Depuis plus de trois ans, l’A.S.B.L. Service Education pour la Santé (SES) située à Huy, développe un programme de prévention du Sida, des hépatites et des maladies sexuellement transmissibles (MST) essentiellement en milieu carcéral.
Subsidiée par la Communauté Française et bénéficiant de l’aide de la Région Wallonne, l’équipe Prévention Sida-Hépatites-MST du SES travaille avec les établissements pénitentiaires de l’arrondissement de Huy-Waremme, ou qui en sont proches, à savoir les prisons de Huy, Marneffe et Andenne. Soit près de 600 détenus et 460 membres du personnel.
Nous avons rencontré deux collaborateurs du SES Huy, Mark Freyens et Sabine Dewilde.
Education Santé: En quoi consiste votre projet ?
SES Huy : L’objectif est d’instaurer une dynamique globale de prévention du Sida, des hépatites et des MST en milieu carcéral auprès d’un maximum de personnes (détenus, surveillants et intervenants) afin de réduire le nombre de contaminations et de lever des tabous.
ES: Pourquoi avez-vous choisi d’orienter votre action vers les prisons ?
SES Huy : Les chiffres sont là : par rapport à la population en Belgique, 15 à 20 fois plus de détenus sont porteurs de l’hépatite C, 10 fois plus du Sida et 4 fois plus de l’hépatite B. La proportion de toxicomanes est importante et représente souvent plus de la moitié des détenus. Ajoutons à cela que bon nombre de détenus sont issus de populations précarisées, ce qui signifie souvent une mauvaise prise en charge de leur santé et une difficulté d’accès à l’information et aux soins. Cette concentration plus importante de personnes porteuses de ces virus ainsi que les comportements à risque adoptés en milieu carcéral exposent les autres détenus mais aussi le personnel carcéral, les familles et autres personnes rencontrées lors des congés pénitentiaires ou libérations.
ES: Vous parlez des comportements à risque dans le milieu carcéral. Qu’en est-il précisément des modes de transmission en prison ?
SES Huy : Pour le personnel pénitentiaire, il y a les contacts avec les détenus lors des fouilles ou autres interventions. Pour les détenus quant à eux, il y a des pratiques telles que le tatouage, le piercing, … mais le mode de transmission le plus délicat à aborder est celui des relations sexuelles : qu’elles soient consentantes ou non. En prison, c’est un réel problème, les directions ferment souvent les yeux. Cela reste un sujet tabou ou peu abordé.
ES: Concrètement, en quoi consiste votre programme ?
SES Huy : Notre stratégie est de mettre en place des séances d’information pour les professionnels et pour les détenus concernant la prévention de ces maladies.
Au départ, il n’y avait pas de demande des institutions pénitentiaires. Cela a nécessité un important travail pour l’implantation du programme : analyser les structures formelle et informelle, identifier et prendre en compte les différents acteurs, appréhender la culture institutionnelle, constituer progressivement un réseau par lequel l’information est véhiculée.
Après accord, le travail en milieu carcéral a démarré progressivement dans les prisons de Huy, Marneffe et Andenne. Qu’on soit convaincu ou non du libre arbitre en la matière, la formation doit avoir un caractère obligatoire; en effet, les inscriptions volontaires, cela ne fonctionne pas ! Tous les prétextes d’un coté comme de l’autre sont bons pour éviter les situations qui ne paraissent vraiment pas prioritaires pour les protagonistes en prisons.
ES: Et quelles sont vos collaborations ?
SES Huy : Hormis les réseaux qui se sont construits dans les prisons, nous collaborons avec le Service de santé pénitentiaire dont la mission est préventive et curative. Ce service soutient notre travail, il fait même l’hypothèse que si ces formations étaient proposées par un service interne, elles seraient moins crédibles!
ES: Et les formations elles-mêmes, comment se déroulent-elles ?
SES Huy : Nous travaillons par groupes de 8 personnes. Les participants ont ainsi l’occasion de s’exprimer et se sentent en général très concernés. C’est un module de 2 heures qui reprend des informations de base sur le Sida, les hépatites A, B, et C ainsi que d’autres MST. Nous mettons la priorité sur les moyens de protection : les préservatifs, les gants pour la fouille,… Notre souci est également d’avoir une approche globale en termes de bien-être physique, d’hygiène de base. Mais le temps de formation est court !
Le fait d’être animateur extérieur met les participants en confiance. Vis-à-vis de nous, ils veulent se dégager de leur image de détenu, c’est un peu une soupape pour eux. Avec les détenus, nous travaillons toujours à deux pour l’animation. Dans la gestion de la dynamique du groupe, nous installons un climat de confiance permettant de poser des questions, de partager. Mais cela n’empêche pas qu’il y ait des moments critiques à gérer. Il y a de l’énergie, de l’électricité qu’il faut canaliser. Par exemple, certains détenus estiment que les personnes dépistées hépatite C positif, devraient être isolées. Nous ne pouvons pas adhérer à ce type de ségrégation. Nous pouvons entendre et comprendre l’inquiétude de ceux qui l’expriment et tenter de dédramatiser les réactions.
ES: Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
SES Huy : Tant au niveau du personnel que des détenus, il y a un turn-over important. Cela signifie qu’il faut renouveler régulièrement les séances d’informations ainsi qu’identifier et contacter de nouveaux relais internes.
D’autre part, notre intervention est seulement tolérée et l’information que nous apportons est souvent en contradiction avec les moyens mis à disposition des détenus. Avec Modus Vivendi , nous militons pour la mise à disposition de préservatifs même si la réaction de certains responsables a été de dire «cela va créer un besoin sexuel, ils ne sauront plus se tenir,… ». Même lorsque l’accord est formel, nous ne sommes pas beaucoup soutenus dans les faits ; nous ne faisons pas partie du schéma institutionnel.
Il y a également des difficultés pratiques. Où stocker les préservatifs pour un accès facile ? Comment assurer un minimum de confidentialité ? Nous voudrions qu’ils soient mis à disposition dans chaque section, de manière libre et en quantité suffisante plutôt qu’à l’infirmerie où le détenu doit demander une autorisation pour s’y rendre et où l’anonymat n’est pas assuré. Les prisons de Huy et d’Andenne sont d’accord sur le principe mais n’ont pas encore choisi le lieu.
ES: Vous proposez des formations mais comment pensez-vous assurer la continuité de vos interventions ?
SES Huy : Théoriquement et dès le début, notre objectif a été de rendre les intervenants autonomes dans ce travail de prévention mais il est difficile de trouver des relais internes stables et convaincus. Parmi les intervenants en milieu carcéral, les infirmiers seraient les mieux placés mais ils ont souvent un statut d’indépendant et de nombreuses tâches administratives à remplir. Nous avons donc dû revoir nos ambitions à la baisse : actuellement nous identifions des personnes-relais qui prennent en charge certaines questions plus pratiques.
La formation des agents pénitentiaires dépend du Ministère de la Justice. Nous espérons obtenir un financement de ce côté pour garantir la pérennité de ce travail de prévention.
Propos recueillis par Bernadette Taeymans
Pour en savoir plus, A.S.B.L. Service Education pour la Santé, Equipe prévention Sida – Hépatites- MST, chaussée de Waremme 139, 4500 Huy. Tél./fax : 085-21 25 76, courriel : ses.hesbayecondroz@wanadoo.be