Le 19 janvier dernier, la Société Française de Santé Publique (SFSP) organisait à Paris son second séminaire intitulé « Accompagnement de la parentalité et inégalités sociales de santé ». Une journée riche en rencontres, débats et réflexions qui rassemblait dans le public des professionnels de tous horizons. Ce séminaire fait partie du projet de la SFSP visant à valoriser, construire et diffuser l’expérience et la connaissance pour développer des actions d’accompagnement à la parentalité ayant un impact sur les inégalités sociales de santé. Pour nous parler de parentalité et d’inégalités sociales de santé plusieurs intervenants : le milieu universitaire français et québécois, la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), des professionnels de terrain… Education Santé y a assisté et partage avec vous quelques éléments de réflexion.
Médecins, chercheurs, éducateurs, parents… au cours de l’histoire, l’enfant est petit à petit devenu l’objet de beaucoup d’attentions pour la société civile et scientifique. L’enfance est en effet une période de construction intense sur le plan physique, évidemment, mais aussi pour le développement de la citoyenneté et de la santé ! C’est aussi, et surtout, une période très propice à la création des inégalités sociales de santé (ISS) ! En France, on estime aujourd’hui qu’un cinquième des enfants vit sous le seuil de pauvreté.
Parfois dans le marasmes d’informations, les inégalités sociales de santé prennent bien des définitions. Alors pour petit rappel, les ISS ce n’est pas : la précarité, la pauvreté, l’exclusion sociale, les inégalités de santé (au sens génétique, de genre ou encore d’âge) ce sont des écarts injustes et importants que l’on enregistre entre groupes sociaux ou territoires. Ces inégalités se construisent très tôt dans la vie, dès la conception d’un enfant. C’est donc à ce moment qu’il faut agir !
Inégalités et enfance : quelques repères
Forte de ses nombreuses années d’expérience en médecine préventive, le docteur Christine Colin, professeur titulaire de santé publique à l’Université de Montréal, nous a présenté quelques points de repères pour agir sur les ISS.
La petite enfance est une période cruciale où l’ensemble des parents ont une série de besoins et d’inquiétudes semblables. On observe l’influence du gradient social très tôt, dès la conception. Si, comme il nous l’a été rappelé, les ISS ne sont pas la pauvreté, on sait que pour les populations les plus pauvres un certain « fossé » coexiste avec le gradient social. C’est-à-dire qu’il existe une différence significative entre le groupe de population très défavorisé et le groupe juste supérieur. Aujourd’hui, la pauvreté est encore une réalité persistante qui tend à s’aggraver.
« La pauvreté peut être plus dommageable durant la petite enfance, car elle affecte plusieurs sphères constituantes qui auront un impact sur la performance et la réussite scolaire » Jack P. Shonkoff, 2000
L’indigence, en plus des conséquences directes sur la santé périnatale (malformations congénitales, prématurité, petit poids de naissance…) et la santé des enfants (obésité, asthme, anémie…), se répercute sur la parentalité ! L’enfant est souvent synonyme de projet et porteur d’espoir. Pourtant il y a un stress élevé et omniprésent lié à l’état de précarité : payer les factures, acheter à manger, les frais médicaux… Apparaissent un sentiment de honte et une estime de soi compromise ! Des parents qui bien que dotés de compétences parentales et d’amour pour leur(s) enfant(s) se voient souvent jugés incapables de s’occuper de ceux-ci. Simplement, et malheureusement, parce que les compétences parentales sont cachées derrières des difficultés du quotidien sans pour autant être caractérisées par une absence de sécurité matérielle. Ceci entraine de la part des parents une méfiance à l’égard des services de soins et des services sociaux et nuit à l’établissement d’une relation de confiance entre professionnel et parents.
La pauvreté influence aussi l’environnement dans lequel l’enfant grandit et évolue. Il s’agit souvent d’un environnement moins stimulant, lié entre autres, à de faibles interactions sociales et verbales, à la dureté de l’éducation ou encore la qualité des institutions telles que l’école ou des programmes éducatifs. Le regard que la société pose sur la pauvreté marginalise ces populations en inspirant méfiance, préjugés, jugements… qui eux-mêmes influence les sentiments de honte, de stress, etc. chez les populations pauvres. Sorte de spirale autoalimentée. Bien qu’inquiétante, il faut garder à l’esprit qu’il n’y a pas de déterminisme à la pauvreté. Il est évident qu’il y a une majoration des divers risques lié à la précarité mais cela ne s’applique pas à la totalité des enfants. La résiliences est toujours possible, les interventions de promotion de la santé trouvent leur place dans ces contextes précaires et peuvent être efficaces !
« Si l’enfance est une période de fragilité c’est aussi une période d’opportunités. Il faut que les parents sachent qu’ils sont capables d’accompagner leur enfant et de développer des compétences psychosociales »
Agir pour les enfants d’aujourd’hui, c’est agir pour les adultes de demain. Pourquoi ? Parce que les enfants nés dans la précarité peuvent voir leur statut socio-économique amélioré à l’âge adulte. Néanmoins, les effets d’un faible niveau socio-économique pendant l’enfance ne se voient pas totalement effacés ! On observe en effet une répercussion sur la santé des adultes avec une augmentation de la fréquence de l’obésité, la toxicomanie, maladies cardio-vasculaires… L’influence de ce statut est même supérieure à l’addition des différents facteurs de risques qui coexistent. Les préjudices survenus durant le développement de l’enfant sont non seulement irréversibles mais aussi lié à l’effet cumulatif des stresseurs et des menaces.
Que dit le monde scientifique ?
Pour répondre à cette question, Annabelle Pierron, sage-femme et doctorante en santé publique a présenté sa méta-analyse des revues scientifiques en lien avec le sujet. Elle a analysé la littérature publiée sur base de données médicales depuis 2009, année de la parution du rapport de l’OMS sur les déterminants de santé. Ceci dans le but de mettre en évidence trois questions :
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Quelles sont les interventions les plus efficaces identifiées en matière de promotion de la santé pour les mères et les nouveau-nés ?
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Est-ce que les auteurs prennent en considération les inégalités sociales de santé ?
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Quelles sont les pistes d’amélioration proposées par les auteurs ?
Lors de cette méta-analyse elle a pu mettre en évidence les caractéristiques des interventions les plus efficaces. Notamment l’accompagnement comportemental, cognitif et psychologique qui peut se faire en groupes de parole ou via un soutien téléphonique. Celui-ci améliore l’adaptation des couples à la parentalité ainsi qu’une amélioration de la sensibilité et de la réceptivité du nouveau-né. Il existe deux éléments clés qui rendent ces interventions encore plus efficaces : quand elles sont débutées avant la naissance et lorsque les parents y participent activement. On observe alors de vrais bénéfices pour les mères et les bébés et ce, pour un coût faible !Au cours de ses recherches, la doctorante a également pu mettre en évidence que la littérature avait une vision parcellaire des inégalités sociales de santé. Après avoir trié les différents articles avec des critères d’exclusions tels que : les enfants de moins de 3 ans, la prématurité et la présence de pathologies maternelles, elle a retenu 21 articles. Sur cette sélection, 10 d’entre eux abordaient les ISS et seulement 4 les intégraient réellement à l’analyse ! La littérature s’intéresse peu à la période périnatale et aux services universels, c’est-à-dire qu’elle se centre surtout sur des populations dites à risque. Par ailleurs, elle n’étudie ni la qualité de logement, les services de garde des enfants ni le versant relationnel et du lien social. Autre élément important, souvent le parent est associé à la maman ! Le couple envisagé comme une entité parentale est peu étudié, peut-être par difficulté méthodologique. Finalement, comment définir le mot « parent » sachant que la parentalité est une expérience unique et singulière pour chacun, qu’elle ne dépend pas uniquement du/des parent(s) mais aussi des modes de vie ?
Malgré ces difficultés, les auteurs proposent une série de stratégies pour faire face aux ISS :
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Prendre en considération les attentes culturelles, sociétales et les modes de vie
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Explorer les mécanismes des interventions
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Diversifier les interventions en fonction de l’organisation des quartiers
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Débuter les programmes éducatifs dès le début de la grossesse, tout en incluant des visites à domiciles par du personnel spécialisé
Ainsi que deux pistes d’amélioration des programmes d’accompagnement à la parentalité :
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Renforcer la qualité des interventions en explorant l’intégration des pères, cesser de présupposer un manque de compétences parentales et l’influence des paires…
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Développer des recherches complémentaires avec des études longitudinales (de la grossesse au premiers mois de vie), étudier le rôle de la publicité et des réseaux d’information, s’interroger sur l’aspect relationnel…
Quelles opportunités pour prévenir les ISS ?
Pauline Domingo, sous directrice – responsable du département enfance, jeunesse et parentalité à la direction des politiques familiales et sociales – CNAF, nous a présenté des pistes de réflexion quant à la prévention des ISS.Il est tout d’abord important de souligner qu’en France, deux parents sur 5 jugent difficile leur rôle de parent (50% d’entre eux ont des enfants de plus de 11 ans). Ces parents sont préoccupés par les mêmes choses : la scolarité, la santé des enfants, l’usage des nouvelles technologies et les relations avec leurs enfants. Nous sommes donc dans un contexte où il est nécessaire de développer une politique de prévention précoce, généraliste et universelle contre les risques pouvant toucher les familles. Cela repose entre autre sur le postulat que les parents sont les premiers éducateurs et donc un des premiers acteurs de promotion de la santé ! Ceci s’accompagne de la certitude que la qualité des interactions entres les parents et leur(s) enfant(s) influence leur développement émotionnel et cognitif.
« Exprimer le besoin de soutien de parentalité n’est pas facile »
Les politiques peuvent donc agir positivement sur la santé en soutenant la parentalité à différents niveaux, en agissant par exemple :
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Sur le développement de réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents. Qu’ils soient individuels, collectifs ou sous forme de débats.
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Sur l’accompagnement à domicile pour répondre aux besoins lors de difficultés ponctuelles liées à une naissance, une maladie, une rupture…
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Le soutien à la scolarité avec pour le versant des petits élèves des aides au travail scolaire, un soutien méthodologique pour enfants mais aussi via des activités culturelles empreintes de pédagogie. Tout en oubliant pas le versant parental en favorisant des relations d’échange entre parents et enseignants.
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Développer des lieux d’accueil pour les enfant(s)-parent(s) qui, à l’instar des crèches, développent la socialisation des enfants mais permettent aussi de favoriser les échanges entre adultes. Il est également bénéfique de favoriser la possibilité de partir en vacances en famille car il s’agit d’un moment clé qui contribue à développer ou reconstruire une solidarité familiale.
Agir pour demain, modeste bilan de ce séminaire
Il serait évidemment présomptueux de prétendre rapporter la totalité des échanges et des idées développées, ou parfois simplement évoquées, lors de journées comme celle-ci. C’est justement par la mise en valeur de cette richesse dans les échanges que Christine Colin a débuté la conclusion de ce séminaire. Une richesse encourageante car il reste beaucoup de travail à faire ! Les différentes politiques, stratégies et projets déjà mis en place ou plein construction montrent le réel désir de soutenir les parents et de réduire les inégalités sociales de santé.
On notera également le besoin de former les professionnels à différents niveaux, de mettre fin au travail en silo pour plus de transversalité dans les actions, de la nécessité de se déplacer pour comprendre les réalités des familles et leurs besoins dans l’esprit de majorer la bienveillance à leur égard. Un consensus général identifie la nécessité de développer des actions précoces et des visites à domicile. Par ailleurs, qu’en est-il de l’évaluation ? Il est nécessaire de créer des indicateurs qui nous permettent de savoir si les objectifs sont atteints.
A l’issue de cette journée, il est évident que la volonté de réduire les inégalités sociales est présente. Il est aussi primordial de commencer par ne pas les accroître pour rejoindre les familles les plus pauvres sans stigmatisation.
Caisse Nationale des Allocations Familiales.
Pour consulter le rapport: http://www.who.int/social_determinants/thecommission/finalreport/fr/