Mon intervention vise à aborder l’information et la communication, non pas au niveau de l’individu mais au niveau de la société, car l’information adressée à la société civile va ensuite influencer la relation unique, médecin/patient mais aussi la relation entre professionnels de la santé.
Politique sanitaire
La politique sanitaire a pour but de réorganiser, financer, apprécier le management du secteur sanitaire, en d’autres termes de se focaliser sur les services de prévention, de diagnostic, de soins et de réhabilitation. Son but vise à garantir un accès équitable aux informations et aux prestations adéquates et se fonde, dans la mesure du possible, sur des épreuves d’efficacité afin de répondre aux besoins sanitaires individuels et collectifs compte tenu des ressources disponibles.
Un autre volet de la politique sanitaire, presque totalement négligé, est le volet culturel. Qu’entend-on par volet culturel? Informer la société que la santé ne dépend pas seulement de la consommation de biens et de services médicaux ou mieux dire que les services de santé ont essentiellement un rôle réparateur mais informer que la santé dépend davantage de déterminants socio-économiques et écologiques. L’information doit aussi faire part de l’incertitude de la science et de la pratique sanitaire. La pensée unique d’aujourd’hui sous-tend que tout ce qui est consommé est utile, nécessaire, efficace et adéquat. Chacun pensera alors que, en consommant toujours plus de biens et de services sanitaires, tout problème peut être résolu, ou bien que chaque demande pourra être satisfaite, comme le disent les économistes. Mais nous savons que ce n’est pas le cas. Nous nous trouvons là aux fondements de la vision mythique de l’efficacité tous azimuts de la médecine qui nécessite d’être corrigée.
Comment promouvoir la santé avec des technologies dites faibles, comme se nourrir ou se comporter d’une certaine façon, opter pour d’autres styles de vie, face à la croyance qu’une pilule va résoudre le problème? Je crois qu’il faut arriver à promouvoir un accès plus éclairé aux services. Mais si l’on croit que tout est nécessaire, efficace et adéquat, on ne se pose évidemment même pas la question d’un accès plus éclairé aux prestations médicales.
Quel est le but d’une telle action culturelle? Ramener les attentes mythiques de la société à la réalité des épreuves. La pression consumériste va dans un futur proche poser des problèmes à la durabilité de financement de nos services de santé. Que se passera-t-il si le niveau de la consommation actuelle se maintient ou croît encore dans les années à venir? N’oublions pas que derrière ce processus, quelqu’un tire les ficelles et en profite plein les mains. Et qui tire réellement les ficelles?
L’industrie conditionne tout le monde par un marketing agressif qui vise à influencer directement la consommation et la prescription, la recherche ainsi que la politique. Mais quels sont les fondements de la vision ‘mythique’ de l’efficacité de ‘l’entreprise’ médico-sanitaire?
La société civile pense que la santé dépend exclusivement de la disponibilité de services et de la consommation de prestations médico-sanitaires, seul déterminant de la longévité.
Elle croit aussi que la médecine est une science exacte.
Cette dernière croyance implique qu’il y a une omission totale des notions de risque, d’événement indésiré, d’incertitude, de controverse, de variabilité et de conflit d’intérêts.
Un autre facteur à la base de cette vision mythique de l’efficacité de l’entreprise médico-sanitaire, est la croyance qu’il vaut toujours mieux diagnostiquer une maladie avant qu’elle ne se manifeste.
Les déterminants de la santé et leur contribution à la longévité
On reconnaît 4 déterminants majeurs de la santé. La biologie et la génétique contribuent pour 20% à la longévité. Le statut socio-économique de l’individu, le déterminant le plus important, influence la longévité de 45 à 50 %. Vient ensuite l’écosystème, qui contribue pour 20 à 25 %. La contribution à la longévité du secteur de soins, la plus faible, se situe en effet entre 10 et 15%.
Le statut socio-économique
Bien que dans le Canton suisse de Genève tout le monde a un accès absolument équitable aux soins (la Suisse étant probablement le plus grand shopping center sanitaire du monde), 5 années d’espérance de vie séparent ceux qui se trouvent dans la classe sociale la plus favorisée de ceux qui se trouvent dans la classe moins favorisée. Ce schéma se retrouve dans tous les pays car il n’est pas une spécificité suisse. Cet exemple démontre que ce n’est pas la consommation qui va réduire les inégalités de santé entre les individus mais d’autres facteurs exogènes au système.
Quel est le déterminant principal du statut socio-économique? Essentiellement le travail.
En effet, le rôle et le statut professionnels vont déterminer le statut social de l’individu. Or, c’est justement sur le travail qu’il faut agir car nous assistons aujourd’hui à ce qu’on appelle les nouveaux risques liés au travail. De quoi s’agit-il? De l’augmentation de la pression psychologique, de l’angoisse, en bref du stress lié aux changements des conditions et des rythmes de travail, à la diminution du soutien à l’intérieur des entreprises, à la précarisation de l’emploi, au harcèlement psychologique. Tout ceci aura des conséquences directes sur la santé.
Une étude récente publiée dans le British Medical Journal montre que les personnes qui ont survécu à des réductions d’emploi mais qui ont gardé leur poste contrairement à ceux qui ont été renvoyés, ont eu, dans les quatre années suivantes, un taux d’infarctus trois fois plus élevé que les travailleurs des entreprises qui n’ont pas vécu le stress lié à des réductions du personnel. Les résultats de plusieurs recherches montrent que le statut socio-économique est le déterminant le plus important à la longévité, et sa contribution a été chiffrée à 45-50% alors que les services de santé n’y contribuent que pour 10 à 15%. Mais un sondage effectué auprès de la population (Suisse) montre au contraire qu’elle estime que les services de santé vont contribuer pour 60 à 65 % à sa longévité. La réalité perçue par l’opinion est donc tout à faite autre.
Première conclusion: équité sanitaire signifie créer un environnement socio-économique susceptible d’offrir aux individus des opportunités aussi égales que possible face à la santé.
Deuxième conclusion: aujourd’hui, les décisions du ministre des finances ont généralement un impact plus important sur la santé de la population que celles du ministre de la santé!
La médecine est-elle une science exacte?
La médecine est plus incertaine que certaine et de nombreuses évaluations ont été faites à ce sujet. A l’incertitude de la science s’ajoute l’incertitude propre au professionnel qui l’exerce. Organisé dans cinq pays, un sondage portant sur un échantillon de 1.000 personnes a posé la question suivante: est-ce que, pour vous, la médecine est une science exacte ou ‘plutôt exacte’? 70 à 80% des personnes sondées ont donné une réponse affirmative. La même question a ensuite été posée aux médecins suisses. Parmi les internistes, 30 % ont répondu ‘oui’ mais parmi les spécialistes en épidémiologie, qui ont l’habitude de lire tous les articles et de les évaluer, seulement 7 % étaient d’accord avec une telle affirmation.
Diagnostic précoce
Aujourd’hui le diagnostic précoce est devenu synonyme de guérison. Les médias, mais aussi les services de santé, incitent avec un enthousiasme incroyable à aller diagnostiquer toute maladie avant qu’elle ne se manifeste. Un sondage récent montre que 80% des Italiens, 60% des Anglais et 52% de la population suisse estiment qu’il est toujours utile de dépister une maladie avant qu’elle ne se manifeste.
Aux Etats-Unis, 50% des femmes ayant subi une hystérectomie radicale et n’ayant donc plus d’utérus, continuent à faire le pap test (1). Toujours aux Etats-Unis, on a proposé aux américains de choisir entre le cadeau d’un examen par body scanner (un type de résonance magnétique) ou bien un cadeau de 1.000 dollars s’ils renonçaient à cet examen: 73% ont préféré le body scanner plutôt que le cadeau de 1.000 dollars; 66% des citoyens des Etats-Unis seraient disposés à se soumettre à un test de diagnostic précoce, même pour un cancer pour lequel il n’y a aucune possibilité d’être soigné ou guéri (2).
Environ 70-80% de femmes (3) pensent que si on se soumet régulièrement à une mammographie, on évitera de tomber un jour malade d’un cancer du sein. L’information donnée aux femmes par les médias et les brochures produites par les services de santé n’est donc évidemment pas une information evidence based. En conclusion, les attentes vis-à-vis de l’efficacité de l’entreprise médico-sanitaire dans la promotion du bien-être individuel ou social dépassent toute raisonnable évidence.
Consommateur versus patient
D’où vient cette vision, cette pensée unique? L’individu joue toujours deux rôles. Le rôle de citoyen lorsqu’il est bien portant et le rôle de patient lorsqu’il rencontre un problème de santé. Dans son statut de citoyen bien portant, par quoi est-il influencé? Par les médias, la presse, les brochures et les supports qui sont produits par les services de soins et par son réseau social.
Lorsque le citoyen tombe malade, la seule information qu’il reçoit provient des professionnels de la santé. L’empowerment dans ce dernier moment particulier de la relation avec un professionnel est presque impossible. C’est donc avant qu’il faut donner quelques outils car en disposant d’un surplus d’information et de culture avant de se retrouver dans la relation à deux, on aura plus de probabilités d’avoir un élan d’autonomie et de prendre une décision éclairée et partagée.
L’information adressée à la société civile doit être fondée sur des preuves d’efficacité. Elle ne doit pas être biaisée par des conflits d’intérêt. Revenons aux médias et aux supports. Les informations sur la santé produites et diffusées par les médias ont fait l’objet d’analyses. Seuls les bénéfices d’une prestation de type sanitaire sont habituellement mis en évidence, même si les bénéfices ne sont que potentiels, même s’il n’est pas prouvé qu’ils sont réalisables dans la pratique courante. Effets désirés, risques et incertitudes sont systématiquement omis par les médias et les brochures.
Une pensée unique passe donc dans la société civile
Elle veut que tout ce qui est proposé et prescrit soit utile, nécessaire et efficace. On devient dès lors très puissant et séduisant. Aujourd’hui, je crois que la séduction est un moyen de domination et je crois aussi qu’il n’y a pas de meilleure séduction que de dire qu’on est terriblement efficace, que l’on va résoudre tout. ‘ Venez , consommez avec confiance !’. Que cache ce type d’information tout public? Quasi toujours un intérêt commercial ou l’intérêt d’un producteur de quelque chose. Et pourtant l’information correcte peut modifier la disponibilité à consommer des gens. En voici un exemple concret.
On a sondé 900 Suisses sur leur disponibilité à accepter un dépistage, totalement inutile, le screening du cancer du pancréas. L’échantillonnage de ces 900 Suisses, hommes et femmes, a été divisé en deux groupes. Le premier groupe a reçu une information standard: ‘ Lors d’une visite médicale de routine , le médecin vous demande si vous êtes disposé à vous soumettre à un test diagnostic , un simple examen de sang , qui permet de diagnostiquer , avant que les symptômes de la maladie ne se manifestent , l’existence d’un cancer du pancréas . Quelle serait votre décision ?’ Le deuxième groupe a reçu les mêmes informations et un surplus sur les effets indésirés et l’efficacité de la prestation. ‘ Le test n’est pas précis ( 70 % de faux positifs ), il conviendra en outre d’effectuer un examen complémentaire à l’hôpital , de type résonance magnétique , pour confirmer ou non le résultat du test précédent . Chaque année en Suisse , 11 personnes sur 100 . 000 sont atteintes d’un cancer du pancréas . Sur 100 personnes atteintes d’un cancer du pancréas seulement 2 sont encore en vie après 5 années . Quelle serait votre décision ?’.
Dans le cas de l’information standard, 60% étaient disposés à se soumettre au test, dans le cas de l’information exhaustive, 13,5 % acceptent le test et 65% le refusent.
Quelle conclusion en tirer?
L’information est aussi importante pour la santé du patient que les médicaments, les examens biomédicaux et les interventions chirurgicales. La santé relève essentiellement de l’information. Bien informé, le patient peut faire des choix ou agir sur le système, bien mieux que s’il n’avait pas été informé. La priorité absolue aujourd’hui est de déprogrammer la société civile et ramener ses attentes à la réalité. Dans l’intérêt de chacun et de la durabilité des systèmes. L’éditeur du British Medical Journal ( 4 ) a fait une proposition pour ramener les attentes à la réalité. Il conseille de faire comprendre que le décès est inévitable, que la plupart des maladies sérieuses ne peuvent être guéries, que les antibiotiques sont inutiles en cas de grippe, que parfois les prothèses se cassent, que les hôpitaux sont des lieux dangereux etc.
Gianfranco Domenighetti , Professeur d’économie sanitaire, Université de Lausanne et Genève, chef de Service de la Santé publique, Canton du Tessin
Ce texte est extrait des actes du colloque ‘Information des patients’ organisé le 11 mars 2005 par le service de promotion santé Espace Santé et par la Fondation Solidaris (Mutualité FMSS/FPS). Nous le reproduisons avec l’aimable autorisation d’Espace Santé.
Espace Santé, rue de l’Université 1, 4000 Liège. Tél.: 04 223 01 50. Courriel: espace.sante@espacesante.be.
(1) Sirovich, Welch. JAMA 2004
(2) Source: Schwartz et al. JAMA 2004
(3) Source: Domenighetti et al. Int.J. Epidem.2004
(4) Source: R.Smith, Editor British Medical Journal (1999)