Comme l’a démontré l’Enquête de l’Unité PROMES sur la santé des jeunes, les actes de violence à l’école ne connaissent pas une explosion. Cependant, même s’ils restent stables et ne sont pas généralisés, comme la presse en quête de sensationnel semble vouloir le prétendre, ces actes ont des conséquences sur la motivation des élèves et aussi des professeurs. Le Pr Michel Born, du Service de psychologie de la délinquance et du développement psychosocial de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Liège, insiste sur la nécessité de cohésion à l’intérieur de l’école pour lutter contre cette violence insidieuse.
Les chiffres de l’enquête PROMES sont évocateurs: les actes de provocation diminuent progressivement, tout en restant le fait essentiellement des garçons entre eux. Une diminution relativisée par Michel Born, qui a collaboré à une enquête inter-universitaire sur la violence à l’école demandée par le Ministre de l’Enseignement secondaire, alors Pierre Hazette , en octobre 2003 (1): « Notre enquête porte sur près de 3000 élèves de 12 à 18 ans et plus , et 655 éducateurs , dans le général , le technique de transition , le technique de qualification , le professionnel et le CEFA . Les violences verbales sont les plus subies : deux tiers des élèves ont été victimes de moqueries , un tiers de rumeurs . Les violences les plus graves sont moins fréquentes , comme les menaces avec un objet ou une arme ( 3 , 5 %) ou le racket ( 2 , 9 %). Dans la grande majorité des cas , les auteurs sont des élèves de l’école même .» On en retient donc la place particulière des violences verbales qui tiennent le haut du pavé dans le hit-parade des atteintes à l’égard des condisciples.
Violences envers les «profs»
Et pas uniquement envers les autres élèves: les enseignants et éducateurs sont aussi des victimes mais dans des proportions nettement moindres. L’étude inter-universitaire montre que la quasi totalité des violences subies par les enseignants sont le fait d’élèves, excepté les rumeurs qui sont surtout le fait de collègues: « Les atteintes contre les biens sont liées à la manière dont le leadership est assuré dans l’école : s’il n’est pas adéquat , le risque d’être victime d’atteintes contre les biens est légèrement augmenté . Pour ce qui concerne les violences verbales , ce sont les hommes et les enseignants plus jeunes qui les subissent le plus . L’inadéquation du leadership ainsi que la mauvaise relation avec les collègues augmentent également un peu le risque d’atteintes verbales envers les enseignants .»
Comme on peut s’y attendre, la violence est plus perçue lorsque les enseignants sont confrontés à de l’indiscipline durant les heures de cours: « Les enseignants vivent ces indisciplines comme une certaine forme de violence à leur encontre . Autre facteur qui fait que les enseignants se sentent évoluer dans la violence , c’est l’absentéisme des élèves et des membres de l’équipe éducative , le manque de leadership adéquat et bien sûr les atteintes verbales », explique Michel Born.
Ce sentiment d’insécurité et de violence pousse trop souvent les enseignants à bout: dépression, anxiété, somatisation peuvent découler des indisciplines vécues durant les heures de cours, de la mauvaise qualité des liens avec les autres enseignants et du sentiment d’insécurité. Et le cercle vicieux se referme: « Les enseignants les plus déprimés , manifestant davantage d’anxiété et de somatisations , sont ceux qui ont de moins bonnes relations avec leurs collègues , qui sont confrontés à plus d’indiscipline dans leur classe , mais aussi qui se sentent moins en sécurité dans l’établissement . Enfin , l’absentéisme des élèves et la violence perçue dans l’école sont également associés à la somatisation ».
Et le risque de désengagement guette.
Faire participer les jeunes
«Les différences qui ont été constatées entre les écoles les plus touchées par la violence et les autres, c’est la proportion filles/garçons: plus il y a de filles, moins ces atteintes sont fréquentes. Nous avons également constaté que les pratiques d’enseignement de type inégalitaire favorisent les atteintes physiques; par contre, si ces pratiques sont basées sur l’autonomie et le développement des élèves, la fréquence de ces atteintes diminue. Ce type de conclusions doit concourir à la réflexion sur la lutte contre les violences à l’école.»
Une évolution de notre société que salue d’ailleurs Michel Born: « La violence a toujours existé dans les lieux où les jeunes apprenaient . Jusqu’au début du XXe siècle , l’autorité n’était pas discutable et la répression était musclée . Aujourd’hui , il y a une contre – puissance des élèves . Les valeurs de la société ont changé , les rapports à l’autorité ayant subi de profondes modifications : les jeunes ont vu leurs droits reconnus et le rapport est plus basé sur des contrats . Mais les modes de communication ont de ce fait changé , contrepartie de la démocratie . Il n’en reste pas moins que les actes de violence physique sont rares et atypiques parce qu’ils sont le plus souvent liés à d’autres facteurs comme le manque de soutien des enseignants par le système , le manque de gestion de l’ensemble des problèmes de l’école , le manque de discussion et un leadership qui n’est pas adapté à la réalité de l’école . Par exemple , dans une école difficile , avec des jeunes exclus , la méthode autoritaire a peu de chances de fonctionner . Il faut plus de discussion , une équipe de direction où il y a de la communication , et où les règles sont constituées dans la négociation , le dialogue avec les enseignants , les élèves , les parents , etc .»
Cette analyse tient Michel Born à cœur, lui qui prône la participation active des jeunes dans l’école: « Il ne faut pas nécessairement interdire les gros mots , mais restaurer des comités d’élèves , la participation des jeunes de l’école au règlement , aux réunions , instaurer des élections . Je crois en un système préventif de réelle co – gestion et de participation des élèves , laissant la place au droit de réponse et d’argumentation entre eux , surtout .»
Suite à ce rapport, des initiatives ont été prises, comme les équipes mobiles d’intervention scolaire, comprenant des éducateurs de l’Aide à la jeunesse et des enseignants et qui «remplacent» les fameuses écoles des caïds qui ont tant fait parler d’elles. Ces équipes se mettent en place depuis un an.
Note d’espoir
Pour terminer sur une note positive qui mérite d’être soulignée, l’étude à laquelle Michel Born a collaboré mesurait également les comportements «prosociaux», c’est-à-dire ceux qui vont dans le sens de l’entraide et de la bonne cohabitation (expliquer le cours à ceux qui ne l’ont pas compris, aider les autres dans leur travail, essayer que personne ne soit exclu, prêter ses affaires aux autres, parler à ceux qui sont seuls, essayer de ne pas blesser quelqu’un par ce que l’on dit ou fait, essayer que chacun ait sa place en classe…).
Ces comportements positifs sont pratiqués par plus de 80% des élèves, ce qui mérite aussi d’être souligné, histoire de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide!
Carine Maillard
Référence: D. Piette, F. Parent, Y. Coppieters, D. Favresse, C. Bazelmans, L. Kohn, P. de Smet, La santé et le bien-être des jeunes d’âge scolaire. Quoi de neuf depuis 1994?, ULB PROMES, décembre 2003. Le document est accessible sur le site http://www.ulb.ac.be/esp/promes .
(1) Lecocq C. et al. Violence à l’école: enquête de victimisation dans l’enseignement secondaire de la Communauté française de Belgique, UCL-ULg, octobre 2003 (à télécharger sur http://www.ulg.ac.be/psydel/texte/rap03.htm ).