Octobre 2024 Par Clotilde de GASTINES Réflexions

Repartir de chez le médecin avec une prescription de nature ? Aller travailler chez un maraîcher pour sortir du burn out ? Les Soins verts sont en plein essor en Belgique. De plus en plus de professionnel.les du soin et de la promotion de la santé veulent montrer que cette intervention thérapeutique non-médicamenteuse a fait ses preuves.

l’équipe du CISC de Sprimont avec le carnet de prescription verte illustré par Lucyle Massu, illustratrice et graphiste. De gauche à droite : le Dr Xavier Giet, Nolwenn Lechien, le Dr Fannette Brendel, le Dr Thomas Daltin. Cette photo a été prise fin mars 2024, au commencement du projet avec les patients.
L’équipe du CISC de Sprimont avec le carnet de prescription verte. De gauche à droite : le Dr Xavier Giet, Nolwenn Lechien, le Dr Fannette Brendel, le Dr Thomas Daltin. Cette photo a été prise fin mars 2024, au commencement du projet avec les patients.

Au cours des six derniers mois, une cinquantaine de patients de la maison médicale de Sprimont en province de Liège ont reçu une ordonnance pas comme les autres : une prescription de nature. Le carnet de 50 pages, couverture verte estampillée par le cachet et la signature d’un des onze médecins généralistes du Centre de Santé Intégrée des Carrières (CSIC) est sobrement illustré d’un dessin d’arbre stylisé. 

A la lecture du carnet, les patients découvrent les fondamentaux de la prescription de nature. Le concept de « Green prescription » est né en Nouvelle Zélande en 1998 et plusieurs pays lui ont depuis emboîté le pas : Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Japon, Suède, Suisse. Les différentes études menées sur ces terrains constatent que le fait de passer deux heures dans la nature par semaine, par tranche de 20 minutes minimum est bon pour la santé. Une recommandation qui figure d’ailleurs en couverture de la prescription de Sprimont. 

« Actuellement, nous avons 25 patients qui suivent le programme d’activités. Certains ont terminé, d’autres prolongent le programme initial » précise Nolwenn Lechien, l’initiatrice du projet. Chargée de promotion santé au sein de la maison médicale de Sprimont, elle a coordonné un groupe de travail associant patients et professionnel.les pour co-construire cette prescription verte sur le fond et sur la forme. 

Dans ses pages intérieures figurent un calendrier proposant huit semaines d’activités de (re)découverte et de (re)connexion à la nature. Chaque participant a la possibilité de s’inspirer d’une liste d’activités individuelles et collectives à faire à la maison ou en extérieur :  une marche de 30 minutes, une visite de la réserve naturelle de la Heid des Gattes (sur la commune d’Aywaille), l’écoute d’un épisode du podcast de Quentin Travaillé « La Vie Partout », etc… Chaque patient dispose d’une double-page par semaine avec d’un côté une check liste, de l’autre une page vierge pour des annotations. 

Un projet d’inspiration néo-zélandaise  

Pour concevoir le dispositif, Nolwenn Lechien s’est inspirée de l’expérience d’un membre de sa famille qui vit et travaille en Nouvelle-Zélande comme « garden prescriptor », littéralement un prescripteur de jardin. Elle découvre ce modèle pendant ses études d’infirmière. « On était nombreux à s’interroger sur le paradigme du soin où prime le « tout curatif », à se demander si on n’était pas en train de devenir des prescripteurs sur pattes, explique-t-elle. On se demandait comment redonner du pouvoir à nos patients, en leur proposant, quand c’est possible, une alternative aux médicaments ». 

Petit à petit, l’idée fait son chemin. Et si la Belgique suivait cette voie ? Dans le cadre d’un master en santé publique à la Faculté de Médecine de l’Université de Liège, la jeune femme décide d’explorer la faisabilité des prescriptions vertes. Elle lance un questionnaire auprès des maisons médicales de la province de Liège, rencontre 69 professionnels de santé et sent un frémissement. Tous ses interlocuteurs sont « persuadés » des bienfaits de la nature, décrit-elle. Ils ont toutefois « besoin de preuves scientifiques » pour faire face au possible scepticisme de leurs patients et à l’incrédulité que peut générer cette proposition dans l’opinion publique. 

Le lien avec la nature est-il tellement fragilisé, qu’il faut que ce soient les médecins qui la prescrivent ? Malheureusement, il semble que oui. Au cours de ses échanges, la chercheuse objective les obstacles qui entravent l’accès à la nature : le manque d’expérience, d’habitude, l’éloignement (pour ceux qui habitent en ville en particulier), la mobilité et les blocages psychologiques. « Ce n’est pas parce qu’on habite en milieu rural ou en campagne qu’on est connecté à la nature. Pour certains, le végétal génère plutôt de la contrainte : il faut tondre, parfois traiter, certain.es prennent leur voiture pour se déplacer » relate Nolwenn Lechien, qui détaille les obstacles et les solutions dans un article initialement publié sur le site de Canopéa (anciennement Inter-environnement Wallonie) et repris sur ce lien.

Des patients-bénévoles convaincus dès le lancement 

prescription de nature

Et pourquoi passer par une formalisation écrite, alors qu’une partie des médecins généralistes ploie sous la surcharge de prescription ? « Un conseil écrit a toujours plus de force qu’un conseil oral, précise Sarah De Munck, médecin généraliste au sein de la SSMG et chargée de projet Santé Environnement chez Canopéa. Les médecins jouissent d’une place particulière auprès des patients qui leur font confiance grâce à leur connaissance et leur proximité. Ils jouent donc un rôle essentiel dans la prévention et la transition vers un système de santé moins dépendant des médicaments, ainsi que dans la sensibilisation aux bienfaits de la nature ». 

A l’été 2023, Nolwenn Lechien présente son mémoire de fin d’études intitulé « Prescription de la nature par les professionnels de santé en maison médicale : exploration en région liégeoise des perceptions, freins et leviers de cette pratique innovante ». Il est distingué par le prix HERA de la Fondation pour les Générations Futures. Aussitôt, le CSIC lui ouvre la perspective d’une mise en pratique concrète à Sprimont, en proposant à la jeune diplômée de devenir responsable de projet en promotion de santé – et d’y mettre en œuvre les prescriptions de nature. 

Les réflexions démarrent en octobre 2023 avec les professionnel.les de la maison médicale et un groupe de travail auquel participent sept patient.es volontaires, dont l’une est guide nature. Fin mars, le carnet est finalisé et les premier.es patient.es reçoivent des prescriptions vertes.  

« Cinq patient.es de notre groupe de travail ont voulu s’impliquer au-delà de la création du carnet. Ils animent bénévolement des activités collectives : des marches de remise en forme, des marches de découverte historique autour de Sprimont, des balades en pleine nature et en pleine conscience, des rencontres de maraîchers pour parler alimentation ou potager » se réjouit Nolwenn Lechien. 

Réflexivité et changement de pratique 

« Au départ, on pensait prescrire de la nature pour un maximum de patient.es avec ou sans pathologie chronique, explique le Dr Xavier Giet. Dans la pratique, on remarque qu’on en prescrit principalement pour des problèmes d’anxiété, de burn out, d’isolement, ou parfois quand un patient est en rémission d’un cancer. » 

Le projet pousse les médecins de la maison médicale à la réflexivité. « Ce n’est pas évident de changer notre pratique pour que la prescription de nature devienne un acte naturel pour nous et qu’on y pense aussi pour les maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension » ajoute le praticien. Celui-ci partage d’ailleurs les préoccupations de Nolwenn Lechien quant à la sur-médication. Il passe régulièrement en revue les plans de traitement de ses patients pour tenter de diminuer les doses, ou le nombre de molécules quand c’est possible. 

Après une prescription de nature, le médecin revoit son patient au bout de quatre semaines d’activités nature pour assurer le suivi médical. En parallèle, Nolwenn Lechien assure une consultation d’une heure toutes les deux semaines pour identifier si l’activité a pu donner le goût de la nature, de nouvelles habitudes et s’il subsiste des freins. 

« Certaines personnes ont des difficultés d’accès. On ne peut pas encore financer le transport pour celles qui sont privées de mobilité, qu’elles soient précarisées, âgées ou handicapées », explique-t-elle. Pour le moment, l’initiative fonctionne sur fonds propres, sans aide de la commune de Sprimont.

Cet automne, le carnet va évoluer pour s’adapter aux critiques des médecins et des patients. « Il était très centré sur Sprimont et ses alentours, il va se diversifier pour permettre son utilisation ailleurs en Wallonie, gagner en souplesse en supprimant la checklist. Il fera aussi plus de place aux prises de notes des patients, et fixera un objectif au début des deux mois, pour permettre d’objectiver la réalisation de celui-ci ». 

La nature, une alliée thérapeutique 

Si le dispositif de Sprimont est encore trop jeune pour pouvoir présenter une évaluation médicale précise, il met toutefois en avant la liste des bienfaits de la nature dans une double-page illustrée. 

Extraits sur les bienfaits de la nature dans le carnet de prescription verte illustré par Lucyle Massu, illustratrice et graphiste au CISC
Un extrait du carnet de prescription verte illustré par Lucyle Massu, illustratrice et graphiste (DR)

En 2005, le journaliste américain Richard Louv présentait le « syndrome de manque de nature » (Nature Deficit Disorder) dans son livre Last Child in the Woods. Il y constatait le fait que les humains, et notamment les enfants, se trouvent de plus en plus confinés en milieu urbain, et tissait un lien de cause à effet sur le moindre usage des capacités sensorielles, des difficultés d’attention et un impact sur des pathologies comme l’obésité. 

Ce n’est que depuis 2010, que la littérature scientifique caractérise véritablement les effets des « thérapies assistées par la nature », notamment de l’agriculture sociale et publie des preuves scientifiques. 

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De nombreuses études sont en cours actuellement. En Suisse, le médecin Mathieu Saubade mène par exemple une recherche pour Unisanté Lausanne sur les bains de forêt. Il documente les effets de balades immersives en forêts sur les maladies cardiovasculaires et l’hypertension en mesurant les constantes des participants. Il est parvenu à mettre en évidence la différence entre un bain de forêt et une balade en milieu urbain. Il étudie aussi les effets du groupe de pairs, de l’état méditatif et de l’expérience multisensorielle.  

Lors de la présentation de ses travaux, en septembre 2022, il dressait la liste des bienfaits physiologiques et psychologiques. L’environnement forestier se distingue par la qualité de son air, notamment une plus forte concentration d’oxygène, des sons de faible intensité entre silence et sons de la nature. Chez les participants, il mesure une diminution significative du rythme cardiaque, une diminution de la tension artérielle et du cortisol (l’hormone du stress) après la marche en forêt. Cette diminution est plus forte qu’après une marche en ville. Il constate aussi une augmentation des niveaux de sérotonine et d’endorphines, améliorant ainsi l’humeur, le sentiment de bien-être général et l’attention. Enfin, l’exposition à des phytocides, des composés organiques volatils libérés par les arbres, contribue à renforcer le système immunitaire. 

Essaimer et évaluer les soins verts en Belgique 

Partout en Belgique, les initiatives fleurissent autour des soins verts, qu’il s’agisse d’horticulture thérapeutique, d’activités de conservation de la biodiversité, d’exercice physique en pleine nature (marche, vélo, escalade…) ou d’art thérapie en extérieur. En Flandre, l’hôpital de Courtrai a aménagé son parc et y organise des activités de connexion à la nature. A Wépion, le Jardin Animé (une asbl agréée en promotion santé) est un éco-lieu orienté vers la santé globale. 

A l’échelle du pays, la fondation Terre de Vie a lancé un programme baptisé « Soins verts – Groene Zorg ». Il vise en particulier à mettre en valeur une pratique qui a fait ses preuves : l’accueil de patients en burn out dans une ferme pour leur permettre de se rétablir. Une évaluation quantitative et qualitative se met en place avec les équipes de la KULeuven. L’ASBL Nos Oignons, agréée en santé mentale en Wallonie et en promotion santé à Bruxelles joue le rôle d’ensemblier.  

« On souhaite recruter 60 personnes à l’échelle de la Belgique, la moitié en Flandre, et l’autre en Wallonie. On étudiera les effets des ‘soins verts’ sur ces personnes, afin d’identifier les facteurs facilitant ou empêchant une amélioration de leur état de santé et de leur motivation », précise Samuel Hubaux, le directeur de Nos Oignons, qui publie un article détaillé et un “call to action” dans le numéro 108 de Santé Conjuguée.  

La Fondation Terre de Vie avait organisé une journée d’études sur le sujet le 15 mai dernier au Parlement de Wallonie à destination des élus et invité entre autres Nolwenn Lechien pour qu’elle y présente l’initiative de Sprimont. Elle plaide pour que la prescription verte soit à l’agenda de l’accord du prochain gouvernement fédéral. A l’échelle de la Belgique, le terreau semble prêt. Les acteurs et actrices de la promotion de la santé arrosent les petites pousses doucement, mais sûrement, pour tresser un futur maillage commun.