemito ont dû elles-mêmes se former aux techniques de communication et d’approche participative… On évoque aussi des questions plus intimes: comment séduire le partenaire? comment se faire belle? La présidente y tient beaucoup: ‘ Il faut honorer le métier ‘, martèle-t-elle. Le but ultime de cette mobilisation reste cependant de sortir ces filles du carcan de la prostitution. Dans cette perspective, l’association développe des activités génératrices de revenus telles que la couture, la broderie, l’artisanat ou la cuisine.
Séduit par l’efficience de ces ‘pairs éducatrices prostituées’ mais aussi conscient de l’expansion de la maladie dans le pays, PSI/Top réseau ( Population services international ), programme anti-sida financé par les Etats-Unis, projette de développer cette approche dans le pays. Quatre autres villes ‘rouges’ de la Grande Ile vont à leur tour profiter de l’expérience de Fivemito.
Mamy Andriatiana , InfoSud – Syfia