Décembre 2007 Par L. THIRY Réflexions

Le réchauffement de la planète tient sans doute la vedette dans nos cauchemars d’aujourd’hui – mais la vague d’obésité, comme source de souci, n’est pas mal non plus.
Indésirable, mal aimée, la graisse est au mieux regardée comme une propre à rien. Aussi, lorsque, en 1990, un étudiant en médecine de Harvard, appelé Gökhan Hotamisligi , découvrit que, loin d’être inerte, la graisse faisait quelque chose d’étonnant, il ne crut pas lui-même à ses propres résultats. Il avait observé, en effet, que les cellules de graisse, chez les souris obèses exerçaient une fonction biologique: elles produisaient une molécule inflammatoire «incendiaire», qui s’avérait évidemment néfaste.
Ce n’était pas, certes, une description chimique précise, mais elle indiquait que les globules de graisse ne sont pas simplement des sortes de coussinets qui étouffent nos organes. Après une publication de ces résultats dans la revue américaine Science , la jet set des biologistes resta sceptique, et lorsque Hotamisligi fut invité à des conférences, ce fut dans le but d’amuser la galerie. Divertir aurait cependant été un mot plus juste – car il s’agissait bien de détourner les spécialistes et le public de leur mode de pensée traditionnel sur ce sujet.
Ce travail cessa bientôt d’être considéré comme issu d’un esprit farfelu. Il représenta une bande de lancement pour une série de travaux qui étudièrent les cellules graisseuses en tant qu’unités fonctionnelles, et non plus comme des ballons de lipides. Et les surprises se succédèrent.
En 1995, ce fut à nouveau une découverte paradoxale: chez les sujets minces, les petits globules de graisse secrètent une hormone utile , que l’on dénomma leptine. C’est une messagère, qui envoie au cerveau des signaux de famine dès qu’il y a manque, mais s’arrête en cas de saturation. Exprimé ainsi, cela semble indiquer que notre appétit est un état mental. Exprimé en termes plus biologiques, cela signifie que les cellules graisseuses des sujets non obèses renseignent activement sur le niveau d’énergie qu’elles ont engrangé.

Régime strict, risque aggravé?

Au fur et à mesure que les retombées de la découverte de Hotamisligi se ramifiaient, les choses devenaient, évidemment, beaucoup plus compliquées. Il devint nécessaire de distinguer deux types de cellules graisseuses. Les bénéfiques sont logées essentiellement sous la peau, et lui donnent son élasticité, son caractère pulpeux. Les malfaisantes se trouvent nichées dans notre abdomen, où elles sont peu détectées au début.
Une telle distinction peut expliquer l’étonnante observation publiée en 2005, après un suivi de 3000 Finlandais pendant 18 ans.
Le résultat de cette enquête allait à l’encontre des notions admises et provoqua un tollé dans la communauté médicale. Pourquoi? Parce que, parmi ces Finlandais, ceux qui s’étaient soumis à un régime de restriction alimentaire strict, présentaient, à long terme, un risque de décès anormalement élevé! Ainsi, des restrictions «contre nature», une intervention brutale et continue, n’atteindraient pas seulement les méchantes cellules graisseuses, mais aussi les bénéfiques. Et pourraient conduire, à l’extrême, à l’état pathologique des mannequins maigres soumises aux diktats des grands couturiers. ‘Trop’ de régime nuit à la santé, cette découverte nous le rappelle judicieusement.

RBP4 et adiponectine

Mais si ces deux types de cellules graisseuses ont un comportement différent, à quoi cela est-il dû? Les cellules qui se développent dans le ventre des obèses secrètent à l’excès une substance appelée RBP4 qui bloque l’action de l’insuline et empêche ainsi l’absorption du glucose par notre corps: le sucre reste dans le sang et cause les problèmes associés au diabète, lequel est une complication connue de l’obésité. Quant aux cellules graisseuses qui rendent pulpeuses les joueuses de tennis aux muscles bien huilés, elles fabriquent au contraire une adiponectine . Cette molécule améliore le fonctionnement de l’insuline. A noter que l’exercice physique incite les cellules graisseuses gentilles à produire de l’adiponectine. Et l’on revient ainsi aux conseils de promotion de la santé.
Ces termes de RBP4 et d’adiponectine ne sont-ils pas trop rébarbatifs pour le grand public? Ce n’est pas dit, à voir la facilité avec laquelle les divers omégas sont entrés dans notre langage. Ne verrons-nous pas apparaître bientôt des yaourts garantis sans RBP4, voire dosés en leptine pour bien réguler notre appétit?

Là où il y a des gènes…

Lorsque nous côtoyons une femme obèse tenant par la main une fillette déjà déformée par la graisse, n’accusons pas la maman d’avoir gavé son enfant de frites et de sucre. N’est-elle pas victime d’un gène qui prédispose à l’obésité? Elle appartient sans doute à ces familles où l’on naît avec 3 à 4 fois plus de risques d’obésité que la moyenne dans la population qui l’entoure. Mais en fait il ne s’agit pas d’un seul gène, le même pour tous les cas d’obésité familiale.
Il y aurait dans nos chromosomes une dizaine de gènes qui, par des voies différentes, «facilitent» l’obésité. L’un pourrait, par exemple, exagérer la production de ce RBP4 qui intervient de façon fâcheuse dans notre métabolisme du glucose. Un autre gène serait déficient dans la production de la leptine qui gère notre appétit. Si cela se confirmait, le traitement de l’obésité familiale varierait selon le gène déficient.
Mais il ne faut pas baisser les bras devant l’obésité de toute une famille, en ne retenant que la dimension génétique du problème. L’environnement, et l’alimentation en particulier, restent des facteurs importants. Les chats qui mangent les restes des repas d’une famille corpulente ne deviennent-ils pas obèses?
Lise Thiry
A lire: Nature , vol. 447, 31 mai 2007, Science , vol. 316, 1er juin 2007