En octobre 2011 en France, la cour des comptes a publié un rapport intitulé «la prévention sanitaire». (1) Effectué sur une demande de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) de l’Assemblée nationale, ce rapport a notamment pour objectif de contribuer à la rédaction de la prochaine loi de santé publique. À noter que s’il ne s’est intéressé qu’à la prévention sanitaire qui repose essentiellement sur le système de soins, ses constats peuvent toutefois être en bien des points élargis à l’ensemble du champ. Globalement, le rapport préconise de reconsidérer la politique de prévention à l’aune d’un certain nombre de principes : la nécessité de renforcer le pilotage, la cohérence et la lisibilité des politiques de santé dans une dimension interministérielle, celle d’évaluer les actions et programmes de santé publique et celle d’établir des référentiels de bonne pratiques. Des recommandations qui sont en consonance avec les précédents rapports sur le sujet, tel que celui sur les inégalités sociales de santé (2).
Là où ce rapport interroge, c’est dans l’exhortation à associer systématiquement une étude de nature médico-économique aux recommandations de bonnes pratiques en matière de prévention. En effet, l’interprétation qui pourrait en être faite renforce un discours récurrent qui met en cause l’efficacité, l’efficience voire la pertinence de la prévention («mal évaluée», «coûteuse», «d’un rapport cout-bénéfice non démontré»…). En cela, ce discours montre une réelle méconnaissance française, des tutelles, parfois même des acteurs du domaine, des acquis de la recherche internationale de ces dernières décennies.
En effet, les stratégies et interventions de prévention peuvent s’appuyer sur un important corpus d’articles scientifiques qui en objectivent l’efficacité comme l’efficience et qui sert de base à de nombreuses politiques de santé de par le monde. Il s’agirait donc, plutôt que d’évaluer «à tout va», et sans pour autant remettre en cause cette nécessité, de concevoir les politiques de santé sur la base de ce qui a déjà montré son efficacité puis, si les données manquent, d’en générer.
Un constat: la prévention est «rentable»
Certes la prévention coûte. Telle n’est pas la question ! Les soins coûtent aussi. La bonne question à se poser est: où investir pour obtenir le meilleur résultat en termes de santé ? En cela l’approche préventive, notamment celle basée sur les principes de la promotion de la santé, a montré tout son intérêt. Il est en effet établi que les principaux déterminants de l’état de santé se trouvent très en amont du système de soin, dans les conditions de vie, les environnements sociaux… Ainsi, si l’on veut améliorer l’état de santé de la population et réduire les inégalités dans le domaine, il faut agir sur ces déterminants.
Une étude récente illustre cette analyse en objectivant l’efficacité des leviers sociaux sur la santé. Cette étude avait pour objectif d’expliquer la mortalité annuelle dans 15 pays européens entre 1980 et 2005 en fonction d’un certain nombre d’indicateurs macro-économiques. Les résultats sont édifiants: 100 $ de dépenses sociales étaient associés à une réduction de 1 % de la mortalité générale. Pour obtenir le même résultat par le soin, il fallait dépenser 10 000 $, soit 100 fois plus (3).
Malgré ces preuves, la prévention reste en France le «parent pauvre» du système de santé
Ce n’est pas qu’une question d’ignorance, la mise en œuvre d’une politique de prévention, par nature intersectorielle, ne va pas de soi. Elle nécessite des adaptations structurelles et fonctionnelles importantes, la cour des comptes l’a bien souligné. Il s’agit même parfois de concilier l’inconciliable quand des politiques publiques sont menées dans différents domaines, qui n’ont pas un objectif sanitaire par nature, qui ne prennent pas en compte leur possible impact sur la santé et peuvent même avoir des effets délétères. De plus, il ne faut pas faire preuve de naïveté, il existe une convergence d’intérêts pour discréditer la prévention. Des exemples récents (tabac, alimentation, pollution…) nous ont montré l’influence des intérêts industriels et financiers sur la décision en santé. Enfin, une approche centrée sur les soins est bien plus simple pour le système qui y trouve le confort d’une absence de remise en question. Il est par exemple plus « confortable » de prendre en charge dans le système de soin les enfants avec troubles d’apprentissage que de s’intéresser aux conditions socioculturelles à la genèse de ces troubles et à l’organisation du système éducatif qui, loin de participer à leur réduction, contribue à leur aggravation. Cet exemple pourrait être transposé à l’envi: risques psychosociaux en milieu professionnel, tuberculose, obésité de l’enfant…
Avant de vouloir «se redémontrer», la prévention doit dès à présent se structurer en s’adossant aux travaux scientifiques existants
Si la mise en œuvre d’une véritable politique de prévention est reconnue comme une nécessité, comment répondre efficacement à l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques, qui représentent en France la dynamique des dépenses de santé, sans agir sur leurs déterminants? Le réel succès de politiques volontaristes, telles que le programme national nutrition santé (PNNS), pourrait servir d’exemple.
Dans ce contexte difficile, alors que les financements sont contraints, que le secteur de la prévention sert de «variable d’ajustement», que les lobbies contre la santé sont influents, que les principaux leviers de prévention ne sont pas entre les mains des décideurs sanitaires, les professionnels de la prévention doivent se montrer plus exemplaires et déterminés pour faire évoluer la situation. La France ne peut plus méconnaître les stratégies dont l’efficacité est éprouvée. Il s’agit de mettre en place une véritable politique de santé basée sur les preuves au niveau national dans l’élaboration des politiques de santé, au niveau local dans l’action mise en œuvre par l’acteur de terrain. Mais pour cela, il est nécessaire de s’organiser pour rendre accessibles ces informations. Les bonnes pratiques appelées des vœux des auteurs du rapport de la cour des comptes sont plus que jamais indispensables. Elles constitueraient le maillon reliant les travaux scientifiques aux problématiques locales et guideraient les acteurs à mieux faire et les décideurs à mieux investir.
Lorsqu’il n’existe pas de données, il s’agit d’en créer
Expérimenter, prouver l’efficacité et l’efficience pour ensuite transférer ce qui marche. La France doit progresser sur ce plan là encore. Cela nécessite de développer et utiliser des méthodes et critères d’évaluation et de recherche adaptés à la complexité des interventions en promotion de la santé et non pas transposés du secteur du soin, comme ça l’est encore parfois. Ces méthodes doivent imprégner les pratiques aux différents niveaux d’intervention.
Nous ne pouvons donc nous contenter de nos résultats… si nous sommes les seuls à les connaître. Il nous faut mieux diffuser l’information en particulier auprès des décideurs, écrire ce que nous faisons, favoriser la recherche de terrain en renforçant les liens entre acteurs et chercheurs, valoriser les réussites. Ce n’est que par de telles actions que la prévention pourra être reconnue à sa plus juste place pour une politique de santé rénovée dans l’intérêt de la population.
Référence : François Alla «Éditorial», Santé Publique 6/2011 (Vol. 23), p. 435-437. Texte reproduit avec l’aimable autorisation de cette publication de la Société Française de Santé Publique.
(1) Cour des comptes. La prévention sanitaire. Communication à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Cour des comptes: Paris; 2011.
(2) Moleux M, Schaetzel F, Scotton C. Les inégalités sociales de santé: Déterminants sociaux et modèles d’action. Paris; Inspection générale des affaires sociales; 2011.
(3) Stuckler D, Basu S, McKee M. Budget crises , health , and social welfare programmes . BMJ. 2010 Jun 24; 340:c3311.