Depuis trente ans, le Dr Luc Isebaert , psychiatre et psychothérapeute, aide des patients alcooliques à se prendre en charge, pour retrouver l’abstinence ou un boire contrôlé. L’évaluation du travail qui vise à restaurer le libre choix du patient a de quoi rendre envieux. L’étude révèle 75 % de réussite (45 % d’abstinents et 30 % de buveurs qui se contrôlent) et ce quatre ans après le traitement! Explications depuis l’Hôpital Saint-Jean à Bruges.
Les mots d’ordre du travail du Dr Isebaert, homme jovial et passionné: partir des ressources du patient pour rendre le choix possible entre boire, ne pas boire ou consommer moins. Toujours. Il faut reconstruire l’image de la personne comme étant capable de s’assumer. « A un père de famille , je dirais par exemple qu’il investit dans l’avenir , explique Luc Isebaert. Quelqu’un qui boit le soir exclusivement , je vais aller voir avec lui ce qui se passe le jour . Quelqu’un qui pendant quelques heures un jour choisit la bière plutôt que la vodka , voilà aussi un comportement intéressant . Le jour où on a moins eu envie de boire , je le souligne en disant que je connais des personnes qui auraient bu la même chose , par habitude . L’identification de tout ce qui sert ou a servi à limiter les dégâts est primordiale . Pour ce faire , je propose de compléter une grille qui renseigne sur l’heure , le jour , l’intensité de l’alcoolisation , le motif et la manière dont cela s’est arrêté . Idem pour les jours sans alcool ; on note le jour , la raison qui a aidé et les stratégies éventuellement mises en place .»
Autres solutions
L’alcool est-il identifié comme moyen d’être plus à l’aise lors d’une prise de parole en public? D’autres voies d’accès à la tranquillité seront envisagées. L’alcool fait se sentir moins seul? Des pistes seront explorées pour ne plus être seul ou seule. « Je me positionne comme un consultant , explique Luc Isebaert. La consultance n’amène pas plus de ressources , elle aide à les identifier . Quand le patient prend conscience de ses potentialités , mon rôle devient celui d’un expert . Expert en général , quand le patient est expert en particulier . Je pense que si l’on ne suscite pas les résistances il n’y en a pas .»
Luc Isebaert reste évidemment réaliste. Il travaille toujours à partir d’une demande d’aide, même infîme, qu’il développe.
Ambulatoire
L’ambulatoire est privilégié. Avec rarement plus de huit rencontres avec le patient. Et une moyenne d’un peu plus de quatre séances. Seuls 20 % des patients requièrent une autre thérapie pour traiter une anxiété, une dépression ou autre.
Mais quid du sevrage? Le milieu hospitalier n’y est-il pas davantage favorable? Si l’hôpital est intéressant, c’est pour la mise hors contexte. Pas pour le sevrage, considéré «comme un tigre de papier»: « Le sevrage peut se faire à la maison , en collaboration avec le médecin généraliste . Il passe prendre le pouls , la tension . Si les paramètres montent , un anxiolytique est généralement prescrit . C’est mieux que prescrire d’office , car ensuite on doit diminuer les doses .»
Habitudes
Tigre réel cette fois, les habitudes. Il faudra les déjouer pour que la prise de boisson ne soit pas réactivée. Exemple? « Un patient qui boit une bouteille de whisky par jour , posée près de son ordinateur , a voulu la remplacer par une bouteille d’eau . Il s’est vite révélé plus fructueux de poser la bouteille d’eau ailleurs , à distance de l’ordinateur , d’introduire un déplacement avant chaque moment de désaltération .»
L’habitude peut aussi être entravée. C’est le cas de figure où la personne se voit invitée à vider dans l’évier la moitié de son verre, dès qu’il est servi. Apparaît alors dans le champ des possibles le fait qu’un verre puisse ne pas être bu intégralement.
Dernière illustration avec un buveur de bistrot qui a continué à le fréquenter, mais en demandant au patron de lui servir une eau minérale dès qu’il poussait la porte du café. Et cela marche!
Ceux et celles qui choisissent de reboire modérément doivent aussi mettre de côté leurs habitudes, attendre 3 à 6 mois. « Ainsi , ont – ils été confrontés , explique le Dr Isebaert, à des circonstances où ils buvaient , à des fêtes . Et ils ont su comment faire pour gérer .»
Rechute
On se focalise au moins tout autant à l’Hôpital Saint-Jean sur la gestion de la rechute que sur sa prévention. Pour éviter la dramatisation et la croyance que reboire c’est plonger à nouveau totalement.
«Nous construisons ensemble des stratégies à mobiliser pour la situation où on aura bu un verre, ou trois verres, où on aura pris une cuite, où on aura bu trois jours de suite, cela peut arriver. Selon moi, boire ne fait pas partie de l’identité de la personne. Je ne suis pas pour le centrage sur l’alcool. J’invite à faire la distinction entre ce dont on peut avoir envie (boire) et ce qu’on veut (ne pas boire). Dans la trousse de secours, comme je l’appelle, je propose d’avoir sur soi une photo d’un être aimé et au dos des numéros de téléphone à appeler en cas d’accès d’envie de boire.»
Véronique Janzyk
Vous pouvez consulter une synthèse de l’évaluation sur le site http://www.ebta.nu/research.html de la European Brief Therapy Association .