La résorption des inégalités en matière de santé de manière générale et d’alimentation saine en particulier est une responsabilité collective. C’est pourquoi il faut encourager ou améliorer les pratiques et optimiser les processus existants en matière de promotion de la santé et d’action sociale en Communauté française et en région wallonne.
Suite à la journée d’échange entre les porteurs des projets sélectionnés par la Fondation Roi Baudouin dans le cadre de son appel lié à l’alimentation saine des publics précarisés, ceux-ci ont émis une série d’idées intéressantes. Éducation Santé en a fait une synthèse pour vous…
La réduction des inégalités en matière de santé, un objectif prioritaire
L’inégalité socio-économique reste la principale source d’inégalités face à la santé. En effet, les populations appauvries, marginalisées ou exclues développent une culture propre, au sens sociologique du terme. L’alimentation saine ne représente pas pour elles une priorité dans l’ensemble des problèmes auxquels elles sont confrontées au quotidien. Se loger, assurer sa sécurité, boire et manger passent avant la préoccupation de consommer une alimentation de qualité. Elles ne parviennent pas à se projeter positivement dans l’avenir, à penser à préserver leur capital santé et sont peu ou pas réceptives aux messages de promotion de la santé.
Pour ces raisons, l’amélioration du niveau de vie et du niveau socio-économique des personnes défavorisées devrait constituer un axe prioritaire pour la Communauté française, même si cette dernière ne dispose pas des principaux leviers politiques en la matière.
Collecter des données
Pour pouvoir réduire ces inégalités, il est nécessaire de se pencher sur la collecte de données concernant ce public particulier, et surtout de pouvoir les exploiter. Une personne ressource pourrait être chargée de mesurer l’impact des politiques menées sur les publics précarisés, avec l’aide des organismes de collecte des données, et de faire des propositions pour ajuster ces politiques.
Messages adéquats
Il s’agit de s’assurer de l’adéquation des messages de promotion de la santé avec les représentations des populations défavorisées. Les nombreuses campagnes autour de l’alimentation saine devraient être pré-testées spécifiquement auprès de ces publics pour s’assurer de la bonne compréhension des messages.
Le ‘nerf de la guerre’
Davantage de moyens devraient être accordés aux programmes de promotion de la santé visant spécifiquement à réduire les inégalités en matière de santé par des stratégies locales ou communautaires qui ont fait leurs preuves. Les conclusions tirées de ces expériences devraient aider les pouvoirs publics à prendre les décisions adéquates.
Augmenter l’offre de produits sains et abordables financièrement
Un grand nombre d’organisations telles que les banques alimentaires ainsi que les épiceries et les restaurants sociaux assurent une offre de produits alimentaires financièrement abordables. En outre, elles apportent une plus-value puisqu’elles donnent l’occasion d’entretenir une vie sociale pour les publics précarisés. On a aussi déjà pu constater l’impact direct et considérable de ces organismes sur la santé.
La plupart de ces initiatives sont pourtant axées sur la «survie». Ici, c’est de tout autre chose que nous parlons, de «vivre sainement».
Les structures d’aide alimentaire ont le souci de distribuer des aliments en adéquation avec les recommandations, en proposant notamment à leur personnel bénévole et salarié, des formations pour la constitution de colis ou repas équilibrés. Mais elles se heurtent souvent à de fortes contraintes d’approvisionnement. Elles sont en effet dépendantes des aides de l’État, des dons des acteurs privés ou de la population. En soutenant ces organisations, le pas de la «survie» au «vivre sainement» pourrait être franchi. Un mode de vie sain pourrait ensuite être plus facilement soutenu par ces organisations auprès des populations.
Recensement
Actuellement, il est difficile de quantifier ces initiatives de proximité en Wallonie et de connaître l’étendue de leur travail. Par conséquent, en faire un inventaire constitue un préalable nécessaire. Les CLPS pourraient prendre ce recensement en charge, chacun pour leur région. Cet état des lieux permettrait une meilleure distribution de ces organisations dans le paysage régional et favoriserait l’émergence de nouvelles initiatives, avec les partenaires locaux.
‘Bonnes pratiques’
Un guide à destination des professionnels sur la qualité et l’accessibilité financière de l’offre alimentaire visant les publics précarisés pourrait valoriser les expériences et démarches les plus intéressantes, comme la Fondation Roi Baudouin l’a fait pour l’alimentation à l’école.
Favoriser la participation citoyenne
Chaque groupe social possède un certain nombre de croyances par rapport à l’alimentation. Ces éléments constituent des déterminants importants en matière de nutrition. Les négliger peut hypothéquer les actions mises en place en faveur de la santé.
Pour chacune des actions visant à favoriser l’alimentation saine des publics précarisés, il conviendrait de prendre en compte les attentes et les résistances éventuelles de ceux-ci. De la définition des besoins et des actions jusqu’à la réalisation et l’évaluation de celles-ci, les populations précarisées devraient être impliquées pour pouvoir atteindre l’objectif ambitieux de faire changer les comportements de santé.
Dans ce sens, la participation des populations précarisées aux programmes / actions en lien avec l’alimentation devrait constituer une priorité stratégique pour les décideurs politiques et les responsables d’associations / d’institutions agissant en leur faveur. Ainsi, comme prévu précédemment par le Programme quinquennal 2004-2008 de promotion de la santé, cette volonté d’impliquer activement les populations devrait très certainement être réaffirmée.
Conclure des partenariats stratégiques…
Sans négliger de mettre en place des politiques / dynamiques interministérielles et intersectorielles.
La promotion de la santé est un jeune secteur en plein développement, confronté à de grandes attentes et auquel beaucoup de problématiques sont soumises.
L’envie ne manque pas de répondre à toutes ces attentes mais les moyens sont limités et des choix parfois difficiles doivent être opérés. Pour cette raison, les acteurs en promotion de la santé devraient privilégier un travail concerté, basé sur une approche stratégique et systématique.
Privilégier une démarche intersectorielle
Un certain nombre de projets ont vu le jour dans des structures telles que les épiceries et les restaurants sociaux, les CPAS… mais il s’agit trop souvent de projets isolés. On sait que la «bonne santé» est multifactorielle. C’est pourquoi il faudrait créer les conditions d’une action plus globale et plus adaptée aux réalités. Pour ce faire, il serait nécessaire de privilégier une démarche intersectorielle et d’opérer un travail de réseau.
Des partenariats devraient être conclus avec des secteurs qui ont une fonction de levier suffisamment importante auprès des publics défavorisés, qui les rencontrent dans leur cadre de vie, afin de déployer des pratiques de prévention proches de la population. Ce partenariat et ce travail de réseau devraient favoriser la responsabilité de chaque secteur d’une part (santé, éducation, politique…) mais également la mise en avant des actions menées par chaque partenaire d’autre part.
Des programmes stratégiques de collaboration au niveau local devraient également être mis en place, afin de viser des objectifs à plus long terme. Ces collaborations viseraient une intégration de la promotion de l’alimentation saine dans tous les secteurs et la création de plaques tournantes locales en promotion de la santé. Il s’agirait également de favoriser la concertation et les partenariats entre les différents pouvoirs publics et privés (fédéral, régional, communautaire, entrepreneurial, communal…).
Ce travail intersectoriel favoriserait le décloisonnement et la mise en commun de ressources.
Les politiques devraient susciter et soutenir la mise en réseau des associations en créant des passerelles entre les secteurs, en créant des points de rencontre entre ces réseaux et en accordant aux projets les moyens humains et financiers nécessaires pour y parvenir.
Mettre en place une dynamique interministérielle
Une approche interministérielle devrait également être privilégiée et l’interaction entre le champ de la santé et les autres champs devrait pouvoir être évaluée. Cette articulation aurait pour but de dépasser les limites des compétences des différents pouvoirs publics. Seule, une politique interministérielle peut tout au moins favoriser les décisions qui ont pour effet de produire de la santé. Mais il est nécessaire d’aller plus loin.
On sait qu’il existe une réelle difficulté de favoriser les approches intersectorielles, faute, notamment, d’accords interministériels. L’implication des acteurs de tous secteurs serait nécessaire, afin de veiller progressivement à ce que chaque législation ou initiative mise en place soit «porteuse» de santé, dans une logique de développement durable. L’enjeu des prochaines années sera d’articuler les différents programmes qui doivent intervenir, le plus possible, en amont des problèmes de santé et de façon globale.
Fixer des objectifs, mesurer l’impact et évaluer
Fixer des objectifs clairs
De bons objectifs devraient être:
– pertinents: cohérents avec l’analyse des besoins (réalisée en association avec la population concernée);
– réalistes: ils devraient, raisonnablement, pouvoir être atteints à l’issue de l’action ou de la recherche;
– acceptables: ils devraient l’être pour les acteurs impliqués et pour la population concernée;
– opérationnalisables: ils devraient être exprimés en termes évaluables.
Permettre l’évaluation des actions
Définir clairement ses objectifs ne constitue pas une garantie de les atteindre. C’est pourquoi la mise en place d’évaluations régulières des politiques serait nécessaire. Cela permettrait de déterminer quels objectifs ont été réalisés, d’identifier la manière dont ils l’ont été, de repérer les difficultés rencontrées et de tendre vers une amélioration constante des processus à mettre en œuvre.
Les stratégies et interventions qui promeuvent un mode de vie sain, visant ainsi la réduction des inégalités, ne sont pas simples à évaluer. L’impact sur la santé ne peut en effet se vérifier que sur du long terme. Cette évaluation de la réduction des inégalités implique donc des techniques spécifiques d’évaluation supplémentaires. Pour pouvoir évaluer l’impact d’une action déterminée, il faut prévoir des évaluations intermédiaires. Il serait donc important d’une part de laisser le temps nécessaire aux porteurs de projets pour mener à bien ces évaluations et, d’autre part, de mettre à leur disposition des outils co-construits avec eux.
Multiplier et ancrer les bonnes pratiques
Beaucoup de projets locaux promouvant l’alimentation saine des groupes défavorisés ont prouvé leur efficacité. Ils devraient être démultipliés à grande échelle et être ancrés structurellement dans le travail quotidien. Les acteurs doivent apprendre de leur expérience et les intégrer dans leur travail.
Plus que de nouveaux projets à soutenir, la valorisation des expériences probantes et de l’expertise devrait être soutenue. Il est plus aisé de travailler à partir de projets existants: ceux-ci peuvent servir de base, de point de départ.
Par exemple, certains secteurs comme les restaurants sociaux sont à peine organisés. Ils devraient, tant au niveau central que local, recevoir plus de soutien pour servir d’exemples.
Il est essentiel que les décisions politiques s’appuient sur les expériences croisées et les bonnes pratiques des professionnels de terrain et mettent en place des mécanismes financiers à cette fin.
Augmenter les compétences par la formation
Une offre de formation continuée pour les relais
Promouvoir l’alimentation demande un travail participatif avec les groupes défavorisés. Les acteurs de terrain doivent donc disposer de compétences leur permettant d’effectuer ce travail. Il est important pour eux de pouvoir partager leurs expériences grâce à une offre de formation, afin d’augmenter leurs compétences et leur capacité d’action en promotion de la santé.
Les politiques devraient s’assurer qu’une offre de formation continuée des acteurs de première ligne soit mise en place.
Former les prestataires de soins
En termes de formation, il apparaît également trop souvent que les médecins, les diététiciens et le personnel infirmier disposent d’une connaissance insuffisante des publics défavorisés. Un effort serait donc à faire pour compléter la formation des prestataires de soins.
Les enfants et les personnes qui les élèvent, un groupe cible prioritaire
Le travail préventif sur l’alimentation saine est plus efficace auprès des jeunes enfants. L’accompagnement des responsables de leur alimentation devrait clairement constituer un axe prioritaire. Celle-ci doit être mise clairement en lien avec l’éducation.
Il s’agit de mener des actions de sensibilisation, d’information et d’éducation à propos des comportements permettant une meilleure santé (alimentation, pas de tabac, activité physique): actions médiatiques, relation interpersonnelle (agir auprès des enfants et de leur famille, via l’école et autres lieux de socialisation), actions de proximité, événements communautaires…
Les acteurs prioritaires identifiés sont:
– les acteurs des milieux de vie (familles, écoles, milieux d’accueil…);
– les membres des collectivités locales (communes et associations locales, notamment sportives);
– les relais auprès des populations les plus vulnérables.
Les lieux de vie tels que les milieux d’accueil des jeunes enfants (accueil de 0 à 3 ans, accueil extrascolaire) mais aussi les lieux de soins et d’hébergement des différentes catégories d’âges se prêtent particulièrement bien à une stratégie de promotion de la santé. Certains milieux d’accueil touchent une population en situation de vulnérabilité et mériteraient, de ce fait, une attention particulière. Cette approche, visant les milieux de vie professionnalisés, ne doit pas faire négliger le milieu familial, source de toute éducation, y compris dans le domaine de la santé.
Le milieu scolaire ferait l’objet d’une attention toute particulière. En effet, la population des jeunes de 6 à 18 ans est soumise à l’obligation scolaire, et la Communauté française rassemble des compétences particulièrement orientées vers ce public. C’est évidemment une opportunité exceptionnelle pour développer des programmes cohérents de promotion de la santé à l’école.
Cette dernière devrait démarrer dès la maternelle dans le cursus scolaire et représenter un des axes de la lutte contre l’inégalité en matière de santé. Il est essentiel de veiller à toucher les parents par ce biais et de les impliquer dans les actions de santé organisées au sein de l’école. Les services PSE pourraient prendre en charge ce type d’initiatives mais cela nécessiterait aussi l’adhésion et des prises de position cohérentes de la part des autorités de tutelle et des pouvoirs organisateurs.
Inclure les personnes âgées dans les actions visant les publics précarisés
Dans les maisons de repos ou autres établissements d’hébergement pour personnes âgées, même si on peut considérer que, dans la plupart des cas, la nourriture est présente en quantité et en qualité satisfaisante, on constate qu’un haut pourcentage de résidents est en état de dénutrition. La dénutrition est une problématique fréquente avec des conséquences considérables sur la santé. Elle est un facteur de risque considérable d’augmentation de la morbidité.
Pour y remédier, conformément aux recommandations du Plan national nutrition santé, il faudrait prévoir des procédures de dépistage et de suivi de l’état nutritionnel des personnes âgées, sensibiliser et former le personnel des MRS/ MRPS à cette problématique et garantir l’accès à une alimentation saine et équilibrée.
La Région wallonne devrait donc poursuivre et renforcer son action en ce sens.En somme, il y a là un magnifique chantier pour les nouveaux responsables politiques à la Communauté française et à la Région wallonne. Gageons qu’ils ne manqueront pas d’entendre les acteurs de terrain.