La recherche en promotion de la santé peut-elle nous servir de boussole, surtout celle produite dans les pays du nord de l’Europe? C’est l’interrogation qui nous a poussé à participer à la troisième conférence nordique de la recherche en promotion de la santé qui se tenait du 6 au 9 septembre à Tampere (Finlande). En tout cas, cette interrogation était partagée. Les 300 inscriptions venant de 27 pays montrent l’intérêt croissant pour la recherche en promotion de la santé.
Le thème de cette conférence portait sur la question des résultats de la promotion de la santé.
Il s’inscrit dans le débat actuel sur la mesure de l’efficacité de la promotion de la santé et le rôle de la recherche dans le développement de pratiques fondées sur des preuves scientifiques ( evidence-based).
En effet, à coté des recherches de type expérimental plutôt quantitatives et orientées vers la vérification des résultats en termes d’état de santé des individus et de comportements, il semble nécessaire de développer d’autres approches pour rendre compte de l’évolution du bien-être ou de la cohésion sociale. Ce serait une responsabilité de la communauté des chercheurs en promotion de la santé.
Dans les lignes qui suivent, nous ferons un bref état de cette question à travers les exposés entendus. La contribution de la recherche y sera abordée.
Vous trouverez aussi en encadré les échos de notre participation à un atelier plus thématique consacré à la promotion de l’activité physique favorable à la santé (HEPA : Health-Enhancing Physical Activity). Les autres ateliers ainsi que certains exposés en plénière étaient consacrés à la promotion de la santé mentale, à la prévention des toxicomanies, à la promotion de la santé au travail ou à l’école, à la prévention des accidents ou des risques environnementaux et aux politiques nationales de promotion de la santé. Des informations sur ceux-ci sont disponibles dans le livre reprenant le résumé des communications.
Vers des pratiques efficaces fondées sur des preuves scientifiques?
D’emblée, Don Nutbeam indique la complexité de la question des ‘preuves scientifiques’ en promotion de la santé. Influencé probablement par la proximité des jeux olympiques (Don Nutbeam est professeur de santé publique à Sydney), il oppose le champ de la promotion de la santé identifiée à un match de water-polo et le champ de l’intervention médicale (chirurgicale par exemple) identifiée à une compétition de billard. Les participants sont dans un contexte différent avec des règles de jeu différentes. Le billard offre peu de surprises. Les règles sont précises et stables comme la surface de jeu. En promotion de la santé comme en water-polo les acteurs et l’environnement sont mouvants voire cachés. Une partie de l’action se déroule sous la surface! Il nous rappelle alors deux modèles conçus par lui en 1996 sur la complexité des résultats et des modes d’intervention en promotion de la santé. Il termine par une question: les ‘preuves scientifiques’ sont-elle vraiment des preuves en dehors de la communauté scientifique?
Gordon Macdonald nous présente ensuite, sur le thème du match de football, l’évolution des paradigmes de la promotion de la santé, du modèle bio-médical à l’analyse systémique qu’il prône. L’analyse des ‘outcomes’ héritée du modèle bio-médical reçoit une carte jaune.
Cet avertissement avant l’exclusion signifie que la question des résultats doit être sérieusement repensée. Pour lui, il faut clairement recueillir avec de nouvelles méthodes de nouveaux indicateurs pour de nouveaux critères (équité, cohésion sociale, développement durable).
Lawrence Green poursuit par une critique assez vive des concepts de la ‘preuve scientifique’ et des ‘bonnes pratiques’. La recherche actuelle ne peut avoir la prétention de proposer de bonnes pratiques scientifiquement fondées. Elle ne peut offrir que des réponses très partielles sur des situations artificielles, limitées et sur des effets à très court terme. Elle apporte encore peu de choses aux défis actuels de la promotion de la santé.
Green suggère de privilégier l’étude des processus en cours dans des programmes qui ne seraient plus ‘clés sur porte’, mais construit ‘sur mesure’ avec des cycles ‘diagnostic – évaluation’. Ces programmes seraient au service des usagers voire contrôlés par eux de manière à mieux s’adapter aux contextes socioculturels. Ainsi les recherches seraient plus fines et plus centrées sur la compréhension des phénomènes. Ces principes étaient étayés de nombreux exemples dans le domaine des politiques de contrôle de la consommation de tabac.
Deux exemples d’études sur des politiques locales de promotion de la santé nous ont été ensuite donnés, allant dans le sens de la compréhension de phénomènes complexes avec des méthodologies plus qualitatives.
Dans le premier, Evelyne de Leeuw nous présente une étude consacrée aux politiques de promotion de la santé menées par une dizaine de ‘Villes-Santé’ en Europe. Elle établit, à partir d’entretiens et d’analyse de documents, l’absence de relation entre l’existence préalable de compétences politiques en matière de santé au niveau local et le développement effectif de programmes de promotion de la santé. L’engagement volontaire serait un meilleur prédicteur. Toutefois, les données proposées, dont le projet ‘Liège-Santé’, ne semblent pas tenir compte de l’intrication de différents niveaux de compétences politiques (local, régional, national ou fédéral). Bien que novateur, ce travail montre que l’analyse politique en promotion de la santé exige encore davantage de recherche.
Pour sa part, Elisabeth Fosse utilise un modèle plus linéaire d’analyse politique pour étudier de manière qualitative les obstacles à l’implantation locale de trois programmes nationaux de promotion de la santé en Norvège. Elle note que les programmes traitant de sujets qui font déjà partie de l’action de santé publique institutionnalisée s’implantent mieux. Par contre pour les programmes développant une approche intersectorielle où la thématique santé n’est pas dominante, il semble que l’implication du secteur de la santé soit plutôt un obstacle à l’implantation. Elle y voit un dilemme pour la promotion de la santé et son idéologie ‘ bottom-up » basée sur l’engagement communautaire et l’ empowerment.
Des tabous à briser
La conférence s’est ensuite terminée sur une interpellation forte des chercheurs en promotion de la santé par Leif AarØ . Ceux-ci devraient bousculer certaines de leur certitudes comme l’importance de la santé publique pour la société, l’importance de la recherche pour les praticiens, le sous-financement de la recherche, la possibilité de démontrer l’efficacité, la possibilité pour eux de diffuser de ‘bonnes pratiques’. Pour cela, les chercheurs ne devraient plus prendre comme seul étalon de la qualité de leur travail l’opinion d’autres chercheurs (évaluation par les pairs).
Le constat est là. La plupart des grandes interventions de santé publique largement financées et menées par des chercheurs notamment dans le domaine de la prévention des maladies cardio-vasculaires sont des échecs. Les effets disparaissent rapidement après le départ des chercheurs. Par contre, les projets de petite taille, menés par des praticiens, ou les modifications de l’environnement physique ou socio-économique par les citoyens ou leurs représentants, ont eux des effets souvent persistants. La recherche se doit d’étudier le ‘monde réel’ et pas de créer un monde ‘virtuel’.
Un exemple de ces effets importants et persistants de l’action communautaire orienté vers l’environnement fut ensuite apporté par Leif Svanström en présentant le programme de préventions des traumatismes ‘ Safe Community ‘ (voir Education Santé n° 153 pour une application de ce concept en Communauté française).
En conclusion, il semble que la recherche en promotion de la santé soit bien consciente des limites de sa démarche et de la nécessité de travailler en profondeur pour comprendre la complexité des phénomènes qu’elle observe. Mais cette prise de conscience est encore loin d’avoir débouché sur des propositions méthodologiques concrètes et précises ou sur des résultats. Le chantier est néanmoins ouvert. Gardez un œil sur ce qui nous vient du nord !
La promotion de l’activité physique favorable à la santé: un exemple des apports et des limites de la recherche
A entendre les promoteurs de l’activité physique favorable à la santé, il n’y a plus de doute. Cette démarche a non seulement des bases scientifiques solides et acceptées (par consensus), elle est aussi réalisable sur un plan pratique et financier.
IIka Vuori et Pekka Oja de l’Institut finnois de la recherche en promotion de la santé UKK, responsable du réseau européen santé HEPA (Health-Enhancing Physical Activity) , nous ont fait une présentation fort complète de leurs arguments.
Une activité physique, quelle que soit sa nature (promenade, jardinage), d’une intensité modérée, quotidienne et d’une durée d’au moins 30 minutes a des effets physiologiques favorable à la santé.
De plus, les interventions pour modifier ou pour favoriser le niveau d’activité physique (formation, communication sociale, modification de l’environnement par exemple pour faciliter l’usage du vélo) sont efficaces. Il existe également des ressources (matériel, réseau) pour les soutenir au niveau européen. Il ne manquerait plus que la volonté politique d’appliquer ce type de programme.
Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Heureusement, certains doutes subsistent! Les travaux en atelier nous ont rassurés.
Une étude menée par Rinne et Mattila dans le même institut indique que les effets d’une formation donnée à des personnes sédentaires ont des effets à très court terme sur leurs comportements, qui ne peuvent entraîner aucun bénéfice pour la santé.
L’intervention doit être longue, répétée et le soutien social joue probablement un rôle déterminant. Le rôle de ce soutien est d’ailleurs confirmé par un travail réalisé à Copenhague par Christensen . Le maintien de l’activité physique est en relation avec l’importance des relations sociales créées à cette occasion. Ces deux études portaient sur un petit nombre de personnes.
Une autre étude par Foster analyse les résultats de quatre programmes nationaux de promotion de l’activité physique quotidienne et modérée. Cette analyse indique des divergences importantes dans la manière de mener les programmes et la difficulté (l’impossibilité!) de pouvoir comparer les données par manque de standardisation au niveau des indicateurs et des modes de recueil.
La présentation de Sjöstrom nous propose justement une telle standardisation. L’ International Physical Activity Questionnaire (IPAQ) se veut un instrument universel applicable partout dans le monde. Mais cet instrument d’observation de l’évolution du niveau d’activité physique est difficile à utiliser en dehors de systèmes de surveillance (monitoring) à l’échelon national ou international. Il est peu utile pour l’évaluation d’un programme particulier.
Pour ceux-ci Foster décrit, sur base d’une autre étude en Angleterre, le niveau d’attentes en matière d’évaluation de décideurs politiques et administratifs. Il le compare au niveau de compétences déclaré par des responsables de 86 programmes de promotion de l’activité physique. Le bilan est négatif. Il en conclut à la nécessité de construire ces compétences en matière d’évaluation par la formation ou la mise à la disposition d’outils d’évaluation.
Une dernière étude de Stal et Kannas met en évidence les difficultés méthodologiques d’une étude comparative des politiques menées en faveur de l’activité physique dans deux régions allemandes (est et ouest) et une région finlandaise.
Il semble malgré ces difficultés que les perceptions de la population et les différences observables dans l’offre d’infrastructures sportives et dans leur fréquentation sont liés au type de politique menée: promouvoir l’activité physique modérée du plus grand nombre (Finlande) ou promouvoir le sport et l’exercice (Allemagne).
En conclusion, la promotion de l’activité physique modérée et quotidienne apparaît comme un domaine à développer en Communauté française surtout dans le cadre de la nouvelle politique ‘sport et santé’. Mais les obstacles restent importants et les problèmes à résoudre fort semblables à ceux rencontrés dans d’autres secteurs: implication de la communauté, intersectorialité des politiques, évaluation du processus et des résultats.
Le questionnement lancé au cours de cette conférence des pays nordiques sur le rôle d’une recherche plus soucieuse de comprendre que de démontrer les ‘bonnes pratiques’ intervient ici aussi.