Août 2002 Par Véronique JANZYK Initiatives

Invité récemment par l’ Observatoire de la santé du Hainaut à présenter son travail dans le cadre des Midis santé, Pierre Hendrick, médecin généraliste à la Maison médicale du Vieux Molenbeek et membre d’ATD Quart-Monde, défend l’efficacité d’un partenariat avec le public défavorisé.
Pierre Hendrick affectionne cette histoire, celle de quatre aveugles, pour parler de son travail. Celui qui chemine en tête heurte un obstacle. Les suiveurs sont projetés en avant. L’un pense avoir touché une branche. L’autre, une colonne. Le troisième un tronc et le dernier un drôle d’animal Un passant leur expliquera qu’ils ont rencontré… un éléphant. C’était sa défense, son pied, son ventre et sa queue. « Un récit pour souligner que nous voyons les choses en fonction de nos expériences, de nos sens, de notre position.»

Lieux communs qui séparent

« Des interprétations, des représentations, nous en avons tous. Elles ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles conditionnent nos choix en matière d’actions. Il faut le savoir .
On pourrait céder à la facilité de classer en catégories le public avec lequel on travaille. Il y aurait celui qui surmonte les obstacles, celui qui progresse avec l’aide d’un travailleur social, celui qui semble se résigner ». Et Pierre Hendrick d’apporter un autre angle de vue en donnant l’exemple de personnes arrivant à l’hôpital et retournant chez elles sans s’être présentées aux urgences. « Beaucoup de personnes en précarité rencontrent des problèmes avec l’écriture. Leurs capacités de lire et d’écrire se sont émoussées. D’où le rôle primordial d’une signalisation simple et d’un accueil adéquat.»
Les représentations sociales du public en précarité à l’égard des professionnels constituent aussi des obstacles. Les travailleurs médico-sociaux peuvent être perçus comme des contrôleurs.
La valeur incontestée qu’est la santé dans notre société amène parfois à des pratiques qui infantilisent ceux qui ne semblent pas en faire une valeur prioritaire. «Si je vous disais , illustre Pierre Hendrick, faites ceci et cela pour courir le 100 mètres en x secondes, vous me répondriez sans doute que ce n’est pas votre but, que mon discours est sans objet» .
Un langage imagé mis au service de chiffres, mais surtout de personnes. « Tout le monde sait que la mortalité est plus importante chez les personnes précarisées. Les études de morbidité réalisées pour éclairer cette situation sont prises en défaut. Car ce qui sépare l’existence du symptôme et son diagnostic est conditionné par la perception que l’on a de son corps, et par, entre autres, le revenu. L’écart entre riches et pauvres est sous-évalué.»

Travail communautaire

Parmi les critères de qualité qui se sont dégagés au fil du temps figure l’approche communautaire. Elle est moins anxiogène pour la population qu’une approche individuelle centrée sur un problème ou une carence.
Un exemple? Il existait une résistance très forte dans un quartier bruxellois au dépistage de la tuberculose. Les habitants connaissaient leur risque d’être malades et d’être envoyés en traitement, donc séparés des leurs. Le changement est intervenu quand le quartier (la commune, la FARES) s’est mobilisé pour leur assurer que la visite des proches serait organisée.
Cette connaissance des attentes réciproques, la Maison médicale du Vieux Molenbeek l’a organisée. Elle a pris la forme d’un «croisement des savoirs» (1): le savoir des personnes précarisées, celui des intervenants tels que les médecins généralistes, les permanents des consultations ONE et le savoir des chercheurs.
Et ces gens ont des choses à dire. Voici par exemple leurs réponses à la question «que faire pour mettre fin aux inégalités sociales de santé? »:
– développer une approche multisectorielle de la santé, par l’accès à des logements sains, un revenu plus important, l’instruction;
– viser à accroître l’estime de soi et le bien-être des personnes en difficultés;
– rendre les soins plus intelligibles (pourquoi on fait les choses, comment on les réalise);
– harmoniser les règlements d’accès aux soins des CPAS;
– créer un espace de dialogue où la santé pourra grandir;
– prendre le temps de s’apprivoiser, de bâtir, mais aussi d’évaluer.
Autant de propositions nées d’un croisement des savoirs qui donne à Molenbeek naissance à une pratique commune.
Véronique Janzyk

(1) Pour en finir avec les inégalités sociales de santé, Santé-Culture et Observatoire de la Santé de Bruxelles-Capitale. Document disponible à l’Observatoire de la Santé de Bruxelles-Capitale, tél. 02 502 60 01