1000 heures par an: voilà le temps passé par nos chers enfants sur les bancs de l’école. Résultat: avec l’obésité, la sédentarité, le mauvais positionnement ou les charges trop lourdes et mal portées, nos enfants souffrent de plus en plus de maux de dos. Pour tenter d’y remédier, deux personnes sensibilisées à cette problématique ont lancé des initiatives qui ne rencontrent pas encore l’écho qu’elles méritent. Petit coup de pouce.
Géraldine Vecoven est ostéopathe. Dans sa pratique, elle a constaté que de plus en plus d’enfants étaient référés par des médecins pour compléter le traitement de l’une ou l’autre pathologie du dos. « Le cas le plus inquiétant est certainement celui d’un petit garçon de 7 ans qui parvenait à peine à toucher ses genoux en station debout . Je constate , lorsque je discute avec ces enfants , que le cours de gymnastique ne reprend pas ou trop peu de séances d’étirements ou d’abdominaux . Les muscles du dos ne travaillent plus suffisamment , le bassin et les vertèbres perdent en mobilité , la musculature se rigidifie , causant des douleurs plus ou moins importantes à la moindre sollicitation », explique-t-elle.
Depuis 1998, elle donne des cours à des adultes dans un atelier et une école du dos. Mais voyant que les enfants n’étaient pas à l’abri, elle a décidé de prendre le mal à la racine, tant qu’il est encore temps d’agir, et de contrer les conséquences de maux de notre société qui pourraient être résumés par les 3 «S»: sédentarité, station assise inadéquate et surpoids.
Mal du siècle?
Le mal de dos est catalogué comme mal du siècle, mais est-ce une réalité? A voir l’augmentation des plaintes et des consultations, le coût pour la société et les patients, les arrêts de travail, il semble que ce soit vrai.
« Mais notre siècle est aussi celui de l’obligation scolaire qui allonge le temps passé par nos enfants sur un banc parfois inadapté , en station assise sur une chaise qui n’est généralement pas ergonomique . Ils sont conduits à l’école en voiture , passent une grande partie de leur temps libre assis devant l’ordinateur , la télévision ou la console de jeux … Si l’on ajoute à cela le port d’un cartable trop lourd , les mouvements inadéquats , le manque d’activité physique ou l’obésité , on comprend que les problèmes de dos et les déformations , comme les scolioses , hyperlordoses ou hypercyphoses , par exemple , soient en pleine expansion et chez des enfants de plus en plus jeunes . D’après les statistiques , un enfant de primaire sur 5 souffre du dos , chiffre qui grimpe ensuite jusqu’à 2 ados sur 3 », poursuit-elle.
Et elle s’est interrogée sur les mesures prises, les moyens d’enrayer le phénomène, l’efficacité de mesures préventives et le rôle de l’école. « Je pense que la prévention est possible et peut être menée dès l’école primaire , chez les 8 – 10 ans . J’ai donc conçu un programme d’information , de sensibilisation des parents , professeurs de cours généraux , écoliers , médecins scolaires et responsables des achats de l’école , mais aussi des professeurs de gymnastique qui sont , selon moi , garants de la poursuite au quotidien du projet . Il me semble important que les enseignants s’approprient le projet d’éducation au dos et le mettent en place dans leurs écoles , selon leurs spécificités . C’est certainement une philosophie plus payante que des séances d’information une ou deux fois sur l’année …»
Efficace et pas cher
Ce projet consiste à sensibiliser tous les acteurs de l’école sur les bonnes habitudes en matière de dos. « La visite sur les lieux est la première étape de ce projet . Lors de ce premier contact , je vais donner aux enfants une explication sur la fonction de la colonne vertébrale , ses spécificités , ses courbures , le rôle des muscles ou encore des disques . Ensuite , il s’agit de mettre en évidence les mauvaises habitudes et les moyens pour les corriger : port du cartable , ramassage d’un objet , position assise , position de jeux , etc . Une information sur l’hygiène de vie accompagne ces « formations », comme la nécessité d’un bon sommeil , d’une alimentation équilibrée ou de la pratique d’une activité physique ou sportive régulière . Le tout de façon ludique , avec du matériel que j’apporterais , comme une colonne vertébrale , mais aussi et surtout avec le matériel qu’ils utilisent au quotidien à l’école .»
Parallèlement aux informations données aux enfants, une autre, plus adaptée, est prévue pour les parents, les médecins et le personnel PMS, et une autre encore, plus spécifique, aux professeurs d’éducation physique. « Dans celle – ci , je souhaite intégrer des conseils pour une petite gymnastique au quotidien , à pratiquer en début de cours . Elle ne durerait que 5 à 10 minutes , et comprendrait des exercices de mobilisation de chaque partie de la colonne vertébrale ainsi que du reste du corps , des exercices adaptés de renforcement et d’étirements musculaires , l’apprentissage et la pratique de l’utilisation du bassin pour se pencher en avant , ramasser ou soulever des objets , ainsi que des petits exercices de respiration et de relaxation . Je prévois une séance préliminaire d’environ 2 heures pour leur communiquer les exercices , une autre séance lors du premier passage , et enfin une troisième lors du second passage .» Ce second passage est destiné à évaluer les mesures conseillées et répondre à d’éventuelles questions que se posent tant les enseignants que les écoliers. Il propose également de consolider les acquis des enfants, toujours de manière ludique.
La rencontre avec les responsables d’achats est aussi un volet important de ce projet: « Une rencontre d’environ 1 heure est prévue pour les sensibiliser à l’ergonomie du matériel utilisé par l’enfant , pour les inciter à s’interroger sur les achats à venir et sur l’adaptation du matériel existant , voire le redistribuer : j’ai constaté que certaines écoles proposaient aux écoliers des bancs trop grands pour eux , des chaises trop hautes . Il ne faut d’ailleurs pas nécessairement de gros investissements , voire parfois pas du tout . Ainsi , si l’école n’a pas les moyens d’acheter autant de coussins ergonomiques qu’il y a de chaises , le but est aussi de dire qu’il y a moyen de couper de quelques centimètres les pieds avants de la chaise , ce qui va inciter l’enfant à basculer le bassin vers l’avant , redressant ainsi son dos .»
Géraldine Vecoven a rentré son dossier au ministère de l’éducation et à celui de la santé pour des subsides. Budget estimé pour un projet pilote dans une école: moins de 7000 euros. Pour étendre ce projet à 3 autres classes: 2250 euros. Bref, rien de bien important. A cette heure, l’ostéopathe attend toujours des réponses, mais compte bien insister si nécessaire. A suivre…
Prof de gym motivé!
Voilà un professeur de gymnastique qu’il ne faudra pas convaincre. Marcel Debecker , de l’IPES de Tubize, est le «Monsieur dos» de son école depuis quelques années. Et pour passer de la motivation à la pratique, chez des élèves plus grands, puisqu’ils sont du secondaire, il a mis sur pied deux programmes originaux qui vont dans le sens de ce que préconise Géraldine Vecoven.
Lui, c’est son passé de gymnaste de haut niveau et les maux de dos qui en sont nés qui l’ont sensibilisé. Par la suite, lors de sa formation d’enseignant, il a constaté que si les profs sont exposés aux problèmes de dos, les étudiants de l’école normale pour devenir professeurs de gymnastique ne reçoivent aucune formation sur le dos. « Alors qu’ils doivent soulever des bancs , des agrès , mais doivent aussi soutenir les élèves ou les recevoir pour éviter les chutes , ils ne bénéficient pas de formation pratique ni de conseils pour le faire en préservant leur dos », s’étonne-t-il.
Il a poursuivi dans sa pratique professionnelle sa mobilisation pour prendre en considération le dos des élèves, initiant deux projets intéressants. Le premier est la classe dite ergonomique: « Nous avons acheté des coussins ergonomiques à placer sur les chaises traditionnelles et nous avons étudié la possibilité de faire fabriquer , par nos étudiants en menuiserie , des pupitres inclinés , à placer sur les bancs classiques . Avec l’aide d’un ostéopathe et d’un médecin scolaire , nous avons étudié l’inclinaison idéale , à la fois pratique ( une inclinaison trop importante ferait glisser les documents ) et efficace ( suffisante pour que les élèves ne penchent pas trop la tête vers le bas ). Nous avons fixé cette valeur idéale à 10 °. La qualité du bois a été déterminée par le professeur de menuiserie : un bois dur et qui ne s’abîme pas trop vite . Il a été verni pour faciliter l’entretien , mais force est de constater que les élèves font preuve d’un grand respect pour ce matériel qui d’une part est réalisé par leurs copains , et d’autre part contribue à leur santé .»
Les élèves de 5e et 6e année ont donc fabriqué une trentaine de pupitres pour une seule classe, et les coussins ergonomiques ont été ajoutés. L’objectif est de progressivement équiper toutes les classes, sans pour autant vampiriser le cours de menuiserie! Quant aux coussins ergonomiques, ils ont été préférés aux ballons-sièges car avec ces derniers, les élèves ont trop tendance à jouer et à être moins attentifs…
Cette initiative s’est par ailleurs accompagnée d’un projet que les élèves devaient s’approprier: « Ils devaient inventer , dans le cadre du cours de dessin , un signet pour le journal de classe qui leur rappelle qu’ils doivent penser à leur dos . Nous avons élu l’un des projets qui a été généralisé .»
Intégrer les jeunes dans le mouvement s’avère donc plus que payant.
Penser aux futurs adultes travailleurs
L’autre volet de son initiative consiste à prévenir les problèmes de dos chez les élèves qui se destinent à une profession dans le secteur de la construction. Des professions qui sollicitent énormément le dos des travailleurs et qui sont très à risque, notamment de chutes. « J’ai donc complètement inventé un cours de gymnastique ‘ sécurative ‘, à raison d’une heure par semaine aux élèves de la 3e à la 6e professionnelle avec le soutien de ma direction . Ce cours se déroule sur le temps de midi et je dois avouer avec plaisir que j’ai très peu d’absentéisme !» Cette gymnastique a pour but d’inculquer aux élèves les bons gestes pour préserver leur dos, et ce dans des conditions les plus proches possible de leur futur cadre de travail.
« Nous reconstituons des situations rencontrées par les ouvriers sur les chantiers dans notre salle de gymnastique . Le matériel comme les brouettes , les outils etc . nous sont prêtés par le personnel d’entretien de l’école et nous élaborons ici un échafaudage , là un plan incliné qui aboutit sur une surface horizontale , là encore des échelles de corde , etc . Il s’agira par exemple d’apprendre à monter une charge dans une brouette via la poutre de manière à ne pas se blesser au dos ; à simuler une chute dans laquelle je vais leur apprendre à bien tomber ; à porter des charges encombrantes en hauteur , etc .» Le travail se fait sur tous les plans. Il est notamment physique avec une préparation par un renforcement des abdominaux, des étirements du dos ou de musculation des cuisses pour apprendre à les faire travailler au lieu d’utiliser le dos, notamment pour soulever des charges. Mais il fait appel aussi à la proprioception (désigne la capacité du cerveau humain de connaître à tout instant la position du corps dans l’espace), pour que ces jeunes sentent leur colonne vertébrale et ses courbures naturelles, ou au renforcement de la coordination des mouvements et de leur dextérité. Pour ce faire, les étudiants ont participé à des activités dans une école de cirque.
Ils peuvent aussi pratiquer plusieurs sports, ceux de raquette (ping-pong…) s’apparentant d’ailleurs au maniement d’outils! « Mon objectif est de leur faire modifier des comportements , mais cela prend du temps . Je veux aussi les aider à lutter contre le vertige et les habituer à travailler en hauteur en toute confiance , tout en respectant leur dos de manière automatique .»
Cette formation, Marcel Debecker l’a élaborée seul, au fil du temps et en s’inspirant de gestes inculqués notamment dans les écoles du dos. Il a agrémenté le tout d’imagination, en utilisant le matériel à sa disposition. « Je teste toujours les exercices avant de les proposer au cours , d’abord au sol , ensuite en hauteur .»
Ses exercices sont également l’occasion d’instaurer une communication entre les élèves. Ainsi, pour leur faire porter une charge de plus de 25 kg, il préconise, comme la loi l’impose, de travailler à deux. L’un des élèves doit donc faire appel à un comparse, ce qui, pour certains, est déjà une prouesse en soi! Il joue en quelque sorte, soit dit en passant, le syndicaliste qui apprend aux jeunes à ne pas accepter des tâches mettant leur santé ou leur sécurité en péril…
«J’ai aussi inventé plusieurs types de ‘Tours du monde’ où au moins deux élèves évoluent, reliés soit par une planche, soit par une simulation de châssis de fenêtre. Ici, une communication judicieuse est essentielle à la sécurité de chacun, pour progresser ensemble et passer outre l’individualisme qui les caractérise souvent.»
Motivations à coordonner
Ces deux initiatives privées sont certainement très intéressantes et méritent d’être signalées. Notamment pour leur philosophie, axée sur la participation active des principaux intéressés: enseignants et écoliers/élèves pour l’essentiel. Cependant, elles se heurtent à un problème fondamental: le manque de coordination. La motivation est réelle et intense car ces deux personnes sont totalement bénévoles, mais chacun travaille dans son coin.
Résultat: personne ne se sent soutenu, les autorités et les médias n’y accordent pas l’importance méritée et la motivation risque bien de disparaître, avec les projets pourtant porteurs. A quand une association de spécialistes ou de professionnels motivés qui pourraient à la fois coordonner tous les projets intéressants, les généraliser et… demander des subsides aux pouvoirs concernés? Ils auraient plus de poids et exerceraient une pression plus importante…
Carine Maillard