Septembre 2006 Par C. SERANO Réflexions

En août 2005, s’est passé un évènement très important pour nous, usagers des services de santé. Lequel me demanderez-vous (1)? La sixième conférence mondiale sur le promotion de la santé a eu lieu, qui a donné naissance à la Charte de Bangkok , baptisée du nom de la ville où elle a été signée le 11 août 2005, en Thaïlande.
Le lieu n’est pas anodin. De nombreuses voix s’étaient élevées contre la Charte d’Ottawa, première charte mondiale officielle en promotion de la santé, celle-ci étant considérée comme la Charte des pays riches. Le nom de cette nouvelle charte est donc hautement symbolique. Mais ne nous emballons pas, avant d’aborder les chartes elles-mêmes et leur processus de création, il est intéressant de se pencher sur ce qu’est la promotion de la santé. Nicole Maréchal , alors Ministre de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé de la Communauté française, nous avait rappelé la belle définition du décret de 1997 lors de notre colloque de 2003:
«Le processus qui vise à permettre à l’individu et à la collectivité d’agir sur les facteurs déterminants de la santé et, ce faisant, d’améliorer celle-ci, en privilégiant l’engagement de la population dans une prise en charge collective et solidaire de la vie quotidienne, alliant choix personnel et responsabilité sociale. La promotion de la santé vise à améliorer le bien-être de la population en mobilisant de façon concertée l’ensemble des politiques publiques.»
La promotion de la santé tente de nous permettre d’agir a priori sur notre état de santé et ce qui le détermine en nous donnant, par exemple, des conseils sur la façon de manger sainement, des comportements risqués à éviter… Elle essaie de nous faire réfléchir sur les actes de notre vie quotidienne et d’en retirer les conséquences positives ou négatives sur notre santé. La promotion de la santé vise à ce que tout un chacun ait accès à une santé de qualité et que celle-ci soit au centre de toutes les préoccupations politiques ou autres.

Le Canada: un précurseur

La promotion de la santé n’a pas toujours été à l’ordre du jour. Ce n’est qu’en 1974 qu’un pays commence vraiment à se pencher activement sur le sujet. Le Canada publie, cette année-là, un texte intitulé Nouvelle perspective de la santé des Canadiens . Ce document est une première et ouvre des perspectives très importantes pour la suite. Les Canadiens pointent en effet du doigt l’importance des facteurs hors système de soins sur la santé. Quatre domaines particuliers sont mis en avant: la biologie humaine, le style de vie, l’environnement et les services de santé.
Au moment de la publication du document, c’est le style de vie qui est particulièrement étudié et cela à cause du lien entre l’état de santé et les comportements à risque. Au Canada, commencent donc à fleurir de nombreux programmes et campagnes de sensibilisation et d’éducation relatifs à la façon de vivre (nourriture, tabac, boisson…). Des lois et réglementations sont également mises en place. C’est dire l’importance que ce document a sur le peuple canadien.
Les chercheurs canadiens se penchent ensuite sur l’environnement et l’importance des conditions structurelles de vie (pauvreté, précarité, discriminations,…) et de l’environnement géographique sur la santé. Les Villes-Santé voient alors le jour (nous en avons également en Belgique, Liège en est un exemple).
L’Organisation mondiale de la santé lance alors sa Stratégie de la santé pour tous , prélude à la première conférence internationale pour la promotion de la santé, qui se déroule comme de juste à Ottawa, au Canada. On est en 1986, année de naissance de la Charte d’Ottawa .

D’Ottawa à Bangkok

La Charte d’Ottawa énumère les conditions fondamentales de santé telles que paix, hébergement, revenu… et reconnaît la nécessité d’une action coordonnée entre de nombreux secteurs. Elle est traduite en plus de 40 langues et sert de référence mondiale en matière de promotion de la santé. Elle définit cinq domaines d’action primordiaux:
-élaboration de politiques de santé;
-création d’environnements favorables;
-renforcement de l’action communautaire;
-acquisition d’aptitudes individuelles;
-réorientation des services de santé.
Cette approche permet un travail en réseau plus efficace et la mise en place de projets « visant à créer des environnements favorables à la santé » notamment en renforçant les projets Villes-Santé et en mettant en place des Lieux de travail-Santé, Hôpitaux-Santé… Fini donc le concept qui consistait à seulement s’intéresser à la santé globale d’une population (nous parlons bien d’état de santé avéré), la Charte d’Ottawa permet de se pencher sur les facteurs qui déterminent l’état de santé et « de consolider le potentiel de bonne santé » plutôt que de se focaliser sur des problèmes déjà existants. C’était une petite révolution.
Après la conférence d’Ottawa, bien d’autres ont suivi:
Adélaïde (1988): les participants y ont essentiellement réaffirmé les fondements de la Charte d’Ottawa et l’importance d’une pratique en réseau en appelant les gouvernements à « promouvoir la santé en liant entre elles les politiques économiques sociales et sanitaires ».
Sundsvall (1991): cette conférence s’est surtout penchée sur les liens entre santé et environnement (instruction, alimentation et nutrition, logement et habitat, travail, transport et protection sociale).
Jakarta (1997): cette conférence a confirmé les déclarations faites auparavant et a réaffirmé l’importance de « placer la promotion de la santé au cœur du développement sanitaire ».
Mexico (2000): ici, les participants se sont en particulier penchés sur les déterminants de la santé « relatifs aux populations économiquement et socialement défavorisées ».
Ces quatre conférences n’ont pas produit de charte, uniquement des déclarations et des recommandations. Cependant en 2000, on peut déjà noter les tendances qui vont nous amener à Bangkok. L’attention aux pays défavorisés que soulignait déjà la conférence de Mexico est particulièrement mise en avant à Bangkok d’une part par le choix du lieu et d’autre part par le désir de publier une nouvelle charte qui, elle, représenterait l’ensemble des pays du monde et pas seulement les pays «riches».

La Charte de Bangkok

19 ans après Ottawa, voici donc Bangkok. La charte définit selon l’OMS « les principaux enjeux à traiter et les actions et engagements qui seront nécessaires pour s’occuper des déterminants de la santé dans un monde globalisé , en faisant appel aux nombreux acteurs et parties intéressés qui ont un rôle critique à jouer pour parvenir à la santé pour tous ».
Elle s’attarde entre autres sur les défis à relever en matière de maladies transmissibles et de maladies chroniques mais aussi sur le poids de la mondialisation et ses effets sur la santé.
Elle introduit surtout une idée complètement nouvelle: la collaboration entre gouvernements, organisations internationales, société civile et secteur privé selon trois principes:
-veiller à ce que la promotion de la santé ait une place centrale dans le développement mondial;
-veiller à ce qu’elle fasse partie des responsabilités essentielles des gouvernements et des bonnes pratiques des entreprises;
-veiller à ce qu’elle soit l’un des centres d’intérêt des initiatives des communautés et de la société civile.
La charte d’Ottawa avait déjà permis de construire des politiques sanitaires au niveau mondial, national et local notamment en ce qui concerne la lutte anti-tabac. Cependant, d’importantes disparités entre les pays développés et ceux en voie de développement, spécialement en ce qui concerne l’espérance de vie, sont apparues aux yeux des chercheurs. Entre certains pays, il existe une différence de 48 années d’espérance de vie! Un des objectifs de la Charte de Bangkok est de lutter et de faire évoluer les stratégies de promotion de la santé pour diminuer les inégalités, tout cela en favorisant le partenariat entre les différents acteurs.
On le constate la Charte de Bangkok se base essentiellement sur un partenariat efficace entre différents acteurs, la nouveauté étant l’introduction du partenaire privé (par exemple les firmes agroalimentaires et pharmaceutiques).

Les loups dans la bergerie?

Ce dernier point pose évidemment de nombreuses questions. Nous avons tous ou presque un avis sur les intérêts de telles firmes en promotion de la santé. Une firme agroalimentaire ou pharmaceutique reste avant tout une entreprise avec des intérêts commerciaux. Les personnes dirigeant ces sociétés ne sont pas des philanthropes mais bien des chefs d’entreprises avec tout ce que cela engendre comme objectifs financiers.
N’y a t-il pas là comme une dissonance? Ne risque-t-on pas de voir surgir des politiques sanitaires plus basées sur l’argent qu’elles vont rapporter que sur leur réel intérêt pour le public? Un exemple: certaines sociétés commercialisent des produits laitiers dits «bons pour la santé». En s’associant à des campagnes de promotion pour une bonne alimentation, elles ont la possibilité de mettre leurs produits en avant et ainsi de récolter une publicité positive qui aura certainement un effet dopant sur les ventes.
D’ailleurs lors des discussions préalables à l’écriture de la Charte, on pouvait déjà sentir le poids des multinationales, certaines recommandations étant passées sous silence comme l’effacement de la dette du Tiers-Monde ou le réajustement du prix des matières premières, les deux étant étroitement liés. Déjà donc, le secteur privé joue un rôle de muselière et empêche le vote de mesures essentielles pour le bon respect des objectifs de la charte. Il y a là comme un non-sens. Aurions-nous tellement besoin de leurs apports financiers?
D’un autre côté, ces industries ont les moyens financiers de mettre sur pied des campagnes à grande échelle. Peut-on se permettre de se priver d’un partenaire ayant les moyens de développer ces actions? La promotion de la santé peut-elle passer par n’importe quels canaux du moment qu’on mesure une incidence positive sur l’état de santé des populations visées? Et comment mesurer ces incidences positives? Voilà plusieurs questions qu’il est intéressant de se poser.
Mais la Charte de Bangkok n’a pas soulevé que ces questions-là. Tous les acteurs mondiaux actifs en promotion de la santé ne la jugeaient pas indispensable, les principes de la Charte d’Ottawa n’étant toujours pas solidement implantés dans tous les pays. La réponse à cet argument, je vous la donnais au début de cet article: Ottawa était considéré comme la charte des pays industrialisés! Il en fallait donc d’urgence une deuxième plus ouverte au climat actuel de développement durable et de marché équitable. Tout un symbole!
Toutes ces données aboutissent à un document estimé non-abouti que certains qualifieraient de document intermédiaire à retravailler par chaque région.

Du travail, encore

On s’en rend compte, la promotion de la santé est un domaine essentiel, vaste et dangereusement délicat. La Charte de Bangkok ne répond pas aux attentes de tous les participants de cette sixième conférence et en effraie beaucoup d’autres par les nouveaux partenariats qu’elle implique. Saura-t-elle grandir et s’affirmer comme telle? Deviendra-t-elle une référence à la manière d’Ottawa? Se perdra-t-elle dans le tourbillon des multinationales et des enjeux financiers?
Le trajet d’Ottawa à Bangkok n’est donc pas si simple que cela. Reste à espérer qu’en route, on n’y perde pas l’essentiel, notre santé!
Carine Serano , Ligue des usagers des services de santé, LUSS asbl
Adresse de la LUSS: avenue Sergent Vrithoff 123, 5000 Namur. Tél.: 081 74 44 28. Fax: 081 74 47 25. Courriel: luss@luss.be. Internet: http://www.luss.be .
Cet article est une version légèrement modifiée d’un texte paru dans Le Chaînon, le bulletin de liaison de la Ligue des usagers des services de santé, n° 3, 1er trimestre 2006

Nous renvoyons nos lecteurs à la présentation de la charte dans le n° 208 d’Education Santé, janvier 2006 (ndlr)