Novembre 2008 Par Olivier GILLIS R. MERTENS Initiatives

Les inégalités socio-économiques de santé vont bien au-delà des inégalités en termes de disponibilité et d’accessibilité des services de santé. La santé dépend de toute une série de facteurs distribués de manière inégale entre les différentes classes socio-économiques.
Quelques faits assez frappants – que nous développerons plus en détail dans les pages qui suivent – en attestent:
-les personnes sans diplôme vivent en moyenne 3 à 5 ans de moins que les personnes diplômées de l’enseignement supérieur de type long (Bossuyt et al., 2004);
-ces personnes vivent en bonne santé en moyenne 18 à 25 années de moins (Bossuyt et al., 2004);
-les personnes au chômage et les personnes malades ou invalides ont un risque respectivement 3 et 8 fois plus important que les personnes au travail, d’avoir des problèmes dépressifs et d’anxiété (De Boyser, 2007);
-plus de la moitié des personnes sans diplôme ou diplômées de l’enseignement primaire sont en surpoids, contre «seulement» un peu plus d’un tiers des diplômés de l’enseignement supérieur (Vancorenland, 2006).
De plus, quand on parle d’inégalités socio-économiques de santé, on part de l’hypothèse que la santé suit un gradient social : à position socio-économique décroissante, la santé individuelle tend à se détériorer et l’espérance de vie à diminuer.
L’étendue des différences varie selon l’indicateur choisi (traditionnellement la formation, le revenu et l’emploi), le groupe ou la population étudiée et l’endroit où l’étude a été menée. Il s’agit bien d’un phénomène de gradient (progressivité) et non de seuil (Whitehead et Dahlgren, 2006).

Indicateurs des inégalités socio-économiques de santé

Dans tous les pays occidentaux pour lesquels des données sont accessibles, la mortalité et la morbidité augmentent au fur et à mesure qu’on descend dans l’échelle sociale (Stronks, 1997). Ceci a été mis en évidence dans de nombreuses études.

La mortalité

Mackenbach et al. (1997) ont observé, pour 11 pays européens, que le risque de mortalité pour les hommes exerçant une activité professionnelle manuelle est plus important que pour les hommes exerçant une activité intellectuelle, ceci pour les catégories d’âges 30-44 ans et 45-59 ans. Siegrist et Marmot (Willems, 2005) ont étudié pour différents pays européens les différences de mortalité entre les classes du haut et du bas de l’échelle sociale. Ils ont observé que ces différences pouvaient aller de 4 à 10 ans selon les pays.
Une étude récente sur les inégalités socio-économiques chez les personnes âgées dans 11 pays européens confirme cette thèse (Huisman M et al., 2004). Elle montre que pour les hommes et les femmes âgés de 60 à 69 ans, le taux de mortalité est plus important pour les personnes ayant un faible niveau de formation (voir figure 1 pour les hommes).

Figure 1 – Taux de mortalité (par 1000 personnes et par an) pour les hommes les plus et les moins formés, âgés de 60 à 69 ans Source: Huisman et al. (2004). Socioeconomic differences in mortality among eldery people in 11 European population.
En Belgique aussi, il apparaît que les risques de décès dépendent du niveau de formation, du statut socio-professionnel et du revenu. Si on analyse l’espérance de vie des hommes et des femmes à 25 ans, on observe une différence significative entre les diplômés de l’enseignement supérieur de type long et les personnes non diplômées: les premiers peuvent espérer atteindre 78,6 ans (hommes) et 83,5 ans (femmes), tandis que pour les seconds, l’espérance de vie se limite à 73,1 ans (hommes) et 80 ans (femmes). Cela fait en moyenne 3 ans d’écart pour les hommes, et 5 ans pour les femmes (Bossuyt et al., 2004). La figure 2 montre clairement qu’il s’agit d’un gradient qui englobe toute l’étendue des niveaux de formation. Figure 2 – Espérance de vie des hommes et des femmes de 25 ans en fonction du niveau de formation Source: Bossuyt N et al. (2004) Socio-economic inequalities in health expectancy in Belgium.

La morbidité

Mackenbach et al. (1997) ont également observé des inégalités socio-économiques en termes de morbidité. Il s’agit du nombre de personnes souffrant d’une maladie donnée pendant un temps donné, en général une année, dans une population.
L’incidence (nouveaux cas) ou la prévalence (la somme de tous les cas) sont deux façons d’exprimer la morbidité d’une maladie. Différents types d’indicateurs ont été utilisés pour mesurer le taux de morbidité: la santé perçue, l’invalidité, les maladies chroniques et les problèmes de santé de longue durée.
De manière générale, parmi les hommes de 25 à 69 ans, les diplômés de l’enseignement secondaire inférieur et en dessous ont un niveau de santé subjective moins bon que les diplômés de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur. Ils ont également un risque plus important d’avoir des problèmes d’invalidité (difficultés pour monter les escaliers, pour marcher, pour lire, etc.), des problèmes liés à des affections chroniques (cancer, diabète, maladies de cœur, etc.), et d’avoir des problèmes de santé de longue durée.
En Belgique, les résultats des enquêtes de santé de 2001 et 2004 vont dans le même sens. Hardonk et al. (2004) ont analysé les résultats de l’enquête de santé de 2001, et ont entre autres mis en évidence la corrélation négative qui existe entre le niveau de formation (5 niveaux différents) et le risque de morbidité. Ils ont utilisé différents indicateurs, dont la santé subjective, les affections, les maladies chroniques et handicaps de longue durée, et les limites auxquelles une personne est confrontée suite à une affection de longue durée. Ces résultats ont été confirmés par les résultats de l’enquête 2004 (De Boyser, 2007).
Quand on parle de morbidité, le plus frappant est sans doute l’analyse des différences en termes d’espérance de vie en bonne santé. Les résultats sont encore plus impressionnants que ceux de l’analyse de l’espérance de vie tout court (figure 3). Les diplômés de l’enseignement supérieur de type long ont une espérance de vie en bonne santé, respectivement pour les hommes et les femmes, de 70,9 ans et 74,1 ans, contre 55,8 ans et 54,8 pour les non diplômés. Cela fait en moyenne 18 ans d’écart pour les hommes, et 24 ans pour les femmes (Bossuyt et al., 2004).

Figure 3 – Espérance de vie en bonne santé perçue chez les hommes et les femmes de 25 ans, en fonction du niveau de formation Source: Bossuyt N. et al. (2004) Socio-economic inequalities in health expectancy in Belgium.
A noter que le gradient observé en termes d’espérance de vie et d’espérance de vie en bonne santé à mesure qu’on descend dans le niveau de formation a également été observé pour d’autres indicateurs de la position socio-économique, comme le revenu et la catégorie socio-professionnelle.

Des inégalités qui s’accroissent…

Malgré une amélioration constante de l’état de santé moyen – en Belgique, le gain annuel de survie s’est élevé en moyenne à plus de trois mois par an entre 1885 et 1995 (Defeyt Ph. et al., 1997) –, plusieurs études européennes ont mis en évidence le fait que ces dernières décennies, les inégalités en termes de mortalité ont augmenté.
Si on prend le cas de la Suède, on observe qu’entre 1980 et 1997 le différentiel d’espérance de vie entre un homme de 20 ans issu du groupe socio-économique le plus élevé et un homme issu du groupe socio-économique le plus bas, est passé de 2,11 ans à 3,79 ans. L’augmentation des inégalités est essentiellement due à une diminution plus importante du taux de mortalité dans les groupes socio-économiques en haut de l’échelle sociale relativement aux groupes dans le bas de l’échelle (Willems, 2005).
Dans le cas de la Belgique, certaines estimations quant à l’évolution des inégalités en termes de santé subjective, de maladies et d’affections chroniques ont été faites à partir des données des enquêtes de santé de 1997 et 2001. On y observe que les inégalités, tant au niveau de la santé subjective que des maladies et affections chroniques, ont diminué. Cependant, vu le manque de recul, ces résultats sont à interpréter avec prudence, et ne nous permettent pas de donner une tendance claire quant à l’évolution des inégalités de santé pour la Belgique (Willems, 2005).

Déterminants des inégalités socio-économiques de santé

Différents mécanismes explicatifs ont été proposés dans différentes études traitant de la problématique des inégalités socio-économiques de santé. Mackenbach (1994) a proposé une synthèse de ces mécanismes qu’il a systématisés en quelques modèles explicatifs. Dans le cadre de cet article, nous en développerons deux (les plus travaillés par les différentes études): celui de la mobilité sociale sélective et celui des causes sociales .
Nous développerons davantage le deuxième modèle, celui-ci ayant été le plus exploité, et étant le plus significatif quant à la compréhension des inégalités socio-économiques de santé (Mackenbach, 2005).

La mobilité sociale sélective

Le modèle de la mobilité sociale sélective fait l’hypothèse que l’état de santé ou un déterminant de l’état de santé influence la position socio-économique d’un individu, et donc sa mobilité sociale au sein de la société. La position socio-économique est dès lors, dans le cadre de ce modèle, une conséquence plutôt qu’une cause de l’état de santé ou de ses déterminants. Les théories défendant la thèse de la sélection sociale en distinguent deux types: la sélection directe et la sélection indirecte (Peersman, 2000).
Le modèle de sélection directe fait l’hypothèse que la santé influence directement la mobilité sociale d’un individu. Selon que l’individu est en bonne ou en mauvaise santé, il aura tendance à monter ou à descendre dans l’échelle sociale. Cela signifie que les personnes en moins bonne santé, et par conséquent ayant une espérance de vie moins élevée, se concentreront au bas de l’échelle sociale.
Le modèle de sélection indirecte implique que les facteurs déterminant la mobilité sociale influencent également l’état de santé d’un individu. Par exemple, le fait qu’un individu ait une perception positive et proactive par rapport à son avenir influencera sa motivation à investir dans l’éducation et la formation, mais également sa motivation à adopter des comportements sanitaires favorables à sa santé.
« Des recherches montrent qu’il existe effectivement une mobilité sociale descendante dépendant des problèmes de santé mais que l’impact de ce mécanisme est minime et ne peut expliquer les inégalités de santé . De même , le mécanisme de sélection indirecte est confirmé mais sans pour autant être capable d’expliquer les différences de mortalité et de morbidité entre les groupes sociaux .» (Willems et al., 2007).

Les causalités sociales

Le modèle de causalités sociales implique que la position socio-économique d’un individu influence son état de santé. Cette influence se fait par l’intermédiaire de toute une série de déterminants, qui peuvent être regroupés en deux catégories: les facteurs structurels (matériels et non matériels), liés aux conditions de vie, et les facteurs culturels , liés aux comportements et styles de vie (Peersman, 2000).
Déterminants structurels
Bien que les conditions de vie des individus se soient, ces dernières décennies, relativement améliorées dans nos pays occidentaux, les personnes se situant au bas de l’échelle sociale ont, relativement au haut de l’échelle, de moins bonnes conditions de vie (Peersman, 2000). Dans ce qui suit, on distinguera les conditions matérielles (de vie, d’habitat et de travail) des conditions psychosociales .
Les conditions matérielles
La qualité des conditions matérielles est traditionnellement expliquée par le niveau de privation économique. « Un manque de moyens financiers se traduit par un habitat peu sain et avec moins d’espace , situé dans un quartier peu sûr offrant moins de possibilités de loisirs pour les enfants . (…) Les conditions matérielles de travail sont moins favorables aux groupes de faible statut socio économique . Les personnes appartenant à ces groupes sont plus souvent soumises à un travail physique dur (…)» (Willems, 2007).
A titre d’exemple, le CBS néerlandais (Centraal Bureau voor de Statistiek) a mis en évidence le lien entre la catégorie socio-économique et différents indicateurs, dont notamment le pourcentage de personnes témoignant avoir des conditions de travail difficiles. Plus on descend dans l’échelle sociale, plus le pourcentage de personnes se plaignant de mauvaises conditions de travail augmente: on passe de 10 % pour les classes sociales supérieures à 37 % pour les classes sociales se situant dans le bas de l’échelle (Stronks, 1997).
Pour la Belgique, des données récentes (SILC 2004 – Statistics on Income and Living Conditions) vont dans le même sens. Raeymaeckers et Dewilde (2007) ont observé des différentiels assez significatifs entre riches et pauvres, notamment au niveau du logement, de l’environnement et des moyens financiers (tableau 1).

Tableau 1 – Différences dans les conditions matérielles, selon le revenu par rapport au seuil de pauvreté

Pauvres Non pauvres
Logement
Insuffisance d’équipements sanitaires 15% 3%
Mauvais état de l’habitation 49% 9%
Impossibilité de chauffer correctement le logement 41% 3%
Environnement
Pollution, smog et bruit 36% 4%
Criminalité, vandalisme 53% 12%
Propreté du quartier 49% 8%
Accessibilité limitée aux transports en commun 23% 19%
Moyens financiers
Ne peuvent se permettre:
– des petits achats 26% 1%
– des gros achats 78% 7%
– des outils technologiques 37% 5%

Source: Enquête de santé 2004 (Raeymaeckers P., Dewilde C., 2007).

Les différences entre «pauvres» et «non pauvres» sont très significatives (1). Concernant le logement, on observe que les personnes pauvres ont 5 fois plus de risque de faire face à une insuffisance en matière d’équipements sanitaires ainsi qu’à un logement en mauvais état (ce qui représente près d’une personne sur deux en situation de pauvreté), et 13 fois plus de risque d’avoir des problèmes de chauffage (cela concerne 4 personnes en situation de pauvreté sur 10).
Du point de vue de l’environnement, les différences les plus significatives concernent la pollution et le bruit, la criminalité et le vandalisme, et la propreté du quartier: les personnes en situation de pauvreté risquent respectivement neuf, quatre et six fois plus souvent d’être confrontées à ce genre de problèmes.
Enfin, concernant les moyens financiers, les différences les plus importantes concernent les gros achats, qui constituent un problème pour près de 80 % des personnes pauvres, contre moins de 10 % pour les personnes non pauvres. Plus d’un quart des personnes pauvres ont également des difficultés pour les petits achats.
Le manque de moyens financiers a également un impact sur la difficulté de faire face aux dépenses en soins de santé, et dès lors sur le report des soins: 60 % des personnes pauvres ne peuvent intégrer les coûts liés aux soins de santé dans le budget du ménage, et 17 % doivent reporter les soins dont ils ont besoin (De Boyser, 2007). Ainsi, bien qu’en principe tout le monde ait accès aux soins de santé, le volet financier pose souvent problème.
Concernant la part relative des frais de santé dans le budget familial, on observe que celle-ci est plus lourde pour les ménages dont la personne de référence n’a qu’une formation limitée et dont le revenu est limité. Près de la moitié des personnes ayant un diplôme primaire ou sans diplôme avouent que leurs dépenses de santé sont très difficiles à supporter (alors que cela ne concerne même pas 15 % des personnes issues de l’enseignement supérieur).
On peut penser que les frais de santé difficiles à supporter mènent à un report de la consommation médicale. On observe une différence de 10 % entre les personnes diplômées de l’enseignement primaire ou sans diplôme et les personnes issues de l’enseignement supérieur (tableau 2). Une chose est sûre: l’accessibilité financière aux soins de santé n’est pas garantie à tous (Vancorenland, 2006).

Tableau 2 – Différences dans l’accès aux soins de santé, selon le niveau de formation

Part relative des frais de santé dans le budget familial Frais de santé difficiles à supporter Nécessité de reporter une consommation médicale
Primaire ou sans diplôme 9,4% 51,2% 16,5%
Secondaire inférieur 9,7% 38,7% 10,8%
Secondaire supérieur 5,1% 28% 9,7%
Enseignement supérieur 4,1% 13,8% 6,8%
TOTAL 6% 28,1% 9,9%

Source: Enquête de santé 2004 (Vancorenland S. 2006).

Les conditions psychosociales
L’état de santé d’un individu est également influencé par le contexte psychologique et social dans lequel il vit. Celui-ci est influencé par divers facteurs: sa santé mentale (au sens large du terme), l’étendue et la qualité de son réseau social, mais aussi le degré de contrôle qu’il a sur sa vie («locus of control»). A noter qu’outre le fait que ces différents indicateurs peuvent avoir un impact l’un sur l’autre – par exemple, le degré de contrôle sur le niveau de santé mentale – les conditions de vie matérielles ont également un impact sur les conditions psychosociales – par exemple, l’environnement sur le niveau de santé mentale (Stronks, 1997).
De manière générale, on observe que les personnes se situant dans le bas de l’échelle sociale ont une moins bonne santé mentale , peuvent moins compter sur leur réseau social en cas de problèmes matériels ou psychologiques, et ont un degré de contrôle moins important que les personnes issues des catégories socio-économiques plus favorisées.
La santé mentale
Outre le réseau social qu’une personne peut mobiliser en cas de problèmes, ainsi que son degré de contrôle dans la gestion de son quotidien, différents éléments ont été avancés dans la littérature comme ayant une influence sur la santé mentale d’une personne: le décès d’un conjoint, le divorce, les problèmes financiers, le chômage de longue durée, etc. (Stronks, 1997). Pour la Belgique, différents auteurs ont récemment mis en évidence le lien qui existe entre situation socio-économique et santé mentale (dont les problèmes dépressifs, d’anxiété et les troubles du sommeil).
En se basant sur les enquêtes de santé de 2001 et 2004, De Boyser (2007) a notamment mis en évidence que les personnes ayant un revenu en dessous du seuil de pauvreté (2) ont un risque plus important d’avoir des problèmes dépressifs (différence de 5 %) et d’anxiété (différence de 4 %) (tableau 3).
Les résultats sont encore plus significatifs lorsqu’on compare les personnes ayant un emploi, les personnes au chômage et les personnes malades ou invalides. Ainsi, on observe que les chômeurs et les malades ou invalides ont un risque respectivement 3 et 8 fois plus important que les travailleurs d’avoir des problèmes dépressifs et d’anxiété. Pour ce qui est des troubles du sommeil, les différences sont moins importantes, mais on observe que cela concernerait près d’un quart des chômeurs et près de la moitié des personnes malades ou invalides.
Enfin, De Boyser observe que près de 20 % des chômeurs et 40 % des malades ou invalides ont de graves problèmes mentaux, alors que cela ne concerne que moins de 10 % des travailleurs. Quant au mal-être psychologique, cela concernerait près d’un tiers des chômeurs et la moitié des personnes malades et invalides, pour «seulement» 20 % des personnes au travail.

Tableau 3 – Différences dans la santé mentale, selon le revenu et l’activité (données pour la Flandre)

Mal-être psychologique Graves problèmes mentaux Problèmes dépressifs Anxiété Troubles du sommeil
Revenu
Pauvres Non significatif Non significatif 10,8% 9,0% Non significatif
Non pauvres Non significatif Non significatif 6,8% 5,3% Non significatif
Activité
Au travail 19,8% 9,5% 4,5% 3,5% 16,2%
Chômeur 30,7% 18,9% 15,3% 10,9% 24,5%
Malade ou invalide 49,7% 37,9% 37,5% 26,5% 48,4%

Source: Enquêtes de santé 2001-2004 (De Boyser 2007).

Le réseau social
Quand on parle de réseau social, on distingue l’aspect structurel de l’aspect fonctionnel. La structure d’un réseau social réfère à un facteur quantitatif: le nombre de personnes que connaît une personne, la fréquence des contacts qu’elle entretient avec celles-ci, et le type de personnes qu’elle connaît. L’aspect fonctionnel réfère davantage à un facteur qualitatif: le soutien social (matériel et moral) qu’une personne peut espérer mobiliser au sein de son réseau (De Boyser et Levecque, 2007).
Outre le fait d’être davantage sujet à des problèmes psychologiques, «(…) les personnes de faible statut socio économique semblent avoir un réseau social moins important et une moindre possibilité de faire appel à un soutien social . Cela a un impact sur la santé parce que le réseau et le soutien social sont des éléments cruciaux dans la gestion des facteurs de stress .» (Willems, 2007).
De Boyser et Levecque (2007) ont, pour la Belgique, étudié le lien entre statut socio-économique et réseau social, dans ses dimensions structurelles et fonctionnelles. Du point de vue de l’étendue du réseau social et de la fréquence des contacts, elles ont observé qu’il n’y a pas de différences significatives au dessus et en dessous du seuil de pauvreté.

Tableau 4 – Différences dans le soutien social, selon le revenu par rapport au seuil de pauvreté

Non pauvres Pauvres
Ne peut pas compter sur l’aide de l’entourage ou de la famille en cas de problèmes 5,5% 8,5%
Sentiments de solitude 8,8% 13,1%
Manque de soutien matériel
Rester à son chevet 18,1% 25,5%
Aider pour préparer les repas en cas de maladie 13,3% 16,7%
Manque de soutien affectif
de quelqu’un qui tient à vous et à qui vous tenez 11,6% 16,2%
de quelqu’un qui peut vous câliner 19,0% 25,6%
Manque de soutien émotionnel
Discuter 10,7% 18,8%
Confier ses problèmes intimes et ses angoisses 16,0% 22,7%
Avoir des bons conseils 11,4% 16,8%
Manque d’interaction sociale positive
Passer de bons moments 8,3% 14,1%
Se détendre 11,7% 19,0%

Source: Enquête de santé 2001 (De Boyser et Levecque 2007).

Il n’en est pas de même pour ce qui est de la qualité du réseau social, où on observe des différences significatives entre pauvres et non pauvres. De manière générale, on observe que les personnes vivant sous le seuil de pauvreté peuvent moins compter sur leur entourage en cas de problèmes et ont davantage de sentiments de solitude que les personnes au dessus de ce seuil. Elles ont également moins de chance d’avoir un soutien matériel et moral de qualité, ainsi que des relations sociales positives (tableau 4).
L’empowerment
Le degré d’ «empowerment» (littéralement le fait d’acquérir et d’avoir un certain pouvoir) fait référence au degré de contrôle qu’un individu a dans la gestion de sa vie au quotidien, à l’étendue de sa liberté quant aux choix qu’il doit faire (étudier plutôt que travailler, avoir une certaine autonomie dans la gestion de ses tâches professionnelles ainsi que par rapport à ses collègues, etc.).
Selon Marmot (2006), il existe un lien entre «empowerment», situation socio-économique et santé: les conditions sociales d’un individu déterminent positivement son degré de liberté et d’autonomie, qui lui-même a une influence positive sur son état de santé.
Ceci a été mis en évidence dans l’étude britannique «Whitehall II». Elle montre que plus on descend dans la hiérarchie professionnelle, plus le risque d’infarctus et d’autres affections est élevé. Deux modèles explicatifs ont été mis en évidence:
-le degré de contrôle de la demande : ce modèle met en évidence le fait que le stress au travail (qui a un impact sur l’état de santé d’un individu) est moins causé par l’ampleur du travail que par le degré d’autonomie qu’un individu a dans la gestion des différentes tâches qui lui sont attribuées;
-le degré de reconnaissance sociale : le déséquilibre entre efforts consentis et reconnaissance a une influence sur le niveau de stress.
Les travailleurs dans le bas de l’échelle professionnelle, de par leur manque de contrôle de la demande et de reconnaissance, auraient un risque d’infarctus et d’autres affections plus important.
L’étude Whitehall II met également en évidence que le degré de contrôle d’un individu n’est pas uniquement déterminé par son cadre professionnel. Elle montre par exemple que les femmes qui ont moins d’autonomie et de liberté dans la gestion du ménage ont un risque d’infarctus plus élevé que les femmes avec davantage de contrôle. Ceci est également confirmé pour les maladies mentales.
En se basant sur la hiérarchie sociale et pas seulement professionnelle, Wilkinson (dans Lynch et al., 2000) fait les mêmes observations. Il démontre que les inégalités de revenus affectent la santé au travers des perceptions liées à la position relative dans la hiérarchie sociale. Ces perceptions produisent des ressentiments négatifs, tels que la honte et la méfiance, qui engendrent des comportements négatifs pour la santé, mais également des comportements qui ont indirectement un impact néfaste sur la santé (comportements antisociaux, manque de participation civique, ce qui implique une carence en capital social et en cohésion au sein de la société).
Déterminants culturels
« Des études épidémiologiques ont démontré de manière convaincante que le comportement individuel relatif à la consommation de tabac , à l’activité physique , aux habitudes alimentaires , à l’utilisation des structures de soins de santé préventives et à d’autres activités sont en étroite relation avec la santé et la maladie . (…) Différentes études ont montré que les groupes socio économiques bas présentent un profil de risque plus important .» (Willems, 2007).
L’enquête de santé de 2004 a clairement montré le lien entre style de vie à risque et position socio-économique (Vancorenland, 2006).
En règle générale, les personnes moins qualifiées ont un style de vie moins sain. Elles mangent généralement de manière moins saine (moins de légumes, de fruits, de poisson et de pain gris) et présentent davantage de surpoids et d’obésité (tableau 5).
Les jeunes issus d’une famille peu qualifiée ont également plus de problèmes de surpoids. En outre, les personnes moins qualifiées et en surcharge pondérale s’en préoccupent moins que les personnes qualifiées et entreprennent donc moins d’actions pour changer leur situation.

Tableau 5 – Différences de style de vie selon le niveau de formation: alimentation

Surpoids Surpoids Consommation insuffisante de… Consommation insuffisante de… Consommation insuffisante de… Consommation insuffisante de…
Présent Pas préoccupé Légumes Fruits Pain gris Poisson
Primaire ou sans diplôme 55% 53% 21% 44% 53% 37%
Secondaire inférieur 48% 49% 18% 45% 49% 43%
Secondaire supérieur 47% 40% 15% 46% 51% 41%
Enseignement supérieur 36% 38% 12% 35% 42% 32%
TOTAL 44% 42% 15% 41% 47% 37%

Source: Enquête de santé 2004 (Vancorenland S. 2006).

La consommation de tabac est également fortement dépendante du niveau de formation. On trouve plus de fumeurs parmi les gens moins qualifiés. Ils ont également commencé à fumer plus tôt, fument davantage et sont plus dépendants du tabac. Pour les comportements alimentaires et tabagiques, c’est surtout le groupe avec une qualification élevée qui se distingue favorablement des autres groupes (tableau 6).

Tableau 6 – Différences de style de vie selon le niveau de formation: tabagisme

% fumeurs Age de début Nombre de cigarettes % gros fumeurs
Primaire ou sans diplôme 27% 16,6 ans 18,5 12%
Secondaire inférieur 31% 17,1 ans 18,3 13%
Secondaire supérieur 31% 17,2 ans 17,6 12%
Enseignement supérieur 23% 17,9 ans 15 7%
TOTAL !28% 17,3 ans 17,1 10%

Source: Enquête de santé 2004 (Vancorenland S. 2006).

Au niveau du comportement sexuel, les personnes moins qualifiées appartenant au groupe à risque (sexuellement actif sans relation fixe) utilisent nettement moins souvent le préservatif comme moyen de protection contre les MST que les gens qualifiés issu du même groupe à risque. De plus, ils connaissent moins bien le sida (transmission, protection et gravité) et se soumettent moins souvent à un test VIH.
Un dernier élément intéressant à mentionner concerne la santé buccale et les soins dentaires. De manière générale, on observe que les gens moins qualifiés montrent une image nettement moins favorable que les gens qualifiés. Souvent, les gens moins qualifiés n’ont plus d’éléments masticateurs, ont davantage de problèmes de mastication, se brossent moins souvent les dents et vont moins souvent chez le dentiste (tableau 7).

Tableau 7 – Différences dans la santé buccale et les soins dentaires, selon le niveau de formation

Plus d’éléments masticateurs naturels Prothèse dentaire Difficultés à mâcher les aliments durs Se brosse les dents 2 x par jour Contrôle régulier chez le dentiste
Primaire ou sans diplôme 36% 56,7% 32,9% 38,3% 34,1%
Secondaire inférieur 23% 49,5% 21,2% 43,9% 41,7%
Secondaire supérieur 10,8% 35,8% 12,2% 49,4% 49,5%
Enseignement supérieur 5% 26% 5,3% 55,9% 56,2%
TOTAL 14,5% 37,7% 14,3% 50,3% 49,1%

Source: Enquête de santé 2004 (Vancorenland S. 2006).

Comment expliquer ces différences de comportements? Beaucoup d’éléments explicatifs déjà présentés ci-dessus peuvent en partie nous aider à mieux comprendre ces différences de comportements et de styles de vie. Par exemple, les conditions matérielles et les conditions psychosociales, qui ont un impact sur le stress, peuvent indirectement influencer les bonnes ou mauvaises pratiques en matière de tabagisme.
D’autres facteurs plutôt de type identitaire peuvent être avancés. Dans les milieux défavorisés, « sans que l’on puisse généraliser , le corps est moins un objet de valorisation et donc moins un objet de soins et de précautions . Il est un outil qui doit résister au travail . Les affections , la fatigue sont courantes et donc considérées comme normales . L’horizon temporel davantage axé sur le présent pour cause de précarité ou de niveau de formation générale , n’incite guère à projeter dans le futur les conséquences de comportements risqués et de problèmes de santé révélés par des symptômes ressentis » (Avalosse et Feltesse, 1997).
D’autres éléments encore peuvent être à l’origine de ces inégalités de comportements: un manque d’information, par exemple, concernant les conséquences néfastes du tabac, l’utilisation correcte des moyens contraceptifs ou encore la préparation d’un repas sain et équilibré. Ce manque d’information peut être en partie lié aux campagnes de prévention pas suffisamment axées sur les groupes socio-économiques défavorisés (Willems, 2007).

Conclusion

Certes, l’accès financier aux soins de santé n’est pas le même pour tous les groupes socio-économiques, et peut dès lors en partie expliquer les différences en termes de santé qu’on observe entre ceux-ci. Cependant, sur la base de la revue de la littérature quant aux déterminants des inégalités de santé, il apparaît que la problématique de l’accessibilité financière aux soins n’est qu’un élément parmi beaucoup d’autres.
De manière prépondérante, la situation socio-économique d’un individu – dont les indicateurs principalement utilisés sont le niveau de formation, de revenu et la catégorie socioprofessionnelle – a, en soi, un impact sur son état de santé, ceci par le biais de différents facteurs, tant structurels que culturels.
Si les éléments explicatifs des inégalités de santé, tels que détaillés dans cet article, font l’objet d’un consensus, c’est moins le cas quant à la part de l’impact de chaque facteur. A ce jour, peu d’études donnent des chiffres quant à l’effet relatif de tel ou tel facteur sur l’état de santé. Au vu des différents facteurs présentés ci-dessus, il paraît en effet extrêmement complexe de différencier l’effet relatif de chaque facteur, dans la mesure où ces facteurs sont en interaction les uns avec les autres. C’est ce qui fait sans doute toute la complexité de la mise en place de politiques efficaces quant à la diminution des inégalités de santé.
Malgré la difficulté de la tâche, il est essentiel de prendre des mesures qui ne soient pas uniquement centrées sur le domaine de la santé, mais davantage transversales: améliorer l’accès à l’enseignement, diminuer l’analphabétisme, diminuer les inégalités de revenus (notamment en augmentant les allocations et revenus minimums), améliorer la sécurité et le cadre de vie dans les logements et les quartiers les plus précarisés, impliquer davantage les personnes dans la gestion de leur vie quotidienne, au travail ou au niveau de leur quartier, de leur commune, etc. La diminution des inégalités de santé passe par l’amélioration de tous ces éléments, et c’est sans doute le défi majeur auquel sera confrontée notre société demain. Il s’agit d’une approche intégrée, et solidement ancrée dans la situation locale particulière. En tant que mutualité, nous devons nous inscrire de manière volontariste dans cet effort sociétal pour réduire les écarts en matière de santé. Outre notre préoccupation traditionnelle pour un accès égal aux soins, battons-nous aussi pour réduire l’inégalité en termes de besoins.
Olivier Gillis , Raf Mertens , Département Recherche et Développement de l’ANMC
Cet article a été publié initialement dans MC-Informations – Analyses et points de vue, périodique trimestriel de l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes, n° 231, mars 2008. Il est reproduit avec son aimable autorisation.
La même revue a publié dans son numéro 232 (juin 2008) ‘Mesures concrètes de réduction des inégalités de santé: quelques exemples européens’, des mêmes auteurs Olivier Gillis et Raf Mertens. Vous pouvez télécharger ce texte à l’adresse http://www.mc.be/fr/135/info_et_actualite/mc_informations/mc_info_mars_2008/inegalite_sociale/index.jsp?ComponentId=43882&SourcePageId;=44115 (document de 12 pages (113 Ko).
La Mutualité chrétienne vient aussi de réaliser une étude sur les inégalités sociales de santé en Belgique au départ des données de consommation de soins de tous ses affiliés (environ 4.500.000 de personnes). Nous vous en reparlerons prochainement.

(1) La pauvreté est ici définie – à partir d’une série d’indicateurs – comme «la non-réalisation d’un niveau de standard de vie, dans le sens d’un manque «imposé», lié à des moyens économiques insuffisants» (Raeymaeckers et Dewilde, 2007).
(2) Le seuil de pauvreté est le niveau en dessous duquel un individu est considéré comme pauvre. Il est fixé à 60 % du revenu médian (De Boyser, 2007).

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