Ce texte est adapté de la communication faite le 28 novembre 2013 lors de la conférence sur la participation des enfants et des jeunes organisée dans le cadre de la deuxième conférence nationale sur l’éducation non-formelle des enfants et des jeunes par le Service National de la Jeunesse du Grand Duché de Luxembourg.
«Notre objectif devrait être d’instaurer une culture plus réceptive et plus respectueuse des opinions des enfants. Malheureusement, beaucoup d’adultes semblent voir dans cette idée une menace. La question de l’influence des enfants est perçue comme un ‘jeu à somme nulle’, c’est-à-dire une situation dans laquelle une partie ne gagne que si l’autre perd. En d’autres termes, pour les adultes, si les enfants obtiennent plus de pouvoir, les adultes perdront une partie du leur ; ils auront moins de contrôle sur leurs enfants ou ne pourront plus maintenir la discipline dans les classes». Thomas Hammarberg, Commissaire aux Droits de l’homme, Conseil de l’Europe, 20 novembre 2007
La participation des enfants et des jeunes aux décisions qui les concernent – qu’il s’agisse de situations individuelles ou collectives – est un droit qui leur est garanti par la Convention internationale des Droits de l’Enfant (CIDE). Mais comment faire concrètement pour impliquer les enfants et les jeunes dans les décisions qui les concernent?
Une des difficultés est que le droit à la participation au sens où l’entend la CIDE ne cadre pas spontanément ou naturellement avec notre conception actuelle de la place et du rôle des enfants. Et le fait que ce droit soit maintenant reconnu, promu et consacré ne signifie en rien qu’il fasse partie de notre culture commune. Pour qu’il devienne effectif, nous avons tous, adultes comme enfants, encore un certain chemin à parcourir.
Les bénéfices de la participation
Un bon point de départ est de réfléchir aux bénéfices escomptés plutôt qu’aux obstacles à franchir. Quels bénéfices peut-on attendre de l’implication des enfants dans les décisions que nous prenons en tant qu’adultes? Autrement dit, pourquoi les impliquer?
Cinq grandes catégories de bénéfices attendus de la participation peuvent être mises en avant:
Tout d’abord, la valeur ajoutée pour les enfants eux-mêmes: ils acquièrent de nouvelles compétences (capacité à argumenter, à débattre ensemble et à faire l’expérience d’un processus de décision démocratique) et de nouvelles connaissances, ils gagnent en confiance en eux-mêmes et en estime de soi, ils font l’expérience de leur valeur personnelle. Bref la participation engendre de la responsabilisation, de l’autonomisation ou pour le dire en anglais de l’empowerment.
Ensuite, la participation contribue directement à leur éducation à la citoyenneté active, c’est-à-dire augmente leur capacité à contribuer à une société démocratique.
La contribution des enfants amène également de nouvelles perspectives sur des questions familières pour les adultes, notamment en ce qui concerne l’impact de leurs décisions sur les enfants.
Les décisions qui associent les enfants sont également souvent de meilleures décisions: plus légitimes, plus faciles à mettre en œuvre et à suivre.
Enfin, on peut également mettre en avant une meilleure protection des enfants, notamment contre les abus et la maltraitance, parce que l’exercice du droit à être écouté et entendu empêche que s’instaure la loi du silence.
Dépasser les idées reçues
Il faut ensuite dépasser les idées reçues ou toutes faites qui servent souvent d’alibi à l’immobilisme et au statu quo:La participation des enfants, c’est uniquement intéressant pour les choses accessoires. Mais pour le reste… chacun à sa place. Pourtant la contribution des enfants se révèle fondamentale dans des questions comme l’aménagement de l’espace public, l’accueil à l’hôpital, le règlement d’ordre intérieur d’une école, la lutte contre la pauvreté… Et il n’y a aucune raison de ne pas attendre le même bénéfice pour toutes les décisions qui ont un impact sur des enfants.
Les adultes savent ce qui est le mieux pour les enfants…
Peut-être pour ce qui est de leur bien-être à long terme mais les enfants ne vivent pas dans le futur, ils vivent ici et maintenant et ils savent, et savent dire, ce qui est bon pour eux, pour leur bien-être ici et maintenant.
La participation n’est souvent qu’un alibi pour faire démocratique mais les décisions importantes sont déjà prises. Il y a effectivement un niveau zéro de la participation quand les enfants sont utilisés pour garnir ou faire semblant: ce que l’anglais désigne comme tokenism. Mais il y a au moins trois autres degrés d’implication effective des enfants dans les décisions: la consultation, la collaboration et la co-décision. Chacune de ces modalités peut être appropriée en fonction des circonstances. L’important est que les adultes soient explicites sur le niveau d’implication qui est sollicité des enfants et sur ses conséquences sur les décisions en jeu. En clair, prendre au sérieux l’avis des enfants, c’est accepter de partager au moins une partie du pouvoir de décision avec eux.
Seuls les enfants de plus de 12 ans sont capables de participer à l’élaboration de décisions publiques, en-dessous de 12 ans, c’est bien trop difficile pour eux.
Plusieurs expériences étrangères (Écosse, Allemagne, Australie…) ont démontré qu’en choisissant une méthodologie adéquate, il est parfaitement possible d’impliquer de très jeunes enfants dans des décisions qui les concernent.
Quand on sollicite la participation des enfants, ce sont toujours les mêmes qui prennent ou monopolisent la parole. Toute démarche de consultation ou de collaboration avec des enfants doit être inclusive et viser tous les enfants sans discrimination. Cela nécessite plusieurs précautions: ne pas se contenter des enfants les plus faciles à contacter, organiser les rencontres sur le lieu de vie des enfants, être flexible dans l’organisation pour rencontrer les différents besoins, être sensible à toute la diversité de style des enfants en termes de communication, de résolution de problème, de sensibilité, etc. (ce que l’on appelle la diversité interne), sans la juger ou la stigmatiser mais en la prenant comme un fait.
Un outil pratique: le vade-mecum de la participation des enfants
Heureusement enfin, certains acteurs, en Belgique et ailleurs, ont réellement pris au sérieux le droit des enfants à participer aux décisions qui les concernent et ont expérimenté des dispositifs adaptés pour impliquer activement des enfants ou des jeunes dans l’élaboration de ces décisions. Leur expérience a été résumée dans un Vade-mecum à destination de tous ceux qui souhaitent emprunter la même voie, que ce soient des autorités communales, des responsables d’aménagement urbain, des directeurs d’école, de crèches, de maisons de jeunes, etc.
Ce Vade-mecum de la participation se veut, comme celui sur l’adaptation ‘childfriendly’ des écrits, un outil essentiellement pratique. On y trouve la définition que donne la CIDE de la participation, des suggestions sur la manière d’impliquer les enfants dans les décisions publiques, sur la manière d’organiser la consultation ou la collaboration avec des enfants, sur les adaptations à prévoir en fonction de l’âge, du temps disponible, de la durée du cycle de décision, sur les règles déontologiques à suivre, sur les consignes de sécurité, sur l’évaluation du processus. Le tout accompagné d’une ‘checklist’ reprenant les différents points d’attention et les critères à prendre en compte pour organiser une participation des enfants effective et significative.
En résumé, si le principe consacré du droit à la participation représente un formidable atout, il bute encore trop souvent sur les limites que nous, adultes, lui imposons en raison de nos craintes ou de notre ignorance. Et il nous appartient de dépasser nos peurs et de créer les conditions pour que ce droit tienne toutes ses promesses d’émancipation des adultes comme des enfants et des jeunes.
Pour en savoir plus…
Voir l’article: ‘Pour une information adaptée aux enfants’ de Dominique Rossion dans ce numéro.