Décembre 2024 Par Tsolair MEGUERDITCHIAN Initiatives

Tsolair Meguerditchian est psychologue, formatrice et responsable de projets postventions au Centre de Prévention du Suicide 

La prévention du suicide est l’affaire de tous. Le Centre de Prévention du Suicide (CPS) appelle à renforcer les actions de santé publique. L’augmentation des demandes venant des jeunes, a notamment conduit le CPS à structurer des principes d’interventions post crise suicidaire pour éviter l’effet de contagion. 

« Tu as des idées suicidaires ? », « Ne reste pas seul.e ! Des ressources existent ! » Ligne d’écoute, consultations psychologiques, forum en ligne gratuit et anonyme, ces dernières années, le Centre de Prévention du Suicide a développé de nombreux outils pour accompagner les personnes en crise et leurs proches, que l’acte suicidaire soit abouti ou non. 

Un problème de santé publique 

Le suicide revêt une ampleur significative en Belgique, qui figure au 4ème rang des pays de l’Union Européenne. En 2021, 1641 suicides aboutis ont été déclarés en Belgique (contre 1736 en 2020). La Flandre est plus touchée que Wallonie et Bruxelles. Il faut toutefois manier les chiffres avec prudence étant donné que tous les suicides ne sont pas répertoriés ou reconnus comme tels : certains accidents mortels de la route (suicides maquillés), les équivalents suicidaires (liés aux assuétudes). 

graph suicide

Le suicide et les idéations suicidaires concernent l’ensemble de la population. En 2018, 4,3 % de la population l’avait ainsi sérieusement envisagé et 0,2 % avait tenté de se suicider au cours des 12 derniers mois.  

Les pensées suicidaires et les tentatives de suicide sont plus fréquentes chez les femmes, les personnes d’âge moyen (45-64 ans) et dans le groupe avec un niveau d’éducation plus faible. Cependant, en 2021, 1174 hommes avaient mis fin à leurs jours, contre 467 femmes. 

Les jeunes adultes, en particulier ceux âgés de 18 à 29 ans, présentent le taux d’idéation suicidaire le plus élevé. En novembre 2023, 23,4% des femmes de cette tranche d’âge ont rapporté avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois, un chiffre en hausse par rapport à 18% en février 2023. Pour les hommes, ce taux était de 13,4% en novembre 2023, en légère baisse par rapport à 14% en février 2023. Dans la tranche d’âge 15-24 ans, plus d’un décès sur quatre est dû à un suicide. 

Au Centre de Prévention du Suicide, la proportion d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes qui utilisent la ligne d’écoute et requièrent des consultations psychologiques a augmenté de 15% depuis 2020. Chez certain.es psychologues du centre, plus de 40 % des patient.es sont des jeunes. Certain.es ont élaboré un plan suicidaire dès leur plus jeune âge. Ces chiffres soulèvent une priorité absolue concernant la santé mentale des adolescents et des jeunes adultes. 

Par ailleurs, il est crucial de souligner que le suicide peut toucher n’importe qui, sans distinction d’âge, de genre, d’origine, de religion ou de classe sociale. Ainsi la tranche d’âge des seniors, les plus de 85 ans, est la tranche d’âge la plus touchée par le suicide abouti. Cette universalité du phénomène souligne l’importance de l’aborder sous divers angles, à travers la prévention, le soutien, la sensibilisation, et la postvention – l’intervention en collectivités après un passage à l’acte suicidaire abouti ou non. 

Détecter les signaux d’alerte 

asian girl speaking during group therapy session

La prévention du suicide est un défi de société qui nécessite des approches tant individuelles que collectives. La clé de la prévention réside dans la capacité à détecter les signaux d’alerte, à offrir un soutien émotionnel et à promouvoir des espaces ouverts de dialogue. Le fait d’intervenir tôt et d’offrir des ressources adéquates permet de créer un climat de confiance et de compréhension pour que les personnes en détresse se sentent écoutées et soutenues.  

Professionnel·le·s de la santé, personnels éducatifs, et amis et famille ont tout intérêt à savoir reconnaître les signes de détresse, tels que : 

  • l’isolement social : perte d’intérêt et de plaisir pour les activités, retrait, recherche de solitude, coupure des contacts, mutisme, repli sur soi, absence d’émotion…  
  • les signes de dépression : trouble du sommeil, trouble de l’appétit, manque d’énergie, fatigue, agitation, tristesse, colère, rage, faible estime de soi, anxiété accrue…  
  • certains comportements : décrochage à l’école ou au travail, désintérêt général, manque d’attention, négligence physique, consommation excessive d’alcool, de drogue et de médicaments, comportements auto-mutilants et dangereux…  
  • les messages directs : «  Je veux mourir », «  Cela ne vaut plus la peine de continuer de vivre » 
  • Les messages indirects : «  Vous seriez mieux sans moi », «  Bientôt je vais avoir la paix »  

Le suicide reste stigmatisé, ce qui rend difficile d’en parler, tant pour les personnes ayant des idées suicidaires (ou endeuillées par suicide) que pour celles qui les soutiennent. Le tabou conduit à une absence de conversation. Ne pas aborder le sujet ouvertement va ensuite entraîner un sentiment d’isolement, des silences gênants et à l’enfermement des émotions. 

Pour ouvrir le dialogue sur la question du suicide, le CPS a notamment développé un jeu de cartes pour sensibiliser autour des idées reçues sur le suicide (voir la page les mythes et les réalités). Il est utilisé lors des sessions d’information pour ouvrir le dialogue.  

Ecouter et orienter 

Se préparer à entendre qu’une personne envisage le suicide est important. Cette révélation peut être très déstabilisante. Il est crucial de prendre la situation au sérieux, d’écouter activement la personne sans la juger, et de lui faire sentir qu’elle n’est pas seule face à ses difficultés. Le calme et la bienveillance sont essentiels pour l’aider à se sentir soutenue, pour faire savoir aux personnes en détresse qu’elles ne sont pas seules.  

Vous pouvez également être une source de soutien, dans les limites de votre rôle et de vos capacités. Après avoir accordé une première écoute, il est conseillé d’informer et de réorienter vers des ressources externes où les personnes en souffrance peuvent obtenir de l’aide, que ce soit par le biais de professionnel.les de la santé mentale, de lignes d’assistance téléphonique comme la ligne d’écoute du Centre de Prévention du Suicide 0800 32 123 ou de groupes de soutien. Il est important de se rappeler que chaque personne possède ses propres ressources. En posant les bonnes questions, nous vous encourageons à les aider à les identifier et à les mobiliser. 

Pour celles et ceux qui sont vulnérables, qui ont déjà exprimé des idées suicidaires ou qui ont des antécédents de comportements suicidaires, un suivi régulier et un soutien peuvent aider à prévenir une situation de crise.  

La postvention, une méthode d’intervention en collectivité 

En 2023, le CPS a structuré son service de postvention. Cette intervention joue un rôle déterminant dans la prévention du suicide.  

Elle a pour but de diminuer la souffrance individuelle, de prévenir un effet de contagion éventuel, d’augmenter le sentiment de sécurité du milieu et ainsi favoriser un retour au fonctionnement habituel dans le secteur concerné.  

Elle se décline avec différentes actions :  

  • En accompagnant les personnes en charge pour la gestion de la crise suicidaire institutionnelle comme, pour annoncer le décès par suicide, rendre hommage ; 
  • En épaulant les personnes directement touchées par le passage à l’acte à travers les groupes de paroles ; 
  • En repérant les personnes vulnérables ; 
  • En faisant connaître les ressources disponibles ; 
  • En cocréant un protocole institutionnel d’intervention et de prévention du suicide. 

En 2023, le CPS a  

  • dispensé huit séances d’informations postventions gratuites (les modules sont en accès libre sur le site web depuis septembre 2023)  
  • sensibilisé et informé 415 professionnel·le·s. à travers les séances d’information. Entre autres des centres de prévention et d’intervention addiction et dépendance, des mouvements de jeunesse, des fédérations de maisons de jeunes, des écoles et internats, les pôles académiques de Bruxelles (hautes écoles et universités), des services d’aide aux victimes, des organismes d’insertion socioprofessionnelles, les services de lutte contre la pauvreté, les SPF Emploi, Santé, Intérieur, les centres d’hébergement et les prisons. 
  • accompagné 15 institutions dans la gestion des crises (suicidaires). Notamment des écoles secondaires, mouvement de jeunesse, institutions publiques. 
  • créé 15 espaces de libre parole, pour un total de plus d’une centaine de personnes touchées par l’acte suicidaire. Plus de la moitié de ces sessions a eu lieu dans des écoles secondaires après des décès par suicide. Les participant.es étaient soit des professionnel.les de l’école, soit les élèves eux-mêmes.  
  • créé trois protocoles institutionnels d’intervention et de prévention du suicide sur mesure. 

Il est important de considérer tous les aspects d’une situation et évaluer si elle est critique et demanderait une action urgente. Dans certains cas, une aide immédiate peut être nécessaire.  

Les protocoles institutionnels d’intervention et de prévention du suicide  

Face à la détresse d’une personne qui fait part de ses idées suicidaires ou que l’on soupçonne suicidaire, il est normal de se sentir démuni et impuissant et de ne pas savoir ni quoi faire ni quoi dire. 

Ce protocole fournit des directives claires et des outils pratiques pour une meilleure gestion des crises suicidaires, couvrant les phases avant, pendant et après l’incident. Il permet d’adopter des attitudes spécifiques : l’écoute active, la bienveillance et l’absence de jugement pour éviter d’être submergé par l’angoisse ou de rejeter les émotions de l’autre. 

Le protocole a pour objectif d’apporter l’aide, les informations et les outils nécessaires aux personnes en charge ainsi qu’à tout.e professionnel.le dans le but de minimiser les risques au sein de l’institution. 

Il s’agit d’une cocréation sur mesure qui se déroule comme suit : 

  • Une première rencontre avec l’équipe. Le but est de savoir dans quels contextes et à quelle fréquence, celle-ci est confrontée à des situations de crise suicidaire (pensées suicidaire, tentative, suicide abouti) ? Comment ces crises suicidaires ont-elles été gérées ? Qu’est-ce qui a été bien fait ? Qu’est-ce qu’on peut faire autrement ? Qu’est-ce qui serait à éviter ? 
  • Sur base de ces réflexions et informations, le CPS formule une proposition pour que ce protocole s’approche au plus à leur réalité du terrain. Les participants seront donc invités à apporter les modifications nécessaires pour que la procédure soit aussi réaliste et applicable que possible. Il est également important de confier chaque tâche à l’avance aux personnes qui en seront chargées, afin que les employés ne se retrouvent pas perdus et désemparés lorsqu’ils sont confrontés à une crise suicidaire. Cela garantira un fonctionnement harmonieux où chacun sait ce qu’il a à faire. 
  • Une fois le protocole finalisé et les outils sur mesure développés, l’intégralité sera présentée à l’équipe. Ceci peut être considéré comme une sorte de formation. Des éléments liés à la prévention du suicide, à la postvention ainsi que les outils et ressources seront présentés. 

  

Ainsi, la mise en place du protocole institutionnel d’intervention et de prévention du suicide aide non seulement à prévenir le suicide, mais contribue également à construire un environnement plus vigilant et solidaire face à cette problématique majeure. 

Une intervention rapide peut faire la différence, et il est crucial de connaître les étapes à suivre dans ces situations délicates.  

En outre, le protocole inclut des directives sur la manière d’annoncer le décès par suicide, de rendre hommage et dans certains cas, de répondre aux médias, qui jouent un rôle significatif dans la sensibilisation et la prévention d’un éventuel phénomène de contagion. 

Pour contacter le Centre de Prévention du Suicide : ww.preventionsuicide.be  

Le CPS peut aussi assurer certaines interventions en anglais. Les interventions en néerlandais, sont menées par leur homologue le CPZ https://www.preventiezelfdoding.be/ 

Outils et documents de référence :