La question des grossesses adolescentes est au coeur de nombreuses problématiques de santé publique : contraception, IVG, sexualité, prématurité… À l’occasion de la journée de réflexion autour du programme territorial de prévention et de promotion de la santé en Thiérache 2013-2014, de nouvelles priorités ont été dégagées, notamment la nécessité de travailler sur les stéréotypes persistants et les conduites addictives, tout en tenant compte de l’ambivalence des discours et des comportements au sein de cette population ‘entre deux âges’.
Des connaissances à géométrie variable
Le projet Thiérache Santé Prévention est un dispositif transfrontalier (Picardie, Nord-Pas-de-Calais, Namur, Hainaut) qui réunit les acteurs de la prévention et de la promotion de la santé présents dans cette zone caractérisée par la ruralité et des indices socio-sanitaires plutôt défavorables.
Premier enseignement de cette journée consacrée à la prévention des grossesses adolescentes sur ce territoire : contrairement à une croyance répandue, les jeunes ne sont pas ‘surinformés’ en matière de santé sexuelle. Par exemple, il apparaît que si la gravité d’une maladie comme le sida et ses modes de transmission sont aujourd’hui bien connus des adolescents, cet effet de focale lié aux campagnes massives de prévention a comme revers une minimisation, voire une ignorance des autres maladies sexuellement transmissibles. Enfoncer le clou d’une information depuis longtemps intégrée apparaît donc inutile, voire contre-productif, d’où l’utilité de toujours partir des connaissances et des perceptions des jeunes eux-mêmes. «On constate par exemple que les jeunes filles savent où elles peuvent se faire prescrire la pilule ou qu’il faut la prendre à heure fixe mais beaucoup continuent à croire que la pilule fait grossir ou qu’il faut de temps en temps l’arrêter si l’on ne veut pas devenir stérile !», commente ainsi Annick Vanlierde, chargée de recherche à l’Observatoire de la santé du Hainaut et intervenante de cette journée. Or il est évident que ces peurs qui questionnent frontalement le rapport au corps et les liens entre féminité et maternité peuvent conduire plus sûrement qu’un ‘oubli’ à une grossesse adolescente…
En filigrane de l’enquête sur la sexualité des jeunes en Hainaut présentée par Annick Vanlierde, on observe aussi un enracinement de la désinformation dans certains tabous sociétaux et familiaux : la pseudo-vérité scientifique vient alors consolider certaines valeurs.
«L’une des croyances entretenues par les jeunes est que l’IVG amène la stérilité, sans qu’on sache s’ils associent cette conséquence à l’acte chirurgical lui-même ou à autre chose», explique ainsi Hélène Trouillet de l’IREPS (Instance Régionale d’Éducation et de Promotion de la Santé) Picardie, qui a présenté lors de cette journée les résultats de focus groupes sur le sentiment amoureux et la parentalité à l’adolescence.
Dans cet ordre d’idée, les données d’Annick Vanlierde montrent qu’environ un quart des adolescents hennuyers de 16 ans pensent que l’IVG se pratique à la demande des parents… Là encore, il semble que le défaut d’information et la méconnaissance de la loi convergent avec certains interdits familiaux. Le propos selon lequel «si je tombe enceinte, je vais me faire tuer» est d’ailleurs récurrent et montre à quel point la grossesse et l’IVG sont perçus comme des actes dirigés ‘contre’ l’autorité parentale.
Grossesses adolescentes : entre stigmatisation et solidarité
«Les jeunes sont souvent dans l’optique de dire qu’ils ne sont pas concernés, que ça ne leur arrivera pas parce qu’ils font attention. Néanmoins, l’exception de l’accident – c’est-à-dire essentiellement à leurs yeux du préservatif qui craque – est centrale. Ils évoquent aussi les conduites à risque, les états d’ébriété. S’ils envisagent ces cas de figure, alors ils parviennent à se projeter dans la situation d’une grossesse non désirée», explique Hélène Trouillet. La possibilité de l’IVG est connue mais elle est rejetée par certains jeunes qui mettent en avant leur volonté d’ ‘assumer’, notamment dans les situations où la famille peut apporter un soutien. «L’idée d’assumer leur rôle de père, d’arrêter leurs études et d’aider leur copine est assez prégnante chez les jeunes garçons», explique encore la formatrice-conseil de l’IREPS.
Dans le Hainaut, on constate d’ailleurs que les chiffres des grossesses précoces sont relativement similaires à ceux des IVG. Ainsi, pour l’année 2009-2010, on enregistre environ 190 naissances vivantes chez les adolescentes entre 13 et 17 ans, tout comme en 2002-2003. Le nombre d’IVG s’élève quant à lui à 208 en 2009-2010 chez les moins de 18 ans, contre 190 pour 2002-2003.
Malgré la complexité des motivations et les risques médicaux ou psycho-sociaux associés, la question de grossesses adolescentes ‘désirées’ mérite donc d’être posée. «Il importe bien sûr de distinguer désir de grossesse et désir de maternité», explique Hélène Trouillet. «Mais l’idée d’une grossesse adolescente comme projet de vie existe». Des pistes d’analyse intéressantes se dégagent d’ailleurs aussitôt qu’on considère le fait que le désir de grossesse, même ambivalent, participe parfois du processus d’individuation de la jeune fille ou, comme le montrent certaines données de la littérature, s’inscrit dans un schéma de répétition familiale.
De même, il est utile de poser l’hypothèse de la grossesse adolescente comme manière de s’approprier sa féminité dans un contexte de domination masculine persistant. Car il faut relever que les grossesses ‘désirées’ le sont généralement par la jeune fille et non par les deux partenaires adolescents.
Enfin, il est à noter que si les grossesses précoces restent stigmatisées par certains jeunes qui estiment que la jeune mère n’est pas assez ‘mature’ pour assumer l’arrivée d’un enfant, l’existence d’une ‘solidarité féminine’ apparaît très nettement dans les focus groupes. «La perception des jeunes face à ces grossesses semble moins stigmatisante que celle véhiculée dans la société ou par les médias. Cela vient aussi du fait que dans la population étudiée, beaucoup connaissent des jeunes filles qui sont mères. Chez les adolescentes, il existe en tout cas un discours très fort pour dire que, si elle est tombée enceinte par accident, par exemple dans le contexte particulier des soirées, la jeune fille n’est pas responsable», commente Hélène Trouillet.
Conduites addictives et stéréotypes
Cette notion de ‘dérapage’ lors de soirées attire encore l’attention sur la nécessité pour les professionnels de la prévention d’associer les questions de sexualité et de conduites addictives. «Les jeunes disent clairement qu’en soirée, il peut grosso modo se passer tout et n’importe quoi pour la bonne raison qu’ils ne s’en souviennent pas… L’alcool comme les drogues entrent ici clairement en ligne de compte», commente Hélène Trouillet.
Ces circonstances particulières induites par les sorties posent aussi l’hypothèse de la fragilité des discours de prévention une fois ‘au pied du mur’. «Il y a une véritable ambivalence que l’on peut aussi retrouver chez les adultes : que deviennent les discours de prévention face à la pulsion amoureuse et sexuelle?», interroge la formatrice-conseil.
La prévention ne peut donc pas se satisfaire de traiter les aspects techniques de l’usage du préservatif par exemple : elle doit aussi amorcer une réflexion sur la manière d’intégrer certaines demandes et certains gestes dans le cadre de la pulsion et de l’affectivité. Preuve que cette anticipation réaliste représente un enjeu important : l’étude sur les jeunes en Hainaut indique que 34 % des filles qui ont déjà eu des rapports sexuels disent utiliser toujours un préservatif contre 69% des garçons…
Les divergences entre discours et pratiques semblent donc évidentes, tout comme celles entre le vécu des filles et des garçons. «On constate que les filles, qui ont plus de pression sur les épaules et sont soumises à plus d’injonctions, sont mieux informées que les garçons et se perçoivent davantage dans le contrôle de la situation», commente Annick Vanlierde. Les stéréotypes de genre restent d’ailleurs puissants. Ainsi, les données recueillies dans le Hainaut montrent qu’entre 20 à 30 % des garçons sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle une fille qui prend la pilule est une fille facile ! «On constate que sur la question de l’égalité des sexes, les jeunes peuvent tenir dans un même discours des propos totalement contradictoires», observe Hélène Trouillet.
Cette ambivalence se retrouve également dans une perception à la fois très sexualisée et très sentimentale du partenaire. «Les petits noms utilisés pour parler de son copain ou de sa copine sont très instructifs à cet égard. Autant, les jeunes vont employer ‘ma salope’ ou ‘ma pédale’, ce qui peut à nos yeux être assez insultant, autant ils donneront dans le ‘ma chérie’, ‘ma bien-aimée’, ‘mon petit cœur de beurre’», poursuit Hélène Trouillet.
De même, la diminution des sms dérangeants à caractère sexuel observés par les jeunes hennuyers reflète sans doute davantage une banalisation qu’une raréfaction de ces sms. «Envoyer une photo de soi en petite tenue pour approcher la personne qu’on convoite semble devenu quelque chose de courant, qui peut nous heurter en tant qu’adultes mais qui fait désormais partie des manières d’entrer en relation», commente Annick Vanlierde.
Caractérisée par l’existence de codes très spécifiques et parfois déconcertants, l’adolescence mérite d’être considérée dans son ambivalence constitutive, a fortiori quand il s’agit d’aborder la question de la sexualité et de la grossesse. Ce n’est qu’en tenant compte de cette complexité que pourra s’élaborer la prévention de demain.