Première publication dans La Santé en action n°444 – juin 2018Pour les organismes publics, les réseaux sociaux sont un outil de promotion de la santé publique dans tous les domaines, nutrition incluse. La littérature scientifique montre que, pour être efficaces, les interventions doivent se fonder sur les théories psychosociales afin d’influer sur les comportements. Les réseaux sociaux (par exemple, Facebook, Youtube, Google+, Twitter, Snapchat ou Instagram) font partie des médias sociaux au même titre que les applications mobiles, blogs, forums santé, jeux en ligne, etc. Cependant, ils s’en différencient grâce à leurs fonctionnalités permettant aux internautes de créer un véritable réseau d’individus (création de profils d’utilisateurs et communication avec d’autres personnes connectées). Les médias sociaux peuvent être des vecteurs d’information intéressants pour promouvoir des comportements favorables à la santé. En France, selon le CREDOC (baromètres du numérique 2017 et 2018), les réseaux sociaux sont de plus en plus utilisés (59 % de la population en 2017 contre 48 % en 2014). Cette progression est plus élevée parmi les personnes les moins connectées : peu diplômées et/ou disposant de faibles revenus et habitant en zones rurales. Cependant, des inégalités sociales subsistent : en 2017, les 18-24 ans et les plus diplômés étaient les internautes les plus connectés.Face à cet engouement, de plus en plus d’organismes de santé publique utilisent les réseaux sociaux pour atteindre leurs publics lors d’interventions en santé telles que des campagnes de prévention et de promotion de la santé.En ce qui concerne le sujet de la nutrition plus spécifiquement, l’alimentation et les boissons représentaient, en 2017, le troisième thème de recherche des internautes le plus fréquent sur le moteur de recherche Google, après le sport et les voyages. Sur les réseaux sociaux, 208 millions de posts (messages) sont estampillés #food (hashtag « alimentation »), faisant de ce hashtag – outil qui permet de marquer un contenu avec un motclé plus ou moins partagé – l’un des plus populaires. En effet, 29 % des internautes partagent des photos de plats (50 % pour les 18-24 ans) et 39 % donnent leur avis sur les marques et produits alimentaires.
Intérêts des réseaux sociaux lors d’interventions en santé
Comprendre les comportements et attentes des internautes
Les réseaux sociaux permettent d’analyser en temps réel les pensées des individus. Les organismes publics peuvent donc s’appuyer sur l’analyse des conversations et des commentaires des internautes pour élaborer des messages répondant aux besoins et attentes de leur(s) cibles(s).
Diffuser et partager de l’information
Les réseaux sociaux permettent de diffuser des messages à un nombre élevé de personnes, « là où les gens sont », c’est-à-dire dans un espace déjà occupé par les internautes. Ces messages pourront alors être partagés entre les individus. Le partage d’information sur ce support étant gratuit, les campagnes de santé publique peuvent alors facilement se propager d’un « ami » à l’autre, et permettre, a priori, un plus grand impact des messages de santé publique. Au-delà de l’intérêt du partage massif, cette action est particulièrement importante car le bouche-à-oreille est un moyen puissant d’accroître la confiance des internautes. Il a d’ailleurs été montré que les personnes partagent de l’information sur Facebook quand elles pensent que celle-ci est bénéfique pour les autres.
Créer de l’engagement
Les fonctions like (aimer), share (partager) et post (poster) des réseaux sociaux permettent des interactions et conversations entre internautes, mais également entre ces réseaux et les structures de santé publique. Le fait de recourir plus ou moins aux diverses fonctionnalités des réseaux sociaux constitue un engagement plus ou moins fort des utilisateurs pour le réseau social en question. Par exemple, une personne qui n’utilise que la fonction like est considérée comme moins engagée qu’une personne qui partage des publications. Tout l’enjeu des organismes de santé publique est donc de créer un haut degré d’engagement chez ses internautes ; cet engagement influe positivement sur la motivation des individus, sur leur volonté à suivre l’intervention en santé jusqu’à sa fin et leur capacité à se sentir aptes à adopter des comportements sains.
Points de vigilance lors d’interventions en santé sur les réseaux sociaux
La surcharge d’information
La grande disponibilité des réseaux sociaux induit un accroissement de l’exposition à une diversité de messages qui peut impliquer une surcharge d’informations et conduire à une exposition aux messages de santé publique plus difficile. Cette abondance d’informations peut également être délétère pour l’utilisateur qui se trouve face à des discours parfois discordants et des informations erronées, mais également pour les organismes de santé publique qui doivent s’assurer que l’information délivrée est correctement comprise par les internautes et correctement reprise, c’est-à-dire que les messages diffusés ne sont pas déformés.
Le manque d’engagement et l’attrition
La plupart des études qui évaluent les interventions en santé menées via les réseaux sociaux n’attestent d’un bon niveau d’engagement que sur une courte durée (moins de 4 semaines) avec une diminution progressive de la participation sur cette période. Ce déclin rapide de l’engagement est probablement dû à la difficulté de motiver les internautes dans un environnement évoluant sans cesse et dans lequel les organismes doivent toujours être en interaction avec les utilisateurs. Du fait des conséquences négatives d’un manque d’engagement sur l’efficacité des interventions, les organismes de santé doivent donc rester vigilants face à cette problématique et à l’attrition élevée qui peut en découler (fait de perdre des internautes durant la durée de l’intervention).
Agir sur les comportements alimentaires via les réseaux sociaux
Ce que dit la recherche
Des recherches bibliographiques non exhaustives réalisées début 2017 n’ont pas permis d’identifier d’étude traitant uniquement de l’efficacité des réseaux sociaux sur les changements de comportements alimentaires. Ceci peut-être dû à la complexité du recueil de données sur l’alimentation des individus. Cependant, des résultats sur d’autres thématiques, telle l’activité physique, semblent encourageants pour accroître le niveau des connaissances, créer de l’engagement, favoriser le soutien social et induire des changements de comportement.Afin de développer des interventions efficaces reposant sur les réseaux sociaux, la littérature suggère que celles-ci se fondent sur au moins une théorie psychosociale de la santé et s’appuient sur des techniques de changement de comportement. Les théories psychosociales permettent d’identifier les facteurs psychosociaux susceptibles d’influencer le comportement et d’adapter ainsi les interventions. La théorie de l’action planifiée d’Ajzen (TAP) et la théorie sociale cognitive de Bandura (TSC) semblent être les théories les plus efficaces dans le changement de comportement alimentaire. La TAP stipule que l’intention d’une personne d’adopter ou non un comportement est déterminée par son attitude à l’égard du comportement, par l’importance accordée à l’opinion des personnes qui l’entourent (normes subjectives) et par la perception de son contrôle sur un comportement donné. La TSC reprend aussi l’importance de l’environnement social mais aborde deux notions supplémentaires : l’apprentissage social (expériences antérieures et observation de son entourage) et l’efficacité personnelle (efficacité du comportement pour obtenir le résultat désiré et sa propre efficacité à adopter ce comportement).En parallèle, des techniques de changement de comportement ont été identifiées comme particulièrement efficaces en nutrition ; il s’agit du soutien social (apporté par ses proches ou ses pairs), de la comparaison sociale (évaluation de son comportement en fonction de celui des autres), des retours d’expérience et de l’auto-surveillance.En conclusion, les réseaux sociaux se caractérisent par l’interaction sociale et le partage d’informations. Ce sont deux leviers majeurs pour agir. Ainsi, lors d’interventions via ce média, la sensibilité d’un individu aux opinions des personnes qui l’entourent (normes subjectives) est la variable psychosociale la plus susceptible d’influencer son comportement. Enfin, le soutien social est la technique de changement de comportement la plus efficace.
Perspectives
Que cela soit dans le domaine de l’alimentation ou de la santé en général, des études robustes, telles que des essais contrôlés randomisés, menées sur une longue période et tenant compte des caractéristiques des publics et des différents types de réseaux sociaux, semblent intéressantes à conduire pour mieux comprendre le potentiel des réseaux sociaux, les clés de l’efficacité et remédier aux problématiques du manque d’engagement. Cependant, étant donné le nombre croissant d’informations diffusées sur les réseaux sociaux, notamment dans le domaine de l’alimentation, et l’augmentation du temps passé par les Français sur ces média, il semble judicieux que les organismes de santé publique les incluent rapidement dans leurs programmes de santé pour éviter à d’autres structures de combler le manque d’informations par des données non fiables.
Disponible sur : http://inpes.santepubliquefrance.fr/SLH/sommaires/444.asp
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Idem note 3
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Idem note 9
Idem note 10
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