A chaque enquête menée sur l’alimentation, et en particulier celle des jeunes, le constat est toujours plus désolant: comme nous, une majorité d’entre eux mange mal! L’Enquête sur la santé des jeunes, qui a l’avantage de montrer les évolutions dans le temps, prouve que rien ne s’améliore globalement, bien au contraire. Pour analyser ces données, nous avons fait appel à Jacqueline Absolonne , diététicienne-nutritionniste de renom.
L’enquête démontre, pour résumer, que la consommation de fruits surtout et de légumes dans une moindre mesure, est insuffisante. Plus d’un jeune sur deux mange moins d’un fruit tous les deux jours… On constate aussi que pour environ 60% des jeunes, la consommation de sodas et de sucreries est quotidienne, et pour 1 jeune sur 10, frites et hamburgers sont au menu chaque jour!
Et 1 fille sur 4 et 1 garçon sur 5 ne prennent pas de petit déjeuner. Au vu de ces derniers chiffres, Jacqueline Absolonne fulmine: « Encore faut – il savoir ce qu’ils entendent par petit – déjeuner , car beaucoup de jeunes reçoivent un croissant ou un pain au chocolat , voire des céréales enrichies au sucre et au miel . Trop de parents considèrent que préparer une tartine prend trop de temps . Du coup , comme les enfants ont reçu des aliments vite digérés – quand ils ont reçu quelque chose – ils ont faim à 10h et se ruent sur les distributeurs de biscuits et gaufres à l’école . Les parents doivent insister pour leur faire manger un petit déjeuner équilibré et en quantité suffisante , avec du pain et un jus de fruit , et ne pas céder ni à la volonté de l’enfant , ni à la facilité .»
A midi, frites pour tout le monde!
Puis vient le déjeuner. Elle est quelque peu rassurée en voyant les chiffres de la consommation des frites qui tend légèrement à baisser, même si ce n’est pas suffisant encore, Apparemment, certains messages passent tout de même…
Si elle insiste sur le fait qu’aucun aliment n’est tabou, mais qu’il faut être capable de le consommer en respectant la pyramide alimentaire, elle s’inquiète des repas proposés dans les cantines scolaires. « Bien manger demande une certaine auto – discipline . Les jeunes vont le plus souvent vers les aliments qui leur procurent du plaisir , c’est – à – dire les plus sucrés et les plus gras . A l’école , ils sont laissés à eux – mêmes et peuvent souvent choisir leur repas chaud , entre un repas complet plus ou moins équilibré ou des frites et boulettes sauce tomate , pour schématiser . On devine ce qu’ils préfèrent . Parfois les repas complets sont bons , mais souvent , ils sont composés pour coûter le moins cher possible . Quant aux frites , elles sont omniprésentes ‘ parce que les enfants aiment’ . Et quand j’entends que certaines écoles vont jusqu’à abriter un fast – food ‘ parce que les jeunes sont capables de discernement’ , je me dis que je rêve !»
De retour à la maison, les goûters ne sont plus suffisamment copieux: « Les jeunes se ruent sur un paquet de chips ou des bonbons , mais plus sur une tartine , même avec du chocolat à tartiner . A cet âge , ils ont besoin d’énergie mais pas n’importe laquelle . Sans compter les jeunes qui mangent des frites et hamburgers en sortant de l’école …» Résultat, comme le montre l’enquête, 15% des jeunes présentent un surpoids, voire une obésité. Heureusement, ce chiffre reste stable chez les filles et diminue chez les garçons. Et 17% suivent un régime, mais sans nécessairement repenser leurs habitudes alimentaires, ce qui équivaut souvent à un échec à moyen ou long terme…
Jacqueline Absolonne ne peut s’empêcher de pointer du doigt notre société et son évolution: « Généralement , les deux parents travaillent , parfois loin de chez eux , avec des horaires contraignants . Certains parents déjeunent au restaurant de l’entreprise et rentrent tard . Alors le soir , le repas est souvent anarchique , et pris à des heures différentes . Le sachant , les jeunes vont grignoter en rentrant de l’école et gâcher ce repas qui peut perdre la place qu’il mérite .»
Repas sans structure
Le leitmotiv de Jacqueline Absolonne est le regret de voir les quatre repas quotidiens complètement déstructurés: « Nous avons assisté à la rage du ‘ brunch’ . C’est une mode absurde qui fait que des enfants doivent attendre pour manger à une heure qui ne correspond à rien . Cela va décaler les autres repas , avec le grignotage qui peut en résulter entre les repas trop longtemps attendus .»
Elle insiste également sur le rôle des parents, en tant que modèles quant aux types d’aliments consommés: « Si les enfants ne voient pas , dès leur plus jeune âge , leurs parents acheter et manger des fruits , les enfants n’en mangeront pas . Si les parents ne préparent pas des légumes et ne cherchent pas à les varier dans les assiettes , les enfants ne seront pas attirés par les légumes . C’est vrai , les fruits par exemple , coûtent très cher et lorsqu’ils sont éliminés parce que personne ne les mange , on n’est plus tenté d’en racheter . Je ne jette pas la pierre aux parents , mais nous sommes tous embrigadés dans une situation qui ne facilite ni la consommation de fruits et légumes , ni la structure des repas .»
Aussi vient-il un moment où cette vie doit être repensée, avec des achats de produits frais en semaine, par exemple, ou la préparation de plats ou de soupe le week-end pour en profiter la semaine…
Elle pointe aussi du doigt la méconnaissance des aliments de nos jours: « On ne parle plus en termes de vitamines , d’apports en nutriments . Et les gens connaissent de moins en moins les fruits et légumes de saison ».
Recettes de grand-mère?
L’avenir appartient aux jeunes d’aujourd’hui, et il est essentiel de les maintenir en bonne santé. Cette santé passe par une alimentation équilibrée, riche en nutriments et anti-oxydants par exemple, mais aussi qui ne favorise pas l’obésité dont les conséquences sur la santé sont loin d’être négligeables. « Une minorité d’obèses le sont parce qu’ils mangent trop ; la plupart le sont parce qu’ils mangent mal , trop gras , trop sucré , avec des aliments peu riches en eau qui retardent le sentiment de satiété . Ils demandent une consommation de plus grandes quantités .»
En tant que spécialiste de la nutrition, et grand-mère qui garde ses petits-enfants et voit la vie trépidante de ses propres enfants, elle conseille de revenir à des valeurs plus anciennes: apprendre à cuisiner et prendre le temps pour le faire, s’intéresser aux produits, à leurs apports, à leurs saisons, si on le peut cultiver son potager, cuisiner avec les enfants pour leur apprendre à apprécier ce moment, manger ce que l’on a préparé en famille à table, et à des heures fixes…
Par ailleurs, elle préconise une éducation vers les parents, et vers les enfants à l’école par des diététiciens. Elle plaide aussi pour l’interdiction d’introduire des jouets dans certaines boîtes d’aliments (céréales sucrées, chips, biscuits gras et autres) ou les fast foods, puisqu’ils n’ont pour but que d’attirer des consommateurs vers des produits qui ne leur sont pas bénéfiques.
Et elle conclut: « Réaliser de telles enquêtes est une bonne démarche , mais elles n’ont de sens que si elles sont suivies de résultats concrets en termes de décisions politiques .»
Carine Maillard
Référence: D. Piette, F. Parent, Y. Coppieters, D. Favresse, C. Bazelmans, L. Kohn, P. de Smet, La santé et le bien-être des jeunes d’âge scolaire. Quoi de neuf depuis 1994?, ULB PROMES, décembre 2003. Le document est accessible sur le site http://www.ulb.ac.be/esp/promes .